La cardiothyréose : étude rétrospective de 32 cas
Type de traitement
Vingt et un patients ont été d’emblée hospitalisés dans le ser-
vice de cardiologie du fait de la prédominance de la sympto-
matologie card i a q u e; neuf autres patients ont été d’abord vus
en endocrinologie, un en gastro e n t é rologie (prédominance
de la diarrhée), et un en psychiatrie (troubles du comporte-
ment). Le traitement symptomatique contre les effets péri-
phériques de T3 et T4 a été du propanolol chez 23 patients,
et, dans 10 cas, un neurosédatif (benzodiazépine) a été pres-
crit. Le traitement antithyroïdien était du carbimazole (14
cas) ou du benzylthiouracil (18 cas). Quatre fois, il y a eu un
changement thérapeutique quand le benzylthiouracil a été
remplacé par le carbimazole pour persistance des signes de
t h y rotoxicose au troisième mois. Aucun patient n’a eu d’iode
radioactif ou un traitement chiru rgical (thyroïdectomie) à
c o u rt terme. Les données sur la chiru rgie thyroïdienne, après
e u t h y roïdie, n’étaient pas disponibles dans les dossiers médi-
caux. Le traitement de l’insuffisance cardiaque a fait appel
aux digitalo-diurétiques, associés aux dérivés nitrés chez 22
patients. Les arythmies cardiaques ont été traitées par le pro-
panolol (10 cas dont six réductions), ou par la cibenzoline
(six cas dont quatre réductions). L’évolution intra-hospita-
lière a été bonne dans 97 % des cas, un seul décès par insuf-
fisance cardiaque réfractaire a été observé.
Discussion
En Afrique, peu de travaux sont consacrés aux card i o t h y-
réoses. C’est une pathologie qui a été longtemps consi-
dérée comme rare, voire inexistante en zone intert ropicale (6).
Les travaux de Dakar de 1961 à 1975, à propos de 4591 dos-
siers, enregistraient une fréquence de 0,76 % de card i o t h y-
réose (6). De même, à Abidjan, LO K R O U et coll., en milieu
c a rdiologique, ont re t rouvé une prévalence de 0,76 % de car-
diothyréose, de 1986 à 1990 (7). Dans notre étude plus récente,
la fréquence est plus élevée, de 1,70 %; cela pourrait s’expli-
quer par l’endémicité du goitre au Burkina Faso (12) et par la
plus grande disponibilité du dosage des hormones thyro ï-
diennes actuellement, dans notre pratique quotidienne. La gra-
vité des patients de notre série (où la cardiothyréose est
diagnostiquée à un stade caricatural) s’explique par l’err a n c e
diagnostique, au gré des manifestations cliniques multiform e s;
ainsi, 21 patients seulement ont été initialement orientés en
c a rd i o l o g i e .
De façon unanime, l’âge moyen est “l’adulte jeune” d a n s
toutes les données africaines. Il est de 42 ans pour KOATÉ et
coll. (6) à Dakar, 43 ans pour RE N A M B O T et coll. en Côte
d’Ivoire (11), 41,9 ans pour KANE et coll. (4), dans une étude
plus récente portant sur 20 patients au Centre hospitalier de
Dakar. Cet âge moyen est de 43 ans dans notre étude au Bur-
kina Faso. La cardiothyréose serait une affection absente avant
27 ans selon les travaux de PO P O V I C I et coll. (10), sur une
population européenne. Dans notre étude, quatre patients
(12,5 %) ont moins de 27 ans. Le sexe féminin est dominant
chez la plupart des auteurs, 90 % à Dakar (4), 85 % pour
AD E T U Y I B I (1), 80 % dans l’étude de RE N A M B O T et coll. à
Abidjan (11), et 78 % dans notre travail à Ouagadougou.
L’ i n s u f fisance cardiaque est présente dans 69% des cas. Nous
n’avons pas trouvé de relation entre l’âge et la présence d’une
i n s u ffisance cardiaque. Par contre, la fibrillation auriculaire
( FA ) est fréquemment associée à une insuffisance card i a q u e
dans notre étude. Une cardiopathie sous-jacente ne semble
donc pas obligatoire pour avoir une insuffisance card i a q u e
dans la card i o t h y r é o s e; en effet, la thyrotoxicose seule peut être
à l’origine d’une atteinte myocardique spécifique. Celle-ci peut
même se révéler par une cardiomyopathie dilatée, comme l’a
r a p p o rté UM P I E R R E Z et coll. (13); il a même été rapporté (8) un
œdème pulmonaire asphyxique par hypervolémie, sur cœur
sain. KA N E et coll. ont aussi montré dans leur travail (5) qu’une
atteinte myocardique pouvait être décelée à l’échocard i o g r a-
phie, avant toute manifestation clinique d’insuffisance car-
diaque. Dans notre étude, l’échocardiographie n’a pu être faite
à tous les patients. Mais cette exploration devrait être systé-
matique en cas de thyrotoxicose, afin de détecter cette atteinte
m y o c a rdique latente. L’angor est noté dans 25 % des cas; il
s’agit essentiellement d’angors typiques ou atypiques, avec
des anomalies électro c a rdiographiques (ischémie sous-épicar-
dique). Cependant une atteinte coro n a i r e est difficile à aff i rm e r
ici, en raison de la présence de troubles métaboliques (anémie,
hypokaliémie, hypomagnésémie) et de l’absence de coro n a-
rographie. L’anémie est présente dans 72 % des cas, l’hypo-
calcémie chez 63 % des patients, l’hypokaliémie dans 50% des
cas et l’hypomagnésémie dans 30 % des cas. Leur corre c t i o n
a été systématique chez nos patients et leur rôle sur la genèse
des troubles du rythme et de l’insuffisance cardiaque reste à
d é t e r miner sur de plus grandes séries.
En ce qui concerne le type anatomoclinique, nous re t ro u v o n s
6 2 , 5 % de maladies de Basedow dans notre étude contre
3 7 , 5 % de goitres nodulaires. À Abidjan cependant, l’adé-
nome toxique est aussi fréquent que la maladie de Basedow
(11). Au Burkina Faso, le goitre est endémique, lié à une
c a rence en iode (12), et des campagnes d’iodation ont été
entreprises auprès des populations. Mais le caractère rétros-
pectif de notre étude ne nous a pas permis de préciser, chez nos
patients, la notion de prise d’iode avant le début de la thyro-
toxicose.
Le traitement antithyroïdien de synthèse fait appel initialement
au carbimazole (44%) et au benzylthiouracil (56%), ce der-
nier étant moins onéreux. Dans quatre cas, le benzylthioura-
cil a été remplacé par le carbimazole pour échec thérapeutique
(persistance de la thyrotoxicose trois mois après le début du
traitement). Les troubles du rythme sont fréquents dans la
c a rd i o t h y r é o s e; PO P O V I C I (10) trouve une pro p o rtion de 21 %
dont 35 % de FA. À Dakar, dans l’étude de KOUATÉ et coll
(6), 20% des patients sont en FA. Dans notre étude, les ary t h-
mies ont été réduites dans 53% des cas, à la sortie du patient,
par un traitement bêtabloquant seul ou associé à un digitalique,
ou encore par la cibenzoline (quatre cas). Le traitement bêta-
bloquant, s’il est bénéfique en particulier dans l’hypert h y-
roïdie débutante, peut entraîner une détérioration
hémodynamique dans les formes évoluées, même en l’absence
de signes patents d’insuffisance cardiaque (5). L’emploi de la
cibenzoline comme traitement antiarythmique dans les car-
diothyréoses en fibrillation auriculaire, pourrait être une solu-
tion de rechange. En effet, nous avons déjà rapporté (9) un cas
de réduction d’une fibrillation auriculaire sur card i o t h y r é o s e
après échec du bêtabloquant (propanolol). Les quatre cas de
réduction de FA dans notre série auraient tendance à confir-
mer cette efficacité de la cibenzoline dans la réduction des
troubles du rythme de la cardiothyréose. Dans deux cas, la
cibenzoline a été associée à la digoxine, avec une bonne tolé-
rance, comme cela a déjà été montré dans l’étude de GA R-
NIER (2). Mais des études prospectives sont nécessaires pour
confirmer l’intérêt de la cibenzoline dans les arythmies de la
cardiothyréose.