AMBASSADE DE FRANCE À CUBA SERVICE ÉCONOMIQUE LA HAVANE, LE 26 AVRIL 2016 Objet : volet économique du VIIème Congrès du Parti communiste de Cuba Le septième Congrès du Parti Communiste Cubain, seul parti politique de l’île, s’est tenu du 16 au 19 avril 2016 dans un contexte de fortes attentes à la fois nationale et internationale, du fait notamment de l’ouverture économique amorcée en 2011, des avancées récentes avec les Etats-Unis et l’Union Européenne et, enfin, de la reprise rendue possible des crédits étrangers à moyen et long terme. Sentiment d’autant plus fort que l’économie cubaine ne donne pas de signe franc de redémarrage (faible croissance du PIB, faible implantation étrangère, production agricole déficitaire,..) et que les nombreuses orientations (lineamientos) prises lors du précédent Congrès, en 2011, premier congrès présidé par Raul Castro, ne semblent pas avoir modifié grand-chose sur le terrain pour la conduite des affaires ou l’amélioration des conditions de vie de la population. Les principaux points que l’on peut retenir, à ce stade, des trois jours d’interventions et de débats entre le millier de délégués venus de tout le pays sont, à mon avis, les suivants : I) Réaffirmation du caractère socialiste de l’économie Les responsables politiques ont réaffirmé avec vigueur le caractère immuable de l’organisation socialiste de l’économie. Les travaux ont ainsi porté en priorité sur la « Conceptualisation du modèle économique et social ». Il s’agit d’un « guide théorique » pour la construction du socialisme à Cuba, devant prendre en compte toutes les caractéristiques idiosyncratiques du pays (histoire, processus révolutionnaire, culture, conditions internes et internationales, expérience socialistes à l’étranger) et s’appuyant sur les enseignements de José Marti, le marxisme-léninisme et le chemin tracé par Fidel Castro. Cette conceptualisation, déjà adoptée par les délégués mais qui sera rédigée à l’issue de débats au sein du Parti dans les mois qui viennent, permettra de définir les axes stratégiques de développement du pays et, par la suite, préciser les secteurs prioritaires et actions à mener dans les domaines économique et social. Le plan national de développement à l’horizon 2030, en cours de préparation, s’appuyera sur ces orientations. Dans son discours introductif, Raúl Castro a tenu également à faire mention des relations de propriété qui « déterminent le régime social d’un pays ». La principale forme de l’économie nationale restera la propriété du peuple sur les moyens de production, ce qui assure le pouvoir des travailleurs. Le lineamiento qui énonçait en 2011 que « dans les formes de gestion non-étatiques, la concentration de la propriété est interdite » se verra ainsi complété par le concept de « richesse ». Par ailleurs, le caractère socialiste de l’économie est donc renforcé par le rejet de toute forme néo-libérale de privatisation du patrimoine de l’Etat comme par le passé. La dénonciation de « puissantes forces externes qui misent sur l’émancipation [des] nouvelles formes de gestion pour faire apparaître des agents du changement » fait directement référence à la stratégie économique déployée par l’administration Obama. Le 1er Secrétaire a d’ailleurs souligné que les coopératives non-agricoles, qui pourraient être le modèle cubain d’entreprise « nonpubliques », sont encore en phase d’expérimentation. Enfin, pour le Parti, aucune décision économique ne saurait être source d’instabilité ou d’incertitude chez le peuple cubain, signe que les décisions économiques les plus importantes (comme les investissements à capital 100% étranger) nécessiteront encore des études précautionneuses et au plus haut niveau pour être acceptées. Cet élément peut également expliquer l’approche précautionneuse des autorités pour la réforme jugée la plus importante, celle de l’unification monétaire et cambiaire. « Elle ne ne sera pas reportée aux calendes grecques » a d’ailleurs affirmé le président Raul Castro, mais sans toutefois préciser de date. II) Poursuite de la rénovation économique du pays décidée en 2011 Après le cadre politique dans lequel doit se mouvoir l’économie du pays, le thème principal a été la poursuite de la mise en place des 313 Lineamientos définis en 2011, pour assurer le développement économique du pays et l’élevation du niveau de vie de la population. Seulement 21% de ceux-ci ont été mené à bien au cours des 5 dernières années, ce qui est assez peu. A ce titre, l’annonce d’un ajustement pour la période 2016-2021 est apparue naturelle. Ce remaniement devrait être en profondeur, à notre avis, compte tenu des chiffres annoncés : sur les 241 lineamientos qu’il reste à implanter (66 l’ont déjà été et 6 ont vraisemblablement été abandonnés), 31 seront conservés à l’identique tandis que 193 autres seront modifiés et 44 seront ajoutés (a priori 17 seront complètement revus et 27 lineamientos seront véritablement nouveaux). De fortes critiques ont été adressées à certains cadres et autres responsables politiques en charge de l’application de ces directives pour expliquer la situation présente, tels la mentalité obsolète, l‘envoi de circulaires sans suivi, la réticences à la modernisation, l’absence de vision globale des répercussions (integralidad), la faible séparation des fonctions politiques et opérationnelles,… Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces remontrances assez sévères. D’une part une certaine exaspération du président face à une situation qui a peu évolué en 5 ans, alors qu’un programme majeur de changement avait été lancé par lui-même. Egalement une volonté d’avancer plus vite pour un changement économique perceptible dans les toutes prochaines années (rappelons que Raul Castro quitera la présidence en 2018 en conservant toutefois un rôle majeur au sein du Part Communiste pendant quelques années encore). Enfin, manifestement, le sentiment que la qualité de vie des Cubains ne s’est pas améliorée et qu’un fossé est en train de se creuser entre les personnes du système CUC (cuenta propistas surtout) et le reste de la population en CUP (d’ailleurs, depuis le Congrès, quelques mesures en leur faveur viennent d’être prises, dont une baisse des prix des principaux produits alimentaires de base). Dans ce contexte, les références du président cubain à la situation satisfaisante du rééchelonnement de la dette publique et du rapprochement avec l’Union Européenne et ses membres peuvent être prises comme des signes encourageants d’une volonté présidentielle d’accélérer le recours aux investissements étrangers. L’avenir nous le dira. Le thème de l’unification monétaire et cambiaire (à noter que ce second adjectif avait disparu il y a quelques années des discours) a été présenté comme une réforme majeure à entreprendre pour le développement de l’économie. Pour le président, le taux de change pratiqué pour les entreprises cubaines (1CUC = 1 Pesos) nuit à leur productivité qui, à son tour, empêche l’augmentation du salaire des employés, et se répercute inévitablement, entre autres, sur leur motivation. Alors que les auto-entrepreneurs, qui travaillent avec un taux de 1 CUC= 25 Pesos, dégagent de fortes marges et créent aussi une pression à la hausse sur les prix. Cette volonté d’accélerer l’unification monétaire est vraisemblablement freinée à la fois par des fondamentaux économiques peu solides en termes de croissance et de devises, mais également par la peur d’une perte de confiance dans la monnaie et d’une reprise de l’inflation, qui pourrait affecter la population. C’est le dilemme auquel sont confrontés les responsables économiques. III) Domaines économiques mentionnés Au cours des différentes interventions, des précisions ont été apportées : Croissance : La croissance économique s’est établie à 2,8% en moyenne sur les 5 dernières années, « insuffisante pour assurer le développement et améliorer la consommation de la population », alors que les importations, qui ont crû de 4,7% en moyenne sur la même période, n’ont pas joué leur rôle d’entrainement économique. Salaires : Augmentation du salaire moyen de 40% sur 5 ans, de 20 à 28 US $ (dont la majeure partie au cours des deux dernières années). Les sportifs, professionnels de santé et employés des entreprises mixtes en auraient été les principaux bénéficiaires. Cuentapropismo : Le travail à compte propre ne saurait faire l’objet d’aucune discrimination, car il génère des services « tout à fait nécessaires » et permet à l’Etat de concentrer ses ressources sur les secteurs d’importance stratégique. Toutefois, des abus (déclarations fiscales minorées, exercice illégal d’activités…) rendent nécessaire un contrôle de ces professions. De plus, il n’y aurait pas de raison de développer outre mesure cette forme de gestion car l’innovation et la création de richesse demeurent essentiellement le fait des entreprises d’Etat, qui garantissent par la suite des bénéfices équitablement répartis dans la société. Production agricole : Face aux nombreuses difficultés que doit affronter ce secteur (conditions climatiques, insuffisance des réseaux de distribution du pays et outils de production obsolètes, croissance accélérée de la demande), le phénomène spéculatif a pris de l’ampleur depuis l’an dernier, ce qui s’est répercuté sur le prix des produits alimentaires de base et a été un des principaux sujets de préoccupation des Cubains ces derniers mois. Il est vital de renforcer le rythme de croissance de la production agricole, pour le moment insuffisant (nécessité d’importer pour 2 Mds USD par an d’aliments, dont la moitié pourrait être produite localement). Secteur externe : Les services médicaux et le tourisme rapporteraient plus de la moitié des ressources en devises du pays (le reste étant surtout les exportations et les transferts d’argent depuis l’étranger). La nécessité de diversifier les sources de revenus pour ne plus jamais dépendre d’un seul marché a été répétée. Il s’agit d’atteindre un équilibre dans la diversité des pays en termes de relations commerciales et de coopération. Un des secteurs mentionné pour dynamiser les exportations est le développement du tourisme médical. Le tourisme est reconnu comme une branche importante de l’économie qui permet de soutenir le développement d’autres secteurs et de générer des chaines de valeur (« chaque hôtel est une usine qui génère des revenus d’exportations dont le pays a besoin »). Le produit touristique cubain renforce sa compétitivité auprès de marchés étrangers, davantage diversifiés, mais on ne peut ignorer les insuffisances qui réduisent la qualité des services. Dettes : « L’assainissement des comptes externes et la restructuration des dettes bilatérales contribuent au rétablissement de la crédibilité internationale de l’économie cubaine et favorisent les possibilités de commerce, d’investissement et de financement du développement. Il ne peut y avoir de marche arrière dans ce processus et nous devons nous assurer de l’équilibre entre nouveaux crédits, paiements des dettes restructurées, endettement courant et réalisation du plan ». La résolution de la dette au sein du Club de Paris a eu un rôle « significatif ». IV) Conclusion Ce 7ième Congrès s’est conclu en laissant beaucoup d’interrogations. Il a déçu les Cubains et les observateurs étrangers, habitués par le précédent congrès à des débats plus ouverts. Un environnement international de Cuba qui s’est fortement amélioré en 5 ans et des conditions de vie locales qui, elles, n’ont pas changé pour une grande partie de la population devaient impliquer pour beaucoup des décisions fortes de la part d’un président cubain dont s’est le dernier mandat. Au-delà de la réaffirmation du caractère socialiste du pays, ce qui est au demeurant un exercice obligé pour un parti communiste, on peut effectivement regretter que seul le cadre des mesures économiques à venir ait été fortement structuré (conceptualisation, axes stratégiques, secteurs prioritaires, plan à échéance 2030) mais sans précisions sur leur applications pratiques. Sur le plan politique, le Congrès a permis de bien préparer la relève (les leaders « historiques » ont plus de 80 ans) en fixant de nouvelles règles, d’âge notamment, qui va écarter certains dignitaires. Sur le plan économique, on attend les décisions concernant les nouveaux lineamientos, qui ne devraient pas tarder, si l’on en juge par le degré d’exaspération que montrait Raul Castro à la tribune lorsqu’il faisant le point sur les avancées économiques obtenues. De plus, les gages politiques que vient de donner Raul Castro aux éléments les plus conservateurs du régime pourraient lui permettre d’avancer un peu plus rapidement sur le terrain économique (rémunération au mérite, délégation de responsabilité, acceptation de la propriété privée ou de l’enrichessement modérés si liés à un développement économique réel, extension des marchés de gros,…).