les fourmis de la forêt boréale du québec

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LES FOURMIS DE LA FORÊT BORÉALE DU QUÉBEC
(FORMICIDAE, HYMENOPTERA)
RÉSUMÉ
Les données d’échantillonnage, accumulées depuis plus de 30 ans, sur les fourmis de la forêt
boréale du Québec, telle que délimitée par Richard (1995), permettent de dresser le portrait
suivant: un répertoire de 36 espèces, regroupées dans huit genres et trois sous-familles de la
famille des Formicides (Hyménoptères). Le tableau 1 donne la liste de ces taxons en fonction de
trois partitions du biome de la forêt boréale. De ce cortège d’espèces, seulement 19 s’avèrent
caractéristiques de ce biome, le nombre d’espèces différentes augmentant du nord vers le sud.
Cas particulier : Leptothorax acervorum se retrouve uniquement dans la zone de la limite des
arbres. Les trois principaux genres par ordre d’importance à la fois par rapport au nombre
d’espèces et de colonies sont: Formica, Myrmica et Leptothorax. Ces résultats correspondent à
ceux obtenus pour des territoires comme le Yukon et l’Alaska (Francoeur 1998). Il s’agit d’une
faune typiquement nordique dont on discute brièvement la biogéographie.
Ces insectes habitent tous les types d’écosystèmes terrestres jusqu’à la toundra. Ils maintiennent
des populations et une diversité d’espèces plus grandes dans les milieux ouverts et semi-ouverts
que dans les milieux fermés en fonction de la couverture végétale. Les fourmis construisent
leurs nids selon les espèces dans les sols minéraux ou organiques, dans la matière ligneuse morte
ou parfois vivante. Elles peuvent aussi occuper des objets ou des matériaux artificiels produits
par l’être humain. Quelques espèces de Vertébrés les utilisent régulièrement comme aliments.
Francoeur, A. 2001. Les fourmis de la forêt boréale du Québec
(Formicidae, Hymenoptera). Le naturaliste canadien 125 (3) : 108-114.
Numéro spécial sur la forêt boréale du Québec.
No 157
L E S
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Les fourmis de la forêt boréale du Québec
(Formicidae, Hymenoptera)
André Francœur
Introduction
Ce premier portrait général et succinct de la myrmécofaune boréale du Québec repose sur une base de près de
1 000 échantillons, accumulés depuis une trentaine d’années, ainsi que sur quelques données puisées dans la littérature. L’échantillon correspond à un prélèvement d’individus
essentiellement dans un nid ; il est effectué de façon aléatoire
lors d’inventaires généraux dans différentes régions. Dans
le cas d’inventaires quantitatifs et systématiques de milieux
ciblés, seulement deux échantillons par espèce et par biotope
ont été intégrés à cette base.
Pour répartir et analyser ces données, le territoire du
biome (tel que conçu par Richard, 1995) est partagé ainsi : la
ligne des arbres, la moitié nord incluant la toundra forestière
et la taïga, la moitié sud groupant les domaines de la pessière
et de la sapinière, le pourtour de la Sagamie (tableau 1).
Les données de ce dernier territoire, qui est inclus dans la
zone de la forêt mélangée selon la carte du ministère des Ressources Naturelles (Québec, 1985), permettent de mettre en
évidence des éléments de transition appartenant à la forêt
décidue. Il est évident, dans ce cas, que les bouleversements
et les transformations des milieux naturels, induits par l’intervention humaine, affectent la répartition de certaines
espèces.
Espèces recensées
Le tableau 1 donne la liste des fourmis trouvées dans
différents habitats du biome. Au total, 39 espèces sont présentes, ce qui représente 41,5 % de la myrmécofaune indigène du Québec (94 espèces indigènes et dix introduites –
Francœur, 2000a). Elles se répartissent en neuf genres et trois
sous-familles pour le domaine boréal en comparaison des
23 genres indigènes (plus deux introduits) et quatre sousfamilles pour tout le territoire. Phylogénétiquement la plus
primitive, la sous-famille Ponerinae, reste absente de la forêt
boréale (Francœur, 1979). À noter ici que la nomenclature
des espèces de Myrmica et de Leptothorax suit nos travaux
en cours de révision taxinomique (détails dans Francœur,
1997).
Le nombre d’espèces recensées jusqu’à présent dans
ce biome nordique représente vraisemblablement 95 % de
la diversité réelle. Toutefois, la répartition des échantillons
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sur le territoire laisse apparaître un grand vide pour la partie
centrale qui est dépourvue de routes publiques. En outre,
l’effort de prospection demeure plus important dans la
moitié sud et certaines espèces sont plus faciles à dénicher
en raison de leur type de nid. Ces biais ne semblent pas
avoir faussé le portrait global qui se dégage maintenant de
notre inventaire aléatoire, car il s’accorde bien avec ce qui
est connu pour d’autres parties de ce biome circumboréal
(Collingwood, 1979 ; Dlussky, 1967 ; Francœur, 1997 ; Heatwole, 1989 ; Letendre et al., 1971 ; Nielsen, 1987 ; Punttila et
al., 1994b).
À la ligne des arbres, au nord du biome nous avons
recueilli des colonies de cinq espèces (tableau 1), mais
seulement des gynes désailées (femelles fondatrices) pour
Formica subnuda (Francœur, 1983). Seule Leptothorax acervorum fut détectée exclusivement dans les régions adjacentes
à cette ligne, alors que les autres se rencontrent à l’échelle du
territoire boréal. La zone boréale-nord abrite dix espèces,
tandis que la zone boréale-sud en offre 26. Jusqu’à présent,
Myrmica sp. (cf. fracticornis) et Leptothorax septentrionalis
(nouveau statut taxinomique) furent trouvées seulement
dans la zone nord. On peut s’attendre à ce que le nombre
d’espèces connues pour la moitié nord augmente légèrement
avec l’exploration du centre du territoire. Dans la Sagamie,
les peuplements typiquement boréaux et de transition recèlent quelque 34 espèces.
Même s’il peut s’avérer partiellement biaisé, l’échantillonnage global révèle l’importance naturelle relative de
ces taxons, telle que détaillée par les chiffres du tableau 2.
Celle-ci correspond à l’impression générale qui se dégage de
l’examen de nombreux biotopes. La sous-famille Formicinae
s’avère la mieux représentée avec 518 échantillons, alors que
suivent Myrmicinae (463 échantillons), puis Dolichoderinae
(14 échantillons). Cette dernière, qui se trouve essentiellement dans des climats chauds, est représentée uniquement
par une espèce ubiquiste, affichant une grande valence écologique ; elle suit aisément les traces de l’espèce humaine (Francœur, 2000b ; Smith, 1965). Les deux premières sous-familles
comprennent respectivement trois et cinq genres.
André Francœur est biologiste.
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Tableau 1. Espèces de fourmis recensées dans le biome de la forêt boréale du Québec, par ordre phylogénétique des taxons
supérieurs.
Sous-famille
Espèce
Myrmicinae
Myrmica alaskensis Wheeler
Myrmica detritinodis Emery
Myrmica fracticornis Emery
Myrmica lampra Francœur
Myrmica lobifrons Pergande
Myrmica nearctica Weber
Myrmica quebecensis Francœur
Myrmica sp. (cf. fracticornis)
Ligne
des
arbres
Boréale
Boréale
Boréale
nord
sud
Sagamie
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Stenamma diecki Emery
T
Leptothorax acervorum (Fabricius)
Leptothorax sp. A
Leptothorax retractus Francœur
Leptothorax sp. (cf. canadensis Provancher)
Leptothorax sphagnicolus Francœur
Leptothorax septentrionalis Wheeler
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Formicoxenus quebecensis Francœur
Harpagoxenus canadensis M. R. Smith
T
Dolichoderinae
Tapinoma sessile (Say)
Formicinae
Camponotus herculeanus (Linné)
Camponotus noveboracensis (Fitch)
Lasius alienus (Foerster)
Lasius flavus (Fabricius)
Lasius neoniger Emery
Lasius pallitarsis (Provancher)
Formica dakotensis Emery
Formica glacialis Wheeler
Formica hewitti Wheeler
Formica impexa Wheeler
Formica Iasioides Emery
Formica neogagates Emery
Formica neorufibarbis Emery
Formica podzolica Francœur
Formica reflexa Buren
Formica sp. (cf. fossaceps Buren)
Formica spatulata Buren
Formica subaenescens Emery
Formica subnuda Emery
Formica subsericea Say
Formica whymperi Forel
TOTAL DES ESPÈCES :
X
T*
X
39
X
X
XA
X A*
X
XA
XA
T
XA
XA
X
XA
XA
T
XA
XA
X
TA
X
X
X
X
X
X
X
X?
X
X
X
X
X
TA
X
X
TA
T
X
X
T
T
T
X
X
TA
X
5
10
26
34
X
* T : présence dans milieux de transition ;
A : présence dans milieux modifiés par l’intervention humaine ;
? : présence continue à confirmer.
LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 3 AUTOMNE 2001
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Tableau 2. Répartition des échantillons (n) de fourmis selon les taxons supérieurs.
Sous-famille
Genre
Nombre d’espèces
Formica (408)
Formicinae (518)
Camponotus (79)
2
Lasius (31)
4
Myrmica (236)
Myrmicinae (463)
Leptothorax (201)
Formicoxenus (20)
Harpagoxenus (3)
Stenamma (3)
Dolichoderinae (14)
15
Tapinoma (14)
Le genre Formica apparaît, sans équivoque, le plus
important en nombre d’espèces et d’échantillons (tableau 2).
Nous avons déjà souligné que ce genre compose le tiers
(32 espèces) de la myrmécofaune du Québec entier (Francœur, 1977). Le genre Myrmica occupe le second rang, suivi
par Leptothorax. Ce sont là les genres typiques de la zone circumboréale de la région holarctique, avec le genre Camponotus dont l’espèce principale, C. herculeanus, s’avère probablement sous-représentée. Le tableau 3 indique l’importance
relative des espèces de ces quatre
genres selon les données d’échantillonnage utilisées dans cette
analyse. Les genres Formicoxenus,
Harpagoxenus et Lasius ne sont pas
considérés comme typiques du
domaine boréal.
Caractéristiques
fauniques
6
Il importe de qualifier cet
assemblage de 39 espèces par rap1
port au biome et à l’écologie con1
nue de ces fourmis.
1
On p eut constater en
premier lieu que sept espèces
1
s’observent à l’échelle du biome
(tableau 1) : ce sont les espèces
qualifiées de générales au tableau 4. Dans les habitats où
ces insectes paraissent prospères, ils affichent en général
une grande abondance, sauf Formica hewitti (tableau 3).
Un cortège neuf espèces les accompagne régulièrement, en
particulier dans la zone boréale-sud (tableau 4). Un groupe
de sept espèces apparaît exclusif au biome, n’ayant pas été
récoltées ailleurs au Québec d’après une base actuelle de
plus de 7 500 échantillons. Enfin, cinq espèces sont considérées, pour l’instant, comme occasionnelles dans la zone
8
Tableau 3. Répartition des échantillons par espèce pour les quatre genres typiques de la forêt boréale du Québec.
Espèce
Formica neorufibarbis
Nombre
d’échantillon
166
Espèce
Myrmica alaskensis
Nombre
d’échantillon
122
Formica podzolica
73
Myrmica detritinodis
44
Formica subnuda
62
Myrmica lobifrons
30
Formica subaenescens
26
Myrmica quebecensis
18
Formica dakotensis
17
Myrmica fracticornis
16
Formica hewitti
15
Myrmica nearctica
3
Formica subsericea
13
Myrmica sp. (cf. fracticornis)
2
Myrmica lampra
1
Formica glacialis
9
Formica Iasioides
6
Formica impexa
5
Leptothorax sp. (cf. canadensis)
Formica reflexa
5
Leptothorax acervorum
30
Formica whymperi
5
Leptothorax sp. A
21
Formica sp. (cf. fossaceps)
3
Leptothorax sphagnicolus
15
Formica neogagates
2
Leptothorax retractus
8
Formica spatulata
1
Leptothorax septentrionalis
2
67
Camponotus noveboracensis
12
Camponotus herculeanus
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Tableau 4. Myrmécofaune caractéristique de la forêt
boréale du Québec.
Groupe
Espèce
Espèces générales
Camponotus herculeanus
Formica hewitti
(7)
Formica neorufibarbis
Formica podzolica
Formica subnuda
Leptothorax sp.
(cf. canadensis)
Myrmica alaskensis
Espèces compagnes
Formica dakotensis
Formica impexa
(9)
Formica subaenescens
Formica whymperi
Leptothorax sp A
Leptothorax retractus
Myrmica detritinodis
Myrmica fracticornis
Myrmica lobifrons
Espèces exclusives
Formicoxenus quebecencis
Leptothorax acervorum
(7)
Leptothorax septentrionalis
Leptothorax sphagnicolus
Myrmica sp. (cf. fracticornis)
Myrmica lampra
Myrmica quebecencis
Espèces occasionnelles
Camponotus noveboracensis
Lasius alienus
(5)
Lasius neoniger
Lasius pallitarsis
Tapinoma sessile
sud seulement (tableau 4). L’appartenance au biome des
Lasius demeure à confirmer par de nouveaux inventaires
dans des territoires peu perturbés par intervention humaine.
Le cas de L. pallitarsis s’avère intéressant : espèce considérée
d’abord comme forestière (Francœur, 1966, Wilson, 1955),
elle s’adapte extraordinairement bien aux milieux ouverts
aménagés comme les pelouses et les jardins (Francœur,
2000b). Elle prolifère à la pointe de Penouille (parc Forillon,
Gaspé) dans un peuplement ouvert d’épinettes poussant sur
un sol sablonneux (Francœur, 1981a). Elle affiche donc une
valence écologique remarquable.
Il reste 11 autres espèces qui proviennent uniquement de milieux de transition (T) ou modifiés par l’humain
(A). Ces fourmis appartiennent au biome de la forêt décidue et, en conséquence, ne sont pas incluses dans la faune
boréale.
Au total, on peut conclure que la myrmécofaune
caractéristique de la forêt boréale du Québec se compose de
28 espèces seulement (tableau 4). Une pauvreté typiquement
nordique, de climat froid, par rapport aux zones plus méridionales. Phénomène général bien connu, l’axe sud-nord de
réduction du nombre d’espèces apparaît aussi nettement
pour cette faune particulière.
Les habitats
Les fourmis occupent tous les milieux terrestres,
plus ou moins intensivement, à l’exception de la toundra
(Francœur, 1983 ; Hölldobler et Wilson, 1990). En zone
boréale, elles préfèrent les habitats partiellement ou totalement ouverts. Elles sont peu présentes en forêt très fermée,
car la quantité d’énergie radiante disponible au niveau du sol
représente un facteur limitant déterminant (Brown, 1973 ;
Punttila et al., 1994b). On rencontre principalement Camponotus herculeanus et Myrmica alaskensis dans les forêts
fermées. Les bordures de lacs et de rivières sont mieux peuplées.
Les espèces des quatre genres dominants préfèrent
globalement les milieux avec litière sur sol minéral et une
végétation à dominance arborescente. Les arbustaies denses
sont peu fréquentées, de même que les palses (tertres composés d’une couche de tourbe ayant un noyau pergélisolé
sur sol minéral). Certaines, comme Formica neorufibarbis
(surtout la forme toundra – Francœur, 1973) et Leptothorax
acervorum (Francœur, 1983), peuvent prospérer dans des
milieux partiellement dénudés, sur sable ou rocaille.
La pessière à cladonie du sud, particulièrement dans
le parc des Grands-Jardins et sur la Côte-Nord, abrite plusieurs espèces dont des formes parasites très singulières telles
que Formicoxenus quebecencis, Myrmica lampra et M. quebecencis (Béique et Francœur, 1966 et 1968 ; Francœur, 1968 et
1981b ; Francœur et al., 1985). Les tourbières ombrotrophes
de la Sagamie, dans les phases d’afforestation (établissement
des arbres) de leur succession écologique, se distinguent par
la présence de Formica dakotensis, Leptothorax sphagnicolus
et Myrmica lobifrons; elles disparaissent du biotope au stade
climacique (données inédites; Francœur, 1986 ; Francœur et
Pépin, 1975 et 1978). Les pinèdes à pin gris abritent la plupart des espèces rares et quelques espèces dites de transition
de la zone sud et de la Sagamie (Francœur et Jobin, 1968),
alors que les pinèdes à pin rouge recèlent plusieurs espèces
de transition comme Myrmica nearctica et Stenamma diecki
(une espèce caractéristique de l’érablière laurentienne avec
Lasius pallitarsis, Francœur, 1966).
LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 3 AUTOMNE 2001
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ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
Influences sur le milieu
Le plus souvent, les fourmis construisent leur
nid soit dans le sol minéral (sable, limon, argile, terre),
soit dans la matière organique morte ou vivante (bois,
litière, mousse), soit dans les deux à la fois. Elles utilisent aussi l’espace sous les roches et peuvent creuser
des matériaux produits par l’homme : carton, « polystyrène », planche, etc. Elles accumulent des débris
organiques (feuilles, brindilles) autour de divers objets
(troncs, souches, roches, éléments artificiels, etc.) ou
en font des monticules. Lorsqu’ils sont ramenés en
surface, les déblais de creusage du sol minéral peuvent
prendre la forme de cratères (typique de Lasius neoniger), de grande plage ou de monticule (figures 1 à 6).
Par leurs activités de construction et d’aménagement, les fourmis contribuent à aérer et à régénérer
les sols, ainsi qu’à accélérer le processus de décomposition de la matière ligneuse en la réduisant en fines particules (Béique et Francœur, 1968 ; Petal, 1978). Elles
influencent localement les caractéristiques chimiques
des sols, la structure de la végétation et la croissance des
arbres (Lesica et Kannowski, 1998 ; Huxley et Cutler,
1991).
Les fourmis, en particulier des genres Camponotus et Formica, servent de nourriture à des oiseaux,
comme les pics, et aux ours (Francœur, 1997 ; Gösswald,
1990). Des espèces, telle Formica podzolica, favorisent la
dispersion d’espèces végétales par l’utilisation de leurs
graines (Buckley, 1982 ; Francœur, 1973 ; Hölldobler et
Wilson, 1990).
La présence et l’abondance de fourmis, comme
Lasius neoniger et Tapinoma sessile, peuvent servir d’indicateurs de l’état des milieux dont la végétation se
dégrade sous l’impact des activités humaines (données
inédites, Francœur et Jobin, 1968).
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Figure 1 Cratères de sable construits par Lasius neoniger.
ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
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Figure 2. Coupe transversale dans des galeries-boulevards
construites par Formica podzolica dans la base minérale d’un
parterre de mousses, parc des Grands-Jardins.
1. Naturelles
Comme la majorité des espèces demeurent
associées presque exclusivement à la surface du sol
(litière, pièces de bois ou troncs debout), le feu apparaît
comme leur principal ennemi : cause directe de mort,
destruction des sites de nidification et des sources de
nourriture (nectar des fleurs et arthropodes) (Punttila et al., 1994a). D’ailleurs, l’action récurrente du feu
sur de grandes surfaces doit probablement influencer
l’évolution du génome des espèces largement répandues, lesquelles présentent une importante variabilité
comme c’est le cas en particulier pour les formes néarctiques associées traditionnellement à Leptothorax muscorum (Loiselle et al., 1990). Elles ne survivent pas aux
inondations prolongées qui peuvent suivre des tempêtes importantes ou la fonte des neiges au printemps.
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ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
Effets des perturbations
Figure 3. Nid des types de Formica podzolica dans la réserve
faunique des Laurentides.
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ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
Figure 4. Immense plage de sable édifiée par Formica
subsericea, un mois après déforestation et brûlage de la
végétation d’une pinède à pin gris pour établir une bleuetière
expérimentale, à Saint-Léon-de-Labrecque.
Figure 5. Tronc mort abritant une colonie de Formica whymperi
qui l’a recouvert de feuilles mortes de comptonie, dans la
bleuetière commerciale de Sainte-Jeanne-d’Arc.
ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
2. Anthropiques
L’exploitation intensive des forêts, en particulier
la coupe à blanc, bouleverse et déstabilise les myrmécocénoses naturelles, en réduit la diversité, et désoriente
les individus (Punttila et al., 1994a). La source principale de nourriture l’été, le miellat de pucerons, disparaît
en même temps que les arbres. Les caractéristiques des
colonies et l’abondance des espèces changent dans
les forêts dégradées ou transformées par les activités
humaines (Petal, 1994). Les coupes par bandes semblent
causer moins de pertubation à la diversité des espèces,
mais cela reste à démontrer à long terme (Jennings et al.,
1986). Les longs corridors créés pour le passage des
lignes électriques dans des massifs forestiers denses
constituent des milieux ouverts nouveaux qui devraient
favoriser une augmentation de la biodiversité locale.
Un biotope ayant perdu ses arbres favorisera un
assemblage d’espèces de fourmis quelque peu différent,
lequel sera ensuite perturbé par le retour progressif du
couvert forestier. La présence de bois mort peut accélérer
le retour des espèces lignicoles. Le cycle de la succession
des espèces apparaît différent dans les forêts naturelles
de celui observé dans les forêts aménagées (Punttila et
al., 1994b). Le cortège des espèces esclavagistes ou parasites s’installe progressivement une fois que les colonies
des espèces hôtes ont atteint une grande abondance.
Une mozaïque de peuplements d’âges et de types variés
favorise la diversité (Punttila et al., 1994b).
Les perturbations de l’habitat entraînent automatiquement des bouleversements dans l’équilibre des
populations de la faune qu’il abrite. Cependant, on ne
connaît pas leurs effets à long terme sur les biocénoses
de fourmis.
ANDRÉ FRANCŒUR – UQAC
Les espèces qui nichent en profondeur dans
le sol peuvent résister à des feux relativement sévères
(figure 4). Le manque de nourriture résultant de la destruction de l’entomofaune devient alors un facteur critique pour leur survie (Punttila et al., 1994a).
Remerciements
Madame Valérie Bilodeau a contribué à la compilation des données dans le cadre d’un mémoire de
fin d’études. Le montage et l’étiquetage des spécimens
furent réalisés principalement par madame Myriam
Tremblay. La plupart des récoltes sur le terrain ont été
rendues possibles par des subventions du Conseil de
recherches en sciences naturelles et en génie du Canada
et par la Fondation de l’UQAC. 
Figure 6. Plage de feuilles mortes rassemblées autour d’une
souche par Formica subsericea.
LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 3 AUTOMNE 2001
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