NOUVELLES médecine/sciences 1996 ; 12 : 197-8 La parthénogenèse dans l’espèce humaine La parthénogenèse, moyen de reproduction asexuée, n’existe chez les mammifères que comme accident de reproduction. Le phénomène d’empreinte parentale (m/s n°1, vol. 8, p. 65) nécessite en effet la présence d’un double héritage, paternel et maternel, certains allèles ne s’exprimant que s’ils proviennent du père, d’autres de la mère, dans les deux cas le deuxième allèle étant réprimé (m/s n°10, vol. 11, p. 1483). Ce processus épigénétique est valable pour l’ensemble des mammifères mais, dans certaines lignées de souris, la fusion d’un embryon normal et d’un embryon parthénogénétique [1] permet le développement de sujets viables. Leur phénotype est caractéristique et les cellules parthénogénétiques sont distribuées préférentiellement dans les tissus neurectodermiques [2]. Or, c’est une première, il semble qu’une chimère parthénogénétique humaine ait pu être authentifiée grâce aux analyses moléculaires [3]. L’observation est la suivante : un enfant de sexe masculin, sans anomalie des organes génitaux, fait l’objet d’une étude cytogénétique (sur lymphocytes du sang circulant) durant la période néonatale en raison d’une micromélie hémifaciale gauche. Dans les asymétries corporelles, des mosaïques sont en effet assez fréquemment observées. Mais on a la surprise de constater ici, non pas une mosaïque, mais un caryotype féminin normal, 46,XX, homogène. Pour expliquer cette apparente inversion sexuelle, des marqueurs de l’Y et de l’X sont utilisés afin d’analyser le plus grand nombre de cellules et de tissus différents. Aucun marqueur de l’Y n’est retrouvé dans les cellules sanguines en hybridation in situ. En revanche, le caryotype est 46,XY dans toutes les métaphases des fibroblastes en culture (à partir d’une biopsie m/s n° 2, vol. 12, février 96 cutanée). L’hypothèse d’une mosaïque 46,XY/46,XX est alors envisagée. Mais l’étude des marqueurs de l’X par PCR dans les cel- lules sanguines montre une isodisomie maternelle : l’enfant est homozygote pour 62 loci. L’analyse est poursuivie avec des marqueurs Figure 1. Mécanismes proposés pour le développement embryonnaire précoce du malade présenté. A : activation spontanée, fécondation d’un seul blastomère, le blastomère parthénogénétique subit une diploïdisation par non-clivage du cytoplasme. B : le deuxième globule polaire permet la formation d’une cellule diploïde gynogénétique et l’autre blastomère est fécondé. C : l’activation est suivie d’un clivage immédiat, un seul blastomère haploïde est fécondé et l’autre devient diploïde par non-clivage du cytoplasme. (D’après [4].) 197 autosomiques. Dans le sang, avec au moins un marqueur informatif par paire de chromosomes, une isodisomie maternelle est retrouvée pour les 22 paires d’autosomes. Ces cellules sont donc parthéno ou gynogénétiques. Dans les fibroblastes, 46,XY, le double héritage normal, paternel et maternel, est retrouvé. Pourtant l’analyse moléculaire de ces cellules révèle un fait surprenant : l’héritage maternel des fibroblastes est absolument identique à celui des cellules sanguines. Biologiquement, il est donc difficile de dire si l’enfant est une chimère (mélange de populations cellulaires différentes uniquement dans les cellules sanguines)ou une mosaïque (mélange de populations cellulaires différentes dans tous les tissus de l’organisme). Mais, cliniquement, on sait que les chimères sanguines n’ont pas de retentissement sur le phénotype des individus. Or ce garçon, suivi régulièrement depuis sa naissance jusqu’à l’âge de trois ans, a une petite taille, une micromélie hémifaciale gauche associée à une luette bifide et à une fente palatine sousmuqueuse. L’enfant est gaucher et présente un discret retard mental. L’ensemble de ces anomalies est 198 donc plutôt en faveur d’une mosaïque avec distribution inégale des cellules parthénogénétiques et troubles de la latéralisation. Le mécanisme proposé par les auteurs pour expliquer la juxtaposition des deux populations cellulaires, l’une normale, l’autre parthénogénétique, est le suivant (figure 1A) : une activation spontanée de l’ovocyte aurait été suivie de la pénétration d’un spermatozoïde. La première division mitotique se serait effectuée avec une cellule parthénogénétique haploïde et une cellule normale possédant le lot paternel et le lot maternel, obligatoirement identique à celui de la cellule parthénogénétique. Ensuite, un non-clivage du cytoplasme aurait permis à la lignée parthénogénétique de devenir diploïde. Les autres mécanismes possibles : (1) échec de la deuxième division méiotique ou réintégration du deuxième globule polaire dans la lignée parthénogénétique ou (2) activation et clivage immédiat impliqueraient la présence, partielle du moins, de deux allèles maternels (figure 1B, C). Il est toutefois très surprenant de ne trouver la lignée parthénogénétique que dans les cellules sanguines. Dans les tissus chimériques de souris, une pression de sélection élimine les cellules parthénogénétiques dans certains tissus, en particulier justement dans les cellules hématopoïétiques qui se multiplient activement. Ce cas unique, quoique fort bien étudié, laisse un peu sceptique. Il aura cependant le mérite de faire désormais penser à cette éventualité. Seuls, les tératomes ovariens étaient connus pour être d’origine parthénogénétique. Si d’autres cas analogues sont découverts, nous devrons tenir compte de ce nouveau type d’accident de procréation, non retenu jusqu’à présent en pathologie humaine. S.G. 1. Stevens LC, Varnum DS, Eicher EM. Viable chimaeras produced from normal and parthenogenetic mouse embryos. Nature 1977 ; 269 : 515-7. 2. Nagy A, Sass M, Markkula M. Systematic nonuniform distribution of parthenogenetic cells in adult mouse chimaeras. Development 1989 ; 106 : 321-4. 3. Strain L, Warner JP, Johnston T, Bonthron DT. A human parthenogenetic chimaera. Nature Genet 1995 ; 11 : 164-9. 4. Surani MA. Parthenogenesis in man. Nature Genet 1995 ; 11 : 111-3.