perspective Prise en charge opératoire multimodale des calculs de la voie urinaire supérieure Le traitement de la lithiase urinaire en urgence et en électif représente une partie importante de la pratique quotidienne en urologie. En proposant la gamme complète du plateau tech­ nique disponible et en améliorant les compétences du person­ nel médical et paramédical, la prise en charge des patients peut être optimisée. Dans cet article, nous présentons les dé­ veloppements dans le traitement de la lithiase ainsi que notre expérience dans le domaine. Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 2316-21 U. Fritschi O. M’Baya Kabongo T. Tawadros P. Jichlinski M. Valerio Drs Urs Fritschi, Olivier M’Baya Kabongo, Thomas Tawadros et Massimo Valerio Pr Patrice Jichlinski Service d’urologie CHUV, 1011 Lausanne [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] Multimodal surgical management of stones in the upper urinary tract Emergency and differed urinary stone treat­ ment are basic challenges in daily urological practice. By proposing the complete range of treatment and by improving medical and pa­ ramedical skills, management of stone patients can be optimized. In this article, we present the latest developments in stone treatment as well as our experiences with new technologies. introduction La prise en charge des calculs du système urinaire supérieur re­ présente une part essentielle de l’activité d’un service d’uro­ logie. Les changements des habitudes alimentaires, du mode de vie et la prévalence élevée de maladies associées à la for­ mation de calculs urinaires (diabète, syndrome métabolique, obésité) ont engendré une augmentation significative de l’in­ cidence de la maladie lithiasique. Par ailleurs, le recours faci­ lité à l’imagerie abdominale dans notre société à forte médi­ calisation augmente la probabilité de découverte fortuite de calculs asymptomatiques. La prévalence dans les pays occi­ dentaux est aujourd’hui estimée à environ 10%.1 La prise en charge thérapeutique de la maladie lithiasique, en urologie, a subi de profondes évolutions durant les dernières années. Dans le passé, le recours à une chirurgie invasive était indispensable. La lithotomie ouverte était parfois l’unique so­ lution. La lithotritie extracorporelle par ondes de choc a révo­ lutionné la prise en charge des calculs du rein et de l’uretère depuis son introduction il y a 30 ans.2 Une approche multimodale de la maladie lithiasique intégrant l’ensemble des techniques endoscopiques, par voie percutanée et par l’urétéroscopie rigide, s’est ensuite peu à peu imposée. Plus récemment, l’urétérorénoscopie flexible a complété ­l’arsenal thérapeutique et permis de réduire davantage le caractère invasif du traitement des calculs.3 Elle a aussi permis d’élargir les indications cliniques à des patients qui, par le passé, présentaient des contre-indications absolues ou rela­ tives au traitement. Dans la première partie de cet article, nous aborderons les différentes techni­ ques opératoires ; dans la seconde, nous présenterons un résumé de notre expé­ rience récente au sein du Service d’urologie du CHUV. plateau technique pour le traitement des calculs de la voie urinaire supérieure L’objectif d’une intervention en urgence doit être distingué d’un traitement à visée définitive, soit l’extraction ou litholapaxie du calcul. En situation d’urgence (tableau 1), le but est de drainer rapidement le haut appareil urinaire soit par voie rétrograde au moyen d’une sonde urétérale, soit par voie percutanée au moyen d’une néphrostomie par ponction écho-guidée. 2316 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 décembre 2014 20_25_38256.indd 1 27.11.14 09:24 Tableau 1. Indication à un drainage en urgence et à une fragmentation et ablation du calcul Indications à un drainage en urgence •Pyélonéphrite obstructive •Obstruction d’un rein unique ou obstruction bilatérale •Insuffisance rénale aiguë •Oligoanurie •Douleurs résistant aux antalgiques Indications opératoires électives •Taille L 6 mm •Croissance rapide du calcul •Calcul coralliforme •Douleurs récidivantes •Altération de la fonction rénale •Pyélonéphrite obstructive •Rein unique avec obstruction •Infections récidivantes •Comorbidités14 (immunosuppression) •Situation personnelle (travail, voyage) L’indication et le choix du traitement à visée définitive sont adaptés à la morphologie de la voie urinaire, la forme, le volume et la localisation de la pierre ainsi qu’aux souhaits du patient. L’objectif reste la fragmentation du calcul et l’éva­ cuation aussi complète que possible. Le traitement d’un calcul non obstructif, asymptomatique, sans répercussion sur la fonction rénale, est une indication relative. Dans le choix au recours à une technique spécifique, trois facteurs sont considérés : la charge lithiasique (nombre et taille des calculs), la localisation et la densité du calcul (ta­ bleau 2). Selon le tableau clinique, la lithotripsie extracor­ porelle (ESWL), la néphrolitholapaxie percutanée (NLPC), l’urétéroscopie rigide et l’urétérorénoscopie flexible sont utilisées. Dans les cas complexes, une approche multimo­ dale associant plusieurs techniques opératoires simultanées et/ou consécutives est possible afin d’optimiser la prise en charge. Lithotripsie extracorporelle Le procédé appelé lithotripsie extracorporelle (ESWL) se base sur la destruction focalisée du calcul par l’action d’on­des de choc générées à distance par un lithotriteur placé au contact du patient. Depuis l’introduction du pre­ mier lithotriteur de Dornier, en 1983, l’ESWL est considérée comme le traitement de choix dans les situations suivan­ tes : calculs mesurant entre 5 et 20 mm et localisés dans les cavités rénales, l’uretère proximal ou distal, les calculs de l’uretère moyen étant d’accès difficile en raison des sur­ projections osseuses.4 La technique opératoire inclut deux étapes : 1) le repérage par échographie et fluoroscopie et 2) la fragmentation du calcul par des ondes de choc réglées en fonction des carac­ téristiques du ou des calculs. Les lithotriteurs de dernière génération intègrent un système de ciblage sélectif qui cou­ ple le déclenchement des tirs au foyer de focalisation uni­ quement en présence du calcul à l’aide d’une sonde de re­ pérage échographique placée à la tête de tirs. Le taux de succès de l’ESWL varie entre 30 et 76% en fonc­ tion du lithotriteur, de la densité du calcul, de sa localisation, de la charge lithiasique et de l’expérience de l’opérateur. Les effets secondaires les plus fréquents sont l’hématurie et les douleurs consécutives à la migration des fragments. L’héma­ tome rénal ou sous-capsulaire survient très rarement, mais peut montrer des images impressionnantes. Généralement, il se résout spontanément. La répétition des séances d’ESWL est considérée comme la cause de l’installation d’une hyper­ tension artérielle ou d’un diabète à long terme.5 Les contre-indications sont les troubles de la coagula­ tion, l’anti-agrégation plaquettaire, la grossesse, l’infection urinaire, des malformations orthopédiques ou rénales, les tumeurs rénales et l’obésité morbide qui empêche la foca­ lisation. Malgré un rapport bénéfice/risque favorable, le rôle de l’ESWL est mis en discussion dans certaines indications au profit des traitements endoscopiques, minimalement inva­ sifs. Ces derniers sont en plein essor. Par la visualisation en direct du processus de fragmentation et d’élimination des calculs, ces instruments offrent la possibilité de déterminer avec précision la charge lithiasique résiduelle à la fin de l’intervention, un avantage indéniable sur l’ESWL en présen­ ce de traitements itératifs. Néphrolitholapaxie percutanée La néphrolitholapaxie percutanée (NLPC) est la techni­ que de choix pour les calculs de grande taille (L 20 mm) ­situés dans le système pyélo-caliciel.6 D’un point de vue technique, la mise en place d’une sonde urétérale par voie rétrograde permet de dilater le système pyélo-caliciel, ce qui facilite l’accès percutané du rein sous contrôle échogra­ phique et/ou fluoroscopique. Le site de ponction est choisi non seulement en fonction de la localisation et du volume du calcul, mais aussi de la situation anatomique. Différents générateurs d’ondes de fragmentation sont utilisés : les gé­ nérateurs à ultrasons, le lithotripteur pneumatique (litho­ clast) ou le laser Holmium-YAG. Le choix du système dépend de la charge lithiasique et du diamètre du néphroscope. La NLPC classique nécessite une dilatation du trajet per­ cutané jusqu’à Charrière 30 (= 1 cm). La fragmentation et l’extraction des calculs de gros volume en sont grandement facilitées (figure 1). Plus récemment, des instruments de plus petit diamètre sont apparus sur le marché et trouvent leur place dans la pratique quotidienne. Ceux-ci réduisent le risque de sai­ Tableau 2. Interventions recommandées en fonction de la taille et de la localisation d’un calcul urinaire10 ESWL : lithotripsie extracorporelle ; URS : urétéroscopie ; NLPC : néphrolitholapaxie percutanée. Taille/localisation Uretère distal Uretère moyen Uretère proximal Rénal l 1 cm URS rigide ou ESWL URS rigide ESWL ESWL ou URS flexible 1-2 cm URS rigide URS rigide URS rigide ou ESWL ESWL ou URS flexible L 2 cm URS rigide URS rigide URS rigide NLPC Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 décembre 2014 20_25_38256.indd 2 2317 27.11.14 09:24 calcul se réalise sous vision directe comme pour la NLPC. L’extraction des fragments peut se faire en utilisant des sondes à panier ou des pinces endoscopiques. En fin d’in­ tervention, l’urétéroscope est retiré et une sonde urétérale est laissée en place temporairement afin de drainer correc­ tement les urines et éviter des coliques néphrétiques. Trai­ tement alternatif à l’ESWL, l’urétéroscopie rigide est indi­ quée pour tout calcul de l’uretère. Le taux de complications est bas 9 avec des lésions de la muqueuse urétérale (1,5%), de l’uretère (1,7%) et des coliques néphrétiques (2,2%) parmi les plus fréquentes. Urétérorénoscopie flexible Figure 1. Fluoroscopie montrant un accès percutané dans le calice moyen du rein gauche ainsi qu’une sonde autostatique posée par voie rétrograde Des résidus lithiasiques sont visibles dans le calice inférieur. gnement et de transfusion sanguine.7 La réduction du cali­ bre des instruments peut rendre la fragmentation et l’extrac­ tion des calculs plus laborieuses. Comme pour l’ESWL, nous retrouvons des contre-indications telles que les troubles de la crase et l’obésité. L’expérience de l’opérateur compte pour beaucoup en présence d’anomalies de l’anatomie ré­ nale. Malgré les progrès technologiques, le taux de complica­ tions est sensiblement plus élevé que pour les autres tech­ niques. Des complications hémorragiques ne sont pas rares (7% de transfusion) et 10% des patients présentent un état fébrile en postopératoire.8 En cas de complication hémor­ ragique grave, la disponibilité des radiologues interven­ tion­nels doit être garantie. Urétéroscopie rigide L’urétéroscopie rigide est une technique opératoire bien établie. L’utilisation de fibres optiques dans des instruments semi-rigides et la miniaturisation des outils de fragmenta­ tion ont grandement contribué au succès de la technique. Celle-ci consiste à opérer par voie rétrograde dans l’uretère sous contrôle visuel et fluoroscopique. La fragmentation du 2318 Avec l’urétérorénoscopie flexible, l’accès aux calculs de la voie urinaire supérieure est quasi illimité et l’horizon des traitements s’est élargi.3 L’angulation de l’endoscope varie entre 270° et 360°, permettant l’inspection de toutes les ca­ vités rénales. De plus, l’urétérorénoscopie flexible permet d’intervenir sur un groupe de patients qui, dans le passé, ne pouvaient pas bénéficier d’un traitement des calculs uri­ naires (tableau 3).10 L’urétérorénoscopie flexible est réalisée sous contrôle fluoroscopique. Une gaine d’accès est placée dans l’uretère par voie rétrograde (figure 2), ce qui permet par la suite l’accès direct au rein sans risque de lésion urétérale, tout en évitant une surpression rénale avec des risques infectieux et d’extravasation. Grâce à la fibre laser qui est introduite dans le canal de travail, le calcul peut être fragmenté sous vision directe (figure 3). Les fragments sont ensuite retirés à travers la gaine d’accès tout en évitant des lésions de la voie urinaire supérieure. Les indications sont relativement larges : du simple calcul de 6 mm dans un calice inférieur, inaccessible aux autres traitements, jusqu’à l’incision du parenchyme pour évacuer un calcul de plusieurs centimètres dans un diverticule rénal. L’urétérorénoscopie flexible peut être utilisée également pour le traitement des calculs coralliformes, bien que plu­ sieurs séances soient souvent requises afin de fragmenter et d’évacuer tout le calcul (figure 2). Le taux de réussite dépend de l’expérience de l’opéra­ teur ainsi que de la configuration et surtout la composition du calcul.11 Des calculs de 1 cm peuvent être évacués dans 80% des cas en une séance, les calculs entre 1 et 2 cm dans 72%.12 Rares sont les complications, dont la plus fréquente est l’apparition d’état fébrile.13 Tableau 3. Groupes de patients ayant des contreindications relatives ou strictes à d’autres traitements de la lithiase, mais accès à l’urétérorénoscopie flexible •Traitement anticoagulant •Traitement antiagrégant plaquettaire •Calculs dans un diverticule rénal •Sténose de la jonction pyélo-urétérale •Femmes enceintes •Patients obèses (IMC L 30) •Anomalies orthopédiques ou anatomiques •Echec de traitement par lithotripsie extracorporelle ou urétéroscopie rigide •Patient avec dérivation urinaire (accès antégrade) Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 décembre 2014 20_25_38256.indd 3 27.11.14 09:24 Figure 2. Traitement par urétérorénoscopie flexible d’un calcul coralliforme chez un patient anticoagulé L’image à gauche montre la complexité ainsi que la taille du calcul avant traitement. A droite, un petit fragment résiduel dans le calice inférieur est visualisé après une séance d’urétérorénoscopie flexible. Tableau 5. Morbidité de l’urétérorénoscopie flexible depuis l’adoption de l’intervention au sein du CHUV Lésion iatrogène de l’uretère 3/150 (2%) Lésion iatrogène de l’urètre 1/150 (0,04%) Hémorragie nécessitant l’interruption du geste 5/150 (3,3%) Etat fébrile postopératoire 14/150 (9,3%) Hématurie prolongée (L 24 h) 5/150 (3,3%) Réhospitalisation 13/150 (8,6%) activités au sein du chuv Figure 3. Fragmentation du calcul au laser HolmiumYAG dans un calice moyen Tableau 4. Interventions endoscopiques sur lithiase urinaire depuis l’introduction de l’urétérorénoscopie flexible dans le Service d’urologie du CHUV Patients traités au CHUV de 05/2013 à 10/2014 Taux sans fragment (1 séance) Nombre223 2320 L’analyse des activités dans notre service se focalise sur la période allant de mai 2013 à octobre 2014, suite à l’adop­ tion de l’urétérorénoscopie flexible. Nous avons réalisé 223 interventions endoscopiques à but thérapeutique, dont 9 NLPC, 64 urétéroscopies rigides et 150 urétérorénoscopies flexibles (tableau 4). Dans cette analyse, nous nous sommes limités à l’analyse des taux de succès ainsi que des compli­ cations de l’urétérorénoscopie flexible (tableaux 4 et 5). Le taux sans fragment en une séance d’urétérorénoscopie flexi­ble s’approche des chiffres de la littérature avec des calculs de moins de 1 cm, évacués dans 74% des cas. Lors des 150 urétérorénoscopies flexibles, qui incluent les pre­ mières réalisées dans le cadre de la courbe d’apprentissa­ge, peu de complications significatives sont survenues. On re­ trouve, en peropératoire, des lésions iatrogènes des voies urinaires et des saignements, en postopératoire des sai­ gne­ments et des états fébriles (tableau 5) comme compli­ cations les plus fréquentes. En aucun cas, une intervention chirurgicale ouverte n’a été nécessaire. Hommes 68% (n = 151) Femmes 32% (n = 72) Age moyen 54 ans (21-90) Néphrolitholapaxie percutanée 9 78% (7/9) Urétéroscopie rigide 64 73% (47/64) Urétéroscopie flexible 150 0-1 cm 97 74% (72/97) 1-2 cm 39 58% (23/39) conclusions L 2 cm 14 26% (4/14) La lithiase urinaire représente une grande partie de l’ac­ tivité endoscopique au CHUV. Le plateau technique pour Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 décembre 2014 20_25_38256.indd 4 27.11.14 09:24 une prise en charge optimale des patients atteints d’un calcul de la voie urinaire supérieure semble être complet avec le développement des différentes technologies et l’in­ tégration de l’urétérorénoscopie flexible. Dans notre expé­ rience, nous avons constaté des taux de succès compara­bles à ceux des centres de référence tout en gardant une faible morbidité. Nous espérons que la formation du personnel soignant ainsi que l’expertise médicale vont améliorer da­ vantage nos résultats futurs. Implications pratiques > La prise en charge de la maladie lithiasique est multimodale et à adapter au patient > La lithotripsie extracorporelle (ESWL) reste la méthode de choix pour les calculs de petite taille. Elle est sûre et présente des taux sans fragment très satisfaisants > La place de la chirurgie percutanée du rein concerne les cal­ culs rénaux de plus de 2 cm > L’urétérorénoscopie flexible est une technique révolutionLes auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article. naire puisqu’elle permet le traitement par voie rétrograde des calculs rénaux, avec peu de contre-indications Bibliographie 1 Romero V, Akpinar H, Assimos DG. Kidney stones : A global picture of prevalence, incidence, and associated risk factors. Rev Urol 2010;12:e86-96. 2 Chaussy C, Brendel W, Schmiedt E. Extracorporeally induced destruction of kidney stones by shock waves. Lancet 1980;2:1265-8. 3 Traxer O, Dubosq F, Jamali K, et al. New-generation flexible ureterorenoscopes are more durable than previous ones. Urology 2006;68:276-9 ; discussion 280-1. 4 Tiselius HG. Removal of ureteral stones with extra­ corporeal shock wave lithotripsy and ureteroscopic procedures. 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Nat Rev Urol 2012; 9: 315-20. * à lire ** à lire absolument Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 décembre 2014 20_25_38256.indd 5 2321 27.11.14 09:24