Mauvaise Nouvelle - Thomas d'Aquin et la logique d'Aristote
une troisième opération, raisonner, où la raison va du connu à la recherche de l'inconnu. Entre ces opérations,
néanmoins, la première est ordonnée à la seconde: car il ne peut y avoir composition et division, sinon
d'[essences] simples [déjà] saisies. La seconde, ensuite, est ordonnée à la troisième, car c'est d'une vérité connue,
à laquelle l'intelligence adhère, que l'on doit partir pour obtenir une certitude sur des [choses] inconnues.
#2. — Comme, par ailleurs, la Logique se dit science rationnelle, sa considération porte nécessairement sur ce qui
appartient aux trois opérations de la raison mentionnées. Pour ce qui est, donc, de ce qui appartient à la première
opération de l'intelligence, c'est-à-dire, pour ce qui est conçu par une intelligence simple, Aristote en traite au libre
des Attributions[3]. Pour ce qui est, ensuite, de ce qui appartient à la seconde opération, à savoir, pour ce qui est
de l'énonciation affirmative et négative, le Philosophe en traite au livre Sur l'interprétation. Pour ce qui est, ensuite,
de ce qui appartient à la troisième opération, il en traite au livre des Premiers [Analytiques] et dans les suivants, où
il s'agit du raisonnement tout court, puis des diverses espèces de raisonnements et d'arguments, moyennant
lesquels la raison va d'une [chose] à une autre. C'est pourquoi, en conformité avec l'ordre mentionné des trois
opérations, le livre des Attributions est ordonné au livre Sur l'interprétation, qui est ordonné au livre des Premiers
[Analytiques] et aux suivants. » (Traduction Yvan Pelletier, Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr,).
Il va de soi que la première opération désignée ici par intelligence des indivisibles indique l’induction progressive
des moyen-termes de nos raisonnements.
Il réitère cette exposition dans la Somme Théologique : « Dans la raison spéculative sont premièrement la
définition, deuxièmement l’énonciation, troisièmement le syllogisme ou l’argumentation » (Ia-IIae, qu. 90, a. 1, ad
2um).
Que ce mouvement inductif soit graduel, cela est manifeste dans ce passage :
« Puisque l’intellect humain passe de la puissance à l’acte, il ressemble pour une part à toutes les choses
soumises à la génération, qui n’atteignent pas d’un seul coup leur perfection, mais l’acquière par des actes
successifs. C’est d’une manière semblable que l’être humain ne possède pas d’un seul coup, dans sa première
appréhension[4], une connaissance parfaite de la chose. Mais d’abord il appréhende quelque chose d’elle, à savoir
la quiddité[5] de la chose elle-même, qui est l’objet propre et premier de l’intellect ; ensuite il comprend des
propriétés, des accidents et des rapports divers qui entourent l’essence de la chose. Pour cela il est nécessaire
qu’il compose ou qu’il divise[6] un concept avec un autre ; et qu’il passe d’une composition ou d’une division à une
autre, ce qui est raisonner[7]. » Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia, qu. 85, a. 5, c.
La définition est ainsi ordonnée à l’interprétation qui est ordonnée à l’argumentation. En effet, sans interprétation, il
n’y a pas de problématique. Et il n’y a pas non plus d’interprétation sans définition préalable puisqu’alors on ne
saurait pas de quoi on parle et par conséquent on ne pourrait pas établir les enjeux.
On comprend qu’il faut aller aux causes ultimes et savoir ce qu’est cette première opération de la raison. Cette
opération de définition est bien le point de départ de toute réflexion humaine.
Dans son Commentaire de la Physique d’Aristote, Thomas expose les éléments de ce mode commun de définir
(Livre I : n° 1 à 8).
1° Pour définir, l’homme va naturellement du plus connu au moins connu. Autrement dit du moins connaissable en
soi au plus connaissable en soi. « Il nous est inné que dans la connaissance nous procédions en partant des
choses qui nous sont les plus connues pour aller vers celles qui sont connaissables en soi ».
2° Or, les réalités qui sont premièrement connues de nous sont sensibles : connaissables par les cinq sens. On va
donc du sensible à l’intelligible[8]. Le point de départ de la connaissance humaine, de toute science valable, c’est
de partir des choses sensibles : on va en effet naturellement du singulier à l’universel.
3° Pour intelliger les choses extérieures, on va du commun à la différence (ou au propre).
4° Dans ce processus, on va du confus au distinct.
Pour résumer, l’opération de définition, première des opérations intellectuelles, consiste à :