ÊTRE SUR TERRE LE CŒUR DE DIEU « Ils regarderont celui qu`ils

Pentecôte 2010
ÊTRE SUR TERRE LE CŒUR DE DIEU
Introduction
« Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19, 31-37)
Celui qui regarde « vers le côté transpercé du Christ comprend que Dieu est
amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et aimer… »
(Benoît XVI, Dieu est amour, éd. Bayard/Cerf/Fleurus–Mame, 25 décembre 2005, § 12 et 38
pp.33-34 et p.71).
Dans ce signe, nous comprenons que Dieu est Cœur. En Jésus, le Père nous aime. Il
désire nous communiquer sa vie et son amour afin de vivre de lui et de pouvoir donner
notre vie comme Jésus. En mourant sur la croix le cœur blessé, le Sauveur nous
rappelle son amour et nous appelle à aimer. Il nous invite à devenir ce que nous
contemplons : être sur terre le Cœur de Dieu comme il l’a manifesté lui-même dans son
humanité et par son exemple :
« Sur la Croix, c’est Dieu lui-même qui mendie l’amour de sa créature : il a soif
de chacun de nous… La réponse que le Seigneur désire ardemment de notre
part est avant tout d’accueillir son amour et de se laisser attirer par lui. Accepter
son amour, cependant, ne suffit pas. Il s’agit de correspondre à un tel amour
pour ensuite s’engager à le communiquer aux autres : (i.e. le leur donner) le
Christ m’attire à lui pour s’unir à moi, pour que j’apprenne à aimer mes frères du
même amour » (Benoît XVI, Message pour le Carême 2007)
En 1934, Maurice Zundel écrivait :
« Dieu n’est qu’un Cœur, il est tout Cœur. Pour être donné à lui, il
faut être tout cœur pour lui, tout cœur pour les autres dans une
croissance éternelle. Voilà ce qu’est Dieu : un Cœur, tout Cœur, rien
qu’un Cœur ». (Maurice Zundel, L’humble Présence, Sarment éd. du Jubilé
2008 p. 142).
Comment être tout cœur pour Dieu et tout cœur pour les autres ? J’aimerais vous
indiquer un moyen très concret. Il est décrit sur l’icône du lavement des pieds que vous
avez sous les yeux et sur laquelle vous découvrez la route à suivre pour être en vérité le
Cœur de Dieu sur la terre, car il s’agit de vivre cela maintenant et ici, sur la terre,
la vie nous a placés et dans les circonstances concrètes qui conditionnent notre
présent.
« Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les
autres » (Jn 13,34) est le message final, l’explication que Jésus donne en conclusion
du lavement des pieds. Ce premier acte de la Passion annonce symboliquement le
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dernier : le côté transpercé d’où jaillissent l’eau et le sang. Il y a une correspondance
étonnante entre ces deux événements. En effet, à l’occasion de ce lavement des pieds,
le Seigneur fait à ses disciples un double don : le baptême (symbolisé ici par l’eau de la
bassine qui préfigure l’eau qui jaillira du côté transpercé et communique l’Esprit) et
l’eucharistie qui a suivi (le corps livré et le sang versé, symbolisés ici par la tunique rouge du
Christ). Nous retrouvons ces éléments de « l’eau et du sang », particulièrement mis en
évidence par l’évangéliste, au moment le Christ meurt sur la croix, le cœur ouvert
par la lance du soldat (Jn 19,31-37). Jean, témoin de ces événements, reprend ce signe
du sang et de l’eau dans sa première Lettre (1 Jn 5,5-9). Il le propose aux chrétiens
comme le signe par excellence de l’amour de Dieu pour le monde, le symbole qui
exprime l’essentiel de leur foi : l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ, Fils de
Dieu, envoyé par le Père pour que le monde soit sauvé. Cette initiative divine manifeste
l’amour inouï de Dieu pour les hommes et constitue le fondement de leur comportement
moral : l’amour envers les frères.
I
Dieu n’est qu’un Cœur, il est tout Coeur
Croire que Dieu nous aime et l’aimer de tout notre coeur est à la base de notre amour
au service des hommes et le conditionne : « À ceci nous reconnaissons que nous
aimons les enfants de Dieu, si nous aimons Dieu et mettons en pratique ses
commandements » (1 Jn 5,2). Cela veut dire que pour être capable d’aimer les frères, il
faut d’abord aimer Dieu et garder sa parole. Dieu est le modèle et la source de notre
amour envers les frères. Avant de contempler l’icône du lavement des pieds, je vous
invite à renouveler votre foi en l’amour incarné de Dieu, en regardant avec les premiers
chrétiens « celui qu’ils ont transpercé ».
Voici ce que Saint Jean écrit dans sa Première Lettre :
«Quiconque croit que Jésus est le Christ (le Messie) est de Dieu…
Qui est vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils
de Dieu ?
C’est lui qui est venu par l’eau et par le sang, Jésus-Christ, non
avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang ; et c’est l’Esprit
(pneuma, le souffle) qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la
vérité.
C’est qu’ils sont trois à rendre témoignage, l’Esprit, l’eau et le
sang et ces trois convergent vers l’unique témoignage : si nous
recevons le témoignage des hommes, le moignage de Dieu est plus
grand ; car tel est le témoignage de Dieu : il a rendu témoignage en
faveur de son Fils. Qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui-
même. » (1 Jn 5, 1. 5-10)
Contexte
Quand Jean écrit sa première Lettre à la fin du 1er siècle, nous sommes à la troisième ou
quatrième génération de chrétiens en Asie Mineure. L’annonce de l’Evangile est
confrontée à la culture grecque. La question se pose alors de savoir comment proposer
le message évangélique à des gens qui ont une autre forme de pensée. Ce problème
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d’inculturation se double d’une crise très importante qui secoue les communautés
chrétiennes. Ces dernières se demandaient qui était le Christ et se posaient des
questions sur son identité : Dieu ou homme ? (voir Frédéric Lenoir, Comment Jésus est
devenu Dieu, éd. Fayard, cité par La Croix du 20.05.10 p.16). Des hérésies mettaient
gravement en cause la véritable foi en Jésus, Verbe fait chair. Jean écrit son Evangile et
ses Lettres pour dénoncer ces erreurs et raffermir la foi des chrétiens en les invitant à
revenir à la source et au fondement de leur foi : l’enseignement reçu des Apôtres. De
« faux docteurs » divisaient la communauté chrétienne. Ils dispensaient un
enseignement contraire à l’Evangile et en relativisaient les exigences de vie, en
particulier l’amour fraternel. Ces gens faisaient de belles théories, mais ne savaient pas
ce qu’ils racontaient. Ils n’étaient pas témoins à la différence de Jean qui sait de quoi il
parle, car il a entendu de ses oreilles, vu de ses yeux, contemplé et touché de ses
mains le Verbe de vie. Il est un témoin fiable. Voici, parmi ces erreurs les deux
principales :
1. Celle de Cérinthe qui niait la réalité de l’Incarnation : Jésus n’est qu’un homme
parmi les autres, sans doute favorisé par Dieu, sans plus.
2. Celle des gnostiques du mot grec gnosis (connaissance). Ils affirmaient que la
connaissance de Dieu était supérieure à la pratique de la charité. La
connaissance de Dieu suffisait pour être sauvé. Il n’y avait pas besoin de
pratique ni de morale. Ce que l’on appelle la gnose.
La problématique de Cérinthe (hérétique judéo-chrétien du 1er s., en Asie Mineure),
était d’adapter l’annonce de l’Evangile à la culture grecque et de la rendre plus
accessible. Les Grecs, en effet, ne pouvaient imaginer l’humanisation de Dieu, car celui-
ci n’avait rien à gagner à cela. Ils admettaient plus facilement la divinisation de
l’homme, comme celle des empereurs romains par exemple. De même, la naissance du
Christ d’une vierge leur paraissait impossible à admettre. Aussi, Cérinthe avait
contourné la difficulté en développant une théorie plus raisonnable, théorie qui trouve
encore des adeptes aujourd’hui (Jacques Duquesne entre autres).
« Jésus, disait-il, n’est pas né d’une vierge ; cela lui paraissait impossible ; il
était le fils de Joseph et de Marie, semblable à tous les autres hommes bien
que les dépassant par sa justice, sa prudence et sa sagesse. Mais, après
son baptême, le Christ vint à lui sous forme d’une colombe, descendant de
la Souveraineté qui est par-dessus tout ; c’est alors qu’il annonça le Père
inconnu et qu’il accomplit des prodiges. À la fin, le Christ s’envola de Jésus
et Jésus endura la Passion et ressuscita, tandis que le Christ, être spirituel,
ne cesse d’être impassible. »
Cérinthe distinguait en Jésus d’une part un être humain (Jésus) et d’autre part, un
être spirituel appelé « Christ céleste ». Jésus est de la terre, le Christ du ciel.
Totalement différents, ils se rencontrent au moment du baptême au Jourdain. Le Christ
« être spirituel » prend alors possession de l’homme Jésus et lui confère des pouvoirs
particuliers : celui de faire des miracles et de proclamer une sagesse inconnue jusque-
là. Mais au moment de mourir, le Christ spirituel s’échappe de lui et laisse l’homme
Jésus mourir seul sur la croix et ressusciter. Ce n’est donc pas le Fils de Dieu qui meurt
et sauve le monde.
Cette théorie était séduisante –encore aujourd’hui (Jésus super star)–, mais elle
sapait le fondement même de la foi chrétienne. D’après Cérinthe, Jésus n’est pas Dieu.
Il n’est que le fils d’un couple humain, de Joseph et de Marie comme tous les enfants
des hommes. Si Jésus n’est qu’un homme, il ne peut pas nous donner Dieu ni nous
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parler de Dieu en vérité. Il ne peut dire que des paroles humaines approximatives sur
Dieu, mais non fiables. Dieu seul peut donner Dieu, parler de lui en vérité et nous
donner de le connaître. Si Jésus n’est pas Dieu et homme, il n’y a aucune chance pour
l’homme de rencontrer Dieu. Pire encore, selon cette théorie, ce n’est pas Dieu qui
meurt pour nous et nous sauve, mais un homme. Or l’homme est incapable de procurer
le salut, que ce soit pour lui-même ou pour les autres. Il n’y a donc pour nous aucun
accès possible au salut. C’est la négation absolue de l’Evangile et de son espérance.
C’est la raison pour laquelle Jean insiste dans son Evangile et dans ses Lettres sur
l’importance de l’Incarnation, sur le lien indissoluble qu’il y a dans la personne du
Christ Jésus entre son humanité et sa divinité, comme il insiste sur la Rédemption
accomplie par le Fils de Dieu lui-même. En Jésus, c’est Dieu qui a souffert et est mort
pour nous sauver. Pour Jean qui en est le Témoin, la personne de Jésus est à la fois,
Dieu et homme, ensemble et indissolublement. Il est le Verbe fait chair. Telle est notre
foi. Si Jésus est « Dieu et homme » comme nous le croyons, par son humanité nous
pouvons entrer en contact avec le Père invisible. En lui, Dieu nous aime de façon
humaine, avec un cœur et des gestes d’homme, selon la belle expression de Jean-Paul
II : « Jésus est le visage humain de Dieu et le visage divin de l’homme. »
Message
Le témoignage de Jean dans sa première Lettre nous renvoie au côté transpercé
de Jésus d’où ont jailli le sang et l’eau (Jn 19,3-37). Le côté blessé constitue à ses yeux
une affirmation particulièrement forte de l’identité de Jésus, de sa mission. Celui qui
meurt sur la croix est véritablement Dieu et véritablement homme. Il est et il meurt
sur la croix pour nous sauver parce que Dieu nous a aimés jusqu’à l’extrême.
Pour bien comprendre cela, il faut savoir que depuis l’Exil (6e s. a. J-C), l’eau est
l’image privilégiée par les prophètes pour annoncer le don messianique par excellence :
l’Esprit, le salut promis à Israël, la Sagesse divine que Dieu donnera à son Peuple, le
moment venu. L’eau suggère purification (Ez 36) et fécondité (Ez 47,1-14). C’est ce don
que Jésus annonce solennellement à l’occasion de la fête des Tentes (Jn 7,37-39). On
l’attendait du Temple, de Dieu. Voici que Jésus proclame qu’il en est la Source : « Si
quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive… Il parlait de l’Esprit que devait
recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il n’y avait pas encore d’Esprit parce que
Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7,37-39).
Si en mourant et en ressuscitant Jésus donne l’Esprit qui est Dieu, c’est qu’il est
Dieu, car Dieu seul peut donner Dieu. L’eau qui jaillit du côté de Jésus est une
affirmation de sa divinité, comme le sang est une affirmation de son humanité. Présent
dès le premier instant de son Incarnation, l’Esprit est à l’œuvre dans sa vie à travers les
signes qu’il opère. Jésus n’est donc pas devenu Dieu quand Jean l’a baptisé au
Jourdain (ou après 4 siècles de discussion théologique comme F. Lenoir le soutient). Mais au
moment du baptême, la divinité qui est en lui, est révélée à Jean par la présence de
l’Esprit qui repose sur le Christ sous forme de colombe. L’Esprit désigne ainsi Jésus à
Jean comme étant celui qui baptise dans l’Esprit parce qu’il le possède en plénitude.
Jésus n’est donc pas un homme qui aurait été saisi par « le Christ, être spirituel »
comme se l’imaginait Cérinthe, mais au moment du baptême, l’Esprit manifeste la
divinité qui est en son humanité. Cette manifestation de l’Esprit est une véritable
Pentecôte pour Jean dont la mission est de révéler le Christ à son Peuple. Elle lui
permet de reconnaître en Jésus le Fils de Dieu, l’Agneau de Dieu, envoyé par le Père :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur. » (Mt 3,16) Il est Dieu.
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Nous pouvons maintenant décrypter le sens du témoignage de Jean à propos de
Jésus :
« Il est venu par l’eau et par le sang, Jésus-Christ ». Il vient de Dieu (eau) et
de l’homme (sang). Il est le Verbe fait chair ; non avec l’eau seulement (Christ
céleste), mais avec l’eau et le sang. (Il est Dieu par son origine divine, œuvre de l’Esprit
Saint qui repose sur Marie (Lc 1,26-38). Il est homme par son enracinement en
l’humanité de Marie) ; et c’est l’Esprit (au soir de Pâques) qui rend témoignage, parce
que l’Esprit est vérité. C’est qu’ils sont trois à rendre témoignage, l’Esprit (de la
Pentecôte), l’eau et le sang (l’Incarnation et la Rédemption), et ces trois convergent
dans l’unique témoignage (celui du Père au Jourdain et sur le Thabor). »
Jean affirme ici deux choses essentielles et constitutives de notre foi :
1. Le Christ est Dieu incarné dans la personne de Jésus. Il est le Verbe fait chair.
En Jésus, c’est Dieu qui a donné sa vie pour nous et est mort pour le salut du monde.
2. À ceci, on reconnaît que Dieu est amour. Le côté transpercé de Jésus est
l’image visible de l’Incarnation rédemptrice et le signe de l’Amour de Dieu pour le
monde.
« Dieu est amour. Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au
milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin
que nous vivions par lui (Incarnation). Voici ce qu’est l’amour : ce
n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et qui a
envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés
(Rédemption). » (1 Jn 4, 8-10)
Le sang et l’eau renvoient donc et à l’Incarnation et à la Rédemption du Christ,
deux événements complémentaires. Par son Incarnation, le Christ rend visible l’amour
invisible de Dieu pour l’homme. La qualité de cet amour se vérifie dans la Rédemption :
sa mort et sa résurrection. Comme l’Incarnation (humanisation de Dieu), la Résurrection
(divinisation de l’homme) est l’oeuvre de l’Esprit.
Ils sont ainsi trois à témoigner : l’eau, symbole de l’Esprit est une affirmation de
la divinité du Christ : il est le Verbe de Dieu. Le sang est signe de son humanité née de
la chair vierge de Marie : il est vraiment homme et l’Esprit de vérité qui authentifie la
parole du Christ en le ressuscitant d’entre les morts selon les Ecritures. Jésus a dit la
vérité et l’Esprit que le Ressuscité transmet aux siens le soir de Pâques le confirme (Jn
20.19-23). La venue de l’Esprit de vérité à la Pentecôte (Ac 2,1-11), son témoignage en
faveur du Christ est décisif. Il leur révèle la véritable identité de Jésus. Il est Seigneur :
« Nul ne peut dire Jésus est Seigneur si ce n’est par l’Esprit Saint » (1 Co 12,3). Par son
action, l’Esprit confirme les Apôtres dans la certitude que leur compagnon de route, cet
homme Jésus de Nazareth, est le « Seigneur Dieu » que Thomas adore. Le mystère de
l’Incarnation est le fondement de notre foi. Nous ne sommes chrétiens que si nous
confessons cette même foi en Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Ces trois témoignages
convergent vers l’unique témoignage : celui du Père qui a témoigné en faveur de la
divinité de son Fils grâce aux signes et aux prodiges qu’il lui a donné d’accomplir (Jn
5,31- 37) et par son propre témoignage au Jourdain et au Thabor.
Pour résumer, je dirai que le signe du côté transpercé d’où ont jailli le sang et
l’eau est pour Jean l’icône s’exprime en plénitude l’amour de Dieu et l’appel à aimer.
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