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Marcel Pagnol, une œuvre vivante
Introduction
Trouver un sujet de mémoire n’a pas été chose facile, car c’est s’engager sur une voie de
recherche et d’études qui est censée occuper notre esprit durant toute une année. C’est donc un
choix important, et intéressant qui a été la première étape de ma recherche.
Plusieurs réflexions ont parcouru mon esprit au départ. Dois-je choisir un sujet dont la
recherche est ce qui m’attire, ou un sujet qui me passionne, avant de savoir « quoi y chercher » ?
C’est la deuxième solution qui s’est rapidement imposée. En effet, j'ai toujours eu l’envie de
travailler sur Marcel Pagnol. Cet auteur –mais aussi cinéaste, essayiste, etc.- a toujours occupé dans
ma vie une place prépondérante. D’aucuns expliquent que c’est notre enfance qui nous construit,
c’est sans doute pour cela que j’aime l’œuvre de Marcel Pagnol, puisque je l’ai rencontré étant
enfant. À l’époque, je marchais dans les « collines de Pagnol » à la rencontre des lieux de tournage
de ses films avec mon oncle ou je lisais La Gloire de mon père dans l’édition originale aux feuilles
jaunes déchirées que mon grand-père m’avait prêtée. J’ai depuis beaucoup lu, et beaucoup vu. Mon
choix était donc fait dans ce sens là : trouver un sujet de recherche touchant à l’œuvre de Marcel
Pagnol.
Plusieurs événements ont éveillé l'esprit de Marcel Pagnol depuis l’année dernière. En effet,
a eu lieu la première représentation de l’opéra Marius et Fanny de Vladimir Cosma en 2007 à
l'Opéra de Marseille, en novembre 2008 la captation en direct de la pièce Fanny jouée par la
Comédie Française et diffusée à une heure de grande écoute sur une chaîne très regardée, et en avril
2009 a eu lieu la première de César, Fanny, Marius, pièce mise en scène par Francis Huster au
Théâtre Antoine, ces trois œuvres étant adaptées de la « Trilogie Marseillaise » de Pagnol. Il est
intéressant de remarquer que les textes qui constituent cette « Trilogie », à savoir Marius, Fanny et
César sont assez connus du grand public, et l'évocation de leurs noms suffit à rassembler des
spectateurs ou téléspectateurs. Cependant, peu nombreux sont ceux qui connaissent l'existence d’un
scénario de Marcel Pagnol, intitulé Le Premier Amour, à l’origine d’un film qui ne sera jamais
tourné, malgré plusieurs projets lancés. Il est édité aux Éditions de Fallois, dans la collection
« Fortunio », une collection de poche qui édite exclusivement des œuvres de Marcel Pagnol. Cette
collection a subit une transformation en 2004 puisque c’est l’illustrateur Sempé qui dessine les
couvertures depuis cette date. Cependant, Le Premier Amour présente encore une couverture
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« ancienne version », datant de 2003, preuve qu’il n’y a pas eu de réédition. De plus, son sujet est
assez atypique quand on connaît les thèmes privilégiés de Marcel Pagnol, puisque l’action se
déroule dans une époque préhistorique, l’on assiste à la naissance du premier amour, et au
domptage du feu par les Hommes. Autant de caractéristiques qui font de ce scénario une œuvre très
peu connue, excepté pour les aficionados de l’écrivain.
Ces remarques font apparaître des questions intéressantes de « représentation » des œuvres de
Marcel Pagnol en librairie, de lectorat, de public, d’édition, etc.
En juin 2008 sort aux Éditions Privé et Éditions de la Treille : Marcel PAGNOL, Carnets de
cinéma. Textes présentés par Nicolas Pagnol. Cet ouvrage présenté comme « le dernier tome de
l’autobiographie [de] Marcel Pagnol » est un recueil de textes inédits retrouvés par Nicolas Pagnol,
dans lesquels Marcel Pagnol raconte son cinéma, ses tournages, sa vision du cinéma et son travail
pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ce texte est extrêmement intéressant et visionnaire quant à
l’emprise du cinéma américain sur nos salles par exemple. Toutefois, ces Carnets de cinéma étaient
présents en peu d'exemplaires dans les librairies. Cependant, on trouve les autres œuvres de Marcel
Pagnol, telles ses Souvenirs d’Enfance, en nombre. Apparaît alors clairement des différences, tant
dans l’édition que dans le lectorat visé et/ou recherché.
Il semble donc pertinent de travailler sur l’œuvre de Marcel Pagnol, sa vie, son public
aujourd’hui. Nous préférerons le terme de « vie » et pas seulement d’édition, car il est intéressant de
se pencher aussi sur les nouvelles représentations théâtrales, les adaptations des œuvres en téléfilms,
en opéra, l’édition de nouveaux DVDs, etc. De la même façon que nous préférerons le terme
« public » au terme « lectorat » puisqu’il n’est pas seulement question de lecture.
Dans cette optique, il serait judicieux d'observer et de réfléchir sur les différents supports de
l'œuvre de Marcel Pagnol, sur les représentations visuelles –cinématographiques, théâtrales,
télévisuelles-, en vue d’établir une problématique. De même, interroger les libraires afin de
connaître les ventes, les stocks ou la représentation des œuvres de Pagnol s'inscrit dans la même
démarche. Il est finalement intéressant de remarquer que la « vie » d’une œuvre pose elle-même les
questions sur lesquelles nous nous pencherons, et que, peu importe les réponses que nous y
apporterons, cette œuvre importante continuera de vivre et de se renouveler. La problématique
permet d’avoir un travail de réflexion sur les œuvres et leurs formes.
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En effet, la question qui servira de fil rouge à la recherche et aux réflexions est la suivante :
comment l'œuvre de Marcel Pagnol se renouvelle-t-elle sans cesse, et pour quel public ?
Pour pouvoir y répondre, et après s'être penché sur les œuvres de Pagnol et leur réception lors de
leur création et de leur édition -puisqu'il s'agit de littérature, de théâtre et de cinéma-, nous nous
pencherons sur l'édition de Pagnol aujourd'hui qui fonctionne entre rééditions et créations, tant en
littérature, sur les écrans -grands ou petits-, que sur scène. Enfin, nous tenterons de nous interroger
sur le public d'aujourd'hui après l'observation en librairie de certains ouvrages représentatifs de
l'œuvre de l'auteur.
Ainsi, les différentes biographies consacrées à Marcel Pagnol seront utiles pour cerner
l'impact de son œuvre aux moments de sa création, de même que les textes et films eux-mêmes. Les
différentes éditions seront judicieuses à observer afin de s'interroger sur leur « vie ».
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Les œuvres de Marcel Pagnol et leur réception lors de leurs créations
Si Marcel Pagnol est connu pour son amour de la Provence, il ne faut en aucun cas occulter
le fait que sans une « délocalisation » à Paris, ce jeune homme séduisant à l'accent méridional serait
sans doute resté anonyme. C'est d'ailleurs une théorie qu'il aimait raconter en souriant, évoquant les
« radiations telluriques » :
La masse en fusion, explique-t-il, qui occupe le centre de notre planète émet des radiations
qui passent à travers la croûte terrestre et pénètrent jusqu'au plus profond de chacun de nous,
influençant l'évolution et le comportement de chaque cellule de notre corps. […] Paris, on le sait, est
bâti sur des couches de sable à travers lesquelles ces radiations passent avec force terrible. Et si tu
viens à Paris et que tu aies en toi un peu de génie, grâce à ces radiations telluriques tu vas pouvoir
l'exprimer comme nulle autre part ailleurs.
Tu es un petit juif d'Ukraine qui a quelques dons pour la peinture, tu viens à Paris et tu
deviens Chagall. Tu es pianiste doué à Varsovie. Tu viens à Paris et tu deviens Chopin.1
Et l'on pourrait continuer : tu es Pagnol Marcel, un aubagnais fils d'instituteur qui aime la littérature
et le théâtre; à Paris tu deviendras Marcel Pagnol2. Il n'est pas inintéressant de noter que ce destin
prestigieux n'est pas si évident qu'il n'y paraît. En effet, alors que le jeune Marcel aimait écrire des
poèmes et des nouvelles, son talent littéraire d'écrivain ne se révélera qu'à la fin de sa carrière et de
sa vie, et c'est pour un art qu'il ne connaît pas encore lorsqu'il « monte » à la capitale qu'il va se
passionner et dans lequel il va exceller : le cinéma. Mais alors pourquoi quitter Marseille pour Paris
en 1922 ? Marcel Pagnol, veut y écrire pour le théâtre et s'y faire jouer, encouragé par son complice
d'alors, Paul Nivoix avec qui il signe ses premières pièces de théâtre.
I) Le théâtre
Un soir de 1920, à Marseille, Marcel Pagnol lit à ses amis sa première pièce de théâtre,
Catulle, drame en vers en quatre actes qui ne sera jamais joué. Parmi les présents, un jeune
journaliste passionné de théâtre : Paul Nivoix. Cette rencontre marque le début de leur courte
collaboration. En effet, les deux amis écriront trois pièces ensemble. Ils sont jeunes et ont bien
1. CASTANS, Raymond, Marcel Pagnol, Le Livre de Poche, 1988, p.116-117. Voir aussi du même auteur : Marcel
Pagnol m'a raconté, Collection Folio (n°793), Gallimard, Paris, 1976, « Les radiations telluriques », p.181-184.
2. Cf. le titre de l'ouvrage de Jean-Baptiste LUPPI : De Pagnol Marcel à Marcel Pagnol, Éditions Paul Tacussel,
Marseille, 1995.
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compris que la reconnaissance littéraire, le succès et l'argent sont trois caractéristiques que le théâtre
peut apporter, pour peu qu'on sache jouer de la plume, à une époque la télévision et le cinéma
n'existent pas encore dans le cœur du public. En ce début du vingtième siècle, Paris est la ville du
théâtre se disputent deux écoles, celle du théâtre de boulevard, amusant, un divertissement
souvent d'actualité les « mots d'auteur » sont légions, et celle du théâtre symboliste, privilégiant
le texte, héritier du théâtre d'art. Ce théâtre d'art s'était manifesté par le biais de la création du
Théâtre du Vieux Colombier en 1913, et l'on pouvait lire alors sur les affiches un appel « à la
jeunesse » et « au public lettré » pour « réagir contre toutes les lâchetés du théâtre mercantile et
pour défendre les plus libres, les plus sincères manifestations d'un art dramatique nouveau ».3 De
plus, à cette époque André Antoine a définitivement marqué de son empreinte le monde du théâtre,
en imposant le naturalisme, appelé aussi réalisme, sur la scène dès les débuts de son Théâtre Libre
en 1887.
La première pièce du duo Pagnol-Nivoix, c'est une pièce de boulevard : Tonton, ou Joseph
veut rester pur, vaudeville représenté le 30 août 1923 au Théâtre de Variétés à Marseille et qui ne se
jouera que quinze soirs, boudé par le public et méprisé par la presse. Mais le nom de Pagnol ne sera
pas associé à cet échec, puisqu'il l'a signé du pseudonyme de Castro. L'on peut imaginer aisément
les causes d'un tel « four » à travers la jeunesse et l'inexpérience de ses deux auteurs le
vaudeville demande de l'habileté et de la construction. De plus, c'est à Marseille que se joue la
pièce, et Marseille n'est pas Paris en matière de théâtre.
Après cet échec, les deux auteurs vont connaître un succès critique grâce à une pièce
satirique, à mi chemin entre le boulevard réaliste et le symbolisme de l'intrigue, genre dans lequel
va exceller Marcel Pagnol dès lors qu'il se séparera de Nivoix. En effet, le 15 avril 1925 a lieu au
Théâtre de La Madeleine à Paris la première de leur dernière pièce à deux mains : Les Marchands
de gloire, ou l'histoire d'un père de famille qui, endeuillé par la perte de son fils disparu à la guerre
et aidé par un affairiste sans scrupules, va gravir les échelons du monde politique grâce à
l'exploitation d'un patriotisme fondé sur la disparition de ce fils soldat. Mais à la fin de la pièce, le
fils qui était seulement amnésique et perdu rentre chez lui pour s'entendre dire que « la première
qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré »4, et pour finir par entrer dans le jeu de ces deux
hommes. Les Marchands de gloire est un succès, mais un succès qui ne dépasse pas la salle du
3. DEGAINE, André, Histoire du théâtre dessinée, Nizet, Saint Genouph, 1992, p.317.
4. PAGNOL, Marcel, NIVOIX, Paul, Les Marchands de Gloire, Acte Quatrième, Scène II, In PAGNOL, Marcel,
Œuvres Complètes I Théâtre, Éditions de Fallois, Paris, 1995, p.123.
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