rhumes, grippes, gastro-entérites). Elles sont liées principalement à des sensibilités et à de
peurs culturelles importantes concernant les infections respiratoires et à des logiques de
prescription d’un médicament par symptôme perçu ou redouté (avec des passages directs des
produits aux symptômes). Une majorité des médecins est convaincue de la nécessité de
médicamenter les maux courants, dont « la dépression », qu’ils pensent maîtriser par des
associations de produits psychotropes. Les « abus » sont également liés au renouvellement
sans critique de produits initiés par d’autres médecins, et en particulier d’ordonnances déjà
longues : comprenant des produits psychotropes, mais aussi d’autres produits dangereux, ou
ayant des interactions entre eux (notamment chez des personnes âgées). Cependant, cette
tendance à utiliser des produits inutiles, coûteux (« me too »2), ou toxiques s’explique surtout
par le fait qu’au sortir des facultés, les médecins généralistes n’ont pas d’autres outils et pas
de références adaptées à leur futur exercice (caractérisé par l’incertitude diagnostique,
l’écoute répétitive de plaintes et la gestion du retour de patients dont les maux sont
fréquemment liés à leurs conditions de vie). Faute de références en médecine générale, la
plupart des enquêtés ont alors des recours privilégiés, voire exclusifs aux avis et aux
médicaments spécialisés – ou vantés comme tels par les représentants des firmes que la
plupart côtoient (ces derniers comme les médecins spécialistes font sinon « autorité », du
moins ils restent les principales aides au travail). En l’absence de formation au doute et à sa
gestion, des enquêtés ont également recours à l’ordonnance pour se rassurer et sont
constamment à le recherche de « recettes ».
Cette étude montre encore d’autres usages socioculturels du médicament chez les
médecins les plus prescripteurs. Ces derniers ont souvent des rapports problématiques à
l’altérité et aux patients jugés négativement. En conséquence, ils imposent leurs prescriptions
et médicalisent des différences et des problèmes sociaux. Ils utilisent également des
médicaments pour pallier leurs limites relationnelles (pour ne pas revoir de suite des patients),
et/ou pour maintenir ou élever leurs revenus. Dans ce sens, des sur prescriptions font suite à
des fatigues professionnelles (de nombreux médecins travaillent trop, et trop vite). Or, elles
restent tabous, comme des surconsommations médicales de produits psychotropes et d’alcool
« pour tenir », qui participeraient également à leur banalisation. Cette étude montre in fine
l’existence d’autres non-dits : des « abus » de prescription sont liés à des « accidents »
professionnels traumatisants. (Or, ni les initiateurs ni les médecins qui travaillent avec ces
derniers ne remettent en cause ces abus a priori répandus3). Autrement dit, les motivations à
prescrire « hors des bonnes pratiques » des médecins les plus prescripteurs de cette étude ne
sont pas ou pas uniquement financières.
Sur tous ces points, les pratiques des « petits » prescripteurs de médicaments sont
« l’exception qui confirme la règle ». En effet, ces médecins ne sont dégagés d’une double
dépendance aux avis de médecins spécialités et de laboratoires pharmaceutiques. Plus
précisément, leurs motivations soignantes (leurs cultures familiales) les ont poussé à se
resocialiser auprès de patients variés avant de s’installer et/ou à se reformer. Ils ont alors pris
conscience de la limite du « réflexe » médicament-ordonnance, et sont parvenus à pallier les
problèmes d’assurance au travail : en partageant leurs décisions et leurs responsabilités, en
développant des compétences et/ou des alternatives thérapeutiques. Cette recherche permet
alors de soulever une problématique déterminante (qui seraient également à l’origine de la
plupart des sur prescriptions dans l’Hexagone) : le recrutement de praticiens ayant peu de
motivation soignante. En effet, c’est le cas des médecins les plus prescripteurs de cette étude,
2 Médicament qu’une firme développe uniquement pour prendre une part de marché, sans prétendre innover sur
le plan thérapeutique : il s’agit de produits presque identiques aux précédents, mais plus coûteux.
3 Cette étude souligne alors les limites des « tris » des produits dans les ordonnances effectués par les médecins
urgentistes suite à des hospitalisations de patients et dans une moindre mesure par des gériatres et les psychiatres
(davantage sensibilisés aux effets délétère des médicaments, mais moins confrontés aux retours de patients).