Intervention du rabbin David Rosen Tout d`abord

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Commission pour les relations avec le judaïsme déc. 2015 Réaction de David Rosen
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Intervention du rabbin David Rosen
Tout d'abord, permettez-moi d'exprimer ma profonde gratitude au cardinal Koch, à Mgr
Farrell et au père Hofmann, pour cette invitation à partager le podium lors de cette conférence
de presse. Comme l’a noté le père Hofmann, la présence ici de représentants juifs est en soi un
témoignage puissant et éloquent de la fraternité retrouvée entre catholiques et juifs. Et même
si le document publié est destiné aux fidèles catholiques, et s’adresse à eux, dans la mesure où
il concerne la relation de l'Église avec le peuple juif, c’est une marque délicate de respect à
l’égard de celui-ci que d’avoir une présence juive à une telle conférence de presse. C’est très
encourageant et cela reflète le changement véritablement révolutionnaire dans l'approche
catholique envers les juifs et le judaïsme.
En effet, comme l’indique ce document, l'article 4 de la Déclaration du concile Vatican II sur
les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes, qui traite de la relation de l'Église
avec le peuple juif (et que le présent document décrit comme le « cœur » de Nostra ӕtate),
était surtout remarquable précisément parce qu’il inaugurait cette nouvelle approche positive
d’« estime fondamentale » et qui a été décrite comme une révolution copernicienne dans
l'attitude de l'Eglise envers le judaïsme et la communauté juive.
Comme l’a fait observer le cardinal Koch dans sa présentation lors de la célébration officielle
du cinquantième anniversaire de Nostra ӕtate, ici, à Rome, il y a six semaines : « Pour la
première fois dans l’histoire, (un) concile œcuménique s’est exprimé explicitement et
positivement à l’égard de la relation entre l’Église catholique et le judaïsme », servant de
« boussole vers la réconciliation entre les chrétiens et les juifs, valable pour le présent comme
pour l’avenir ».
Nostra ӕtate a ouvert la voie aux papes ultérieurs pour qu’ils affirment davantage le lien
unique entre l'Église et le peuple juif dont rend compte ce texte, et voient la communauté
juive comme une source vivante d'inspiration divine pour l'Église. Selon les paroles du pape
François, « Dieu continue à œuvrer dans le peuple de la première Alliance et fait naître des
trésors de sagesse qui jaillissent de sa rencontre avec la Parole divine » (Evangelii gaudium,
249).
Le résultat de ce regard positif pour le peuple juif est le rejet clairement affirmé dans ce
document de quelque « théologie de remplacement ou de substitution qui opposerait l’une
contre l'autre une Église des Gentils [contre une] synagogue rejetée dont elle prendrait la
place ».
Ce que ce document révèle en conséquence est non seulement l'avancement des
recommandations faites dans les lignes directrices de 1974 sur Nostra ӕtate, d’apprécier et de
respecter la compréhension de soi juive ; mais aussi une reconnaissance approfondie de la
place de la Torah dans la vie du peuple juif ; et (en conformité avec les travaux de la
Commission biblique pontificale) une reconnaissance de l'intégrité de la lecture juive de la
Bible qui est différente de celle des chrétiens. En effet, le fait même que le document cite
aussi abondamment des sources rabbiniques est un témoignage supplémentaire de ce respect.
Permettez-moi de rappeler à nouveau le point que le cardinal Koch et le père Hofmann ont
tous deux souligné, que c’est un document catholique reflétant la théologie catholique.
Inévitablement ensuite, il contient des passages qui ne résonnent pas et ne peuvent pas
résonner avec une théologie juive. Cependant, comme cela a déjà été mentionné, tout à son
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honneur, ce document vise à refléter une compréhension sincère de la compréhension de soi
juive.
Peut-être puis-je alors me permettre, dans l'esprit de notre respect et de notre amitié mutuels
de souligner que, pour respecter pleinement la compréhension de soi juive, il est également
nécessaire d'apprécier la place centrale que représente la Terre d'Israël dans la vie religieuse
historique et contemporaine du peuple juif, et cela semble manquer.
En effet, sur le plan même de l’histoire des jalons le long de ce parcours remarquable depuis
Nostra ӕtate, l'établissement de relations bilatérales complètes entre l'État d'Israël et le SaintSiège (très guidé et encouragé par le saint pape Jean-Paul II) a été l'un des points forts
historiques. En outre, le préambule et l'article premier de l'Accord fondamental entre les deux
parties, reconnaît précisément cette signification. Sans Nostra ӕtate, l'établissement de ces
relations n’aurait sûrement pas été possible. L'Accord fondamental a non seulement ouvert la
voie aux pèlerinages pontificaux historiques en Terre sainte, et donc à la création de la
commission bilatérale avec le Grand Rabbinat d'Israël, mais il reflète sans doute plus que
toute autre chose le fait que l'Église catholique a vraiment renié sa représentation du peuple
juif comme des vagabonds condamnés à être des sans-domicile jusqu'à l'avènement final.
La référence du document à l'état des minorités religieuses comme le test décisif en ce qui
concerne la liberté religieuse, est particulièrement pertinente dans le Moyen-Orient
aujourd'hui ; et donc la situation des chrétiens en Israël à laquelle le document fait référence,
est en contraste frappant avec la plupart des autres endroits dans la région.
Toutefois, permettez-moi de vous faire observer que l'importance de la relation judéochrétienne en Terre sainte n’est pas simplement de prouver la question de la liberté religieuse.
C’est également un test décisif de la mesure dans laquelle Nostra ӕtate et l'enseignement
ultérieur du Magistère sont assimilés, précisément là où les chrétiens sont une minorité et les
juifs sont la majorité et pas seulement vice versa ; à cet égard, il reste encore beaucoup de
travail d'éducation à faire.
La référence à la paix en Terre sainte comme pertinente pour la relation judéo-catholique est
également importante. Les peuples y vivent dans l'aliénation et la déception mutuelles, et je
crois que l'Église catholique peut jouer un rôle important dans la reconstruction de la
confiance, telle l'initiative de prière pour la paix prise par le pape François. Permettez-moi
d'exprimer l'espoir qu’il y aura bientôt d'autres initiatives pour permettre à la religion d'être
une source de guérison plutôt que de conflit ; et de veiller à ce que celles-ci soient
coordonnées avec ceux qui ont l'autorité politique pour ouvrir la voie et pour permettre à la
terre et à la ville de la paix de réaliser son nom.
Permettez-moi d'exprimer ma gratitude particulière pour l'accent mis par le document sur la
responsabilité des « établissements d'enseignement, en particulier |ceux pour] la formation des
prêtres, [d']intégrer dans leurs programmes à la fois Nostra ӕtate et les documents ultérieurs
du Saint-Siège concernant la mise en œuvre de la déclaration conciliaire ». On peut dire que
cela reste le défi le plus notable qui consiste à ce que ces réalisations descendent du sommet
où elles ont été conçues jusqu’à la base, universellement.
De même, l'appel à une action conjointe ne pourrait être plus opportun. Le document se réfère
à la collaboration du Comité international de liaison catholique-juif (CIL) en Argentine en
2004 ; et je pourrais ajouter que, par la suite, il y a eu une collaboration importante à la
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réunion du CIL au Cap, où les organisations et les initiatives de services de santé, juives et
catholiques, qui travaillent en particulier avec les victimes du sida, se sont réunies pour
faciliter la collaboration et devenir plus grandes que la somme de leurs différentes parties. Je
rejoins tout à fait les sentiments exprimés dans ce document selon lesquels nous pouvons faire
beaucoup plus ensemble à la fois dans la lutte contre les maux de la société moderne et dans
la lutte contre les préjugés, l'intolérance et l'antisémitisme que l'Église a déjà vigoureusement
condamné, ce qu’elle réitère dans ce document.
Enfin, permettez-moi d'aborder le sujet de la « complémentarité » à laquelle le document fait
référence, avec les propres paroles du pape François dans Evangelii gaudium : « Lire
ensemble les textes de la Bible hébraïque (...) et approfondir les richesses de la Parole » (249).
Ce document élargit encore la notion de complémentarité quand il déclare que « d'une part
(...) l'Église sans Israël serait en danger de perdre son locus dans l'histoire du salut » ; puis il
ajoute : « de même (!) (...) les juifs pourraient arriver à l'idée qu’Israël sans l'Église courrait le
danger de rester trop particulariste et de ne pas saisir l'universalité de son expérience de
Dieu ».
Permettez-moi de noter qu'il n'y a guère de symétrie à cet égard. La première expression est
celle d’une compréhension du caractère intrinsèque de l'Église, tandis que la seconde est une
mise en garde contre un malentendu possible et peut-être même un abus de la notion juive de
l'élection et une perte du sens de la responsabilité universelle. Non seulement il y a une
profonde asymétrie entre les deux, dans la mesure où le besoin d’Israël qu’a l'Église est une
question fondamentale pour la compréhension de soi du christianisme ; mais le danger réel
de l'insularité ethnique est quelque chose dont le judaïsme était forcément conscient avant
l'émergence du christianisme, et en cela le judaïsme a précisément « besoin » de l'Église. Cet
avertissement est très important dans les livres prophétiques de la Bible hébraïque, peut-être
de manière encore plus dramatique dans le texte d'Amos, et il ressort tout au long de la
littérature juive talmudique et médiévale.
Et d'autre part, on peut noter qu’une doctrine qui s’affirmerait universelle est tout aussi
dangereuse, car elle peut devenir exclusive, impérialiste et triomphaliste, et plus encore.
Néanmoins, au cours des siècles, des sommités juives ont en effet elles-mêmes élaboré un
concept de complémentarité en voyant le christianisme comme un moyen divin par lequel les
vérités universelles, que le judaïsme a apportées au monde, peuvent en fait être plus
efficacement diffusés dans tout l'univers au-delà des limites imposées par le peuple juif.
Rabbin Samson Raphael Hirsch, un des plus grands dirigeants rabbiniques du XIX e siècle, a
même vu la rupture entre l'Église et la Synagogue comme un élément nécessaire de ce plan
divin pour faciliter la tâche universelle du christianisme.
Certains sont allés un peu plus loin à cet égard en comprenant le concept de complémentarité
dans les rôles parallèles, d’une part de l'accent juif sur l'alliance communautaire avec Dieu et
d’autre part de l'accent chrétien sur la relation individuelle avec Dieu, comme pouvant servir à
s’équilibrer mutuellement. En effet, il y a ceux qui ont suggéré que l'autonomie
communautaire, affirmée par le judaïsme, peut servir de manière plus appropriée comme
modèle de société moderne et multiculturelle, alors que le christianisme peut offrir une
meilleure réponse à l'aliénation individuelle dans le monde contemporain.
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Une autre suggestion de certains théologiens à propos de cette complémentarité se rapporte à
la relation entre le rappel juif, selon lequel le Royaume des Cieux n'est pas encore totalement
arrivé, et la conscience chrétienne que le Royaume, à certains égards, est déjà enraciné dans
l'ici et maintenant.
Cependant, le fait même que nous pouvons parler de complémentarité est en soi une puissante
démonstration de toute la distance parcourue sur ce chemin remarquable de transformation et
de réconciliation entre catholiques et juifs au cours du dernier demi-siècle. Cela a été en
grande partie grâce au travail quotidien et à la direction de la Commission pontificale pour les
relations religieuses avec le peuple juif, et le document publié aujourd'hui est un jalon
important de plus sur ce chemin vraiment merveilleux pour lequel nous devons tous rendre
grâce à l’unique Créateur et Guide du ciel et de la terre.
© Traduction de Zenit, Constance Roques
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