ce cadre permanent, la structuration des relations varie cependant, et elle ne varie pas
tellement en fonction de facteurs organisationnels (propres à la société de conseil ou propres à
l'entreprise cliente), mais surtout en fonction d'autres facteurs : ici, en particulier, l'état
d'avancement plus ou moins grand d'un produit informatique dont l'élaboration est soumise à
des aléas à la fois matériels et propres aux savoirs qui sous-tendent cette activité, va permettre
à tel ou tel autre facteur de jouer le rôle prépondérant.
4- La situation et ses contextes
La notion de situation de gestion est "locale". Autrement dit, l'extension spatiale et temporelle
d'une situation concrète est définissable : c'est l'interaction durable du chef d'atelier et de son
équipe à l'intérieur du champ d'évaluations auquel ils sont soumis en commun, l'interaction de
l'avocat et de son client jusqu'à l'issue de son procès, etc.
Mais la situation de gestion ne peut s'analyser qu'en référence aux contextes à l'intérieur
desquels elle se développe ou, pour dire les choses de manière légèrement différente, aux
contextes qui la traversent. Par exemple, l'interaction entre le chef d'atelier et les ouvriers de
son équipe peut se comprendre dans le contexte organisationnel (avec ses définitions de
compétences, d'autorité, etc.), dans celui des rapports sociaux et des conflits généraux (par
exemple au moment où se développe un mouvement de grève), dans celui du rapport aux
objets et à la technique (par exemple au moment d'une panne), etc. Ce point est capital. On
peut le voir comme une conséquence du phénomène de "totalité" mis en évidence par Mauss ,
ou encore comme une définition de la "complexité" de toute situation de gestion : en effet, si
la situation est locale, n'importe quelle tentative d'analyse de cette situation renvoie à la
globalité que, d'une certaine manière, elle "contient". Ce qui comporte comme conséquence
l'impossibilité concrète d'épuiser la description de la situation. Toute la question est par
conséquent de savoir quel(s) contexte(s) on va privilégier dans l'analyse.
La réponse la plus courante consiste à faire confiance à la théorie dominante ou à
l'épistémologie de la discipline pour distinguer ce qui est essentiel de ce qui est secondaire, les
variables déterminantes des variables accessoires, les contextes pertinents des contextes qui
ne le sont pas... Cette démarche, légitime en principe, fondée sur un principe de séparation et
d'abstraction qui a fait le succès des sciences physiques (on peut étudier le mouvement des
planètes en oubliant qu'elles ont aussi une couleur), privilégie en somme le point de vue de
l'analyste : si celui-ci s'intéresse aux rapports sociaux globaux, il pourra retrouver dans une
situation particulière des manifestations de la lutte des classes, et analyser cette situation de ce
seul point de vue ; de même s'il s'intéresse à la dimension économique, ou s'il est technicien,
ou s'il adopte un point de vue organisationnel, etc.
La difficulté est que les agents -- qui ne sont pas des objets -- se font eux-mêmes une idée,
dans chaque cas particulier, des variables qui sont les plus importantes pour appréhender la
situation, du contexte le plus adéquat à l'intérieur de laquelle elle doit s'interpréter. Même si
l'analyste peut avoir de bonnes raisons pour se convaincre que ces représentations sont
illusoires ou superficielles, elles participent à la structuration de la situation et à la
détermination des comportements. Ainsi, le fait que le fonctionnement d'un atelier puisse
s'analyser en termes de rapports sociaux conflictuels n'empêche pas que, à certains moments,
la situation peut se trouver dominée -- du point de vue même des agents -- par le sentiment
d'appartenance commune à une unité dont il s'agit prioritairement d'assurer la défense ou la
survie : l'inverse est également possible.