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compris que la reconnaissance littéraire, le succès et l'argent sont trois caractéristiques que le théâtre
peut apporter, pour peu qu'on sache jouer de la plume, à une époque où la télévision et le cinéma
n'existent pas encore dans le cœur du public. En ce début du vingtième siècle, Paris est la ville du
théâtre où se disputent deux écoles, celle du théâtre de boulevard, amusant, un divertissement
souvent d'actualité où les « mots d'auteur » sont légions, et celle du théâtre symboliste, privilégiant
le texte, héritier du théâtre d'art. Ce théâtre d'art s'était manifesté par le biais de la création du
Théâtre du Vieux Colombier en 1913, et l'on pouvait lire alors sur les affiches un appel « à la
jeunesse » et « au public lettré » pour « réagir contre toutes les lâchetés du théâtre mercantile et
pour défendre les plus libres, les plus sincères manifestations d'un art dramatique nouveau ».3 De
plus, à cette époque André Antoine a définitivement marqué de son empreinte le monde du théâtre,
en imposant le naturalisme, appelé aussi réalisme, sur la scène dès les débuts de son Théâtre Libre
en 1887.
La première pièce du duo Pagnol-Nivoix, c'est une pièce de boulevard : Tonton, ou Joseph
veut rester pur, vaudeville représenté le 30 août 1923 au Théâtre de Variétés à Marseille et qui ne se
jouera que quinze soirs, boudé par le public et méprisé par la presse. Mais le nom de Pagnol ne sera
pas associé à cet échec, puisqu'il l'a signé du pseudonyme de Castro. L'on peut imaginer aisément
les causes d'un tel « four » à travers la jeunesse et l'inexpérience de ses deux auteurs là où le
vaudeville demande de l'habileté et de la construction. De plus, c'est à Marseille que se joue la
pièce, et Marseille n'est pas Paris en matière de théâtre.
Après cet échec, les deux auteurs vont connaître un succès critique grâce à une pièce
satirique, à mi chemin entre le boulevard réaliste et le symbolisme de l'intrigue, genre dans lequel
va exceller Marcel Pagnol dès lors qu'il se séparera de Nivoix. En effet, le 15 avril 1925 a lieu au
Théâtre de La Madeleine à Paris la première de leur dernière pièce à deux mains : Les Marchands
de gloire, ou l'histoire d'un père de famille qui, endeuillé par la perte de son fils disparu à la guerre
et aidé par un affairiste sans scrupules, va gravir les échelons du monde politique grâce à
l'exploitation d'un patriotisme fondé sur la disparition de ce fils soldat. Mais à la fin de la pièce, le
fils qui était seulement amnésique et perdu rentre chez lui pour s'entendre dire que « la première
qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré »4, et pour finir par entrer dans le jeu de ces deux
hommes. Les Marchands de gloire est un succès, mais un succès qui ne dépasse pas la salle du
3. DEGAINE, André, Histoire du théâtre dessinée, Nizet, Saint Genouph, 1992, p.317.
4. PAGNOL, Marcel, NIVOIX, Paul, Les Marchands de Gloire, Acte Quatrième, Scène II, In PAGNOL, Marcel,
Œuvres Complètes I Théâtre, Éditions de Fallois, Paris, 1995, p.123.