El Niño ( PDF , 2147 Ko)

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El Niño, cet événement dans le Pacifique qui bouleverse le climat du monde entier, continue de surprendre. Les climatologues lui découvrent
encore de nouveaux visages, de nouveaux mécanismes d’activation et la question de sa réponse au changement climatique anime leurs débats.
Inondation au Perou
Les saveurs d’El Niño
on nom porte à confusion :
l’événement climatique
El Niño1 n’a rien d’un enfant
unique ! Derrière ce terme,
il se cache une fratrie de phénomènes
capables de bouleverser le climat aux
quatre coins du monde. « L’épisode
survenu en 1997 est l’arbre qui a
longtemps caché la forêt, raconte le
chercheur Boris Dewitte. Les dégâts
provoqués ont poussé les climatologues à se focaliser sur ces épisodes
aujourd’hui qualifiés d’« extrêmes ». »
Pluies torrentielles sur toute la façade
américaine, sécheresses en Indonésie et en Australie, augmentation
des cyclones dans le Pacifique…
l’événement avait de quoi marquer
les esprits ! « Nous avons considéré
ce type d’épisode comme l’archétype
du phénomène. Or, depuis 1997, une
série d’autres événements se sont
produits et leurs impacts sont très
différents », poursuit le chercheur.
Ceux-ci induisent des sécheresses sur
la façade ouest américaine, perturbent
la mousson indienne et accélèrent la
fonte des neiges dans certaines régions
de l’Antarctique ! Au-delà du climat,
leur signature biologique est singulière.
« Ils provoquent un appauvrissement en
phytoplancton dans le centre du bassin, souligne Marie-Hélène Radenac.
Cela pose question pour les réseaux
trophiques supérieurs et l’activité de
pêche. »
Aujourd’hui, l’existence de deux visages
distincts d’El Niño commence à faire
consensus. Tous deux naissent dans
l’ouest du Pacifique équatorial. Ils
se déclenchent suite à un affaiblissement des alizés, ces vents d’est
qui convergent vers l’équateur. Leur
relâchement induit le déplacement de
masses d’eaux chaudes et pauvres en
phytoplancton, confinées dans la région
indonésienne, vers le centre du bassin
équatorial. Elles entraînent avec elles
les zones « convectives », ces amas de
nuages responsables des conditions
de pluies tropicales. Ce système
océan-atmosphère peut rester bloqué
dans le centre du bassin et induire un
épisode El Niño Modoki, comme ceux
survenus depuis 2000. Plus rarement,
il se déplace jusque dans l’est du bassin
et atteind les côtes péruviennes. Il se
produit alors un El Niño Extrême, à
l’image de celui de 1997.
La connaissance de cette double facette
d’El Niño offre de nouvelles perspectives de recherche. « Nous pouvons
améliorer la prévision de ces événements. Les épisodes post-1997 ont été
mal anticipés car nous comprenons
encore mal à quoi tient l’expression
de l’un ou l’autre visage. » De récents
travaux2 viennent de révéler que pour
le développement d’un événement du
type « extrême », l’océan à proximité
des côtes péruviennes doit atteindre
27,5 °C, soit près de 6 °C de plus que
sa température normale en hiver austral. Cette condition nécessaire n’est
remplie que si des vents d’ouest se
mettent en place lors de la formation de
l’événement. Ces résultats permettent
d’ores et déjà de mieux cerner si un
épisode en formation sera Modoki ou
extrême. Ils seront prochainement mise
à l’épreuve avec l’événement El Niño
actuel qui s’annonce comme l’événement El Niño le plus intense du XXIe
siècle.
O
1. El Niño, l’enfant Jesus en espagnol a
ainsi été nommé par les pêcheurs péruviens car il survient à la période de Noël.
2. Takahashi K. and B. Dewitte, Climate
Dynamics, 2015
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UMR Legos (IRD, CNES, CNRS, UPS)
Variabilité climatique naturelle contre anthropique
otre climat connaît actuellement deux principaux
bouleversements. D’un côté,
El Niño, le plus important
phénomène naturel, perturbe de façon
irrégulière le climat du globe. De
l’autre, l’activité anthropique, à travers
l’augmentation des émissions de gaz à
effet de serre, induit un réchauffement
global de l’atmosphère et de l’océan…
Peut-il y avoir un lien entre ces deux
perturbations ? Oui, répondent les climatologues et il devrait conduire à une
formation plus fréquente d’événements
El Niño dit « extrêmes ». En conséquence, plus de pluies torrentielles,
de glissements de terrain et de pêches
désastreuses seraient à prévoir sur la
façade ouest de l’Amérique du Sud dès
la deuxième moitié du XXIe !
L’augmentation de ces épisodes
extrêmes tient au réchauffement moyen
de l’océan Pacifique. « Actuellement,
il faut augmenter la température de
près de 6 °C pour atteindre le seuil de
déclenchement des pluies torrentielles
dans l’est du Pacifique équatorial et
donc d’un épisode El Niño extrême »,
explique Boris Dewitte. Ces conditions
sont rarement atteintes aujourd’hui
mais probablement pas à l’horizon des
prochaines décennies ! De fait, l’ensemble des modèles de prévision climatique simulent un réchauffement plus
important dans la région équatoriale du
Pacifique que dans le reste du bassin.
« Selon les scénarios les plus probables
d’émissions de gaz à effet de serre, les
modèles simulent un réchauffement
moyen à l’équateur de l’ordre de 3 °C
d’ici la fin du XXIe siècle, souligne le climatologue Matthieu Lengaigne. Il sera
donc beaucoup plus facile d’atteindre
cette température seuil de 28 °C dans
l’est du bassin et donc de déclencher
des évènements El Niño extrêmes. »
Plus précisément le nombre d’épisodes extrêmes en plus à l’avenir
reste à déterminer. « Quantifier cette
augmentation est un défi car au cours
de ces 60 dernières années seuls deux
épisodes extrêmes se sont produits.
Nous disposons donc de peu de données
pour établir des statistiques robustes à
partir des observations », répond Boris
Dewitte. De plus, les modèles climatiques ne s’accordent pas sur l’évolution générale de ce phénomène dans
le futur. Des difficultés que certaines
équipes parviennent à contourner avec
une approche originale1 ! « Plutôt que
d’étudier les indices océaniques clas-
siques caractérisant le phénomène,
nous nous sommes intéressés à ceux
décrivant son impact atmosphérique »,
explique Matthieu Lengaigne. Un épisode extrême est ainsi caractérisé en
fonction du déclenchement des pluies
diluviennes dans l’est du Pacifique
équatorial et sur la façade ouest du
continent américain, régions normalement arides. Avec cette signature du
phénomène El Niño, les simulations des
modèles de climat s’accordent sur une
augmentation robuste du nombre d’événements extrêmes au XXIème siècle. « Ils
indiquent en moyenne un doublement
de leur fréquence, précise ce dernier.
C’est beaucoup, mais certains modèles
simulent une hausse encore plus importante, de l’ordre de 200 % ! Nous avons
donc encore un travail important pour
mieux déterminer l’ampleur de cette
augmentation ».
O
Ce jeu d’interaction entre les deux bassins
prend sa source dans la plus grande
« piscine » d’eau chaude du monde.
Elle s’étale du centre de l’océan Indien
jusqu’au centre du Pacifique et abrite
des eaux de surface plus chaudes que
29 °C. « Cette marmite d’eau chaude
est le chef d’orchestre de la circulation
atmosphérique de grande échelle1 »,
relève Jérôme Vialard. « Chaque événement El Niño induit un réchauffement
global de l’océan Indien, explique
Takeshi Izumo. Cette hausse de température a un effet sur les vents dans
le Pacifique, et cela réduit l’intensité et
la durée de l’épisode El Niño en cours. »
Ainsi, sans cette rétroaction de l’océan
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
> 2.0
1.5
1.0
0.5
0.0
- 0.5
°C
1. W. Cai et al., Nature climate change, 2015.
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Lors d’un événement El Niño Modoki, le réchauffement de l’océan Pacifique
équatorial reste confiné dans le centre du bassin.
Coup de pouce de l’océan Indien
l Niño, l’enfant terrible du
Pacifique, symbolise la
puissance climatique par
excellence : il peut provoquer
des inondations au Pérou, des sécheresses en Indonésie et en Australie, le
tout de façon simultanée ! Mais peut-il
être compris en considérant le Pacifique seul ? « Le développement d’un
El Niño se produit systématiquement
dans l’océan Pacifique, mais il peut être
influencé par l’océan Indien », répond
Matthieu Lengaigne. Ce bassin oriental a longtemps été considéré comme
inactif dans la dynamique globale du
climat. Loin s’en faut : il est celui qui
peut le plus affecter l’océan Pacifique.
Un événement El Niño extrême se forme lorsque l’océan Pacifique équatorial
se réchauffe dans l’est du bassin (en rouge à l’image).
MetOffice - B. Dewitte
Recherches
10
El Niño aiguillonne
le climat mondial
Indien, les événements formés dans le
Pacifique seraient plus intenses et plus
longs !
Cette marmite peut aussi contribuer
au déclenchement d’un événement El
Niño. Le processus débute un peu plus
d’un an avant le point culminant d’El
Niño. Dans l’est de l’océan Indien, les
eaux se réchauffent plus que de coutume le long des côtes indonésiennes.
Il se produit un « El Niño » de l’océan
Indien en quelque sorte. Ce réchauffement renforce alors les alizés, ces
vents qui balayent l’équateur d’est
en ouest dans le Pacifique. « Leur
intensification tend à accumuler plus
de chaleur que d’habitude dans l’ouest
de l’océan Pacifique, poursuit-il. La fin
brutale des anomalies chaudes dans
l’océan Indien favorise un relâchement
de ces vents de sorte que les eaux
chaudes accumulées dans le Pacifique
ouest refluent brutalement vers l’est,
contribuant au développement d’un El
Niño.»
A l’heure actuelle, ces mécanismes
d’interactions entre les océans Indien
et Pacifique sont au cœur de nombreux
travaux de recherche, menés par l’IRD
notamment. « Une chose est sûre : la
région équatoriale de l’indopacifique
est de plus en plus considérée comme
un système unique, où les anomalies
d’un des deux bassins influencent
l’autre », estime Matthieu Lengaigne.
Partant de ce constat, mieux connaître
ces processus d’interaction devient
essentiel pour améliorer la prévisibilité
de ces événements.
O
1. La circulation atmosphérique de grande
échelle est la circulation de Walker, elle
joue le rôle de trait d’union entre les bassins Pacifique et Indien.
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