Coût et efficacité des stratégies de prise en charge

Avec plus de 40 000 nouveaux cas estimés en l'an 2000, le cancer
de prostate est le cancer le plus fréquent en France, et bien que la
mortalité qui lui est associée soit en baisse, le cancer de prostate est
au premier plan des problèmes de santé publique [1]. Alors que les
questions sur l'intérêt d'un dépistage sont posées et largement
débattues [2, 3], le traitement optimal des cas dépistés n'est toujours
pas connu : une seule étude randomisée a montré la supériorité de
la chirurgie sur la surveillance [4], mais elle concernait principale-
ment des tumeurs palpables, ce qui n'est pas le cas des tumeurs
dépistées par le PSA [5]. Les essais thérapeutiques en cours sont
peu nombreux [6] et ne pourront pas répondre à toutes les questions
en raison des difficultés rencontrées (notamment de sorties d'étu-
des) et de la difficulté de les mettre en place. Depuis 10 ans se sont
développées des études en population générale, basées sur des
registres de pathologies le plus souvent, qui, sans supprimer tous les
biais, permettent d'avoir une approche plus globale du problème
[7]. Alors que de nombreux travaux issus de données de population
ont porté sur les facteurs déterminants le choix du traitement [8, 9]
ou sur la survie liée au traitement [10, 11], il existe peu d'études
ayant calculé les coûts de prise en charge thérapeutique [12], et
aucune prenant en compte simultanément les coûts et l'efficacité.
Al'initiative du CCAFU et du Réseau Français des Registres de
Cancer (FRANCIM), une cohorte de 1000 cas de cancers de pro-
state diagnostiqués en 1995 dans 5 départements français couverts
par un registre a été mise en place avec un suivi prévu de 5 ans [13].
L'objectif du présent travail était de montrer, à partir des premiers
résultats du suivi sur le département du Tarn, qu'une analyse médi-
co-économique de la prise en charge thérapeutique était réalisable
en utilisant les données recueillies.
MATERIELET METHODES
Population
Les 122 cas de cancer localisé de prostate diagnostiqués dans le
département du Tarn entre le 1er janvier et le 31 décembre 1995 ont
été inclus dans cette étude. Ils ont été suivis pendant 5 ans. L'ana-
lyse finale a concerné 120 patients (cf arbre décisionnel).
Données
Les données ont été recueillies rétrospectivement sur les dossiers cli-
niques des praticiens en charge des patients de notre cohorte. Un pre-
mier recueil en 1997 a permis d'avoir des informations sur les carac-
téristiques du patient et de la tumeur et sur le traitement réalisé au
cours de la première année : prostatectomie radicale, radiothérapie
externe (pelvis), radiothérapie de métastases, hormonothérapie, cas-
tration chirurgicale, résection endoscopique de prostate ou absence de
traitement spécifique réalisé. Un deuxième recueil en 2001 a permis
de disposer des informations sur l'évolution clinique de la maladie, sur
le statut vital du patient et sur le traitement ultérieur réalisé.
Arbre décisionnel de prise en charge (Figure 1)
Pour représenter la prise en charge du cancer localisé de prostate,
ARTICLE ORIGINAL Progrès en Urologie (2003), 13, 618-623
Coût et efficacité des stratégies de prise en charge thérapeutiques
du cancer localisé de prostate : étude de faisabilité en population générale
Eric BAUVIN (1, 2), Laurent MOLINIER (2, 3), Benoît DERVAUX (4), Michel SOULIÉ (2, 5), Igor LATORZEFF (6),
Jean-Marc BACHAUD (6),Arnauld VILLERS (5),Antoine ELIAS (7), Pascale GROSCLAUDE (1, 2)
(1) Registre des Cancers du Tarn, Albi, France (2) Inserm U558, Faculté de Médecine de Purpan, Toulouse, France,
(3) Département d’Information Médicale, CHU Toulouse, France,
(4) CRESGE-LABORE, Lille, France, (5) CCAFU,
(6) Service de Radiothérapie, Institut Claudius Regaud, Toulouse, France, (7) Service de Médecine Vasculaire, CHU Toulouse, France,
RESUME
Objectif : les évaluations médico-économiques sont nécessaires à l'évaluation des pratiques de soins. L'objectif
de cette étude préliminaire est de montrer comment, à partir des registres de cancers, ce type d'étude est réali-
sable en population générale.
Matériel et Méthodes : 122 cas de cancers localisés de prostate diagnostiqués en 1995 dans le département du
Tarn ont été inclus dans cette étude. Un arbre décisionnel des principales stratégies diagnostiques a été élaboré.
Le point de vue adoptée est celui du payeur, les coûts directs médicaux et non médicaux ont été envisagés. La
survie à 5 ans a été calculée.
Résultats : Les coûts de prise en charge thérapeutique étaient respectivement pour la prostatectomie radicale, la
radiothérapie localisée, l'hormonothérapie et l'abstention/surveillance de 55 468, 65486, 72 21
1 et 13 269 francs
(8.533, 10.075, 11.109 et 2.143 euros). La survie observée à 5 ans était respectivement de 89%, 84%, 75% et 78%.
Conclusion : Cette méthode peut être appliquée à la cohorte CCAFU/FRANCIM issue de 5 départements. Des
comparaisons entre régions et secteurs de soins seront alors possibles. Le suivi d'une cohorte de cancers dia-
gnostiqués en 2001 permettra de mesurer l'évolution dans le temps.
Mots clés : Cancer de prostate, étude médico-économique, registre de cancer, méthode Delphi, analyse décisionnelle.
618
Manuscrit reçu : avril 2003, accepté : juin 2003.
Adresse pour correspondance : Dr.E. Bauvin, Service d’Epidémiologie/Inserm U558,
Faculté de Médecine de Purpan, 37, allée Jules Guesde, 31073 Toulouse Cedex.
Ref : BAUVIN E., MOLINIER L., DERVAUX B., SOULIE M., LATORZEFF I.,
BACHAUD J.M., VILLERS A., ELIAS A., GROSCLAUDE P., Prog. Urol., 2003, 13, 618-
623
un arbre décisionnel [14] a été élaboré par un groupe composé d'u-
rologues, de radiothérapeutes et d'épidémiologistes.
Cinq stratégies initiales ont été individualisées :
Prostatectomie réalisée dans les 6 premiers mois (quel que soit le
traitement ultérieur réalisé).
Radiothérapie externe (à l'exclusion de toute prostatectomie) avec
ou sans hormonothérapie associée dans les 3 premiers mois.
Hormonothérapie isolée dans les 6 premiers mois.
Abstention et surveillance (absence de traitement spécifique dans
les 6 premiers mois).
Chaque choix thérapeutique est représenté par un carré (nœud déci-
sionnel), chaque conséquence aléatoire est représentée par un rond
(nœud de chance). Les données de coût et d'efficacité recueillies
pour chaque patient inclus viendront alimenter l'arbre décisionnel et
permettront de calculer le coût moyen et l'efficacité de chaque stra-
tégie thérapeutique initiale.
Seuls 2 patients se retrouvaient dans la stratégie “radiothérapie avec
hormonothérapie adjuvante” (dans les 3 premiers mois), ils ont été
exclus de cette étude préliminaire.
Analyse médico-économique
Le point de vue adopté était celui de l'Assurance Maladie. Les coûts
directs médicaux et non médicaux (essentiellement les transports)
ont été pris en compte.
Le Tableau I présente le coût hors transport des différents traite-
ments dont ont pu bénéficier les patients de notre cohorte au cours
de la période considérée : ces coûts unitaires ont été évalués par
une méthode basée sur l'interrogation d'experts, la méthode Delphi.
Les experts étaient les urologues, radiothérapeutes et angiologues
(pour les complications thrombo-emboliques liées à la chirurgie ou
à la radiothérapie) ayant pris en charge les patients de notre cohor-
te. Le coût unitaire de chaque traitement (comprenant le coût
hospitalier initial, les complications éventuelles, le traitement
médicamenteux et la surveillance) est présenté en fonction de son
année de réalisation pour la période de suivi de notre cohorte
(1995-1999). Par exemple, le coût d'une prostatectomie radicale
réalisée en 1997 comprenait le coût de la chirurgie et de ses com-
plications en 1997, ainsi que le suivi en 1998 et 1999. Le coût d'une
radiothérapie complémentaire de la chirurgie en cas de marges
positives est compris dans le coût moyen de la stratégie “prosta-
tectomie radicale”. Le détail de la méthodologie employée est pré-
senté dans une autre publication [15]. Le coût des transports a été
calculé sur la base d'un trajet en véhicule sanitaire léger (VSL)
entre le domicile du patient et son lieu de soins pour chaque
consultation ou hospitalisation.
Les coûts unitaires obtenus pour chaque traitement et les coûts des
transports ont été appliqués à chaque patient en fonction des traite-
ments reçus pendant 5 ans. Nous avons ainsi pu calculer le coût
moyen de chaque stratégie thérapeutique. Les coûts sont présentés
en Francs Français 1995 (l'Euro n'existant pas à cette époque), ils
sont actualisés au taux de 3% par an [16]. Le Tableau Vsynthétisant
les résultats présente aussi les coûts en Dollar américain (taux de
change moyen sur l'année 1995 : 1 Dollar = 4.85 Francs) pour per-
mettre une comparaison internationale.
Deux critères d'efficacité ont été utilisés : la survie observée (SO) à
5 ans et la survie relative (SR) qui est une modélisation prenant en
compte l'effet de la différence d'âge au diagnostic, et qui est une
bonne approximation de la survie spécifique. Les analyses ont été
réalisées en “intention de traiter” pour ne pas surestimer la survie
liée à la prostatectomie radicale [17]. Le coût d'une radiothérapie
complémentaire de la chirurgie en cas de marges positives est donc
compris dans le coût moyen de la stratégie "prostatectomie radica-
le".
Les résultats sont présentés sous la forme d'une description coûts-
conséquences des stratégies de prise en charge.
E.Bauvin et coll., Progrès en Urologie (2003), 13, 618-623
619
Tableau I. Coûts de prise en charge sur 5 ans des traitements, en fonction de l’année de réalisation (en Francs courants).
Traitements réalisés 1995 1996 1997 1998 1999
Prostatectomie radicale 41 121 39 935 39 702 38 226 38 443
Radiothérapie de prostate --- --- --- --- ---
initiale 42 509 41 919 50 342 52 661 52 569
marges positives 36 794 36 249 43 432 45 341 45 184
Radiothérapie de métastase 12 386 11 922 14 187 15 215 14 970
Hormonothérapie --- --- --- --- ---
initiale 62 592 50 181 37 778 25 366 12 682
secondaire61 217 49 034 36 845 24 657 12 465
néoadjuvante 84 960 67 883 50 920 34 080 17 117
retardée 55 683 44 661 33 634 22 605 11 302
Castration chirurgicale 20 427 17 422 23 177 17 861 18 988
Résection endoscopique 24 651 21 586 20 095 20 303 21 674
Abstention 2 454 1 929 1 527 1 098 552
Figure 1. Arbre décisionnel de la prise en charge des cancers locali -
sés de prostate dans le département du Tarn (n=122).
Analyse statistique
Le seuil de significativité a été fixé à 5%. Les comparaisons de
pourcentages ont été réalisées à l'aide du test du Chi2, ou du test de
Fisher quand les effectifs étaient insuffisants. La survie totale à 5
ans a été calculée par la méthode non paramétrique de Kaplan-
Meier. La survie relative a été calculée selon la méthode Estève
[18]. Les analyses statistiques ont été réalisées sur les logiciels
Stata, Relsurv et TreeAge [19-21].
RESULTATS
Description (Tableau II)
Dans le département du Tarn, plus de 80% des cancers localisés
étaient traités dans le secteur privé et 70% des patients avaient
moins de 75 ans. Le dosage du PSA avant le diagnostic était infé-
rieur à 20 ng/ml dans près des 75% des cas et le score de Gleason
était le plus souvent intermédiaire. Plus de 40% des tumeurs étaient
non palpables au moment du diagnostic (stade T1, TNM), les
patients plus âgés étant plus souvent dans ce cas (p < 0,01). 52% des
patients étaient traités avec une intention curative (prostatectomie
radicale ou radiothérapie localisée), mais seuls 12% des patients de
plus de 75 ans étaient dans ce cas (p < 0,001).
Coûts de prise en charge en fonction des stratégies thérapeu-
tiques (Tableaux III et IV)
Le coût moyen sur 5 ans d'un traitement par prostatectomie radica-
le initiale était de 55 468 FF (11 437 $), près des trois quarts étant
représentés par le coût hospitalier initial, le coût lié aux complica-
tions représentant près de 10% et le coût lié à la surveillance sur les
5 ans étant proche de 5%. Les coûts étaient principalement suppor-
tés les 2 premières années de suivi de notre cohorte. Traiter un
patient par radiothérapie localisée initiale coûtait 65 486 FF (13 502
$), mais seulement 40 300 FF étaient liés au coût hospitalier initial
(35 séances de radiothérapie en ambulatoire) et aux compli
cations,
près de 35% du coût était lié aux transports. La grande majorité des
traitements était réalisée l'année du diagnostic. L'hormonothérapie
coûtait plus de 72 000 FF (14 889 $) répartis sur les 5 ans alors que
la stratégie de surveillance initiale coûtait 14 000 FF (2 872 $), le
coût le plus important était supporté la troisième année probable-
ment en raison du traitement des évolutions de la maladie.
Survie observée et survie relative à 5 ans en fonction de la stra-
tégie thérapeutique initiale (Tableau V)
La survie observée à 5 ans variait de 75% pour les patients traités
par hormonothérapie initiale isolée à 89% pour ceux traités par pro-
statectomie radicale. Les écarts en survie relative, prenant en comp-
te l'effet de l'âge au diagnostic, étaient encore plus faibles : ils
variaient de 89% pour l'hormonothérapie à 97% pour la prostatec-
tomie radicale.
DISCUSSION
Ce travail préliminaire présente un certain nombre de limites : la
première est la faiblesse de l'effectif qui incite à une grande pru-
dence dans l'interprétation des résultats, notamment pour les bran-
ches “radiothérapie” et “hormonothérapie”. Nous avons dû regrou-
per les stades T1 et T2 et nous n'avons pu faire une analyse par
grade histologique. Ce travail avait pour ambition de montrer que la
reconstitution de données économiques était réalisable en popula-
tion générale, ce que nous avons fait. L'application de cette métho-
de à la cohorte de 1000 patients issus de 5 départements français
[22] permettra d'avoir un nombre de patients suffisant dans chaque
bras de traitement pour prendre en compte le stade clinique et le
grade histologique.
La deuxième limite majeure est liée au critère d'efficacité utilisé : la
survie à 5 ans est un critère probablement trop précoce pour des
cancers localisés de prostate. Une alternative est d'utiliser la survie
sans récidive biologique, les dosages de PSAétant recueillis dans le
suivi. Mais la qualité de tenue des dossiers cliniques influera alors
sur la qualité de la mesure (le recueil est rétrospectif). L'autre alter-
native est à plus long terme, et nécessitera le suivi de cette cohorte
5 années supplémentaires pour disposer de la survie à 10 ans.
La troisième limite sera plus difficile à prendre en compte : l'espé-
rance de vie (EDV) est l'un des critères principaux orientant le cli-
nicien dans le choix du traitement initial [23]. Or, compte-tenu du
mode de recueil rétrospectif des données dans les dossiers cli-
niques, il est impossible de l'apprécier pour tous les patients au
moment du diagnostic. En effet, les comorbidités n'étaient pas
notées de manière systématique dans les dossiers. La survie relati-
ve prend en compte l'âge au diagnostic (donc permet d'estimer la
survie spécifique), mais l'âge n'est qu'une composante de l'EOV
[24], et il est probable qu'à âge égal, les patients traités par prosta-
tectomie radicale ont une EDV meilleure que ceux traités par
abstention thérapeutique. Les registres de cancer américains au sein
du programme SEER (Surveillance, Epidemiology and End
Results) recueillent les comorbidités de manière systématique, ce
qui permet de calculer un facteur d'ajustement [25]. Ce ne sera pos-
sible en France que si les dossiers cliniques des médecins traitants
les relèvent de façon systématique.
Ces enquêtes en population ne peuvent donc avoir la prétention de
comparer les stratégies de traitement entre elles : si l'on voulait
comparer prostatectomie radicale initiale et abstention thérapeu-
tique à l'aide d'une analyse coût-efficacité, on risquerait de privilé-
gier artificiellement la stratégie comprenant les patients en meilleu-
620
Tableau II. Déterminants médicaux et non médicaux en fonction de
l’âge.
Age < 75 ans > 75 ans Total
Déterminants (n=86) (n=34) (n=120)
Filière
Public 14% 18% 15%
Privé 86% 82% 85%
PSA (ng/ml)
< 4 11% 15% 12%
4 - 9 37% 23% 33%
10 - 19 31% 26% 30%
> 20 16% 24% 18%
inconnu 5% 12% 7%
Score de Gleason
2/4 16% 23% 18%
5/7 77% 68% 74%
8/10 7% 6% 6%
inconnu 0% 3% 1%
Stade Clinique*
T1 35% 59% 42%
T2 65% 41% 58%
Traitement initial**
abstention 25% 70% 38%
prostatectomie 62% 9% 47%
radiothérapie 6% 3% 5%
hormonothérapie 7% 18% 10%
*p<0,01 ; **p<0,001
E. Bauvin et coll., Progrès en Urologie (2003), 13, 618-623
re santé (coûts de prise en charge minorés et survie majorée) [26].
La supériorité d'un traitement sur un autre doit donc être mise en
évidence dans le cadre d'essais thérapeutiques bien conduits dans
lesquels la comparabilité des groupes peut être contrôlée. En l'ab-
sence d'informations sur l'EDV, l'intérêt des études en population
est avant tout descriptif et se situe dans le domaine de l'évaluation
des pratiques : on pourra mesurer des variations en terme de coût et
d'efficacité d'une région à l'autre, mais aussi d'un secteur de soins à
l'autre. La répétition de ce type de cohorte à intervalles réguliers
(tous les 5 ans par exemple) permettra d'observer l'évolution dans le
temps des coûts de prise en charge et/ou de la survie dans les
régions étudiées, et de l'expliquer par une éventuelle modification
des pratiques observées dans ces régions.
Les avantages et limites de la méthode basée sur l'interrogation
d'experts pour reconstituer les coûts en population générale ont été
discutés par ailleurs [15].
Bien que cette étude soit préliminaire, la comparaison avec la litté-
rature sur le sujet est intéressante. La survie liée au cancer de pro-
state a été étudiée sur de nombreuses séries hospitalières en fonc-
tion du traitement réalisé, mais peu de travaux ont réalisé cette esti-
mation en population générale. LU-YAO retrouvait à 5 ans des chif-
fres comparables aux nôtres pour les traitements non conservateurs
(respectivement, en survie observée et en survie relative, 81 et 98%
pour la prostatectomie radicale et 70 et 92% pour la radiothérapie)
mais beaucoup plus faibles pour les traitements conservateurs (45 et
61%) [11]. Nous avons défini l'abstention et surveillance comme
l'absence de traitement spécifique dans les 6 premiers mois, ce qui
n'excluait pas la pratique ultérieure d'une prostatectomie ou d'une
radiothérapie, expliquant probablement la différence importante
relevée. Lai a regardé la variation géographique de survie à 10 ans
des patients ayant eu une prostatectomie. La survie totale variait de
74 à 84% et la survie relative variait de 94 à 98% [10].
Le calcul des coûts de prise en charge en fonction du traitement
initial a fréquemment été réalisé au sein des grandes institutions en
adoptant le point de vue de l'hôpital. Ainsi, le coût d'une prostatec-
tomie variait aux Etats-Unis de 5 660 à 17 864 US$ suivant les
institutions, ces coûts ne prenaient pas en compte les transports [27-
29]. Les études de coût en population générale adoptant le point de
vue du payeur sont encore rares. BURKHARDT évalue le coût de la
radiothérapie à 14 000 $ et celui de la prostatectomie radicale à 17
000 $ [12]. On ne sait pas si le coût des transports a été pris en
compte et la période de suivi n'est que de 7 mois, mais il prend en
compte le coût de la séquence diagnostic (ce que l'on ne prend pas
en compte dans notre étude). BRANDEIS évalue ces coûts à respecti-
vement 16 000 et 19 000 $ [30]. Dans tous les cas, la comparaison
est difficile car les modes de remboursement et les tarifs sont dif-
rents d'un pays à l'autre, rendant peu transposables des coûts calcu-
lés dans d'autres pays et rendant d'autant plus nécessaires les études
réalisées en France.
En France, la littérature économique sur le sujet est modeste : deux
auteurs ont recherché les stratégies de dépistage les plus coûts-effi-
caces [31,32], mais une seule étude a recherché le coût des diffé-
621
Tableau IV. Coût* moyen sur 5 ans des stratégies de prise en charge thérapeutique du cancer de prostate dans le Tarn, par années de suivi
(n=120).
Traitement 1995 1996 1997 1998 1999 Total
Abstention 23% 15% 30% 21% 11% 13 929
Prostatectomie 70% 14% 5% 4% 7% 55 468
Radiothérapie 93% 3% 2% 1% 1% 65 486
Hormonothérapie 28% 25% 15% 15% 17% 72 211
Total 24 326 6 405 4 166 3 246 3 576 41 720
*Coûts actualisés au taux de 3% en FF95.
Tableau V. Coûts de prise en charge thérapeutique et survie à 5 ans en fonction de la stratégie initiale adoptée.
Traitement Effectif Coût (FF)* Coût (USD)* SO SR
Abstention 46 13 929 2 872 78% 95%
Prostatectomie 56 55 468 11 437 89% 97%
Radiothérapie 665 486 13 502 84% 93%
Hormonothérapie 12 72 21114 889 75% 89%
Total 120 41 720 8 602 83% 95%
*Coûts de prise en charge sur 5 ans, actualisés au taux de 3% par an.
FF : Francs Français 1995 ; USD : Dollar USA 1995 (1 USD =4,85 FF) ; SO : Survie Observée à 5 ans ; SR : Survie Relative à 5 ans.
Tableau III. Coût* moyen sur 5 ans des stratégies de prise en charge thérapeutique du cancer de prostate dans le Tarn, par postes de dépen -
ses (n=120).
Traitement Hosp Complic Pharma Suivi Trajets Total
Abstention 6 222 320 3 022 2 334 2 031 13 929
Prostatectomie 39 970 5 394 2 355 2 285 5 465 55 468
Radiothérapie 40 005 298 02 103 23 080 65 486
Hormonothérapie 14 313 1 285 52 462 2 035 2 116 72 211
Total 24 469 2 783 7 504 2 270 4 694 41 720
* Coûts actualisés au taux de 3%, en FF95
Hosp : Coûts liés au traitement hospitalier ; Complic : Coûts liés aux complications du traitement ; Pharma : Coûts liés au traitement médicamenteux ; Suivi : Coûts liés à la surveillan -
ce clinique et paraclinique ; Trajets : Coûts liés aux transports.
E.Bauvin et coll., Progrès en Urologie (2003), 13, 618-623
rentes stratégies thérapeutiques en adoptant le point de vue du
payeur [33], le nombre d’établissements impliqués était cependant
trop faible pour généraliser les résultats. Enfin, une étude randomi-
sée sur un établissement a montré qu’une radiothérapie était plus
coût-efficace lorsqu'elle était combinée à une hormonothérapie
dans les cancers localement avancés, mais elle n’envisage pas le
coût des traitements des cancers localisés [34].
CONCLUSION
La réalisation d'études médico-économiques portant sur les straté-
gies thérapeutiques du cancer de la prostate en population générale
présente un intérêt en matière d'évaluation des pratiques dans un
domaine où les informations sont quasi inexistantes en France.
Nous avons montré, en nous appuyant sur le cancer localisé de pro-
state dans un département français, qu'une telle étude était faisable
à partir des enquêtes ponctuelles réalisées par les registres de can-
cer. On peut maintenant étendre cette étude aux autres départements
de l'enquête “prostate 1995” pour en améliorer la représentativité et
apporter des comparaisons d'ordre régionales et entre le secteur
public et le secteur privé. Le suivi d'une cohorte de cas de cancers
2001 permettra, à terme, d'observer l'évolution dans le temps des
variations relevées.
Remerciements
Les auteurs remercient tout particulièrement les urologues et radiothé -
rapeutes du département du Tarn, et de l’Aveyron qui se sont impliqués
dans ce travail en tant qu’experts : J.P. RIEU, P. PAYCHA, M. TENAILLON,
O. BRAULT, P. HACKER, C. OLIVIER,A. MARRE,A. CLOTTES ; ainsi que
Véronique Dubois pour sa relecture attentive.
Subvention
Cette étude réalisée dans le cadre d’un travail de DEA a été rendue pos-
sible grâce au soutien financier accordé par la Fondation pour la
Recherche Médicale à l’auteur.
Elle a par ailleurs bénéficié d’une subvention dans le cadre de la Délé-
gation Régionale de la Recherche Clinique de Toulouse (projet de
recherche n°0105102)
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