Des fins de carrières professionnelles fragilisées

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Une analyse des trajectoires de vie de personnes de 55 ans et plus ayant connu un arrêt maladie de plus de trois mois
Synthèse de l’étude menée par Aurélie Monot, Fanny Morel, Anne Reubrecht, Rémi Starck, Odile Verbeken
Groupe de Développement Social sous la direction de JM. Wachsberger et V. Caradec
Master 2 Stratégies de Développement Social, Université de Lille 3, Juin 2013
Mots clés : Arrêts maladies, travailleurs âgés, conditions de travail, retraite, épreuve, supports, usure
professionnelle, rapports aux institutions, carrière, trajectoire, incertitude
Cette étude commanditée par
l'Observatoire 59/62, notamment la Carsat et la
Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et
de la Cohésion Sociale (DRJSCS) est motivée par
l'augmentation globale des arrêts maladie de plus
de trois mois chez les salariés quinquagénaires. Ce
sujet rejoint la préoccupation institutionnelle de
maintien dans l'emploi des salariés vieillissants.
Quelles sont les caractéristiques des parcours des
assurés concernés ? Comment se déroule l'arrêt
maladie ? Et quelles préconisations pour améliorer
leur prise en charge ? Notre analyse s’est faite en
trois étapes, que se passe-t-il avant l’arrêt
maladie ? Comment se déroule l’arrêt maladie en
lui-même ? Comment les choses ont-elles évolué
après l’arrêt maladie ?
METHODE
Notre analyse sociologique se base sur 48
entretiens semi-directifs de personnes de plus de 55
ans ayant connu une période d'arrêt maladie de
plus de trois mois, enrichie de cinq observations
empiriques de réunions d’informations et de
rencontres avec des acteurs de terrain dans la
région du Nord-Pas-Calais.
L’échantillon de personnes rencontrées a été
élaboré de manière à ce qu’il soit diversifié en
termes de territoire, de genre ou de situations des
personnes :
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A) Une souffrance physique et morale : la san
du salarié à l’épreuve du travail
L’analyse de nos entretiens révèle
différentes formes de souffrance au travail. Toutes
professions confondues, la moitié des personnes
interrogées considèrent avoir connu des conditions
de travail difficiles. Ce ressenti provient, selon
elles de la pénibilité des tâches physiques et
répétitives à entreprendre et/ou des mauvaises
relations avec la direction ou avec les collègues de
travail. Cette pénibilité apparaît nettement
durant les cinq dernières années qui ont précédé
l’arrêt maladie pour 11 des enquêtés. La
pénibilité physique ressentie peut entraîner une
augmentation des troubles gênant le travail.
Néanmoins, l’intensité de ce travail n’est pas
forcément incompatible avec un certain « bonheur
professionnel ». Certains l’apprécient de façon plus
Groupe de Développement Social : Aurélie Monot, Fanny Morel, Anne Reubrecht, Rémi Starck, Odile Verbeken
Sous la Direction de M. Jean-Michel Wachsberger & de M. Vincent Caradec
Université de Lille 3, Master 2 Sociologie « Stratégies de Développement Social, 2012-2013
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ou moins durable, car elle va de pair avec des
marges de manœuvres, des responsabilités
importantes pour le travailleur. Mais sur le long
terme, les conditions de travail ou mutations
techniques peuvent créer une usure physique
ressentie en rapport avec l’âge et l’état de santé.
A l’usure physique s’ajoute une usure
morale, quand les conditions de travail sont
jugées stressantes, voire angoissantes et donc
difficiles à supporter pour le salarié. Cette usure
peut provenir d’une charge émotionnelle trop forte
au travail, un risque que nous retrouvons
notamment chez les personnes travaillant au
contact du public. Dans ces situations, les formes
d’organisation sont parfois caractérisées par une
faible autonomie et peu de soutien ou de
reconnaissance du travail réalisé de la part des
collègues et employeurs. De plus, 9 personnes
déclarent avoir subi un harcèlement moral, parfois
sexuel, et 10 enquêtés expriment le sentiment
d’être jugés et stigmatisés par leur âge au travail,
ce qui peut ouvrir la voie à la marginalisation de
ces salariés dans l’entreprise. Nous remarquons
également que ceux qui ont davantage
d’ancienneté perçoivent plus facilement une
dégradation de leurs conditions de travail, en
lien avec une transformation de l’organisation.
Ce sont principalement les changements de
direction, d’horaires, de cadence à tenir,
d’ambiance au travail, ou concernant l’arrivée des
nouvelles technologies, qui sont critiqués.
B) Travailler coûte que coûte : une santé
négociée
L’analyse des entretiens révèle chez
certains ouvriers et employés, un déni des risques
des conditions de travail sur la santé. Ils continuent
à travailler en repoussant leurs limites, quitte à
différer les alertes lancées par le corps usé
1
. Au
contraire, quand les salariés prennent conscience
de l’usure physique ou morale, commence pour
eux une démarche de reconnaissance de la
souffrance ressentie, auprès des collègues et de
l’employeur qui est peu prise en compte. De plus,
toujours en quête de guérison - ou au moins
d’atténuation de la douleur ressentie - les individus
vont se tourner vers le monde médical afin de
calmer les douleurs et continuer à travailler. Plus
la douleur s’intensifie, plus elle justifie les
parcours de soins (rendez-vous médicaux,
opérations, etc.). Ce qui peut entrainer des arrêts
maladie de courte durée comme c’est le cas pour
18 des enquêtés.
C) Une souffrance au travail parfois associée à
des évènements personnels douloureux
Les conditions de travail pouvant impacter
la santé des travailleurs doivent également être
mises en rapport avec des évènements de la vie
privée qui font sens pour les individus. En effet, la
vie privée a une influence sur le rapport au
travail, et inversement. Le parcours professionnel
en lui-même peut être influencé pour ceux qui
décident d’arrêter leur activité professionnelle pour
des raisons familiales. Cette pause dans le parcours
professionnel est suivie d’une période de recherche
d’emploi qui se révèle difficile notamment pour
celui qui doit justifier de son âge ou de son
expérience perçus comme trop coûteux, ce qui peut
1
Comme la également montré Anne Françoise Molinié,
« Les salariés quinquagénaires, entre fragilisation et
protection », Retraite et société, 2006/3 no 49, p. 11-37.
Synthèse de l'étude sociologique sur les fins de carrières professionnelles fragilisées
Une analyse des trajectoires de vie de personnes de 55 ans et plus ayant connu un ar t maladie de plus de trois mois
entraîner une disqualification professionnelle. Les
salariés peuvent également être confrontés à
certains évènements douloureux dans la vie privée,
comme le décès d’un proche ou une procédure de
divorce. Autant d’épreuves personnelles que les
individus doivent affronter, qui viennent
s’ajouter au mal être vécu au travail, pouvant ainsi
entrainer l'arrêt maladie.
D) Différentes pathologies identifiées.
Sur les 48 entretiens nous avons rencontré
15 personnes qui souffraient de dépression, suite à
un burn out, ou ayant souffert de harcèlement au
travail. Parmi elles, une majorité de femmes (11)
dont la moitié travaillent dans le service direct aux
particuliers, des postes que nous pouvons
considérer comme étant sujets au stress. D’autre
part, 7 personnes ont pris un arrêt maladie car elles
souffraient de problèmes articulaires, 7 suite à une
hernie discale.
En ce qui concerne les maladies
professionnelles
2
, 14 des 48 enquêtés ont bénéficié
de cette reconnaissance de statut. Sur les 34 autres
personnes en maladie non professionnelle, 21
enquêtés déclarent que le travail est à l'origine de
leur arrêt maladie, ou du moins qu'il a eu un impact
sur leur santé. Pour 13 personnes, aucun lien n’a
été observé entre santé et travail. Ainsi la nature
de l'arrêt maladie est reconnue médicalement,
mais elle n'est pas toujours légitimement
associée à l’activité professionnelle et aux
conséquences quelle peut avoir sur la santé,
pour autant, le vécu professionnel de certaines
personnes les amène parfois à le penser.
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A) Une épreuve vécue différemment
L'arrêt maladie représente une épreuve pour les
personnes rencontrées, il est une rupture, une
transition dans la trajectoire des enquêtés. La
notion d’épreuve
3
peut être définie comme un
défi, une expérience individuelle, d'origine
sociale, éprouvée subjectivement et qui permet
d'éclairer la capacité d'agir de chacun face à une
situation donnée. D’après les entretiens réalisés, il
apparaît une diversité de configurations dans la
manière de faire face aux multiples dimensions de
l'épreuve que représente l'arrêt maladie. Les
individus mobilisent des supports qui leur
permettent de faire face à celle-ci. C’est en
2
Rappelons qu'une maladie peut être reconnue comme
maladie professionnelle si elle figure sur l'un des tableaux
annexés au Code de la Sécurité Sociale.
3
Martuccelli D., La Société singulariste, Paris, Éditions
Armand Colin, coll. individu et société, 2010.
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Université de Lille 3, Master 2 Sociologie « Stratégies de Développement Social, 2012-2013
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fonction du degré de mobilisation de ces supports
que les individus arrivent ou non à faire face à cette
épreuve.
Quatre types de supports ont ainsi pu être
distingués :
- Les supports matériels qui représentent la
dimension économique de l’arrêt (ressources
financières, le capital économique d’origine, le fait
qu’elles aient ou non des assurances/des mutuelles)
- Les supports sociaux qui sont l’ensemble des
relations sociales.
- Les supports culturels correspondant
principalement aux connaissances intellectuelles et
culturelles, aux diplômes et savoir-faire.
- Les supports internes qui sont les ressources
subjectives comme la réflexivité, les qualités
morales telles que le courage ou la ténacité.
La maladie, une épreuve en soi
Etre en arrêt maladie c’est avant tout être
malade. Cela constitue une épreuve pour les
personnes impliquant des changements corporels,
une modification du quotidien et des rythmes de
vie, etc.
La perte du statut de travailleur
L’arrêt de travail ponctuel voire définitif
engendré par la mise en arrêt maladie va également
être vécu de différentes manières. Pour certains,
cette perte d'emploi sera ressentie comme une
« mort sociale » qui met la vie en « suspens ».
Pour d'autres, l’arrêt sera vécu plus ou moins bien,
voire pour quelques-uns comme un arrêt
« libérateur ». Cela dépend d’une part, de la
capacité des personnes à trouver des activités de
substitution, d’autres supports sociaux et culturels.
D’autre part, cela dépend du rapport que la
personne a avec son emploi
4
. Il s’agit aussi pour les
enquêtés de maintenir une estime de soi malgré la
perte de ce support travail
5
.
Un quotidien bouleversé
L’arrêt maladie engendre tout d’abord une
diminution plus ou moins forte des ressources
financières. Cette conséquence est vécue
différemment selon les supports de chacun : fait
d’avoir ou non un conjoint avec un salaire pouvant
pallier cette perte de revenus et éviter une situation
de précarité, fait d’avoir des assurances/mutuelles,
être propriétaire ou non. Dans un même ordre
d’idées, les personnes vont faire face de différentes
manières au bouleversement du quotidien selon les
supports mobilisés : les supports sociaux vont
permettre d’éviter l’isolement social de la
personne, l’entourage va amener une aide dans la
vie quotidienne, la personne peut mobiliser des
ressources culturels sur le territoire en allant par
exemple informer dans un centre social.
B) Un rapport disparate aux institutions et
dispositifs
La gestion de la paperasse administrative
Il existe une multitude de dispositifs et de
procédures auxquels peuvent être confrontés
les individus à la suite de la mise en arrêt
maladie. Parfois, ces démarches peuvent être
difficiles pour certains ; cela va dépendre des
4
Implication forte ou non, réalisation de soi, identité
professionnelle etc.
5
Valorisation de la vie professionnelle antérieure, bilan
réflexif sur ce qu’ils ont accompli hormis le travail, ou
encore comparaison de sa situation à autrui.
Synthèse de l'étude sociologique sur les fins de carrières professionnelles fragilisées
Une analyse des trajectoires de vie de personnes de 55 ans et plus ayant connu un ar t maladie de plus de trois mois
supports précédemment cités que chacun peut
ou non mobiliser : conjoint présent pour gérer
les papiers, voisins mobilisés pour aller les
déposer, aide d’un professionnel, possession
d’un ordinateur pour accéder au site de
l’Assurance maladie etc. Ainsi, des personnes
vont parvenir à faire valoir leurs droits avec
facilité alors que d’autres seront submergées
par leur situation, amenant alors à des cas de
non-recours aux dispositifs.
Une accessibilité inégale aux services
Il est apparu que l’accès aux services est
disparate pour les personnes en arrêt maladie
selon les territoires. La prise de contact avec
les différentes institutions s’avère compliquée
pour plusieurs d’entres-elles : délai d’attente
téléphonique, absence de permanence, circuits
de prises de rendez-vous qui s’avèrent devenir
un « parcours du combattant » dans certains
cas, etc.
L’arbitrage des médecins
Nous avons pu constater que les personnes
rencontrées avaient des difficultés à différencier les
rôles respectifs de chaque decin. Certaines
représentations dominent : la neutralité du
médecin du travail pose question selon la plupart
des personnes rencontrées ; concernant le médecin
conseil, ces personnes ont globalement la sensation
d’être « suspendues » à sa décision, réelle source
d’inquiétude pour elles. Les relations entre les
différents médecins semblent, aux yeux de
nombreux assurés, trop peu développées.
Une typologie du rapport aux institutions a pu
être élaborée :
- Les « experts » sont ceux qui connaissent
les dispositifs. Ils sont en capacité de réagir
immédiatement à leur situation, et donc d’éviter de
basculer dans la précarité.
- Les « bricoleurs » sont des personnes qui
connaissent un minimum les dispositifs avant
l’arrêt maladie. Ils accumulent des connaissances à
ce sujet au fil de leur arrêt. Certains deviennent
alors experts.
- Les « dépassés » ont peu de connaissances
des dispositifs, recherchent peu d’informations et
risquent donc de basculer dans la précarité.
- Les « dépendants » sont peu informés
concernant les démarches à accomplir, ils ne
cherchent pas d’information du fait de leur
méconnaissance, et s’appuient sur un tiers (famille,
voisins, professionnels). Elles rencontrent peu de
difficultés dans l’immédiat, et en cas de perte de
ces supports risquent de basculer dans la précarité.
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L'arrêt maladie est une étape marquante dans le
parcours professionnel des personnes rencontrées.
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