Dossier no 33687 COUR SUPRÊME DU CANADA (EN APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC) ENTRE : TOMMY BOUCHARD-LEBRUN APPELANT (accusé) - et - SA MAJESTÉ LA REINE INTIMÉE (poursuivante) MÉMOIRE DE L’INTIMÉE Me Véronique Robert-Blanchard Roy et Robert, avocats 11906, boul. de l’Acadie Montréal (Québec) H3M 2T7 Me Jean Campeau Centre communautaire juridique de l’Outaouais 136, rue Wright Gatineau (Québec) J8X 2G9 Tél. : 514 858-8111 Téléc. : 514 303-9689 [email protected] Tél. : 819 772-3084 Téléc. : 819 772-3105 [email protected] Procureur de l’appelant Correspondant de l’appelant Henri A. Lafortune Inc. Tél. : 450 442-4080 Téléc. : 450 442-2040 [email protected] 2005, rue Limoges Longueuil (Québec) J4G 1C4 www.halafortune.ca L-3436-11 -2- Me Guy Loisel Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec 382, avenue Saint-Jérôme Matane (Québec) G4W 3B3 Me Pierre DesRosiers Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec Bureau 1.230 17, rue Laurier Gatineau (Québec) J8X 4C1 Tél. : 418 562-3532 poste 67362 Téléc. : 418 560-8427 [email protected] Tél. : 819 776-8111 poste 60411 Téléc. : 819 772-6632 [email protected] Procureur de l’intimée Correspondant de l’intimée -iTABLE DES MATIÈRES MÉMOIRE DE L’INTIMÉE Page SOMMAIRE PARTIE I – ......................................... 1 EXPOSÉ CONCIS DES FAITS ......................................... 2 A) Les faits mis en preuve au procès ......................................... 2 B) La thèse des parties au litige ......................................... 7 C) Le jugement de la Cour du Québec ....................................... 10 D) L’arrêt de la Cour d’appel ....................................... 12 PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DE LA QUESTION EN LITIGE ....................................... 15 PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS ....................................... 16 Introduction ....................................... 16 A) L’absence de maladie mentale ....................................... 17 1) L’état du droit ....................................... 17 2) Applications jurisprudentiellles de la notion de maladie mentale ....................................... 21 Application au cas en l’espèce ....................................... 23 3.1 Le facteur de cause interne ....................................... 24 3) i) Le caractère mystique de l’appelant ii) Son éventuel personnalité » iii) « trouble de ....................................... 25 la Les problèmes de santé présents dans son hérédité ....................................... 25 ....................................... 26 - ii TABLE DES MATIÈRES MÉMOIRE DE L’INTIMÉE iv) v) B) Page Le manque de sommeil dans la semaine précédant le drame ....................................... 27 Les terreurs nocturnes vécues à l'âge de 11 ans ....................................... 27 3.2 Le facteur du risque subsistant ....................................... 27 3.3 Les facteurs d'ordre public ....................................... 27 L'article 33.1 C.cr. ....................................... 32 1) Le but de cette disposition ....................................... 32 2) Applications de l'article 33.1 C.cr. ....................................... 33 PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS ....................................... 36 PARTIE V ....................................... 37 – ORDONNANCES DEMANDÉES PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES ........................................ 38 -1Mémoire de l’intimée Sommaire MÉMOIRE DE L’INTIMÉE SOMMAIRE [1] Selon l'intimée, bien que les témoins experts aient qualifié de psychose au plan médical l'état dans lequel était l'appelant lorsqu'il a commis les infractions alléguées, il n'était pas alors atteint d'une maladie mentale au sens juridique de ce terme suivant l'article 16 C.c.r donnant ouverture à un verdict de nonresponsabilité criminelle. [2] De plus, même si cet état pouvait justifier son acquittement pour l'infraction spécifique d'introduction par effraction, il n'était pas opposable à l'infraction d'intention générale de voies de fait puisqu'il résulte d'une intoxication volontaire et que l'article 33.1 C.cr. rend cette défense irrecevable. ---------- -2Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DES FAITS [3] L'examen de la question en litige requiert de donner une narration des faits et de la preuve plus exhaustive que celle reproduite au mémoire de l'appelant. A) Les faits mis en preuve au procès [4] L'appelant et son ami Yohann Schmouth se connaissaient depuis déjà quelques années au moment des évÉnements. Ils sont tous deux originaires de la région d'Amqui. [5] La preuve révèle que l'appelant avait déjà non seulement consommé plusieurs drogues dont des drogues chimiques1 mais qu'il avait également expérimenté les effets personnels de celles-ci. De plus, il avait observé à maintes occasions les effets de l'absorption de telles substances sur son ami Schmouth qui en était un grand consommateur. [6] En effet, il l'avait d'ailleurs vu particulièrement agressif, paranoïaque, parlant de démons, dans un autre monde sous l'effet de ces drogues alors qu'il lui rendait visite à Québec en 20042. [7] Il avait été convenu que Schmouth irait séjourner chez l'appelant qui demeurait à Rivière-du-Loup où il étudiait en charpenterie-menuiserie3. Ainsi, une semaine avant les événements, soit dimanche le 16 octobre 2005 au soir, l'appelant et 1 2 3 Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, dossier de l’appelant, ci-après D.A., vol. IV, p. 616 et vol. V, p. 696 à 698. Id., vol. IV, p. 597 à 602. Id., vol. IV, p. 615 et vol. V, p. 672. -3Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits Yohann Schmouth se sont rendus à Rivière-du-Loup à bord d'un véhicule conduit par Nicolas Moreau4. [8] L'appelant est allé normalement à ses cours de 8 h 00 à 16 h 00 du lundi 17 octobre au vendredi 18 octobre à l'exception du mercredi après-midi5. Il a vu l'état de Schmouth se détériorer au cours de la semaine. Selon l'appelant, Schmouth a pris des méthamphétamines et il s'est mis à « capoter sur le démon ». Il a vu Yohann Schmouth enlever son chandail, se mettre devant un miroir les bras dans les airs et réciter des choses en latin6. [9] Plus tard au cours de cette semaine à Rivière-du-Loup, l'appelant et Yohann Schmouth ont consommé ensemble des stupéfiants7. Yohann Schmouth affirme qu'ils ont pris des méthamphétamines et du cannabis. L'appelant pour sa part admet avoir consommé la moitié d'une pilule de speed (méthamphétamine) dans le but de se relaxer8 et peut-être du cannabis9. [10] La mère de l'appelant a téléphoné à ce dernier le jeudi 20 octobre après l'école, vers l'heure du souper. Il lui a dit qu'il n'a pas trouvé de « lift ». Qu'ils allaient peut-être « descendre sur le pouce ». Lorsque sa mère lui a demandé comment il allait, ce dernier lui a répondu qu'il avait un peu de mal à se concentrer à l'école et qu'il lui conterait des « affaires »10. [11] La prochaine conversation entre l'appelant et sa mère a eu lieu le dimanche 23 octobre vers l’heure du midi. L’appelant a alors annoncé à sa mère qu’il désirait abandonner l’école, qu’il y avait un déluge à Rivière-du-Loup, qu’il devait 4 5 6 7 8 9 10 Id., vol. IV, p. 607. Id., vol. IV, p. 611. Id., vol. IV, p. 611 et 612. Témoignage de Yohann Schmouth, D.A., vol. III, p. 347 à 353. Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, D.A., vol. IV, p. 613 à 616 et vol. V, p. 699700. Id., vol. V, p. 676. Témoignage de Diane Bouchard, D.A., vol. IV, p. 516 et 517. -4Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits quitter son appartement, que les mains d’une fille avaient brûlé sur le mur, qu’il y avait des signes dans le miroir, que des gens se promenaient dans l’appartement, que c’était l’apocalypse11. [12] L’appelant et Yohann Schmouth ont quitté Rivière-du-Loup ensemble par autobus le même jour. Il faisait encore jour12. Selon l’appelant, il voulait quitter Rivière-du-Loup parce qu’il y avait un tsunami qui s’en venait sur eux13. [13] Aux dires de Yohann Schmouth, l’appelant et lui-même étaient alors intoxiqués à la méthamphétamine14. [14] Le trajet d’autobus s’est terminé à Mont-Joli. Les deux comparses ont ensuite longuement marché avant de se faire prendre en auto-stop par monsieur Gilles Tremblay qui les a amenés à Amqui. Monsieur Tremblay connaissait l’appelant depuis longtemps. Il l’a vu grandir15. [15] Lorsqu’on demande à monsieur Tremblay comment se déroule la conversation avec l’appelant, ce dernier répond : « Quand j’y parle? Ah! Normalement. Moi je n’ai rien remarqué d’anormal à jaser avec Tommy. » Selon ce témoin, l’appelant était de « bonne humeur normale » et il ne s’est pas rendu compte si l’appelant était sous l’effet de quelque chose16. Monsieur Tremblay a pourtant passé environ un quart d’heure avec l’appelant17. L’appelant était poli comme à son habitude18. 11 12 13 14 15 16 17 18 Id., vol. IV, p. 518 à 522. Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, D.A., vol. IV, p. 631. Id., vol. IV, p. 630. Témoignage de Yohan Schmouth, D.A., vol. III, p. 352 et 353. Témoignage de Gilles Tremblay, D.A., vol. II, p. 237. Id., vol. II, p. 244. Id., vol. II, p. 242. Id., vol. II, p. 245. -5Mémoire de l’intimée [16] Exposé concis des faits Une fois arrivés à Amqui, selon Yohann Schmouth, l’appelant et lui ne sont presque plus sous l’effet de la drogue19. Ils ont donc acheté deux « poires bleues » qui étaient représentées être de l’ecstasy. Ils en ont pris chacun une20. Monsieur Schmouth a mentionné s’être également acheté une pilule de méthamphétamine qu’il a mise dans ses poches21. La description donnée par Yohann Schmouth de la poire bleue est qu’il s’agissait d’une pilule d’environ deux centimètres de haut par environ un centimètre et demi, deux centimètres d’épais22. [17] Monsieur Schmouth a estimé la consommation de drogue de l’appelant cette journée-là à environ dix méthamphétamines et trois ecstasy dont la poire bleue23. L’appelant pour sa part dit dans un premier temps qu’il n’a pas rencontré le vendeur de poires bleues24. Dans un deuxième temps, il affirme qu’il n’a « pas nécessairement le souvenir » de cette rencontre25. [18] Plutôt que de se rendre chez ses parents, l’appelant a voulu aller « donner une volée » à Dany Lévesque parce qu’il disait que ce dernier avait une croix à l’envers dans le cou26. Il a aussi été question d’une agression sexuelle que Dany Lévesque aurait commise de par le passé à l’égard d’une cousine de Yohann Schmouth27. [19] L’appelant et Schmouth sont entrés à l’intérieur de l’immeuble à appartements où demeurait Dany Lévesque. Ils y ont fait du grabuge. Dany Lévesque, le fils du 19 20 21 22 23 24 25 26 27 Témoignage de Yohann Schmouth, D.A., vol. III, p. 360 et 361. Id., vol. III, p. 356 et 357. Id., vol. III, p. 359 et 360. Id., vol. III, p. 369. Id., vol. III, p. 369. Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, D.A., vol. V, p. 644. Id., vol. V, p. 644. Témoignage de Yohann Schmouth, D.A., vol. III, p. 362. Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, D.A., vol. V, p. 711. -6Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits propriétaire des lieux, a voulu les expulser et l’appelant l’a mordu au thorax du côté gauche28. [20] Monsieur Roger Dumas, la victime, est allé aider Dany Lévesque. Alors que monsieur Dumas quittait la scène en descendant un escalier, il a été poussé par derrière par l’appelant. André Burdon, un autre locataire des lieux, qui était plus bas dans l’escalier, s’est ainsi retrouvé au sol avec Roger Dumas29. L’appelant a ensuite descendu l’escalier et a frappé Roger Dumas à la tête avec son pied. L’appelant portait aux pieds des bottes de travail avec les bouts en acier30. Le mouvement a été de haut en bas, comme pour écraser quelque chose31. [21] Pendant l’agression et avant de quitter les lieux, l’appelant a demandé aux gens s’ils croyaient en lui. Il a béni Burdon et Dumas. Il a parlé de Dieu et de l’apocalypse. Il a fait un signe de croix dans le front de Rita Bernatchez, la conjointe de Roger Dumas32. [22] L’appelant et Yohann Schmouth ont ensuite quitté les lieux. Les deux se sont retrouvés à l’extérieur. Ils se sont regardés. Ils ne disaient plus un mot. Ils étaient « comme traumatisés » de ce que l’appelant venait de faire. Le fait d’assister à l’agression a ramené du coup Yohann Schmouth de sa consommation de stupéfiants33. 28 29 30 31 32 33 Témoignage de Dany Lévesque, D.A., vol. II, p. 209. Témoignage d’André Burdon, D.A., vol. II, p. 151. Témoignage de Tommy Bouchard-Lebrun, D.A., vol. V, p. 733. Témoignage d’André Burdon, D.A., vol. II, p. 161. Id, vol. II, p. 149, 150, 168, 172, 178; Témoignage de Rita Bernatchez, D.A., vol. II, p. 125 et 126. Témoignage de Yohann Schmouth, D.A., vol. III, p. 374. -7Mémoire de l’intimée [23] Exposé concis des faits Yohann Schmouth est allé chez son père qui lui a dit d’attendre l’arrivée des policiers34. [24] Pour sa part, l’appelant s’est réveillé le lendemain matin dans le boisé St-Ursule, à Amqui. Il est ensuite allé voir son ami Jonathan Desrosiers-Pétrie vers 9 h 30 chez ce dernier35. [25] L’appelant était alors en état de panique36. Il a raconté à Jonathan DesrosiersPétrie que Yohann Schmouth voulait battre Dany Lévesque, alias Pee-Wee, qu’un individu était sorti pour les séparer et que l’appelant l’avait poussé en bas des marches37. Sans toutefois lui mentionner pourquoi il avait fait cela. B) La thèse des parties au litige [26] En première instance, l'appelant a prétendu, en se basant sur le témoignage du psychiatre Roger Turmel, qu’il devait bénéficier de l’article 16 du Code criminel puisqu’il se trouvait soit en psychose brève ou soit en psychose partagée (folie à deux, i.e. qu'il aurait alors été sous l'influence de Schmouth) au moment des événements. L'appelant a plaidé que son trouble mental n’était pas d’origine toxique. Cette approche était d'ailleurs conforme à sa version quant à sa consommation de stupéfiants. Dans ses représentations écrites, l'avocat de l'appelant a plaidé que : « Tommy Bouchard-Lebrun n'est pas et n'était pas un consommateur de drogues au moment des événements. », contrairement à ce que la preuve a révélé. 34 35 36 37 Id., vol. III, p. 374. Témoignage de Jonathan Desrosiers-Pétrie, D.A., vol. III, p. 267. Id., vol. III, p. 267. Témoignage de Jonathan Desrosiers-Pétrie, D.A., vol. III, p. 280. -8Mémoire de l’intimée [27] Exposé concis des faits Le ministère public a soutenu en contre-preuve, en faisant entendre le psychiatre Sylvain Faucher, qu’un diagnostic de trouble psychotique induit par une substance consommée volontairement devait être retenu. Le docteur Faucher est un psychiatre qui possède une vaste expérience et qui a témoigné souvent devant les tribunaux criminels38. Il témoigne cinq à dix fois par année à la Cour39. Ce psychiatre a en outre affirmé que si le diagnostic d’un trouble psychotique induit par une substance dans un contexte de consommation volontaire était retenu, il ne croyait pas que les critères de l’article 16 du Code criminel étaient rencontrés. [28] Il a motivé cette dernière opinion de par le fait que l’appelant connaissait les substances qu’il avait ingérées, les ayant déjà prises par le passé et aussi par le fait qu’il pouvait anticiper leurs conséquences néfastes sur son comportement en se basant simplement sur celles qu’il observait chez son ami. Parmi les autres arguments du docteur Faucher au soutien de la thèse de la psychose toxique, il y avait « l'atterrissage » rapide des symptômes psychotiques. Cela est habituellement observé lors d'une psychose toxique40. Ce psychiatre nous a appris que les psychoses toxiques sont très fréquentes et même de plus en plus fréquentes41. Elles sont en fait tellement fréquentes que dans sa pratique le docteur Faucher en voit au moins une toutes les semaines42. À titre d'exemple, dans son témoignage, il a rapporté qu'un individu qui prend un psychostimulant a treize pour cent (13%) de chances de développer un état psychotique et que si la substance ingérée est du PCP, la proportion monte à plus de cinquante pour cent (50%)43. Selon lui, par contre, la psychose brève est beaucoup plus rare. Il 38 39 40 41 42 43 Témoignage du docteur Sylvain Faucher, D.A., vol. VI, p. 972. Id., vol. VI, p. 919. Id., vol. VI, p. 954 à 957. Id., vol. VI, p. 965. Id., vol. VI, p. 967. Id., vol. VI, p. 965 et 966. -9Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits en a peut-être vu deux depuis le début de sa pratique en 199644 et que, pour un homme, le ratio est de .04 sur dix mille (10 000) habitants ou, si vous préférez, quatre (4) sur un million de personnes45. [29] Soulignons que l'intimée a invité le juge du procès à ne pas retenir l'opinion du docteur Turmel notamment pour les motifs suivants qui en compromettent la rigueur : (1) Il n'a pas été en mesure de dire à quelles dates précises il a rencontré l'appelant, ni même à combien de reprises; (2) Il n'avait jamais témoigné devant la Cour du Québec chambre criminelle, ni la Cour supérieure chambre criminelle; (3) Il n'a pas fait de tests d'urine ou sanguins pour appuyer son diagnostic. De tels tests auraient permis de découvrir des traces de certains types de stupéfiants (ex : dérivés de cannabis et PCP)46; (4) Les rencontres avec l'appelant n'étaient vraisemblablement pas assez poussées puisqu'il ignorait des faits importants. En effet, il ignorait que l'appelant avait quitté Rivière-du-Loup pour éviter un tsunami47. Bien qu'il avançait que l'état de psychose de l'appelant était attribuable à l'influence de Schmouth, il a avoué que l'appelant et lui-même n'ont pas parlé tant que ça de Schmouth, qu'il ne se rappelle pas qu'ils se soient étendus très longuement sur son sujet48. 44 45 46 47 48 Id., vol. VI, p. 967. Id., vol. VI, p. 965 et 973. Témoignage du docteur Sylvain Faucher, D.A., vol. VI, p. 945. Id., vol. VI, p. 869 et 870. Id., vol. V, p. 813. - 10 Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits (5) Il n'avait pas assisté au procès, ni lu les notes sténographiques. Il n'avait pas pris connaissance de ce que l'appelant avait dit sous serment devant le tribunal49. Il ne pouvait pas dire quelles déclarations il avait sous la main au moment de rédiger ses rapports sur l'aptitude à comparaître50 et la responsabilité criminelle51. Il ne pouvait non plus dire qui sont Gilles Tremblay, Rita Bernatchez, André Burdon, Dany Lévesque et Jonathan Desrosiers-Pétrie52. (6) De son propre aveu, il a basé son opinion sur les échanges verbaux qu'il a eus avec l'appelant53. [30] De plus, lors des représentations écrites, l'intimée a relevé de nombreuses contradictions dans le témoignage de l'appelant, particulièrement quant à sa consommation de stupéfiants. À titre d'exemple, l'appelant avait affirmé au docteur Turmel qu'il avait consommé la moitié d'une pilule de méthamphétamine alors qu'au docteur Faucher, il a plutôt dit qu'il avait consommé de l'alcool ou sinon tout au plus un peu de dérivés de cannabis. [31] Le ministère public a aussi soutenu qu’en vertu de l’article 33.1 du Code criminel, l’intoxication volontaire de l’accusé, dans les circonstances mises en preuve dans le présent dossier, ne constitue pas un moyen de défense quant à l’absence d’intention ou de volonté requise. C) Le jugement de la Cour du Québec [32] Le procès a eu lieu sans jury devant l'honorable Decoste, J.C.Q. qui a conclu qu'au moment où les gestes ont été posés, l'appelant était dans un état de 49 50 51 52 53 Id., vol. VI, p. 828. Id., vol. V, p. 781 et 782. Id., vol. VI, p. 829. Id., vol. VI, p. 830 et 831. Id., vol. VI, p. 829. - 11 Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits psychose sérieux. Compte tenu de cet état de fait ainsi que de la position des deux parties au procès, il a considéré que la détermination de la responsabilité pénale de l'appelant reposait sur la réponse à la question de savoir si l'état de l'accusé au moment des infractions découlait d'une consommation de drogue ou s’il émanait d'une maladie mentale occasionnelle, temporaire créée par l'influence d'un tiers sur l'accusé54. [33] Le juge a conclu que l'état de psychose dans lequel était l'appelant en posant les gestes délictueux originait de sa consommation de drogues dans les instants précédents. Cette décision résulte du fait que le juge Decoste n'a pas cru l'appelant dans son témoignage et que ce dernier n'a pas soulevé de doute dans l'esprit du tribunal sur cette question. Le juge de première instance a ajouté que tous les autres éléments de preuve militent pour la théorie contraire à celle de l'accusé, et qu'enfin l'opinion émise par le psychiatre Roger Turmel n'est pas retenue55. Le tribunal a expliqué que la faiblesse du diagnostic du psychiatre Turmel tient du fait que les seules informations lui servant de base prenaient origine exclusivement chez l'appelant qui, sur plusieurs détails, ne lui a pas fourni « l'heure juste ». Ce psychiatre aurait eu, selon le juge, intérêt à vérifier si la version de l'accusé coïncidait avec celle des autres acteurs de ce malheureux incident. [34] À l'opposé, le juge a retenu le diagnostic du docteur Faucher. Il a ainsi conclu que l'accusé était au moment des événements dans un degré « d'intoxication extrême » s'apparentant à l'automatisme équivalant au troisième degré d'intoxication décrit dans l'arrêt Daley56 de la Cour suprême. Cet état rendait l'appelant incapable de poser « volontairement » quelque geste délictuel au sens du premier juge. L'état mental de l'accusé a fait en sorte qu’il n'était pas 54 55 56 Jugement de la Cour du Québec, D.A., vol. I, p. 4. Id., vol. I, p. 19 et 20. R. c. Daley, [2007] 3 R.C.S. 523, R.S.A., vol. 1, onglet 3. - 12 Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits conscient de la portée de ses gestes. Ainsi, le juge a acquitté l'appelant des deux chefs d'accusation dans le dossier 120-01-003400-052, soit les chefs d'introduction par effraction et de tentative d'introduction par effraction. Quant aux chefs d'accusation de voies de fait graves et de voies de fait, le tribunal a décidé que l'article 33.1 du Code criminel obligeait l'imposition d'un verdict de culpabilité puisque tous les éléments de chacune des infractions ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. D) L'arrêt de la Cour d'appel [35] En appel, l'appelant change sa version. Il a alors cessé de nier que la psychose qu'il a développée résultait de sa consommation volontaire de drogues. Il a plutôt commencé à invoquer que cet état aurait dû entraîner l'application de la défense de troubles mentaux parce que, selon ses prétentions, il aurait établi que, lorsqu'il a commis les crimes dont il a été accusé, il était atteint d'un trouble mental qui l'empêchait de savoir que les actes posés étaient mauvais. L'appelant plaidait en appel que son état de psychose n'excluait pas la défense de nonresponsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux même si ces troubles résultaient d'une consommation volontaire de drogues. [36] La Cour d'appel a rendu un jugement étoffé sous la plume de l'honorable France Thibault. Elle a abordé les divers arguments de l'appelant dans le cadre de quatre thèmes. Tout d'abord, sous le thème « Les effets de la consommation de drogues », l'honorable Thibault a tranché : « La prémisse de l'argumentation de l'appelant, soit que l'état de psychose présenté à la suite de sa consommation de drogue était totalement imprévisible, ne repose sur aucune assise factuelle. Au contraire, la probabilité de développer un tel état a été prouvée par le témoignage du Dr Faucher, qui a déclaré que 50% des sujets qui consomment du PCP sont susceptibles de développer un état psychotique et que, dans les cas d'amphétamines, le taux est de 13%. - 13 Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits Je note que le volume de doctrine médicale cité par l'appelant et sur lequel il fonde son argument n'a pas été produit en première instance et que les extraits cités dans son mémoire n'ont pas été commentés par les psychiatres entendus, même si ces derniers ont référé à cet ouvrage pour soutenir leur témoignage sur l'existence ou non d'une psychose causée par l'influence d'une autre personne. Il me semble imprudent de se fonder sur cet ouvrage de doctrine médicale pour écarter le témoignage d'un expert entendu sur cette question précise. En l'espèce, la preuve a établi que l'appelant ne présentait pas une maladie mentale avant d'avoir consommé des drogues durant la nuit du 24 octobre 2005 et qu'une fois les effets de l'intoxication passés, il était tout à fait sain d'esprit. En fait, la preuve retenue par le juge de première instance démontre que l'état de psychose présenté par l'appelant a été induit par la prise de drogues et que cet état s'est résorbé complètement dans les jours qui ont suivi la commission des crimes. »57 (l’emphase et le soulignement sont nôtres) [37] Toujours au nom de la Cour, madame la juge Thibault a dans son deuxième thème brossé « L'historique jurisprudentiel de la définition d'intoxication ». Ensuite, elle a traité de « L'adoption de l'article 33.1 du Code criminel » pour compléter en abordant le thème de « L'application de l'article 16 du Code criminel ». Dans son étude de ce dernier thème, elle a relevé les difficultés susceptibles de se produire si un accusé pouvait avoir recours à la défense de l'article 16 C.cr. lorsque son état résulte d'une intoxication volontaire. [38] Au terme d'une analyse poussée de la jurisprudence, la Cour d'appel a conclu que les tribunaux canadiens n'ont pas appliqué la défense de troubles mentaux à un accusé souffrant d'une psychose causée par la consommation de drogues dans des circonstances analogues à celles présentées dans le présent dossier. Elle ajoute : 57 Jugement de la Cour d'appel, D.A., vol. I, p. 34. - 14 Mémoire de l’intimée Exposé concis des faits « L'appelant ne souffrait d'aucune maladie mentale avant de commettre les crimes et une fois les effets de la consommation de drogues résorbés, il était tout à fait sain d'esprit. La défense de l'article 16 C.cr. a été appliquée à des individus affectés de troubles mentaux, qui ont vu leur condition mentale détériorée davantage par la consommation de drogues. »58 Au soutien de son argument, elle continue : « Deux raisons additionnelles militent contre la possibilité d'appliquer la défense de l'article 16 C.cr. dans des situations comme celles de l'appelant. La première a trait au fondement même de la défense de troubles mentaux. La personne qui en est atteinte et qui commet un crime n'est pas traitée comme les autres par le système de justice criminelle. […] La seconde concerne la portée de la position de l'appelant. La proposition de l'appelant aurait pour effet de vider l'article 33.1 C.cr. de son sens et aussi de mettre de côté le vœu, clairement exprimé par le législateur, d'empêcher un individu qui, par sa consommation volontaire de drogues ou d'alcool atteint un état d'intoxication extrême, de se soustraire à sa responsabilité criminelle. […] »59 ----------- 58 59 Id., D.A., vol. I, p. 48. Id., vol. I, p. 48. - 15 Mémoire de l’intimée Exposé concis de la question en litige PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DE LA QUESTION EN LITIGE 1. La Cour d'appel du Québec a-t-elle erré en droit en refusant de déclarer l'appelant non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux au motif que la psychose dont il souffrait, bien que l'empêchant de distinguer le bien du mal, a été déclenchée par une intoxication volontaire? [39] Nous sommes d’avis que la Cour d'appel, tout comme le juge de première instance, n'ont pas erré en droit en déterminant que l'appelant ne souffrait pas de troubles mentaux et qu'il était en conséquence criminellement responsable. L'appelant se trouvait dans un état d'intoxication volontaire visé par l'article 33.1 du Code criminel au moment des événements. La psychose toxique dans laquelle il s'est retrouvé est une conséquence potentielle de l'intoxication aux drogues. L'appelant ne peut invoquer sa propre turpitude. ---------- - 16 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS Introduction [40] Lors du procès à la Cour du Québec, l'appelant alléguait qu'il souffrait au moment des infractions d'un trouble psychotique bref causé par l'influence néfaste d'un tiers. La poursuite soutenait que l'appelant était plutôt en psychose toxique. Au terme de la preuve constituée de témoignages et d'expertises, le juge de première instance a retenu la thèse du ministère public. Il a ainsi déterminé que l'état mental de l'appelant au moment de la commission des infractions faisait en sorte qu'il n'était pas conscient de la portée de ses gestes. En conséquence, il a acquitté l'appelant des infractions d'intention spécifique à savoir l'introduction par effraction dans une maison d'habitation dans le but de commettre un acte criminel et la tentative de s'introduire par effraction. Toutefois, en application de l'article 33.1 C.cr.60, le juge l'a reconnu coupable des infractions d'intention générale de voies de fait graves et de voies de fait puisque l'état de psychose toxique de l'appelant résultait de sa consommation volontaire de stupéfiants. [41] À la Cour d'appel, l'appelant a concédé que son intoxication était volontaire en ce qu'elle n'était pas le résultat de l'influence de son ami. Il a alors néanmoins fait valoir qu'étant dans un état le rendant incapable de juger de la qualité de ses actes au moment de la commission des infractions, il devait être déclaré non criminellement responsable en vertu de l'article 16 C.cr. même si son état psychotique avait été causé par la prise volontaire de drogues61. Tout comme le juge du procès, la Cour d'appel a conclu, au terme d'une rigoureuse analyse 60 61 Jugement de la Cour du Québec, D.A., vol. I, p. 23. Jugement de la Cour d'appel du Québec, D.A., vol. I, p. 33. - 17 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments jurisprudentielle et doctrinale, que la défense de troubles mentaux ne s'appliquait pas à l'appelant puisqu'il n'était pas préalablement affecté de troubles mentaux62. [42] Maintenant, devant cette honorable Cour, l'appelant allègue que la Cour d'appel a erré en ne prenant pas en considération ses prédispositions inhérentes63. Il s'agit donc là de la troisième position avancée par l'appelant en autant d'instances. [43] L'intimée entend démontrer dans l’argumentation qui suit que la Cour d'appel et le juge de première instance ont rendu des jugements conformes à l'état du droit. Dans un premier temps, nous exposerons en quoi l'appelant n'a pas démontré que sa situation correspond à une maladie mentale au sens de l'article 16 C.cr. Ensuite, nous verrons pourquoi l'article 33.1 s'applique à l'appelant. A) L'absence de maladie mentale 1) L'état du droit [44] Il est d’abord utile de citer l’article 16 du Code criminel : Article 1664 a. 62 63 64 Troubles mentaux.- La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais. Id., D.A., vol. I, p. 48. Mémoire de l'appelant, par. 41-42-43. L.R.C. 1985, ch. C-46, art.16; L.R.C. 1985 (1er suppl.), ch. 27, art. 185(F); 1991, ch. 43, art. 2. - 18 Mémoire de l’intimée [45] Exposé concis des arguments b. Présomption.- Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1). Cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités. c. Charge de la preuve.- La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver. En vertu de cet article, il revenait donc à la défense de prouver par prépondérance des probabilités que l'appelant était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle. [46] Pour se qualifier sous le régime particulier de l'article 16 C.cr., un accusé doit à la fois : A) Être incapable de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais. B) Cette incapacité doit provenir de troubles mentaux, c'est-à-dire d'une maladie mentale selon l'article 2 C.cr. [47] Voyons maintenant si la défense de troubles mentaux s'applique à l'appelant. D'entrée de jeu, il ressort clairement tant du jugement de la Cour d'appel que du jugement de première instance que l'appelant était incapable de distinguer le bien du mal65. Mais pour que cet état donne ouverture à l'application de l'article 65 Jugement de la Cour d'appel du Québec, D.A., vol. I, p. 41, par. 53 et Jugement de la Cour du Québec, D.A., vol. I, p. 23, par. 50. - 19 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments 16 C.cr., encore faut-il être atteint d'un trouble mental; c’est une condition essentielle. Cette Cour a défini la maladie mentale comme suit dans Cooper66 : « En bref, on pourrait dire qu'au sens juridique, <maladie mentale> comprend toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l'exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l'alcool ou les stupéfiants, et les états mentaux transitoires comme l'hystérie ou la commotion. » (nous soulignons) [48] Dans Parks67, le juge Laforest, en référant à l'arrêt Rabey68, nous a enseigné que la maladie mentale est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical. Bien qu'elle soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu'un élément juridique ou d'ordre public. Le terme « maladie mentale » étant une notion juridique, le juge du procès ne peut s'appuyer aveuglément sur un avis médical. Dans Parks, le savant juge a donné deux raisons pour lesquelles la « maladie mentale » ne pouvait au sens de l'article 16 C.cr. être strictement une notion médicale. [49] La première raison, c'est qu'il y a au sein du corps médical absence de consensus sur la portée et le sens du terme « maladie mentale ». En conséquence, s'il appartenait aux témoins médicaux de déterminer quels états mentaux ou troubles mentaux particuliers constituent une maladie mentale, la portée de la défense d'aliénation mentale varierait en fonction du choix des experts appelés à témoigner. La deuxième raison repose sur la nécessité de 66 67 68 R. c. Cooper, [1980] 1 R.C.S. 1149, p. 1159, recueil de sources de l’appelant, ci-après R.S.A., vol. I, onglet 2. R. c. Parks [1992] 2 R.C.S. 871, recueil de sources de l’intimée, ci-après R.S.I., onglet 6, p. 112-113. Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513, R.S.A., vol. II, onglet 18. - 20 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments prendre en compte des considérations de politique sociale et d'ordre public qui échappent au corps médical. [50] À cet égard il a exposé qu'il y a deux façons distinctes d'aborder l'élément d'ordre public de l'examen de la maladie mentale : la théorie du risque subsistant et celle de la cause interne. Au sens de la première, tout état comportant vraisemblablement la récurrence d'un danger pour le public devrait être traité comme une aliénation mentale. Selon la deuxième, un état dont l'origine tient à la constitution psychologique ou émotionnelle de l'accusé, par opposition à un facteur externe, devrait entraîner une conclusion d'aliénation mentale69. [51] En 1999, dans R. c. Stone70, cette honorable Cour a étudié les notions d'automatisme avec aliénation mentale et sans aliénation mentale. Pour la majorité, le juge Bastarache a déterminé qu'une nouvelle façon d'aborder l'examen mental s'imposait. Il s'agit d'une méthode qui doit s'inspirer de la théorie de la cause interne, de la théorie du risque subsistant et des préoccupations d'ordre public soulevées dans les arrêts Rabey et Parks71. La majorité a ensuite établi qu'un juge du procès peut estimer utiles les deux théories ou l'une ou l'autre de celles-ci. Depuis cet arrêt, il est dorénavant plus approprié de parler du facteur de la cause interne et du facteur du risque subsistant plutôt que des théories de la cause interne et du risque subsistant72. [52] Concernant les préoccupations d'ordre public, la Cour a déterminé qu'il peut y avoir des cas où l'examen des facteurs de la cause interne et du risque subsistant ne permet pas, à lui seul, de répondre de façon définitive à la question de la maladie mentale. Par conséquent, une façon globale d'aborder la question 69 70 71 72 R. c. Parks [1992] 2 R.C.S. 871, R.S.I., onglet 6, p. 114-115. R. c. Stone [1999] 2 R.C.S. 290, R.S.I., onglet 8, p. 160 et s. Id., p. 116, par. 203, R.S.I., onglet 8, p. 275. Id., p. 122, par. 213, R.S.I., onglet 8, p. 281. - 21 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments de la maladie mentale doit aussi permettre au juge du procès de tenir compte des autres préoccupations d'ordre public qui sous-tendent cet examen. Le juge du procès peut tenir compte de toute préoccupation d'ordre public valable pour déterminer si l'état dans lequel l'accusé allègue avoir été est une maladie mentale. La question fondamentale est celle de savoir si la société a besoin d'être protégée contre l'accusé et, par conséquent, si ce dernier devrait faire l'objet d'une évaluation selon le régime établi dans la partie XX.1 du Code73. 2) Applications jurisprudentielles de la notion de maladie mentale [53] Depuis l'arrêt Cooper, dans lequel cette honorable Cour a défini la notion de maladie mentale, certains tribunaux canadiens se sont vu présenter des défenses d'aliénation mentale pour des individus en psychose toxique. L'appelant soumet quelques décisions qui, à son avis, démontreraient que la défense de troubles mentaux est ouverte en cas d'intoxication volontaire. Nul n'est besoin de reprendre la juste analyse qu'en a faite la Cour d'appel pour réfuter les prétentions de l'appelant. Nous tenons toutefois à commenter la décision de la Cour du Québec La Reine c. Fortin datée du 17 mars 2005 qu'invoque l'appelant devant cette Cour. Il s'agit d'un cas dans lequel l'accusé était poursuivi pour plusieurs infractions d'intention générale. L'un des moyens de défense allégués par l'accusé était qu'au moment des gestes reprochés, il était atteint d'une psychose toxique en raison d'une « intoxication extrême » suite à la consommation de drogues et d'alcool74. La défense reconnaissait donc, dans ce dossier, que la psychose toxique est un degré d'intoxication. En effet, 73 74 Id., p. 125, par. 218, R.S.I., onglet 8, p. 284. R. c. Fortin, 2005 CanLII 6933 (CQ), R.S.A., vol. I, onglet 7, p. 2. - 22 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments comme nous le verrons plus loin, l'intoxication extrême représente le troisième degré d'intoxication reconnu dans l'arrêt Daley75. [54] Récemment, soit le 4 février 2011, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rendu l'arrêt R. v. Paul76. Paul était poursuivi sous trois chefs de meurtre au deuxième degré et deux chefs de tentative de meurtre. Il était fortement intoxiqué à la cocaïne, la marijuana et l'alcool au moment des événements. Il avait eu des hallucinations auditives. Les voix lui disaient, selon son interprétation, qu'il était temps qu'il se réveille en mourant et en allant vers un meilleur endroit. Il a compris qu'il n'avait pas à aller dans ce meilleur endroit seul et c'est pourquoi il a abattu les cinq hommes. Il voulait les amener avec lui à ce meilleur endroit. La position du psychiatre appelé à témoigner en défense peut se résumer ainsi : « Dr Lohrasbe said he could not say that Mr. Paul was "not criminally responsible by reason of mental disorder" ("NCRMD") because his psychotic symptoms resulted from massive substance and transient life stressors, not mental disease. »77 [55] Ce psychiatre ajoute plus loin que le but de l'appelant – de se réveiller dans un meilleur endroit – était psychotique et formulé en réponse à une expérience psychotique78. Le passage suivant résume bien la position du psychiatre appelé à témoigner par la poursuite : « He concluded that the appellant did not suffer from a mental disease and that, at the time of the shooting, he was in a selfinduced state of intoxication, that he had a short psychotic episode and subsequently engaged "in complex and sequential behaviour". »79 75 76 77 78 79 R. c. Daley, [2007] 3 R.C.S. 523, R.S.A., vol. 1, onglet 3, p. 39, par 43. R. v. Paul, 2011 BCCA 46, R.S.I., onglet 7, p. 132 et s. Id., p. 11 et 12, par. 39, R.S.I., onglet, 7, p. 142-143. Id., p. 12, par. 40, R.S.I., onglet 7, p. 143. Id., p. 12 et 13, par. 42, R.S.I., onglet 7, p. 143-144. - 23 Mémoire de l’intimée [56] Exposé concis des arguments En appel, l'avocat de Paul a demandé à la Cour de déclarer son client non responsable pour cause de troubles mentaux. La Cour d'appel a ainsi résumé l'essentiel de l'argument de l'avocat : « He submits that the proliferation of hard drugs has created a new problem – drug induced temporary psychosis – which does not fit nicely into the old language of s. 16 of the Code, or previous cases interpreting it. »80 [57] La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a tranché : « The appellant's argument cannot succeed for a number of reasons, all of which can be found in a short passage from R. v. Cooper [1980] 1 S.C.R. 1149 ("Cooper") by which this Court is bound. » Après avoir cité la définition de maladie mentale donnée dans Cooper, la Cour ajoute : « Mr. Paul's condition meets none of the criteria for mental disorder set out in Cooper. Instead he fits within what is excluded from the definition. His condition was self-induced and transitory. He appreciated the nature of his acts; that is, he knew he was trying to kill people.[…] »81 3) Application au cas en l'espèce [58] Si nous reprenons la définition de maladie mentale donnée dans Cooper, il est clair que l'appelant, tout comme Paul82, ne peut bénéficier du régime de l'article 16 C.cr. En effet, il ressort de la preuve que l'appelant s'était intoxiqué en 80 81 82 Id., p. 19, par 61, R.S.I., onglet 7, p. 150. Id., p. 20, par. 62 et 63, R.S.I., onglet 7, p. 151. Id., R.S.I., onglet 7, p. 132 et s. - 24 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments prenant volontairement des drogues et que l'état dans lequel il s'était mis était transitoire83. [59] Appliquons maintenant la méthode élaborée dans Stone84. 3.1 Le facteur de cause interne [60] Les deux psychiatres entendus ont été unanimes : L'appelant n'a pas de maladie mentale ou psychiatrique85. À défaut de souffrir de maladie mentale avant sa consommation massive de stupéfiants, l'appelant fait maintenant valoir aux paragraphes 41 et 42 de son mémoire qu'il avait certaines prédispositions à la maladie mentale, soit : i) son caractère mystique, ii) son éventuel « trouble de la personnalité » (schizotypale pour le Dr Turmel et histrionique pour le Dr Faucher), iii) les problèmes de santé mentale présents dans son hérédité, iv) le manque de sommeil dans la semaine précédant le drame et v) les terreurs nocturnes vécues à l'âge de 11 ans. Qu'en est-il vraiment? 83 84 85 Jugement de la Cour du Québec, D.A., vol. I, p. 15, par. 30. L’événement s'est produit le 24 octobre 2005 et le 28 octobre 2005, l'appelant était apte à subir son procès. R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, R.S.I., onglet 8, p. 160 et s. Témoignage du Dr Roger Turmel, D.A., vol. V, p. 819 et Témoignage du Dr Sylvain Faucher, D.A., vol. VI, p. 926 et vol. VII, p. 1070. - 25 Mémoire de l’intimée i) [61] Exposé concis des arguments Le caractère mystique de l'appelant L'appelant n'était pas un individu pratiquant ni issue d'une famille particulièrement religieuse. Le psychiatre Turmel a d'ailleurs avoué en contreinterrogatoire que l'on pouvait tout simplement dire dans ce cas-ci que l'appelant avait une spiritualité plutôt qu'une spiritualité développée86. Le Dr Sylvain Faucher dans son rapport soutient quant à lui que l'appelant se présente comme un individu intéressé par la spiritualité et quelque peu superstitieux87. Nous soumettons avec égards que cet aspect n'a pas été retenu dans l'appréciation des faits par le juge du procès car il est ressorti de la preuve que ce n'était pas un élément fondamental du témoignage des psychiatres. ii) Son éventuel « trouble de la personnalité » (schizotypale pour le Dr Turmel et histrionique pour le Dr Faucher) [62] Jamais dans la preuve les psychiatres n'ont fait mention que l'appelant avait un « trouble de personnalité ». Au contraire, le psychiatre Faucher nous a expliqué ce qui suit : « Bien là, il y a une nuance peut-être que j'ai pas faite tantôt. Il y a des…dans le DSM-IV, on décrit des modes de fonctionnement. On en a tous un; on a tous des caractéristiques dans notre fonctionnement. Si on avait pas de caractéristiques, on serait…on existerait pas. Mais quand on atteint un certain seuil de critères, on devient avec un trouble de personnalité; avant, on a des traits. Puis ce qui est souhaitable. On a tous des traits qui nous caractérisent. Mais quand on atteint, par exemple, pour avoir un trouble de la personnalité schizotypique, il faut avoir plus de quatre (4) critères sur les sept (7) qui sont décrits. O.K.? Alors, si c'est ça on devient un trouble, mais avant, on peut avoir des traits. – C'est quatre (4) et plus ou plus de quatre (4)? – C'est plus de 86 87 Témoignage du Dr Roger Turmel, D.A., vol. VI, p. 895. Expertise psychiatrique – Dr Sylvain Faucher, D.A., vol. VII, p. 1140. - 26 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments …c'est quatre (4) et plus. – Puis Monsieur, vous lui en avez juste trouvé un (1)? – Un (1) oui. […] »88 (les soulignés et l’emphase sont nôtres) Donc, il n'a été mention que de traits de personnalité comme nous en avons tous. iii) [63] Les problèmes de santé présents dans son hérédité Le psychiatre Turmel nous a appris au procès le 10 mars 2008 que le père de l'appelant était allé le voir lors d'une précédente date de procès. Le père lui aurait alors dit qu'il avait des antécédents de dépression et que son oncle paternel et son grand-père paternel ont des antécédents de troubles bipolaires89. Aucun témoin n'est venu soutenir ces renseignements au procès. Le seul témoin qui en a parlé a été le psychiatre Turmel. Dans R. c. Abbey [1982], 2 R.C.S. 24, cette honorable Cour sous la plume du juge Dickson mentionnait à la page 46 : « Bien qu'on ne conteste pas le droit des experts médicaux de prendre en considération tous les renseignements possibles pour former leurs opinions, cela ne dégage en aucune façon la partie qui produit cette preuve de l'obligation d'établir, au moyen d'éléments de preuve régulièrement recevables, les faits sur lesquels se fondent ces opinions. Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion. »90 [64] C'est donc à bon droit que les précédentes instances n'ont pas retenu cet aspect de la preuve qui n'était que du ouï-dire et non pas un élément fondamental comme le mentionne l'appelant. 88 89 90 Témoignage du Dr Sylvain Faucher, D.A., vol. VII, p. 1109 et 1110. Témoignage du Dr Roger Turmel, D.A., vol. VI, p. 912. R.S.I., onglet 1, p. 23. - 27 Mémoire de l’intimée iv) [65] Exposé concis des arguments Le manque de sommeil dans la semaine précédant le drame Il est manifeste qu'il s'agit d'un élément externe et volontaire sur lequel l'appelant avait et a toujours un contrôle par opposition à une cause interne. v) [66] Les terreurs nocturnes vécues à l'âge de 11 ans Ce qu'est une terreur nocturne n'a pas été défini dans la preuve. Aussi, l'appelant invite ici à spéculer sur un aspect que les deux psychiatres n'ont visiblement pas trouvé pertinent puisqu'ils n'en ont pas parlé. C'est donc manifestement à tort que l'appelant reproche au juge du procès et à la Cour d'appel de ne pas avoir pris judiciairement connaissance d'un lien entre des terreurs alléguées en bas âge et l'état de l'appelant lors de la commission des infractions. 3.2 Le facteur du risque subsistant [67] Au niveau du risque de récurrence, le psychiatre Turmel a témoigné à l'effet qu'il ne pensait pas que l'appelant allait récidiver s'il s'abstenait de consommer des drogues91. 3.3 Les facteurs d'ordre public [68] Un premier facteur d'ordre public qui milite contre la reconnaissance d'une maladie mentale dans ce dossier est contenu dans les conclusions du rapport du Dr Faucher92. L'appelant connaissait les substances qu'il a ingérées, les ayant déjà prises par le passé et il pouvait anticiper leurs conséquences néfastes sur son comportement en se basant simplement sur celles qu'il observait chez son ami. 91 92 Témoignage du Dr Roger Turmel, D.A., vol. VI, p. 883 et 890. Expertise psychiatrique – Dr Sylvain Faucher, D.A., vol. VII, p. 1147. - 28 Mémoire de l’intimée [69] Exposé concis des arguments Fait important, au moment d'écrire son rapport, le Dr Faucher n'avait pas été informé de la déclaration de Gilles Tremblay, l'individu qui a pris l'appelant et Schmouth en stop à Val-Brillant et qui a témoigné à l'effet qu'il connaissait l'appelant de longue date93 et l'avait alors trouvé comme d'habitude94. Cet élément de preuve a conforté le Dr Faucher lorsqu'il a explicité sa position en cours de témoignage95. En effet, non seulement l'appelant a-t-il constaté les effets de la drogue chez son ami, il avait lui-même vécu une psychose toxique96. En dépit du fait qu'il ait récupéré ses esprits, il a volontairement décidé de consommer à nouveau rendu à Amqui97, se rendant à nouveau en psychose toxique. [70] Notre deuxième facteur d'ordre public tient du caractère socialement néfaste de la consommation de drogues interdites. En effet, si le législateur a interdit la possession, le trafic, la possession dans le but de trafic, l'importation, l'exportation et la production de certaines drogues et autres substances, c'est essentiellement pour des raisons de santé et de sécurité publique. D'une part, ces substances sont de nature à créer une dépendance chez ceux qui les consomment et elles ont d'autre part la propriété d'altérer notamment leur capacité cognitive ainsi que leur perception de la réalité, comme le démontrent en l'espèce l'état et le comportement de l'appelant et de son complice. [71] Les personnes qui s'intoxiquent volontairement de la sorte constituent un véritable danger pour leurs concitoyens et leur indifférence à l'égard des autres constitue une turpitude morale manifeste qu'il faut réprouver. 93 94 95 96 97 Témoignage de Gilles Tremblay, D.A., vol. II, p. 237. Id., D.A., vol. II, p. 242 à 245. Témoignage du Dr Sylvain Faucher, D.A., vol. VI, p. 1005. Id., vol. VII, p. 1087 et 1088. Témoignage de Yohann Schmouth, D.A., vol III, p. 356 et 357. - 29 Mémoire de l’intimée [72] Exposé concis des arguments Notre troisième facteur d'ordre public repose sur la nécessité de prendre en compte la prévalence des comportements antisociaux des personnes qui s'intoxiquent volontairement. À cet égard rappelons les données statistiques mises en preuve lors du témoignage du Dr Faucher. En effet, il a mentionné au cours de son témoignage qu'un individu qui prend un psychostimulant a treize pour cent (13%) de chances de développer un état psychotique et que, si la substance ingérée est du PCP, la proportion augmente à plus de cinquante pour cent (50%)98. [73] L'appelant avance au paragraphe 48 de son mémoire que la psychose toxique n'est pas une conséquence normale de l'intoxication, ni de l'intoxication extrême. À la lueur de ces statistiques, force est de constater qu'en consommant des drogues de rue comme l'a fait l'appelant, il ne pouvait ignorer que la psychose toxique était une conséquence potentielle, voire même probable de l'intoxication. [74] Enfin, soulignons qu'aux fins de qualifier l'état d'un accusé en regard de l'article 16 C.cr., les tribunaux sont biens avisés, comme il ressort du présent dossier, de se mettre en garde contre les inférences que les parties tirent d'ouvrages de doctrine que les experts dans le domaine n'ont pas été appelés à commenter en cours de témoignage. [75] C'est en effet le cas du DSM-IV, un volume de doctrine médicale, sur lequel l'appelant fonde son argument, alors qu'il n'a pas été produit en première instance et que les extraits cités dans le mémoire de la partie adverse n'ont pas été commentés par les psychiatres entendus. Pour reprendre ce que madame la juge Thibault a écrit à juste titre : 98 Témoignage du Dr Sylvain Faucher, D.A., vol VI, p. 965 et 966. - 30 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments « Il me semble imprudent de se fonder sur cet ouvrage de doctrine médicale pour écarter le témoignage d'un expert entendu sur cette question précise. »99 [76] Non seulement l'appelant invite-t-il dans son mémoire la Cour à interpréter ce qu'est un « substance-induced psychotic disorder »100 mais en citant des extraits du DSM-IV, il demande en plus de faire des distinctions entre les divers sujets qui y sont traités101. En fait, il demande de considérer la psychose toxique comme maladie mentale, mais pas l'état d'intoxication usuel que l'on retrouve aussi dans le DSM-IV. [77] Or cet ouvrage complet n'a été déposé ni en première instance, ni en Cour d'appel et pas davantage devant cette Cour. Seuls des extraits ont été cités. Lorsque nous nous référons à l'introduction de l'ouvrage, nous pouvons pourtant y lire sous la rubrique « utilisation du DSM-IV dans le cadre médico-légal » la réserve suivante : « Quand les catégories, les critères et les descriptions textuelles du DSM-IV sont utilisés à des fin médico-légales, il existe un risque significatif que l'information diagnostique soit mal utilisée ou mal comprise. Ces dangers existent en raison de l'inadéquation entre l'intérêt final de la loi et les informations contenues dans un diagnostic clinique. Dans la plupart des situations, un diagnostic clinique de trouble mental du DSM-IV n'est pas suffisant pour établir, aux yeux de la loi, l'existence de "trouble mental", "handicap mental", "maladie mentale" ou "déficit mental". Pour savoir si un individu correspond à un type légal déterminé (p.ex. pour fixer une aptitude, une responsabilité criminelle ou un handicap), des informations supplémentaires sont nécessaires pour compléter le diagnostic du DSM-IV. […] »102 (les soulignés et emphase sont nôtres) 99 100 101 102 Jugement de la Cour d'appel, D.A., vol. I, p. 34, par. 33. Mémoire de l'appelant, par. 59 à 61. Mémoire de l'appelant, par. 62 à 65. R.S.I., onglet 10, p. 318. - 31 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments On peut lire plus loin que l'utilisation du DSM-IV à des fins médico-légales doit être précédée par une mise en garde contre les risques et limitations décrits ci-dessus. [78] De plus, il y a un avertissement au début du DSM-IV dont voici un extrait évocateur qu'il convient de reproduire quant aux limites de ce manuel destiné aux cliniciens : « On doit comprendre que l'inclusion dans ce manuel de catégories diagnostiques comme le jeu pathologique ou la pédophilie, justifiée pour des raisons d'ordre clinique et à des fins de recherche, n'implique pas que ces situations répondent aux critères juridiques ou à d'autres critères non médicaux permettant de délimiter les notions de maladies mentales, de troubles mentaux et d'incapacité. Les considérations cliniques et scientifiques impliquées dans la catégorisation de ces situations en tant que troubles mentaux peuvent ne pas être entièrement adaptées à un jugement légal concernant, par exemple, des éléments tels que la responsabilité individuelle, la détermination d'une incapacité et des aptitudes à l'autonomie. »103 [79] Fait intéressant, mais aussi préoccupant, que de savoir que nous pouvons aussi retrouver le bégaiement à titre de trouble mental dans le DSM-IV. [80] À la lumière de l'arrêt Cooper104, de la méthode élaborée dans Stone105 et de la jurisprudence subséquente, il appert que l'appelant ne souffrait pas d'une maladie mentale au moment des événements reprochés. Donc, le premier juge et la Cour d'appel se sont ainsi bien dirigés en droit. 103 104 105 R.S.I., onglet 10, p. 322. R. c. Cooper, [1980], 1 R.C.S. 1149, R.S.A., vol. I, onglet 2. R. c. Stone [1999], 2R.C.S. 290, R.S.I., onglet 8, p. 160 et s. - 32 Mémoire de l’intimée B) L'article 33.1 C.cr. 1) [81] Exposé concis des arguments Le but de cette disposition Dans Leary c. R. [1978] 1 R.C.S. 29106, la Cour devait déterminer s'il était possible d'invoquer la défense d'intoxication pour un crime d'intention générale. Cette honorable Cour a tranché qu'un accusé qui s'intoxique volontairement possède la mens rea requise pour un crime d'intention générale. Ainsi, l'indifférence dont faisait preuve un individu en s'enivrant suffisait à former l'élément fautif nécessaire pour la perpétration d'une infraction d'intention générale. [82] Toutefois, dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, cette règle a été jugée inconstitutionnellle. La Cour a décidé que, dans de rares cas, un accusé pouvait invoquer son intoxication extrême en défense à l'encontre d'infractions d'intention générale telles les voies de fait et l'agression sexuelle. Elle a en outre statué que, dans de tels cas, l'intention minimale requise pour un crime d'intention générale ne pouvait s'inférer de la perpétration de l'acte interdit parce que « l'aspect volontaire ou conscient de l'acte peut être mis en doute en raison de l'intoxication extrême de l'accusé »107. [83] En réaction à l'opinion publique, le Parlement a adopté l'article 33.1 C.cr. neuf mois après le prononcé de l'arrêt Daviault. Le législateur ne voulait plus que des individus intoxiqués volontairement, comme l'appelant, plaident qu'ils n'avaient pas l'intention générale ou la volonté requise pour perpétrer une infraction de violence. 106 107 Leary c. R. [1978] 1 R.C.S. 29, R.S.A., vol. II, onglet 13. R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, p. 87, R.S.A., vol. I, onglet 4. - 33 Mémoire de l’intimée [84] Exposé concis des arguments En 2007, la Cour a rendu l'arrêt R. c. Daley, [2007] 3 R.C.S. 523. Cet arrêt a déterminé qu'il y a trois degrés d'intoxication pertinents en droit. Il y a l'intoxication légère, l'intoxication avancée et l'intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme, qui exclut tout caractère volontaire et qui, de ce fait, constitue un moyen de défense exonérant toute responsabilité criminelle. Ce moyen de défense ne peut être invoqué que très rarement et, aux termes de l'article 33.1 C.cr., qu'à l'égard d'infractions non violentes108. [85] Soulignons de plus que même si l'adoption de l'article 33.1 C.cr. est la réaction du Parlement à la décision de cette Cour dans l'arrêt Daviault qui concernait une intoxication par l'alcool, la portée de cette disposition n'est pas restreinte à ce type l'intoxication. [86] À cet égard, il faut rappeler que, dans Daviault, cette Cour répondait forcément à la question plus générale de savoir quelle est la responsabilité criminelle d'une personne qui se trouve dans un état voisin de l'automatisme ou de l'aliénation mentale en raison d'une intoxication volontaire quelle que soit la nature de la substance intoxicante. En effet, si le législateur avait voulu limiter la portée de l'article 33.1 à l'intoxication par l'alcool, il est difficile de concevoir qu'il ait omis de le préciser ou à tout le moins de prévoir, sous une forme ou sous une autre, la situation fréquente de l'intoxication volontaire sous l'effet combiné de l'alcool et de drogues. 2) [87] Applications de l'article 33.1 C.cr. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse s'est penchée sur l'intoxication volontaire et l'article 33.1 C.cr. dans l'arrêt R. v. Chaulk, 2007 NSCA 84. Il s'agissait d'un dossier d'intoxication extrême à la drogue et à l'alcool. Avant de conclure à 108 R. c. Daley [2007] 3 R.C.S. 523, par. 41 à 43, R.S.A., onglet 3. - 34 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments l'application de 33.1 C.cr., la Cour a statué sur l'intoxication volontaire au paragraphe 45 en ces termes : « Thus, I conclude, since R. v. King, supra the courts have consistently held that "volontary intoxication" means the consuming of a substance where the person knew or had reasonable grounds for believing such might cause him to be impaired. (See also R. v. McDowell [1980] O.J. No. 488 (Q.L.); 52 C.C.C. (2d) 298 (Ont. C.A.) pr Martin J.A. at para. 14). In Regina v. Mack (1975), 22 C.C.C. (2d) 257 (Alta. S.C.A.D.) Prowse J.A., commenting upon R. v. King, supra at p. 264 said : The effect of this decision is that if an accused knew or had reasonable grounds for believing that the consumption of drugs or alcohol might cause him to be impaired, such evidence supports the conclusion that his condition was due to the voluntary consumption of drugs or alcohol and that intoxication voluntary induced by itself does not rebut the rebuttable presumption that a man intends the natural consequences of his acts. » [88] Le 26 février 2008, dans un dossier d'intoxication à l'alcool et aux médicaments l'honorable Serge Francoeur J.C.Q., tout comme dans Chaulk, citait avec approbation l'arrêt King109. [89] Dans R. v. Huppie110 l'accusé plaidait l'aliénation mentale compte tenu qu'il souffrait d'une psychose causée par l'ingestion de drogues (psychose toxique). Le juge a aussi repris avec approbation l'arrêt Chaulk. [90] Le 8 février 2010, dans la cause R. c. D.D.111, le juge Alain Morand J.C.Q. avait à trancher un dossier d'intoxication à l'alcool et aux médicaments. Voici comment il résume le droit sur cette question : 109 110 111 R. c.Tremblay, 2008 QCCQ 1069, R.S.I., onglet 9, p. 303 et s. R. v. Huppie, 2008 ABQB 539, R.S.I., onglet 4, p. 43 et s. R. c. D.D., 2010 QCCQ 953, R.S.I., onglet 3, p. 40. - 35 Mémoire de l’intimée Exposé concis des arguments « Pour apprécier la nature de l'intoxication d'un accusé, les tribunaux ont élaboré un test qui comporte entre autres un élément objectif. Dans l'arrêt R. c. King, la Cour suprême du Canada indique qu'une personne qui a consommé volontairement une substance ayant à sa connaissance un effet intoxicant ou dont elle aurait dû connaître les propriétés, ne peut échapper à sa responsabilité criminelle. L'arrêt R. c. Chaulk de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse résume bien toute la jurisprudence pertinente et l'état du droit sur la question. » [91] Enfin, il y a l'arrêt R. v. Johnson 2005 NBPC 40112. Dans cette cause, la preuve a révélé que l'accusé s'était volontairement intoxiqué et qu'il s'était retrouvé en psychose toxique. Le juge a conclu, en se basant sur Cooper, que l'appelant n'était pas atteint de maladie mentale puisqu'il s’était volontairement intoxiqué en prenant des drogues. Compte tenu de l'article 33.1 C.cr., l'accusé a été reconnu coupable de voies de fait graves plutôt que de tentative de meurtre. [92] À l'analyse, il convient donc de souscrire à la conclusion de la Cour d'appel au paragraphe 79 selon laquelle la prétention de l'appelant l'article 33.1 C.cr. de son sens : « […] La proposition de l'appelant aurait pour effet de vider l'article 33.1 C.cr. de son sens et aussi de mettre de côté le voeu, clairement exprimé par le législateur, d'empêcher un individu qui, par sa consommation volontaire de drogues ou d'alcool atteint un état d'intoxication extrême, de se soustraire à sa responsabilité criminelle. En l'absence de contestation de nature constitutionnelle, l'intention consacrée dans un texte législatif doit prévaloir. » ---------- 112 R. v. Johnson 2005 NBPC 40, RSI, onglet 5, p. 57 et s. viderait - 36 Mémoire de l’intimée Arguments au sujet des dépens PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS Aucun. ---------- - 37 Mémoire de l’intimée Ordonnances demandées PARTIE V – ORDONNANCES DEMANDÉES POUR TOUS LES MOTIFS ÉNONCÉS, PLAISE À CETTE HONORABLE COUR : REJETER le présent appel. Le tout respectueusement soumis. Matane, le 20 avril 2010 _____________________________ Me Guy Loisel Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec Procureur de l'intimée - 38 Mémoire de l’intimée Table alphabétique des sources PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES Jurisprudence Paragraphe(s) R. c. Abbey, [1982], 2 R.C.S. 24 ...................................... 63 R. v. Chaulk, 2007 NSCA 84 ....................... 87,88,89,90 R. c. D.D., 2010 QCCQ 953 ...................................... 90 R. v. Huppie, 2008 ABQB 539 ...................................... 89 R. v. Johnson, 2005 NBPC 40 ...................................... 91 R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871 ....................... 48,49,50,51 R. v. Paul, 2011 BCCA 46 .................. 54,55,56,57,58 R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290 ....................... 51,52,59,80 R. c. Tremblay, 2008 QCCQ 1069 ...................................... 88 Doctrine AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION (2003). DSM-IV-TR : manuel diagnostique et statistique de troubles mentaux , 4e éd., Paris, Masson ............. 62,75,76,77,78,79