Département de SOCIOLOGIE MEMOIRE DE DEA

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Département de SOCIOLOGIE
MEMOIRE DE DEA
SIDA EN ZONE
MINIERE
Le cas des ICS de Mboro
(Région de Thiès, Sénégal)
Professeur :
Présenté par :
Boubacar LY
Ndack DIOP
Année Universitaire : 2003-2004
1
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
Listes des tableaux et des graphiques
PARTIE I : Cadre générale et méthodologique
Chapitre 1 Cadre général
Pages
1.1 Justification……………………………………………5
1.2 Plan de rédaction ………………………………………6
1.3 Problématique…………………………………………..6
1.4 Questions de recherche………………………………….9
1.5 Hypothèses………………………………………………9
1.6 Revue de la littérature……………………………………9
1.7 Modèle d’analyse ………………………………………..12
1.8 Objectifs…………………………………………………..14
1.9 Définition des concepts………………………………..…..15
Chapitre 2 Cadre méthodologique
2.1 Méthodologie……………………………………………..16
2.1.1 Techniques et Instrument…………………………….16
2.1.2 Echantillonnage………………………………………17
2.1.3 Déroulement de l’enquête……………………………..17
2.1.4 Plan d’analyse………………………………………….18
2.2 Caractéristiques générales de l’échantillon………………….22
PARTIE II : Présentation du cadre d’étude
Chapitre 1 Contexte socio-économique
1.1 Présentation des ICS………………………………………23
1.2 Contexte général de la zone………………………………..26
Chapitre 2 Situation épidémiologique
2.1 Les données des structures de santé……………………...27
2.2 Les données du questionnaire…………………………….28
2.3 Profil des personnes vivant avec le VIH/SIDA……………29
2
2.4 Présentation de quelques cas……………………………….32
PARTIE III : Représentations et Impact du VIH
Chapitre 1 Attitudes et comportements
1.1 Perceptions et moyens de prévention du SIDA…………….33
1.2 Comportements sexuels……………………………………..41
Chapitre 2 Identification des impacts sur l’entreprise
2.1 Effets sur le capital humain et sur la productivité…………42
2.2 Les dépenses de santé………………………………………45
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
3
LISTES DES TABLEAUX
PARTIE I
Chapitre 2 Caractéristiques générales de l’échantillon
Tableau 1 : Répartition ethnique de l’échantillon
Tableau 2 : Répartition selon situation domestique
Tableau 3 : Répartition de la population selon la situation matrimoniale
Tableau 4 : Répartition selon le niveau d’instruction
Tableau 5 : Répartition de la population selon la hiérarchie
PARTIE II
Chapitre 2
Situation épidémiologique du VIH dans la zone
Tableau 1: Répartition de la population selon le sexe
Tableau 2 : Répartition de la population selon le lieu de résidence
Tableau 3 : Répartition de la population selon le niveau d’instruction
Tableau 4 : Répartition de la population selon la situation matrimoniale
Tableau 5 : Répartition de la population selon la situation domestique
Tableau 6: Répartition de la population selon la catégorie professionnelle
Tableau 7 : Répartition de la population en fonction du salaire mensuel
Tableau 8 : Répartition de la population relativement au changement de comportement
4
PARTIE III
Chapitre 1 ATTITUDES ET COMPORTEMENTS
Tableau 1 : Répartition de la population selon le degrés d’information du SIDA
Graphique 1 : Répartition de la population selon le point de vue sur les remèdes du SIDA
Tableau 2 : Répartition de la population sur le moyen le plus efficace de la prévention
sur le SIDA
Tableau 3 : Répartition des rapports sexuels selon le type de partenaires
Graphique 2 : Effectif des hommes qui ont admis avoir eu des rapports sexuels avec les
professionnelles du sexe / nombre de fois au cours du mois passé
Tableau 4 : Fréquence d’utilisation du préservatif avec les prostitués
Tableau 5 : Analyse comparée des comportements sexuels
Tableau 6 : Répartition de la population relativement sur le changement de
comportement sexuel
Chapitre 2 Identification des impacts sur l’entreprise
Tableau 7 : Répartition selon la catégorie socio-professionnelle des personnes vivant avec
le VIH/SIDA
Tableau 8 : Analyse comparée des indicateurs relatifs à l’absentéisme
5
CADRE GENERALE ET
METHODOLOGIQUE
6
Chapitre 1
1.1
Cadre général
JUSTIFICATION
Durkheim a écrit « nous estimons que nos recherches ne méritent pas une heure de peine
si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif » 1. C’est à partir de cette même position
que la recherche sociologique sur le SIDA en Afrique trouve une justification dans le fait
que cette épidémie est l’une des plus grandes menaces qui pèsent actuellement sur le
continent.
L’intérêt de la sociologie ou de l’anthropologie repose dans l’idée que le développement
du SIDA en Afrique et dans le monde ne s’explique pas seulement par des facteurs biomedicaux mais aussi par des contextes sociaux, culturels, économiques, politiques
africains. On assiste alors à un nouveau paradigme qui cherche à mettre en relation les
faits culturels, sociaux, économiques avec l’évolution de l’épidémie.
L’intérêt d’une telle perspective repose sur le fait qu’elle s’appuie sur une approche
holiste intégrant les facteurs et les impacts sociaux et culturels du SIDA Cette position
théorique peut être considérée comme une des réponses aux questions épistémologiques
que soulève la problématique entre le contexte social et la propagation du virus du SIDA.
Ainsi au-delà des rapports du programme commun des Nations Unies sur le SIDA
(ONUSIDA), celui ci est devenu un phénomène qui suscite l’intérêt de toutes les
disciplines (médecine, sociologie, économie, démographie, droit …).
C’est ainsi que l’analyse sociologique de l’épidémie du SIDA prend en charge les
caractéristiques sociales et sociétales dans l’explication des différences au niveau de
l’incidence de la maladie et au niveau de ses capacités.
Certains facteurs sociaux ont déjà été identifiés comme favorisant le risque d’infection
par le virus du SIDA. Il s’agit de la prostitution, la migration, la disparité de genre qui se
trouvent toutes réunies dans les zones à forte activité industrielle comme les zones
minières. C’est ce qui explique notre choix des ICS (Industries Chimiques du Sénégal).
En fait cette zone se caractérise par d’intenses activités économiques d’où une multitude
de données socio-démographiques dans l’analyse de l’évolution du SIDA.
Cette étude s’intéresse donc à ce site et particulièrement à ses caractéristiques sociales,
démographiques et économiques pour expliquer la vulnérabilité à l’infection au
VIH/SIDA.
1
Durkheim E : «De la Division du Travail Social », Paris PUF 1960, p 14
7
1.2 PLAN DE REDACTION
L’étude s’articule autour de trois parties :
La première partie sera consacrée au cadre général et méthodologique, la deuxième partie
sera consacrée au contexte socio-économique et à la situation épidémiologique. Enfin
dans la troisième nous ferons la présentation, l’analyse et l’interprétation des données
relatives aux représentations et comportements ainsi qu’à l’identification des impacts sur
l’entreprise.
1.3 PROBLEMATIQUE
Environ 40 millions d’enfants et d’adultes vivent aujourd’hui avec le VIH/SIDA, de par
le monde. ONUSIDA estime qu’il y’a actuellement, 14 millions d’orphelins du SIDA 1
(des enfants qui ont perdu un de leurs parents ou les deux parents avant l’age de 15 ans).
A travers ces chiffres, il est évident que l’humanité est confrontée à l’une des épidémies
les plus dévastatrices de son histoire.
Cependant, ces chiffres cachent des disparités entre les continents, les pays et les régions.
En 2001 aux USA et en Europe occidentale le nombre de personnes vivant avec le
VIH/SIDA était estimé respectivement à 950.000 et 550.000, alors qu’en Asie on
estimait le nombre de séropositif à 6,6 millions. L’Afrique Subsaharienne, elle compte
28,5 millions de personnes vivant avec le VIH/SIDA.
En Afrique Subsaharienne, les chiffres sont inégalement répartis et varient d’un pays à un
autre. On note une séroprévalence de près de 40% de la population adulte dans des pays
comme le Botswana et dans certaines régions d’Afrique du Sud ; alors que pour d’autres
pays comme le Sénégal, le taux de VIH dans la population adulte est estimé à 1,4%.
Pour analyser les disparités dans la prévalence du SIDA, le concept de vulnérabilité a été
largement utilisé pour prendre en compte les spécificités sociales, culturelles,
économiques et politiques qui augmentent le risque d’infection dans un milieu donné.
Cette intégration du contexte social et dynamique de l’épidémie du SIDA en Afrique2 a
été très pertinente dans l’analyse des inégalités observées dans la distribution
géographique des taux de prévalence. Ainsi, la situation du SIDA en Afrique est parue
être en rapport avec le contexte politique et socio-économique d’un continent dominé par
les guerres, la famine, les épidémies, les déplacements de population et aussi par
l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour lutter contre le SIDA.
1
Rapport Mondiale sur le sida : 2002
Sylvie D, Agnès G : « Sida : Ménages et Familles en Afrique » ; PUF 1997
3
Institut Panos : «Le Vrai Coût du Sida : un nouveau défi au développement », l’Harmattan , 1993
2
8
Les conséquences sont énormes sur le plan social car le SIDA a provoqué dans de
nombreuses familles des décès. Le plus souvent ces victimes sont des soutiens de
famille ou des chefs de famille d’où des pertes de revenus de la famille et aussi la
précarité dans la prise en charge de l’encadrement et de l’éducation des enfants. Cette
situation dans la famille accentue la pauvreté et accroît le phénomène d’enfants de la rue
dans la mesure où ces derniers restent sans familles parfois vivant avec le VIH ou font
l’objet de stigmatisation et de discrimination.
Le SIDA menace d’accentuer les inégalités de genre. Les femmes sont extrêmement
vulnérables pour des raisons biologiques et culturelles et subissent, de plein fouet, les
conséquences de l’épidémie. Dés qu’un chef de famille de sexe masculin est infecté par
le virus1 , le manque à gagner en résultant peut les amener à courir le risque d’être
exploitées sexuellement. C’est à elles aussi qu’incombe essentiellement la question des
soins aux malades du sida et la charge d’élever les enfants orphelins du SIDA.
Selon des recherches, le développement de certains pays est aussi menacé par l’impact de
la maladie sur leur croissance économique2. Ces recherches établissent des liens entre les
taux de prévalence et le produit intérieur brut (PIB). Par exemple en Afrique
Subsaharienne dans des pays où les taux nationaux de prévalence sont de 20% on estime
que la croissance annuelle du PIB risque de baisser en moyenne de 2,6%. L’industrie
(notamment celui des mines) semble être l’un des secteurs les plus menacés. Les zones
industrielles et les zones minières constituent des régions très vulnérables à l’expansion
de l’épidémie, notamment à cause des mouvements des populations exposées à
l’infection par le VIH. Des études effectuées en Afrique Australe (Afrique du Sud et
Swaziland) montrent que les plus fortes prévalences sont enregistrées dans les zones
minières3. Ces zones ont la particularité d’abriter beaucoup de travailleurs venant
d’horizons différents et de conditions souvent pauvres, les travailleurs se déplacent ainsi
sans familles. Ce phénomène est lié surtout à des facteurs tels que la pauvreté, la
recherche du travail, la précarité de l’emploi, le sous développement.
La migration entraînant le déplacement de population des zones démunies vers des
zones considérées moins pauvres, est un des éléments favorables à l’expansion du VIH4.
Le commerce du sexe, souvent prospère autour des zones minières, est associé aux flux
migratoires et aux inégalités de genre dans les emplois (il y a souvent, une prépondérance
de la main d’œuvre masculine dans ce système de production).
Les ICS, l’une des grandes industries minières du Sénégal sont exposées à l’infection au
VIH dans la mesure où elles constituent un point de convergence de populations à la
recherche du travail et un espace de reproduction du commerce du sexe et des inégalités
de genre. C’est pour nous, une zone qui devrait nous permettre d’examiner les rapports
complexes de ces facteurs sociaux et l’évolution de l’épidémie du VIH/SIDA. Les ICS
1
T Jonckheer : « Cluster of HIV infection in our African Family», Lancet, 1985
Rapport sur l’épidémie mondiale de VIH/SIDA : «L’impact grandissant », ONUSIDA 2002
3
Hirut Gebrekristo : « The impact of family housing on HIV transmission among mining communities in
South Africa, Lancet, 1990
4
H M Knipe, Grondi D : « Sexual health and mobile migrant populations , Sexual health Exchange, 2003
2
9
constitue un point de chute de populations masculines qui se déplacent souvent sans leurs
conjointes. Ce sont souvent des hommes de la classe d’âge de 30 – 40 ans1 et qui sont à la
recherche du travail. La zone concentre des populations d’origines ethniques, culturelles
et sociales différentes.
La mobilité de la population s’accentue aux moments des arrets2 auxquels il y’a un
important recrutement de main d’œuvre journalière. Les ouvriers saisonniers et les
hommes postulant à cette fonction et viennent de plusieurs localités tant environnantes
que lointaines (des villages voisins ou des pays comme la Gambie, le Mali, la Guinée et
le Bénin). C’est également, le moment où il y a d’importants afflux de travailleuses du
sexe (prostituées)3.
A Mboro, la présence des Niayes et de la mer, est favorable au développement du
tourisme et d’autres activités tels que la pêche et le maraîchage qui complètent le tableau
économique de la zone.
Si les taux d’infection à VIH/SIDA ne sont pas connus aux ICS et dans les localités
environnantes, on considère qu’il y’a des facteurs qui constituent un potentiel de risques
au VIH dans cette zone. En fait pour appréhender ce risque on pourrait analyser la
manière dont la maladie est construite en tenant compte de facteurs tels que les
perceptions, les comportements et les pratiques sexuelles qui sont des caractéristiques
propres à chaque groupe social.
C’est dans cet ordre d’idées, que nous avons construit notre but de recherche comme
étant la compréhension des manières dont les populations se représentent et interprètent
le SIDA. L’objet de notre étude est aussi d’identifier l’impact de la maladie sur la
productivité de l’entreprise. Il est, également, question d’en analyser les répercussions sur
le corps social en particulier, sur les unités domestiques qui en général, jouent des rôles
de premier plan dans la gestion des maladies.
1
La majorité de l’age des ouvriers de l’usine est comprise entre 30et 40 ans selon la liste des travailleurs
embauches des ICS : Répertoire des travailleurs des ICS, 2003
2
Ce sont des moments dans l’année ou l’usine est arrêtée pour un entretien des machines ou engins de
production. Alors il y’a une forte demande de main d’œuvre journalière
3
C’est en cette même période qu’a été organisé un concours avec de jeunes filles sur le sexe le plus propre,
le plus profond ; juillet 2000
10
1.4 QUESTION DE RECHERCHE
L’étude que nous avons menée s’articule autour des différentes questions suivantes :
•
Quel est le contexte de vulnérabilité à l’infection du VIH/SIDA dans la zone
minière des ICS/Mboro ?
•
Quelles sont les perceptions, les représentations et les attitudes par rapport avec
l’épidémie du SIDA ?
•
Quels sont les pratiques et les comportements sexuels associés au risque
d’infection au VIH/SIDA ?
•
Quels sont les effets de l’infection VIH/SIDA sur l’entreprise ?
1.5 HYPOTHESES
Notre recherche a été guidée par les deux principales hypothèses suivantes :
•
La présence des ICS et des activités économiques induites favorise les facteurs de
vulnérabilité au VIH/SIDA.
•
Le comportement sexuel étant en rapport avec les connaissances et
représentations, il y’a une différence de comportements sexuels entre personnes
vivant avec le VIH/SIDA et les personnes négatives au test du VIH.
1.6 REVUE DE LA LITTERATURE EXISTANTE
Les perspectives des sciences sociales dans la recherche sur le SIDA se sont avérées
intéressantes voir utiles pour l’approche de l’épidémie. Ceci en raison du fait que depuis
longtemps, l’anthropologie médicale et l’anthropologie de la santé sont parvenues à
montrer que la maladie n’est pas seulement un fait biologique mais aussi un fait social.
Selon M Charmillot «la maladie n’est plus un ensemble de symptômes qui conduisent
chez le médecin. Elle est plus que cela, elle est un événement malheureux qui peut
menacer notre insertion sociale voir notre vie» 1
A partir du constat que le SIDA ne relève pas seulement d’une analyse en terme médical
ou épidémiologique il s’agissait également d’examiner la façon dont les facteurs culturels
ont été utilisés pour expliquer la teneur et les variations de l’épidémie en Afrique.
1
Charmillot M : «les savoirs de la maladie » : Les cahiers de la section des sciences de l’éducation
1997, p 23
11
Ainsi plusieurs hypothèses ont été avancées pour intégrer la présence de facteurs
socioculturels1 et des réponses liées à la construction sociale et culturelle2 dans
l’explication de la répartition différenciée des taux de prévalence.
Les approches sur les aspects sociaux sont ainsi pertinentes pour l’analyse des impacts du
SIDA.Ainsi l’ouvrage de l’Institut Panos «Le vrai coût du SIDA : Un nouveau défi au
développement» examine les conséquences démographiques, économiques et sociales
dans l’ensemble des pays en développement notamment en Afrique Subsaharienne.
L’ouvrage montre que l’épidémie provoque des crises susceptibles d’avoir des
conséquences néfastes sur des communautés entières menaçant leurs capacités collectives
d’adaptation. Selon les auteurs du livre plus que n’importe quelle autre maladie le SIDA
est à même d’ébranler les structures sociales et économiques. En effet le VIH s’attaque à
la population active et aux personnes en âge de se reproduire et sa diffusion est tributaire
du type de relation que les individus entretiennent entre eux même.
Dans l’ouvrage «Vivre et Penser le SIDA en Afrique»3 les diverses approches de ses
auteurs mettent l’accent sur les contextes de vulnérabilité économique, sociale et
politique des populations africaines. Les auteurs de cet ouvrage montrent la façon dont
ces dernières interprètent l’épidémie au regard de leurs conditions concrètes d’existence
autrement dit les multiples difficultés et tensions auxquelles elles sont confrontées.
Ainsi le texte aborde l’épidémie du SIDA sous l’angle de ses enjeux et de sa gestion
sociale afin de montrer la nécessité de l’implication des chercheurs dans les réponses
sociales et de proposer des perspectives nouvelles.
Dans cette même lancée D Sylvie et G Agnès dans l’ouvrage «ménage et famille en
Afrique4» illustrent certaines transformations structurelles et la prise en charge des
malades du SIDA par les collectivités locales. L’œuvre est relative aux unités
domestiques qui s’inventent un système, de protection sociale et des pratiques face à
l’infection du VIH/SIDA.
Dans son ouvrage «Les incidences du VIH/SIDA sur les unités de production au Burkina
Fasso : l’exemple des entreprises de Ouagadougou 5» Lingani Salfo montre les rapports
qu’entretiennent les dérivés du VIH/SIDA avec les systèmes productifs. Selon l’auteur
les effets de l’infection au VIH restructurent socialement le champ des unités de
production. De ces rapports différenciés émergent des clivages issus des enjeux de
l’épidémie sur les agents de l’unité de production.
1
Rapport 2000 de l’ONUSIDA sur «les facteurs socioculturels du sida »
Cheikh I NIANG : «La culture et son impact sur la prévention et le traitement du VIH/SIDA » : Étude de
cas sur l’expérience sénégalaise UNESCO, Août 2001
3
Charles B, Jean P D, Christine O, Moriba T : «Vivre et Penser le sida en Afrique » ; CODESRIA
Karthala –IRD 1999, 705p
4
Sylvie D, Agnès G : « Sida : Ménages et Familles en Afrique» ; PUF 1997
5
LINGANI Salfo : «Incidences du VIH/SIDA sur les unités de production au Burkina Fasso : l’exemple
des entreprises de Ouagadougou », mémoire de DEA Sociologie, année 2003-2004
2
12
Ainsi des recherches ont été effectuées sur le thème de la mobilité des populations
comme facteur de vulnérabilité au VIH/SIDA1. Ces études se sont intéressées à des types
de population comme les chauffeurs, les militaires les populations migrantes et les
communautés minières en Afrique du sud.
Selon le rapport du BIT 2sur le VIH/SIDA, les travailleurs mobiles y compris la catégorie
des migrants sont les groupes les plus vulnérables. Nombreux sont les travailleurs du
secteur des transports, des industries, de la pêche et du tourisme dont la vulnérabilité à
l’infection est très grande, ils ont souvent des rapports sexuels occasionnels avec d’autres
partenaires, ils passent de très longues périodes loin de leur famille.
Par ailleurs des études relatives aux industries minières en Afrique du sud établissent le
rapport entre le système de migration des travailleurs et le risque de comportements
sexuels. Ainsi les communautés minières sud Africaines sont les zones les plus affectés
par le VIH/SIDA dans le monde3. Ce qui explique les forts taux de prévalences dans ces
régions.
Donc la mobilité des populations constitue un des facteurs de risques face à l’épidémie du
SIDA.Comme l’attestent les recherches entreprises sur certains ethnies du Sénégal4. Les
Sérères et Jolas sont connues pour la migration inter- urbaine et les Baol-Baol pour la
migration internationale. Ces différents migrants peuvent adopter des comportements à
risque dus aux réalités du milieu d’accueil. Alors on peut voir par-là un moyen de
diffusion rapide du VIH de ces populations migrantes au contact d’autres.
Cependant Mburano Rwenge,5 même s’il reconnaît que la mobilité des populations
favorise la diffusion du virus du SIDA, soutient que se sont plutôt les conditions
socioculturelles, socio-économique et politiques dans lesquelles se déroule la migration
qui en facilitent ou freinent la propagation dans la population générale. Ces conditions
expliquent donc les variations de la prévalence du SIDA entre régions ou entre groupes
sociaux.
Ainsi l’objectif de recherche de Mburano Rwenge était de mettre en lumière ces
conditions, de montrer comment elles affectent les comportements sexuels. C’est dans ce
sens qu’il a avancé un certain nombre d’hypothèses soci-culturelles qui seraient
explicatives de la variation de la prévalence du VIH en Afrique Subsaharienne.
Au vu de ces analyses, on peut estimer que le SIDA est un phénomène qui ne relève pas
seulement d’une analyse en termes bio-médicaux ou épidémiologique ; mais aussi qui
1
Mary H KNIPE, Danielle GRONDIN : « Sexual health of mobile and migrant populations » Sexual
Health EXCHANGE 2003
2
Rapport du BIT sur le sida : «VIH/SIDA une menace pour le travail décent, la productivité et le
développement», 2003
3
Rapport Mondiale de l’ONUSIDA sur l’épidémie du Sida, 2002
4
BRUNETT-JAILLY : «La recherche en sciences sociales de la santé appliquée à l’Afrique»
l’ORSTOM, 1990
5
Mburano RWENGE : «Facteurs contextuels de la transmission du sida en Afrique Subsaharienne : une
synthèse», IFORD, Yaoundé, Cameroun, 2000
13
doit procéder d’une analyse de la culture et de la société. Il s’agit également d’examiner
la façon dont les facteurs culturels sont convoqués pour expliquer les variations de
l’épidémie en Afrique.
1.7 MODELE D’ANALYSE
Pour les sociologues et anthropologues, le SIDA a valeur de crise et les réflexions ont
tourné autour des orientations conceptuelles, théoriques et méthodologiques en fonction
des caractéristiques d’un milieu donné.
Les interrogations sociales face à l’expansion du VIH/SIDA conduisent à considérer «la
maladie comme une réalité à la fois scientifiquement et socialement définie et rechercher
certaines de ses racines dans les comportements humains et les pratiques sociales. Il faut
envisager la santé et la maladie à l’échelle d’un groupe social comme résultant
d’interactions complexes au sein d’un milieu à la fois naturellement et culturellement
construit»1. Cette approche place l’anthropologie et la sociologie dans le cadre de
l’écologie humaine.
Pour Brunet-Jailly : «Si les sociologues ont quelque chose de spécifique à apporter en
matière de développement, c’est plutôt en le prenant comme objet d’étude que comme
objectif à atteindre»2. Ainsi on peut considérer le VIH/SIDA comme un objet d’étude de
la sociologie et des sciences sociales. Cette implication de l’analyse sociologique et
anthropologique dans la recherche sur le SIDA recoupe dans un certain sens la vision de
Durkheim sur la capacité du sociologue d’étudier les faits sociaux comme des choses et
de pouvoir les rendre compte à la manière des spécialistes des sciences de la nature.
Mais au-delà de cette vision de Durkheim, la sociologie du SIDA accorde une importance
capitale aux significations et à la subjectivité.
C’est dans cette perspective que Lévi-Strauss3 ne désespérait pas d’une certaine utilité de
la recherche fondamentale des sciences humaines en l’expliquant comme étant un
domaine «comprenant au quart ou à moitié, et prévoyant une fois sur deux ou quatre, les
sciences humaines n’en sont pas moins aptes, par l’intime solidarité qu’elles instaurent
entre ces demi-mesures, d’apporter à ceux qui les pratiquent quelque chose
d’intermédiaire entre la connaissance pure et l’efficacité : la sagesse ou en tout cas une
certaine forme de sagesse qui permet de moins mal agir parce qu’on comprend un peu
mieux, mais sans jamais pouvoir faire le départ exact entre ce qu’on doit à l’un ou à
1
Cathebras. (P) : «Le champ de l’anthropologie médicale», in la dimension culturelle de la maladie.
Quelques approches, Toulouse Amades, p 13-14, 1989
2
Brunet-JAILLY : «La recherche en sciences sociales de la santé appliquée à l’Afrique», l’ORSTOM
1990
3
Lévi-STRAUSS : «Critères scientifiques dans les disciplines sociales et humaines », In Anthropologie
structurale, Paris Plon, 1973
14
l’autre aspect. Car la sagesse est une vertu équivoque qui relève à la fois de la
connaissance et de l’action, tout en différant radicalement de chacune d’elles prise en
particulier»
Dans le cadre de la recherche sur le SIDA dans le contexte africain, l’objectif serait
d’arriver à montrer la manière dont les comportements et les pratiques des individus face
à la maladie sont fortement déterminés en quelque sorte par des systèmes de
représentations qui mettent en jeu des oppositions structurales, des valeurs culturellement
marqués.
Cependant de nombreuses théories de prévention, de changements de comportement
individuel1 sont dans la plupart calquées de manière générale sur des contextes culturels
occidentaux, alors qu’en Afrique on sait que la famille, le groupe, la communauté sont
des instances de décision de premier plan. Donc c’est dans le groupe (particulièrement
dans le vécu et dans les valeurs culturelles) qu’il nous semble plus pertinent de rechercher
les différents facteurs explicatifs de l’expansion du VIH/SIDA.
C’est d’ailleurs dans ce même d’ordre d’idées que Fagot-Largeault montre qu’Émile
Durkheim, dans son étude sur les causes du suicide, déclarait inintéressante «pour le
sociologue la prise en compte des itinéraires individuels de suicidés. Constatant la
pauvreté des documents sur l’histoire personnelle des suicidants, il justifiait le parti pris
de ne pas chercher à en obtenir par le principe que les motifs de suicide sont, soit liés à
des hasards de la vie des gens que nulle science ne peut, soit le simple «reflet» dans les
consciences particulières de «causes générale» d’ordre social, que l’analyse statistique
met en évidence, et qui sont les «causes véritables» du phénomène 2»
En effet, si la volonté de Durkheim est d’élaborer une discipline scientifique traitant les
faits sociaux comme des choses qu’il s’efforce d’établir dans «Les règles de la méthode
sociologique 3» il insiste cependant sur le fait que la société est à la fois le foyer de
l’idéal et l’objet réel notamment dans ses argumentaires sur l’anomie.
Cette démarche illustre le fait que le domaine de la recherche en science sociale est
parfois confronté à une demande très puissante de réponses à des questions qui
concernent tout le monde social et qui sont parfois des «questions de vie ou de mort»
comme le dit Weber4.
De ce point de vu la recherche au sujet de l’épidémie du SIDA peut adhérer aux
principes des positions critiques et engagées de la science, une manière idéal-typique de
se définir par rapport à un objet d’étude. Dés lors, une telle recherche sur le SIDA en
Afrique tourne autour de cet enjeu méthodologique qui s’inscrit d’une part dans le
1
L a théorie de l’action raisonnée qui tente d’expliquer le comportement individuel en examinant les
attitudes, les croyances, les intentions en matière de comportement individuel
2
L a théorie de l’action raisonnée qui tente d’expliquer le comportement individuel en examinant les
attitudes, les croyances, les intentions en matière de comportement individuel
3
Emile DURKHIEM : «Les règles de la méthode sociologique », Paris PUF, 1895
4
Max WEBER : «Essais sur la théorie de la science », 1965
15
registre de l’analyse et de l’adhésion, c’est à dire l’engagement, et d’autre part, dans le
registre de l’approche critique ou de la distanciation par rapport à la recherche sur
l’épidémie.
1.8 OBJECTIF
Pour répondre aux questions soulevées par l’étude nous nous sommes fixés les objectifs
suivants :
-Analyser le contexte de vulnérabilité à l’épidémie du VIH/SIDA dans la zone
des ICS/ Mboro.
-Analyser les perceptions, les représentations et les attitudes concernant
l’épidémie du VIH/SIDA.
-Identifier les pratiques et les comportements sexuels associés au risque
d’infection par le VIH.
-Identifier des indicateurs permettant de voir l’impact de l’infection au VIH sur la
productivité des ICS.
1.9 DEFINITION DES CONCEPTS
Représentations : Il faut noter que le concept relève d’une pluralité d’approches et de
signification en fonction des disciplines (sociologie, psychologie, psychologie sociale).
La représentation sociale selon le dictionnaire de sociologie1est le savoir du sens
commun socialement élaboré et partagé, construit pour et par la pratique et qui concourt à
la structuration de notre réalité. Il s’agit d’une connaissance du réel qu’elle contribue par
ailleurs à édifier. Les représentations sociales sont donc produites et processus d’une
élaboration tant psychologique que social.
Le but visé par cette recherche est moins la représentation en elle-même que ce qu’elle
nous apprend sur la société. Les représentations sociales sont traitées comme forme
d’expression sociale et culturelle, comme des produits dont le déchiffrement permet
d’éclairer et de mettre à jour des phénomènes sociaux plus profonds.
Comportement : C’est une conduite agissant de manière plus ou moins cohérente pour
atteindre un objectif2. Dans le contexte de cette étude nous parlons de comportements
sexuels dits à risque, c’est à dire des comportements dont la recherche épidémiologique et
la recherche bio-médicale ont établi une corrélation positive avec l’infection par le virus
du SIDA. Ainsi ces comportements peuvent être associés en terme de probabilité à des
systèmes organisés de représentations et de valeurs.
1
Dictionnaire de Sociologie Gilles Ferréol, Armand Collin, Masson Paris 1991
Bélise Claire, Schiele Bernard : «les savoirs dans les pratiques quotidiennes ; Recherches sur les
représentations », Paris ; ed du CNRS, 1984
2
16
Perceptions : l’expérience ethnologique a permis de constater que les stimulis, qui
semblent identiques sont perçus différemment par les individus appartenant à divers
groupes culturels. Même les réactions qui semblent universelles parce que physiologiques
subissent l’influence de la culture1. C’est le sens que chaque personne donne à un objet,
une chose qui varie d’un groupe à une autre.
Risque : Selon le dictionnaire Nouveau Larousse Universel, l’idée de risque implique la
réalisation d’un événement accidentel due à une force majeure. Ici le risque est une
appréhension de certains comportements qui peuvent exposer l’individu ou la population
à l’infection du VIH/SIDA.
Vulnérabilité : Selon le dictionnaire du Larousse c’est le caractère de ce qui est
vulnérable ou de ce qui peut être blessé ou atteint.
Pour les NATIONS UNIES le concept de vulnérabilité dans le cadre de la lutte contre le
SIDA est défini ainsi « In the context of HIV/AIDS, vulnerability is influenced by the
interaction of the range of factors including (i) personal factors (ii) pertining to the
quality and coverage of services and programmes aimed at prevention, care, social
support and impact-alleviation; and (iii) societal factors. In combination, these factors
may craete or exacerbate individual vulnerability, and as a result, collective vulnerability
to HIV/AIDS implies not only identifying these factors, but also understanding how these
factors interact with each other, and how they differ across contexts and cultures2.
Autrement dit la vulnérabilité résulte de facteurs sociétaux qui peuvent affecter l’habilité
des individus à exercer le contrôle sur leur propre santé notamment vis à vis de
l’infection à VIH.Ces facteurs sont de plusieurs ordres (personnel, en rapport avec le
système de santé, en rapport avec la société).
1
2
Madeleine Grawitz : «Méthodes des sciences sociales », Dalloz 1972
Expanding the global response to HIV/AIDS through focused action, UNAIDS/98.1
17
Chapitre 2 Cadre méthodologique
2.1 METHODOLOGIE
Nous avons combiné une approche qualitative et une approche quantitative, toutes les
deux étant complémentaires.
La recherche qualitative a ciblé les structures sanitaires de Mboro, Darou et de Thiès,
l’usine des ICS, les concessions et les moyens de transport (Cars, Camions).
Cette phase qualitative a consisté à faire des entretiens libres et des entretiens semi
structurés avec des médecins, des infirmiers, des sages femmes. D’autres informateurs
clés tels que les restauratrices autour de l’usine, les camionneurs et les travailleuses de
sexe ont aussi été interviewés.
Pour l’enquête quantitative, le questionnaire a été utilisé avec les travailleurs de l’usine
(permanents, journaliers ou stagiaires).
2.1.1 Techniques et instruments
Les techniques et instruments utilisés dans l’étude varient du qualitatif au quantitatif.
• Ainsi pour la recherche qualitative il y’ a eu différentes étapes.
La phase d’exploration a consisté à cerner et définir le contexte de la zone afin de
circonscrire le cadre de l’étude. Elle a permis de voir aussi les différentes
caractéristiques et composantes de la zone autrement dit une monographie du milieu
avec l’aide des autorités administratives, des orateurs traditionnels, des chefs de quartier
dans le cadre d’une étude historique de la zone et de l’entreprise.
Il y’a eu aussi une phase de recherche qualitative sur le terrain. Des entretiens libres avec
des questions non formulées d’avance ont été effectués avec des personnes ressources
telles que le personnel des structures de santé, des associations de jeunes, les réseaux de
personnes vivant avec le VIH.
Les entretiens libres avec les prostitués cherchaient à avoir des informations sur leurs
clients et les moments les plus intenses de leurs activités, ils visaient également à
collecter des informations sur leurs connaissances sur les IST et sur le VIH/SIDA.
Ces questions avaient aussi intégré aussi la dimension genre qui a permis de voir le
niveau d’éducation de ces femmes.
Les différents personnels sanitaires ont constitué de véritables sources d’information
concernant les chiffres et les statistiques sur la prévalence du VIH dans les différentes
structures de santé.
On a eu à faire aussi des entretiens avec des saisonniers, des camionneurs, des
restauratrices pendant les moments d’arrêts de l’usine.
Des histoires de vie avec des familles affectées par le SIDA ont servi dans le cadre de
l’enquête ethnographique. Ces familles ont été choisies à partir des données
18
préliminaires de l’enquête sur la situation épidémiologique en collaboration avec certains
médecins du privé et du public.
• Pour l’enquête qualitative, un questionnaire comprenant différentes sections a été
utilisé. Ainsi après la partie d’identification nous avons les différentes sections suivantes :
–
Intégration socio-professionnelle
–
Connaissances du VIH
–
Attitudes et représentations
–
Comportements sexuels
–
Dépistage et statut sérologique
2.1.2 Echantillonnage
Pour la recherche qualitative, l’échantillonnage s’est effectué selon la méthode du Choix
raisonné. Les personnes ont été trouvées dans l’usine et ses environs (infirmiers, sage
femmes et médecins, camionneurs, restauratrices, saisonniers et travailleuses du sexe)
Certains membres des familles infectées ou affectées par l’épidémie ont été approchés
selon leur disponibilité.
Pour l’enquête par questionnaire, la taille de l’échantillon a été de 300 personnes.
Cet échantillon est établi à partir du calcul par la méthode de probabilité
proportionnelle à la taille sur la liste de tous les travailleurs de l’usine et d’une liste de
200 journaliers établie au cours du mois de Mars au mois de Mai 2004
La méthode de tirage au sort simple a été utilisée à partir de cette base de sondage
invoquée ci-dessus grâce au logiciel de Epi-Info a été utilisé.
2.1.3 Déroulement de l’enquête
L’enquête s’est déroulée en tenant compte de l’éthique de l’anonymat et de la
confidentialité.
Ainsi l’administration du questionnaire s’est effectuée selon des processus différents.
Pour l’administration du questionnaire on a fait appel aux infirmiers et aux sages femmes
de l’usine (surtout avec les journaliers et les permanents qui ne pouvaient pas répondre
directement sur le questionnaire du fait de leur scolarité très limitée). Nous avons eu aussi
recours à l’auto- administration, les personnes enquêtes devaient elles même remettre les
questionnaires remplis dans des enveloppes et les glisser au hasard dans des piles déjà
constituées. Ceci nous permettait d’éviter de recevoir main à main les questionnaires
déjà remplis, ainsi les enquêtées pouvaient répondre librement à toutes les questions sous
le couvert de l’anonymat et de la confidentialité.
19
2.1.4 Plan d’analyse
Après la codification du questionnaire et la saisie des données au moyen du logiciel EpiInfo, nous avons procédé à l’analyse. L’analyse des données a consisté à effectuer des
calculs de fréquence de moyenne, de variance et à procéder à différents tests statistiques
(par exemple le test du X²).Une partie descriptive des données a permis d’approfondir
l’analyse avant de faire des corrélations entre les variables.
Le croisement de certaines variables et les calculs du test de ch² nous ont permis de
démontrer les différences statistiques et de procéder à des comparaisons.
Enfin un travail d’interprétation a eu pour objet de donner un sens aux résultats obtenus.
2.2 Caractéristiques générales de l’échantillon
L’analyse du profil de l’échantillon s’est effectuée selon deux niveaux : les
caractéristiques socio-démographique et la composition socio-professionnelles.
•
Les caractéristiques socio-démographiques
La population est assez jeune et nous avons trouvé dans l’échantillon que la moyenne
d’âge des travailleurs est de 36 ans.
Dans l’échantillon nous avons trouvé 89,7% hommes contre 10% de femmes. Ce
pourcentage montre que les hommes constituent presque la totalité des travailleurs de
l’usine. Cette répartition montre un déséquilibre très notoire de l’emploi dans l’usine. La
main d’œuvre masculine est le plus sollicitée, l’administration de l’usine explique cette
situation par l’effort demandé dans le travail.
Cependant cette inégalité dans l’emploi a des répercussions sur les réalités socio
économique de la zone, elle est notamment associée au faible pouvoir économique des
femmes à coté du monopole des revenus salariés par les hommes.
La spécificité des zones minières peut s’expliquer en grande partie par le déséquilibre
dans l’emploi. L’emploi dans les mines est exclusivement un travail d’homme, les
femmes sont sollicitées au niveau du secrétariat ou de la comptabilité en général dans
l’administration et constituent, de ce fait, un faible pourcentage.
Cette situation de déséquilibre à des répercussions sur les relations sexuelles, d’une part
les rapports de pouvoirs profitent plus aux hommes qui ont plus de poids de négociation
sexuelle et d’autre part, la situation défavorisée des femmes les pousse à la prostitution.
C’est ainsi que la prostitution clandestine a atteint de grandes dimensions dans la zone de
Mboro particulièrement autour de l’usine. A cela s’ajoute aussi le déplacement des
travailleurs du sexe pendant les moments d’intenses activités telles que les arrêts
techniques de l’usine ou pendant les saisons de pêches ou de cultures maraîchères.
En relation toujours avec ce déséquilibre dans l’emploi, il s’est crée un autre phénomène
sexuel ou matrimonial : les mariages spontanés qui s’effectuent durant les périodes
d’intenses activités et qui ne durent que pendant les campagnes saisonnières.
20
Ce fait constitue un élément qui caractérise la spontanéité de la vie minière mais aussi des
stratégies d’adaptation selon un contexte bien déterminé.
Ainsi cette pratique apparaît comme un facteur de fragilisation et d’instabilité sociale, un
état « d’anomie sociale ». Elle est de même une indication probable de la détérioration
des valeurs du mariage sous les effets conjugués de la monétarisation des échanges et de
la migration, qui font que certains rôles et fonctions sociales sont radicalement
transformés.
Différentes variables mettent en évidence certains facteurs qui offrent un espace
favorable à l’épidémie du SIDA, à partir de certaines caractéristiques.
Cet état de fait justifie amplement l’amorce d’une analyse sociologique à partir de ce que
Gurvitch appelle le plan microsociologique des différents modes de liaisons sociales
autrement dit les formes de sociabilité.
De manière générale la spontanéité et le caractère temporaire de l’organisation sociale,
l’une des principales caractéristiques du milieu, nous améne à interpeller la vision de
Gurvitch sur la sociabilité. Cette dernière consiste en divers types de rapports sociaux qui
s’établissent entre les membres d’une collectivité avec différentes manières dont ces
derniers sont liés au tout social et par le tout social1.
La religion est très présente aussi dans la vie des travailleurs, qui l’expriment à travers les
associations religieuses (dahiras, organisations chrétienne). Ainsi 86% sont des
musulmans et les chrétiens sont de 14%. Il faut préciser que chez les travailleurs le
christianisme est arrivé avec les ouvriers Diolas qui ont pu avec l’aide des premiers
cadres blancs de l’usine installer la seule et l’unique Eglise de Mboro en 1960.
Tableau 1 : Répartition ethnique de l’échantillon
Ethnie
Wolof
Toucouleur
Peul
Sérère
Diola
Mandingue
Soninké
Total
Effectif
117
38
12
42
22
17
2
Pourcentage
54,1
13,1
4,1
14,5
7,4
5,9
0,7
100
Si l’ethnie wolof est la plus représentée dans l’usine, le pourcentage des autres ethnies
cumulé constitue un indicateur qui permet de voir la diversité sur le plan ethnique.
Autrement dit cela dénote la présence de différents groupes socio culturels mais aussi un
espace socio linguistique très diversifié.
1
Georges Gurvitch : «la vocation actuelle de la sociologie », Paris, PUF 3, 1963
21
Tableau 2 : Répartition selon la situation domestique
Situation
Vit avec sa famille
Vit sans sa famille
Total
Effectif
183
117
300
Pourcentage
62,5
37,5
100
On avait tantôt expliqué que la principale caractéristique des zones minières c’est qu’elles
sont des points de chute de la population à la recherche du travail.
En effet il apparaît que 37,5% ne vivent pas avec leur famille.
Cette situation s’explique par le fait que la plupart des personnes assez jeunes à la
recherche du travail parfois aléatoire se déplacent sans leur famille.
Ce phénomène est aussi étroitement lié à la réalité des milieux miniers, où les horaires de
travail sont assez complexes ainsi que la précarité du logement qui poussent les
travailleurs à laisser les familles derrière eux.
Tableau 3 : Répartition de la population selon la situation matrimoniale
Statut
Célibataire
Marié
Divorcé
Veuf
Total
Effectif
107
163
23
7
300
Pourcentage
39,4
54,3
5,2
1,1
100
La répartition de la population selon la situation matrimoniale montre que le pourcentage
des mariés est sensiblement supérieur à la moyenne mais les célibataires sont aussi
fortement présents, alors que le pourcentage des divorcés est relativement faible.
Le taux de célibataire soit 39,4% peut s’expliquer par une instabilité familiale parfois
déterminée par une forte mobilité de la population.
Au bout du compte les données fournies par les tableaux montrent que la zone des ICS
témoigne d’une pluralité d’éléments ethnique, culturels, démographique, permettant
d’expliquer la spécificité des sociétés minières. Cette spécificité bien que constituant un
facteur de dynamisme économique et de richesses culturelles peut paradoxalement être
un facteur très vulnérable face à l’infection du VIH.
Selon des recherches effectuées dans les mines en Afrique du Sud, les communautés
minières sud africaines sont les milieux les plus infectés1. Ces zones sont caractérisées
par une forte migration de pays voisins notamment le Lesotho, la Mozambique, le
Malawi, le Botswana.
1
Hirut Gebrekristos. : «The impact of family housing on HIV transmission among mining communities in
South Africa » Lancet 2000
22
Le rapport avec la famille constitue un indicateur très important et reste très explicatif
dans la particularité des communautés minières. En effet la notion de vie familiale
démontre ce que Durkheim appelle la notion de cohésion sociale1. Dans l’explication du
suicide Durkheim fait appel à des déterminants pouvant expliciter le taux de suicide et à
partir de certains facteurs qu’il assimile à la cohésion sociale.
La particularité des communautés minières est caractérisée par une vie individuelle
autrement dit l’intégration des individus à un système de référence social n’est pas
effective. Plusieurs facteurs illustrent cette non intégration parmi lesquels l’instabilité
familiale des miniers mais aussi la forte mobilité des populations en zone minière.
Ainsi la notion de cohésion sociale définit par Durkheim sous tend une forme de
solidarité du groupe c’est à dire des croyances et des valeurs communes à tous.
De ce point de vu la problématique c’est l’absence cette notion de cohésion sociale
élément stimulateur d’intégration en milieu minier qui est confrontée à une certaine
réalité.
La variable construite à partir de la présence ou non de la famille du travailleur est un
indicateur qui permet à la fois de spécifier le type de société en zone minière et les
modes de vie. Le flux de saisonniers qui se déplace à des moments donnés ce qui note
une instabilité des rapports sociaux ainsi qu’une absence de vie communautaire et
collective autour d’un cadre social organisé bien intégré et bien structuré.
•
La composition socio-professionnelle dans l’entreprise
La répartition selon le secteur montre que la mine emploie beaucoup plus de travailleurs
soit 70,7% que la chimie 29,3%.
La domination de cette activité minière explique dans une certaine mesure le déséquilibre
de l’emploi qui favorise la main d’œuvre masculine.
Tableau 4 : Répartition selon le niveau d’instruction
Niveau
N’a pas été à l’école
Elémentaire
Secondaire
Supérieur
Total
Effectif
6
38
185
71
300
Pourcentage
2,0
12,7
61,7
23,6
100
En outre il faut noter que l’activité minière ne rime pas forcément avec un niveau
d’instruction très élevé comme le montre les données sur la répartition de la population
selon le niveau d’instruction, 61,7% des enquêtés ont un niveau secondaire.
Mais cette interprétation peut être à nuancer dans la mesure où nous sommes dans un
milieu relativement instruit vu le pourcentage de 2% de gens qui n’ont pas été à l’école.
1
E Durkheim : «le suicide » , Collection Quadrige, 1983
23
Plus de la moitié des travailleurs et des journaliers de l’usine ont au minimum le BFEM.
Le pourcentage des travailleurs qui ont atteint le niveau supérieur est aussi important
(23,6%).
Tableau 5: Répartition de la population selon la hiérarchie
Hiérarchie
Agents de maîtrise supérieure
Agents de maîtrise
Ouvriers
Journaliers
Total
Effectif
11
38
201
50
300
Pourcentage
3,6%
12,6
67
16,6
100
La répartition selon le niveau hiérarchique montre que dans l’usine on rencontre
beaucoup plus d’ouvriers et de journaliers (respectivement 67% et 16,6%), les mines
donc ont la particularité d’utiliser une main d’œuvre pour les travaux de manœuvre qui
pour la plupart ne demandent pas beaucoup un niveau d’instruction très avancé.
Par conséquent le pourcentage de saisonniers est très représentatif soit 18,9% dans
l’activité minière même si les permanents sont de 77,7%. Ce pourcentage renforce
l’hypothèse sur le déplacement de population à la recherche du travail comme une des
réalités qui caractérise la zone des ICS.
En somme l’analyse de ces caractéristiques montre une situation sociale qui met en
évidence un cadre de vulnérabilité à l’égard du SIDA, grâce à l’identification de certains
facteurs qui peuvent favoriser le développement de l’épidémie.
Partant de là, l’analyse sociologique part de cette situation concrète et de cette
dynamique sociale marquées par des réaménagements perpétuels dans les rapports entre
acteurs de la vie sociale.
Le contexte socioculturel et économique constitue désormais un élément déterminant
dans l’étude du SIDA. En effet la très grande diversité de la situation épidémiologique en
Afrique avec des pays à prévalence ou par contre avec des pays à prévalence moyenne ou
faible fait apparaître un aspect lié à la spécificité du contexte social à ses valeurs
culturelles, ses représentations ainsi qu’à la dynamique du groupe.
Cette situation nous emmène à comprendre que l’état des systèmes sociaux ainsi que le
contexte social peuvent constituer des facteurs déterminants dans l’expansion du SIDA.
Ainsi il devient nécessaire de comprendre la dynamique qui est celle des interactions et
des interrelations dans la multiplicité de leurs dimensions.
En réalité les différentes caractéristiques développées sont tout à fait illustratifs de la
complexité des dynamiques sociales et économiques qui constituent une combinaison de
facteurs favorables à la diffusion rapide du virus.
24
PRESENTATION DU CADRE DE
RECHERCHE
25
Chapitre 1 Contexte socio-économique
1.1 Présentation des ICS (Industrie Chimique du Sénégal)
Dés la fin du siècle dernier, la présence de phosphate était décelée au Sénégal, mais il a
fallu attendre 1950 pour qu’une prospection systématique fut entreprise d’abord par le
Bureau de Recherche Géologique et Minière BRGM puis par la Société d’Étude et de
Recherche Minière au Sénégal SERMIS.
Ainsi en 1957 la Compagnie Sénégalaise des Phosphates de Taïba (CSPT ) nouvellement
créée reprenait l’ensemble des droits miniers de la SERMIS et mettait sur pied
l’exploitation du gisement.
Ce dernier est localise à 85km au Nord Est de Dakar, dans la région de Thiès ( plus
particulièrement dans le département de Tivaouane).
A l’époque, la CSPT était une société anonyme répartie entre le gouvernement du
Sénégal et des groupes d’investisseurs français et américains. Sa concession valable
jusqu’au 31 décembre 2033 et renouvelable par la suite tous les 25ans, porte sur 10500 ha,
avec des extensions du jugement couvertes par 8 permis d’exploitation couvrant 19500 ha.
En 1971 la production a dépassé 1.400.000 tonnes de phosphates sur des réserves
évaluées à 60 Milliards de tonnes.
Vers les années 80, avec la « sénégalisation » du personnel d’encadrement (avec l’emploi
d’ingénieurs et de cadres sénégalais), un projet fut mis sur pied et aboutit à la création
d’une industrie chimique basée sur la transformation du phosphate en acide phosphorique
et en engrais destinés, pour la plupart, à l’exportation. En 1996 les deux entreprises (mine
et chimie) ont été fusionnées avec le rachat de la CSPT par la chimie, d’où la
dénomination ICS (Industries Chimiques du Sénégal.)
Aujourd’hui les ICS se sont développés avec la coopération Sud-Sud notamment la
rencontre entre les besoins en acide phosphorique de pays comme l’Inde, le Cameroun, la
Cote d’Ivoire, le Nigeria et la disponibilité d’une mine de phosphate au Sénégal.
Ainsi, le complexe industriel des ICS a été bâti autour de différents sites dont la mine et
la chimie avec un effectif d’environ 2000 employés. La production des engrais est de plus
en plus destinée à l’exportation vers l’Inde ( principal partenaire) et dans d’autres pays
producteurs de coton comme le Mali, le Bénin et le Burkina.
Les ICS sont implantées dans une zone administrative couvrant la commune de Mboro,
avec les communautés rurales de Taïba Ndiaye, de Darou Khoudoss et de Méouane.
L’extraction minière et de la production d’acide constituent l’une des contraintes les plus
importantes en termes d’environnement dans toute la zone riveraine. Il faut noter
l’extension de la mine vers d’autres zones ayant comme conséquence le déguerpissement
des populations ou leur déplacement, ce qui crée une atmosphère de tension et de conflits
permanents entre les populations et les ICS mais aussi entre populations déplacées et les
autochtones avec comme problème déterminant la gestion des terres.
26
Néanmoins, le pole d’attraction que constituent les ICS continue de faire de ces lieux des
points de chute de toute une population venant de régions différentes ou d’autres pays à
la recherche d’emploi.
1.2 Contexte général de la zone d’étude
Notre zone d’étude est constituée de la ville de Mboro et de ses environs (les villages qui
ceinturent l’usine).
Situé à l’Ouest du département de Tivaouane sur la grande cote, Mboro est érigé en
commune depuis 20041 . Naguère un petit village, Mboro a connu sa première expansion
avec l’installation en 1936, d’une station expérimentale agricole, par l’administration
coloniale. Ainsi, jusqu’aux années 50, son évolution spatiale, économique et
démographique avait été étroitement liée avec la dynamique de cette station agricole.
A la fin des années 50 une nouvelle dynamique est apparue avec la création d’une
industrie extractive minière (la CSPT)2 et plutard avec la naissance dans les années 80
des ICS3. L’importance de cette activité industrielle a été à la base de la prolifération des
sociétés de sous-traitance travaillant avec l’entreprise et la multiplication des structures
privées de formation professionnelle pour une insertion des jeunes dans l’usine. Ceci a
expliqué l’importance du taux de scolarisation à Mboro soit 70%.
Par ailleurs la présence de lacs, de marigots et de la mangrove communément appelée les
Niayes a permis une longue tradition de culture maraîchère dans la zone. Mboro fournit
une bonne partie de la production nationale de fruits et légumes (un peu plus de 80 000/
tonnes4 par an).
En raison de la grande ouverture maritime sur la grande cote du Sénégal, la pêche comme
le tourisme sont des activités très présentes dans la zone. Selon les statistiques, 21,8% de
la population active de Mboro sont dans le secteur agricole, 8,22% dans l’artisanat. On
estime que 44,15% de la population active est constituée d’ouvriers et 38,7% intervient
dans le tertiaire5.
Ainsi sont à travers ces différentes activités caractéristiques, la zone de Mboro constitue
un pole d’attraction pour les populations migrantes qui y voient surtout, un important
marché de l’emploi.
Selon les statistiques, la commune de Mboro a une population d’environ 20 000 habitants
avec un taux de progression de l’ordre de 18% par an6 .
1
Découpage administratif, décret 2002, 1973 du 21 Février 2002
La Compagnie Sénégalaise des Phosphates de Taïba
3
les Industries Chimiques du Sénégal
4
Service départemental de l’agriculture : Office régional de la culture maraîchère ; 1989
5
Audit municipal 2003 par l’ADEM (Agence de Développement Municipal)
6
Recensement de la population générale du Sénégal 2002 ; Direction des statistiques nationales
2
27
A cette population de résidents permanents, s’ajoutent des vagues de populations
saisonnières qui convergent dans la zone, pendant les périodes de cultures maraîchères.
Les arrêts techniques des ICS drainent aussi des populations migrantes qui proviennent
de toutes les régions du Sénégal (et même de l’Etranger), avec un effectif qui peut varier
de 2000 à 30001 travailleurs saisonniers auxquels il faudrait ajouter les restauratrices, les
vendeurs ambulants, les travailleuses de sexe, etc.
Le secteur de la pêche aussi connaît d’importants flux saisonniers (en provenance de St
Louis et de Mbour) notamment vers la fin de la saison des pluies. Les pécheurs
s’installent surtout dans les localités de Fass Boye et de Mboro.
La ville de Mboro est un site touristique même si le secteur demeure non structuré et que
les infrastructures ne sont pas assez développées.
Selon les statistiques locales, les Peuls représentent 18% de la population contre 39% de
Wolofs, 22% de Sérères, 17% du groupe casamançais et 4% d’étrangers. Cette diversité
se traduit également par une diversité des modes de vie, des comportements, et des
valeurs culturelles. Ainsi, bien que la majorité de la population soit musulmane, Mboro a
eu son église dans les années 60, juste après l’installation de l’usine. Une minorité
ouvrière sérére et le groupe casamançais aidé par la mission catholique de Monrolland y
avaient construit «l’Eglise ouvrière de Mboro » en 19672.
On peut dire que le processus d’uniformisation sociale des valeurs et genre de vie n’est
pas encore effectif. La mutation des valeurs sociales reste largement ouverte aux
influences extérieures plurielles.
*
1
2
Département de la logistique des ICS : Service des arrêts techniques ; 2002
C’est une ville sérère située à quelques kilomètres de Mboro par la route des Niayes
28
Chapitre 2 Situation épidémiologique du VIH
dans la zone
2.1 Les données des structures de santé
La prévalence de l’infection à VIH/SIDA de manière générale dans la zone n’a pas
jusqu’à ce jour fait l’objet d’étude. Notre procédure était de recueillir auprès des postes
de santé publics et privés et des institutions médicales des données sur les personnes
vivant avec le virus et étant enregistrées dans ces structures.
L’objectif était d’avoir une idée sur la situation épidémiologique dans la zone à partir des
registres et dossiers médicaux même si ces chiffres ne sont pas exhaustifs, ils constituent
une base qui peut fournir une idée de la réalité de l’infection à VIH/SIDA dans la zone.
Cependant dans les trois cabinets privés, les médecins insistent sur l’idée selon laquelle
les chiffres enregistrés ne reflètent pas totalement la réalité. Selon le médecin du cabinet
privé de la mission catholique, il arrive plusieurs membres d’une même famille soient
très affectées par le SIDA, c’est l’exemple de deux familles qu’il cite.
La première1 est celle d’un père de famille polygame mort de SIDA en 2002 et dont après
les trois femmes se sont remariées avec les deux frères du défunt. Deux des femmes sont
décédées en janvier 2003, laissant derrière elles, des enfants et des maris séropositifs.
La deuxième2 est l’histoire d’une femme divorcée qui habite dans un des villages de la
commune de Mboro. Elle quitte son village pour tenir un restaurant à Mboro, elle tomba
gravement malade et rentre dans son village pour se remarier à nouveau avec son ancien
mari polygame. Elle décède en août 2003 de SIDA suite à la confirmation de sa
séropositivité.
Le même médecin affirme qu’il a actuellement enregistré cinq (5) cas sur treize (13)
consultations en IST3. Il a eu à enregistrer aussi trois (3) décès dont aucun suivi n’a été
fait avec les familles.
Dans l’autre cabinet privé les cas enregistrés sont au nombre de seize(16) dont dix(10)
sont des femmes toutes mariées à des hommes polygames (soixante(60) consultations
prénatales). Les femmes enceintes au cours des consultations subissent des testes de sang
qui permettent de connaître leur statut sérologique.
Pour les cas du dernier cabinet privé sur les vingt (20) consultations, six (6) sont
séropositifs dont un ouvrier, trois migrants et le reste de jeunes pécheurs installés dans les
zones de Mbour et de St Louis.
1
cette famille sera étudiée dans le cadre de l’analyse de cas
Idem
3
Infection Sexuellement Transmissible
2
29
Aux ICS, il y’a deux structures de santé (une pour les travailleurs de la section Mine et
une autre pour les travailleurs de la section Chimie).
Les cas enregistrés de personnes vivant avec le VIH/SIDA au niveau de la section Mine,
selon le médecin, ont été obtenus au cours d’un don de sang organisé en juin 2003.
Sur un effectif total de cette section de mil trois cent cinquante six (1356) il y’a eu quatre
cent (400) volontaires au don de sang, parmi ceux-ci cinq (5) se sont révélés positifs au
test du VIH. Ce sont tous des hommes âgés de 40 à 50 ans, mariés dans des ménages
polygames.
A la section Chimie, le médecin nous a révélé qu’il a suivi en traitement onze (11)
personnes vivant avec le VIH/SIDA dont les quatre (4) sont des travailleurs de son
département alors que les autres habitent les environs de l’usine. Ces cas ont été détectés
après un test, sur proposition du médecin et l’accord de ce dernier, suite à des
pathologies comme la diarrhée ou les accès de fièvres…. Les données ne sont pas
exhaustives, car ces tests n’ont été effectués que sur quinze (15) cas présumés dont onze
(11) se sont avérés positifs, par la suite.
La plupart de ces cas de VIH/SIDA enregistrés par le médecin de la section Chimie sont
des femmes six (6) sur un total de 11. Les cinq (5) autres sont des hommes adultes, des
pères de familles polygames.
Selon le médecin de la section Chimie, les personnes vivant avec le SIDA rencontrent
d’énormes difficultés financières et émotionnelles, d’autant plus que pour la plupart des
cas, la famille n’est pas mise au courant. Dans certains cas où la famille est informée, il
est fréquent que la personne vivant avec le SIDA souffre de discrimination et de
stigmatisation de la part de son entourage immédiat, comme nous le verrons dans
l’analyse des récits de cas effectuée dans le chapitre suivant.
L’un des problèmes qui inquiète plus les médecins c’est le remariage d’une personne
dont le conjoint est mort du SIDA. Ces remariages posent d’énormes risques d’expansion
du virus. Le médecin face à cette situation est impuissant à cause du principe du silence
ou de la déontologie médicale qui prohibe de divulguer le statut sérologique de la
personne, à quiconque, même à son conjoint ou partenaire sexuel, ou aux autres
membres de sa famille.
La recherche sur la situation épidémiologique a aussi été effectuée au niveau de l’un des
centres de dépistage de la région localisé à l’hôpital privé St Jean de Dieu de Thiès. Nous
avons ciblé ce centre de santé en raison du fait qu’on y trouve des données concernant la
ville de Mboro que le chef du laboratoire1 a bien voulu mettre à notre disposition.
Ainsi selon le médecin de l’hôpital St Jean de Dieu, entre juin 2003 et avril 2004, il a été
enregistré, sur un effectif de vingt un (21) qui ont fait le test, huit (8) cas positifs qui ont
un âge compris entre 30 et 40 ans. Il faut aussi souligner que sur ces cas enregistrés, cinq
(5) sont des femmes mariées à des hommes polygames. Le médecin révèle, également,
1
Docteur Mathurin le chef du laboratoire de dépistage de l hôpital St Jean de Dieu de Thiès
30
qu’aucun des individus mariés à des personnes positives n’a fait le test et n’a été mis au
courant du statut sérologique de son conjoint.
En dernière analyse, on peut penser que les chiffres recueillis ne soient pas représentatifs
de la population générale, ils sont peut être indicateur d’une situation lourde de danger
d’explosion épidémique dans la mesure où le contexte social qui se rattache à ce chiffre
fait apparaître des risques de propagation réelles.
2.2 Données du questionnaire sur la prévalence du VIH
De manière générale la prévalence du VIH/SIDA au Sénégal apparaît nettement faible si
l’on tient compte des taux de prévalence des autres pays africains. Comme l’indique les
estimations sur la prévalence au Sénégal en 2004, le taux chez les adultes est de 1,4%2.
Par contre dans nos enquêtes, nous avons trouvé que 5% des enquêtés ont affirmé avoir
fait les tests du VIH et que ceux-ci se sont avérés positifs. 6% de l’échantillon a aussi
affirmé avoir fait les tests et reçu des résultats négatifs.
Comme il est peu probable qu’une personne négative au test affirme qu’elle est positive,
on peut penser qu’il y’a au moins 5% de personnes vivant avec le VIH parmi les
travailleurs des ICS (l’échantillon à une marge d’erreur de plus ou moins 4%).
Les statistiques de l’échantillon laissent apparaître une vulnérabilité de la zone à
l’épidémie du VIH. D’ailleurs, les recherches menées dans les mines d’Afrique du Sud et
du Swaziland ont aussi permis de montrer que les zones minières sont les zones les plus
infectés par le VIH/SIDA. A la fin de l’année 1986, la South African Chambers of Mines
faisait état de 130 mineurs contaminés par le virus et de plus de 1000 au mois de
septembre1987. Le virus a été également dépisté parmi les femmes qui avaient eu des
relations sexuelles avec les mineurs, vivant avec elles, dans leurs campements la majeure
partie de l’année, loin de leur famille3.
Ce constat a fait des travailleurs des mines, des routiers, des travailleurs migrants, des
membres des forces en uniforme, des travailleurs de sexe des groupes très exposés bref ce
qu’on appelle les groupes vulnérables à l’infection du SIDA. Ces groupes ont été
identifiés à partir de leur particularité marquée par leur mobilité et leur isolement à un
espace social stable. Ainsi, il y’a certainement des répercussions de cette mobilité sur les
comportements et les habitudes qui favorisent la propagation du virus. Cette vulnérabilité
apparaît, alors comme étant très liée à l’adaptation de ces groupes à des nouvelles réalités
socio-économiques.
Le risque est donc très présent dans les zones minières ou dans les sites d’accueil des
populations migrantes ce qui explique le taux assez élevé de personnes vivant avec le
SIDA dans l’usine des ICS.
2
Rapport Mondial sur l’épidémie du SIDA, 2004
T. Jonckheer : “cluster of HTLV-III/LAV infection in an African family”, Lancet février 1985, pp 400401D
3
31
2.3 Profil des personnes vivant avec le VIH/SIDA
De manière générale les personnes vivant avec le VIH ne présentent pas de
caractéristiques démographiques fondamentalement différentes de celles qui marquent le
profil de l’échantillon. Ils sont à prédominance de sexe masculin et résident dans les
localités habitées par les autres membres de l’échantillon.
Tableau 1: Répartition des PVVIH1 selon le sexe
Sexe
Masculin
féminin
Total
Fréquence
14
1
15
Pourcentage
93.3%
6.7
| 100.0%
L’infection au VIH dans l’usine touche en grande partie les hommes, la nonreprésentativité des femmes au sein de l’entreprise est l’un des facteurs qui explique
qu’on a beaucoup plus de personnes de sexe masculin vivant avec le virus que de femme.
Tableau 2 : Répartition des PVVIH selon le lieu de résidence
Lieu de résidence
Fréquence
Pourcentage
Tivaouane
Darou
Mboro
Thies
Non pas répondu
Total
2
1
9
2
1
15
13.3
6.7
60.0
13.3
6. 7
100.0
Les lieux de résidence qui apparaissent sur le tableau sont situés pour la plupart à
quelques km de l’usine. Néanmoins il faut noter que la majeure partie des travailleurs
réside à Mboro car la ville abrite les cités des cadres et aussi les celles des ouvriers.
A cela s’ajoute sa proximité par rapport à l’usine mais aussi la ville a la réputation d’être
un lieu propice à l’accueil des populations migrantes.
1
PVVIH : Personne Vivant avec le VIH/SIDA
32
Tableau 3 : Répartition des PVVIH selon le niveau d’instruction
Niveau d’étude
Elémentaire
Secondaire
Supérieur
Total
Fréquence
1
11
3
15
Pourcentage
6.7
73.3
20
100
On retrouve chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA un pourcentage d’instruit très
significatif, on remarque que plus de la moitié ont été jusqu’en secondaire et même 20%
qui ont accédé au supérieur. L’argument qui lie l’infection par rapport au niveau
d’éducation est remis en cause par les données du tableau.
Tableau 4 : Répartition des PVVIH selon la situation matrimoniale
Situation matrimoniale
Fréquence
Pourcentage
Célibataire
5
33.3
Marié
9
60.0
Veuf
1
6.7
Total
15
100
On constate l’infection touche plus les personnes mariées ( 60%). A ce niveau ces
personnes peuvent être considérées comme des vecteurs de diffusion du VIH d’autant
plus qu’elles exposent leurs partenaires surtout dans les ménages polygames. Par
conséquent, il y’a là un réel risque de contamination diffuse non contrôlable.
Les célibataires représentent un pourcentage très important (33,3%) et constituent
également un groupe très vulnérable, du fait qu’ils sont une population sexuellement
active pouvant adopter des comportements à risque.
Tableau 5 : Répartition des PVVIH selon la situation domestique
Famille
Avec famille
Sans famille
Total
Fréquence
7
8
15
Pourcentage
46,7
54.3
100
Cumul
53.3
100
On note que plus de la moitié des travailleurs vivant avec le VIH/SIDA sont sans leur
famille.
Cette variable portant sur la famille indique, tout d’abord une forte migration de
population vers la zone des ICS, en plus, elle permet d’introduire la réflexion sur les
caractéristiques du contexte social local.
33
En effet la famille suppose l’existence de normes et de croyances dans le quel l’individu
s’insère à travers des logiques sociales dynamiques.
Tableau 6: Répartition des PVVIH selon la catégorie professionnelle
CSP
Journalier
Agent de maîtrise
supérieur
Agent de maîtrise
Ouvrier
Total
Fréquence
2
1
Pourcentage
13.3
6.7
1
11
15
6.7
73.3
100
On remarque que 73,3% des personnes vivant avec le VIH sont des ouvriers ; les agents
de maîtrise de l’échelon inférieur et les agents de maîtrise supérieure constituent chacun,
6, 7% de l’échantillon ; les journaliers représentent 13,3% des personnes qui ont reconnu
être positifs au test du VIH.
Par rapport aux autres travailleurs de l’usine que sont les cadres qui disposent de cités
avec des infrastructures pouvant accueillir leur famille et les journaliers qui sont pour la
plupart des saisonniers venant chercher du travail à l’usine à des périodes bien
déterminées, les ouvriers sont les plus confrontés à des situations telles que les problèmes
de logement, les horaires de travail contraignantes et parfois la distance avec la famille.
Tableau 7 : Répartition des PVVIH en fonction du salaire mensuel
Salaire
35000-50000
50000-100000
100000-200000
400000-1000000
Total
Fréquence
2
1
10
2
15
Pourcentage
13.3
6.7
66.7
13.3
100
Ainsi on peut se poser la question de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH
de leur famille d’autant plus que pour la plupart de ces personnes (66,7%) ont un salaire
mensuel qui tourne entre 100000 à 200000 F cfa, alors que le coût est des plus chers.
Tableau 8 : Répartition des PVVIH relativement sur le changement de
comportement
Changement
NRP
Oui
Non
Total
Fréquence
1
8
6
15
Pourcentage
6.7
53.3
40
100
34
Même si 53,3% des personnes vivant avec le virus du SIDA ont changé leurs
comportements sexuels à risque, 40% sont restés avec leurs vieilles habitudes. Ces
derniers exposent non seulement leur famille surtout chez ceux qui sont mariés mais aussi
d’autres individus (des partenaires sexuels) ; ce qui favorisent une rapide propagation du
virus.
Le fait que certaines personnes disent ne pas changer de comportement correspond
souvent à une certaine appréhension que ces mêmes personnes ont vis à vis de la maladie.
C’est une manière de nier le fait qu’elles pourraient être porteuses du virus ou être à
risque d’infection. Autrement dit c’est comme s’ils n’étaient pas concernés par
l’épidémie.
Pour ceux qui admettent avoir changé de comportement, (53,3%) le changement de
comportements sexuels semble résulter d’une prise de conscience du danger du virus du
VIH/SIDA. Du coup, ils considèrent ce changement comme étant un moyen de
protection contre la contamination.
2.4 Présentation de quelques cas
L’analyse des récits de cas nous a permis d’identifier trois cas significatifs pouvant
témoigner de la vulnérabilité au VIH/SIDA reproduite par les relations sociales.
• Cas A
–
Un émigré père de famille mort suite à l’infection du VIH :
Cet émigré, père de famille a voyagé à travers l’Afrique centrale à la recherche d’or et du
diamant avant d’atterrir en dernier lieu en Italie. Il revient malade de SIDA dans sa
famille qui est à Mboro et dans la quelle il est polygame a trois épouses.
Après sa mort suite au VIH/SIDA auprès de sa famille, ses deux femmes sont
« héritées » par les deux jeunes frères qui eux aussi avaient déjà eu des femmes.
On note aussi que ces femmes « héritées » étaient en âge féconde et ont continué à avoir
des enfants dans ce nouveau mariage. Récemment l’une des femmes qui était restée
veuve est morte aussi de SIDA.
35
• Cas B
– La veuve séropositive
L’histoire de cette femme est celle d’une veuve qui se retrouve dans des conditions très
précaires. N’ayant plus le choix elle retourne auprès de sa mère qui habite dans le même
village qu’elle dont celui de Darou qui est aux environs de 2 km de l’usine.
Revenue dans sa famille qui était au courant de sa maladie, sa mère lui refuse le droit de
partager le lit, la nourriture avec elle et avec ses autres frères et sœurs.
Dans le quartier, elle ne pouvait pas sortir ou sinon ce sont les jets de pierres et les
insultes des voisins pour lui rappeler qu’elle était « tiaga »1 .
• Cas C
– Divorce et remariage
Cette femme est une restauratrice divorcée. Elle quitte son village natal qui est à
quelques km de Mboro pour venir s’installer en ville et y tenir un restaurant. Au stade
avancé de l’infection du VIH, elle retourne au village pour se remarier à nouveau avec
son ancien époux. Il faut préciser que l’ancien mari a aussi d’autres femmes.
Les quelques cas présentés ci dessus font ressortir les facteurs de risque tel que reproduit
par les règles et relations sociales.
Les systèmes sociaux ainsi que ses différentes interrelations déterminent la dynamique
dans les rapports entre les personnes. Les valeurs et les pratiques sociales comme on les
rencontre à travers ses différentes familles, telles que le lévirat, le sororat peuvent
devenir source de transmission et de propagation du VIH.
Cependant ces valeurs bien que soient des réseaux d’expansion de l’épidémie, elles
appartiennent à l’ordre des mœurs de l’organisation et de la conservation familiale.
Notons également que ces valeurs s’insèrent dans des systèmes de régulation ayant des
fonctions sociales très significatives.
1
C’est un nom wolof qui désigne une prostituée
36
REPRESENTATIONS ET IMPACTS
DU VIH
37
Chapitre 1 Attitudes et comportements
1.1 Perceptions de la maladie et opinions
sur les moyens de prévention
Selon J.P Olivier de Sardan1, la plupart des représentations populaires des maladies en
Afrique ont été produites dans les langues et cultures sans lien aucun avec la médecine
moderne. Les rapports quotidiens que les gens entretiennent avec les maladies continuent
bien souvent à être pensés et dits avec les mots influencés en quelques sorte par un fond
culturel local.
Le SIDA comme maladie comporte des dimensions sociales à travers les interprétations
et perceptions des individus. Le contexte social est donc très déterminant dans
l’explication des rapports que les personnes d’un tel milieu entretiennent avec la maladie.
Donc dans cette étude l’analyse de certaines variables nous ont permis d’appréhender leur
niveau de connaissance et certaines représentations que les travailleurs se font du SIDA.
Tableau 1 : Répartition de la population selon le degrés d’information du SIDA
Information
Effectif
Pourcentage
Beaucoup
entendu
Trop entendu
Peu entendu
Pas entendu
Total
212
70,7
65
20
3
300
21,7
6,7
1,9
On note que plus de la moitié des travailleurs de l’usine soit 70,7 % a beaucoup
entendu parler de la maladie du SIDA. Ce qui veut dire que qu’il y’ a une bonne
sensibilisation du SIDA à l’intérieur de l’usine, ou ils s’informent à travers les médias
que sont les radios, la télé ou à travers les journaux. Ceci vient témoigner de la
mobilisation du Sénégal contre l’épidémie, en fait dans le domaine des connaissances et
attitudes concernant le VIH/SIDA. Des enquêtes ont mis en relief une large connaissance
de la population par rapport à la maladie2.
On peut supposer que cette connaissance du SIDA chez ces travailleurs constitue un
élément très important dans la mesure où 86,6% savent que le SIDA est causé par un
virus. Par contre environ 14 % pensent le contraire surtout chez certains qui inscrit la
maladie du SIDA selon le mauvais sort soit 7,3%, la sorcellerie 4%. Cette référence au
1
J,P,de SARDAN : «La construction sociale des maladies », Paris PUF 1999, p 7 (374)
2
Enquêtes de Panos Londres sur la communication en matière de VIH au Sénégal, au Mali ; Population
Briefs ; Volume 9, Numéro 2001
38
surnaturel est d’abord liée à une forte croyance religieuse qu’elle soit musulmane,
chrétienne ou qu’elle soit la religion traditionnelle africaine un des traits caractéristiques
des africains. Cela pose donc l’invocation de l’interprétation religieuse et surnaturelle
comme explication du SIDA. A cet égard il est évident que chez certains de ces
travailleurs le SIDA est une maladie qui se guérit.
Graphique 1 : Répartition de la population selon le point de vue sur les remèdes du
SIDA
120
100
100
80
59
60
54,3
40
28,8
20
32
17
16,9
10
0
Prière
Med traditionnelle
Med moderne
Total
Ce diagramme montre une fréquence élevée de personnes qui croient en la médecine
traditionnelle pour la guérison du SIDA. 54,3% sont convaincus que la médecine
traditionnelle peut guérir du SIDA et 28,8% pensent que le remède se trouve dans les
prières.
Donc la médecine moderne n’a pas convaincu certains travailleurs en ce qui concerne le
SIDA. Ce fait peut être lié par l’échec actuel des recherches sur l’épidémie ce qui remet
en question l’efficacité de la médecine moderne dans la découverte du vaccin contre le
VIH.
L’invocation du religieux et du surnaturel par les travailleurs est une identification aux
croyances et valeurs auxquelles les personnes enquêtées se réfèrent afin de pouvoir
donner une explication à la maladie. L’incapacité de la médecine de vaincre le SIDA peut
justifier l’explication irrationnelle qui semble être la plus adaptée.
39
Tableau 2 : Répartition de la population sur le moyen le plus efficace de la
prévention sur le SIDA
Moyen le plus efficace
Prière
Fidélité
Préservatif
Gris-gris
Abstinence
Autres
Total
Effectif
26
106
100
51
12
5
300
Pourcentage
8,7
35,3
33,4
17
4
1,6
100
Les données du tableau montrent que les moyens que l’on cite le plus souvent comme
étant les formes de protection les plus efficaces contre le SIDA sont la fidélité, et
l’utilisation du préservatif qui sont respectivement 35,3% et 33,4%. Alors que pour
d’autres ce sont les gris-gris 17%, les prières 8,7% ou l’abstinence 4%.
Par rapport à ces réponses on arrive à déceler deux types de position, d’abord ceux qui
sont en harmonie avec le modèle d’information classique sur la prévention du SIDA à
travers les médias de sensibilisation et d’autre part d’autres ceux qui ont des opinions
déterminées par des convictions religieuses et culturelles.
L’analyse de ces variables permet d’appréhender les différentes représentations dans ce
milieu de travail. L’enquête montre qu’une grande majorité a entendu parler du SIDA
mais par contre peu en parle avec le partenaire sexuel ou avec les membres de sa famille.
Les personnes qui parlent souvent du SIDA préfèrent en parler avec des collègues du
travail.
On note également que les modes de transmission sont pour la plupart considérés comme
étant liés au libertinage sexuel et les symptômes décrits tournent autour de ceux touchant
des organes sexuels et aussi à l’amaigrissement.
On retiendra à travers ses réponses la complexité des représentations qui reflètent une
certaine forme de construction sociale du SIDA déterminée par les rumeurs, les
informations ponctuelles, les croyances populaires …
La maladie, comme le montre l’enquête dépasse le cadre biologique et consiste en une
transgression d’interdits de règles sociales ou plutôt une maladie d’impureté. Autrement
dit les personnes voient le SIDA comme une punition divine aux pratiques perverses.
La saleté citée dans le questionnaire comme cause du SIDA, il faut reconnaître qu’elle
renvoie à cette dimension spirituelle de l’impureté.
Cette perception du SIDA s’explique par l’identification de la maladie chez certains
types de populations tels que les prostitués, les homosexuels ainsi qu’à tous ce qui
s’écarte des règles de la sexualité telles que définie par la société.
Ces différentes perceptions et représentations montrent par conséquent les attitudes et
comportement vis à vis des personnes vivant avec le virus et y trouve leur signification.
40
Le religieux et le surnaturel sont aussi invoqués soit pour justifier la cause de l’infection
par exemple les mauvais vents, la sorcellerie, châtiment divin ou soit l’utilisation des
prières, des gris-gris comme moyens de guérir le SIDA.
C’est dans ce même ordre d’idées que Olivier de Sardan1 montre que les représentations
populaires des maladies en Afrique ont été produites dans les langues et cultures sans lien
aucun avec la médecine moderne.
Les rapports quotidiens donc que les gens entretiennent avec les maladies continuent bien
souvent à être pensés et dits avec des mots et des catégories influencées en quelques
sortes du fond local.
La dimension sociale du SIDA est perceptible à travers les différentes interprétations et
perceptions que les individus se font de la maladie. Le contexte social et culturel devient
alors déterminant dans l’explication des rapports entre les personnes et la maladie.
1. 2 Les comportements sexuels
Dans l’ensemble de l’échantillon, beaucoup de cas de comportement sexuel à risque ont
été rencontrés. Comme l’indique le tableau ci-dessus, près de la moitié des enquêtés
(48,1%) ont eu comme partenaires sexuels, une personne avec laquelle il ou elle n’était
marié.
Tableau 3 :
Répartition du dernier rapport sexuel selon le type de partenaire
Partenaire
Effectif
Pourcentage
Avec l’époux ou l’épouse
Avec une femme (qui n’est pas l’épouse) et avec
qui l’homme a eu des rapports pour la 1ere fois
Avec un homme (qui n’est pas le mari) et avec qui
la femme a eu des rapports pour la 1ere fois
Avec une femme (qui n’est pas l’épouse) mais avec
qui l’homme a des rapports fréquents
Avec un homme (qui n’est pas le mari) mais avec
qui la femme a des rapports fréquents
152
35
51,9
12,5
9
45
81
28,9
16
80
Le tableau précédent présente plusieurs cas de figure :
- Il s’agit d’abord du fait, que le dernier rapport sexuel se soit déroulé entre
conjoint
Un autre cas de figure est le fait que l’homme a eu son dernier rapport sexuel avec
une femme qui n’est pas son épouse. Ce dernier rapport de l’homme est le
premier qu’il a eu avec cette femme
Le tableau présente aussi le fait que la femme a eu son dernier rapport sexuel
avec un homme qui n’est pas son conjoint. Ce dernier rapport est le premier avec
cet homme
1
J P Olivier de Sardan : «la construction sociale des maladies», Paris PUF, 1999, p 7-9
41
-
Il y a aussi les cas des rapports sexuels avec des femmes (qui ne sont pas les
épouses) mais avec qui l’homme a des rapports fréquents
Enfin, Il y a les cas des rapports sexuels avec des hommes (qui ne sont pas les
époux) mais avec qui la femme a des rapports fréquents.
-
Le questionnaire a, par ailleurs, étudié les rapports sexuels entre les hommes et les
travailleuses du sexe et a mis en relief une fréquence élevée de cas comme le montre le
graphique ci-dessous.
Graphique 2 : Effectif des hommes qui ont admis avoir eu des rapports sexuels avec
les professionnelles du sexe / nombre de fois au cours du mois passé
140
116
120
100
80
65
60
40
34
32
19
20
14
6
5
3
3
R
P
N
12
fo
is
10
fo
is
5f
oi
s
4f
oi
s
3f
oi
s
2f
oi
s
1f
oi
s
0f
oi
s
0
Le recours aux prostitués durant le mois comme le montre la fréquence du graphique est
très significative.
Selon certaines personnes enquêtées, le recours aux prostitués est encouragé par le fait
des horaires de travail pendant la nuit surtout au niveau de la mine. Certaines
professionnelles du sexe (prostituées) profitent de ce moment pour offrir leurs services
aux travailleurs en les retrouvant dans leurs cabines ou leurs postes de travail.
Plusieurs recherches ont montré que la propagation du SIDA est étroitement liée à
certains comportements sexuels dits à risque. On voit, dans cette étude que quelque soit
la situation matrimoniale, la majeure partie des travailleurs de l’usine est exposée à
l’infection du VIH/SIDA notamment par le multipartenariat sexuel mais aussi par une
forte sollicitation des travailleuses du sexe.
42
Cette particularité dans les comportements sexuels selon les données de l’enquête est
tributaire du contexte minier. L’un des principales caractéristiques de ce contexte c’est,
en plus des travailleurs permanents de l’usine il constitue aussi un milieu d’accueil de
plusieurs populations mobiles telles que les routiers, les saisonniers.
Par ailleurs, il y’a aussi la vulnérabilité des femmes par le fait du déséquilibre dans
l’emploi qui rend vulnérable ces dernières. Ce rapport de force défavorable aux femmes
conditionne parfois un recours à une forme de prostitution clandestine. La recherche donc
de partenaires sexuels des femmes dépend souvent de leur faible niveau de ressources.
Des analyses portant sur cette question de la vulnérabilité des zones minières à l’infection
du VIH/SIDA ont été illustrées par des études1 effectuées dans les mines d’Afrique du
Sud qui révèlent des taux2 de prévalence très élevés par rapport aux moyennes nationales
Une telle vulnérabilité coïncide avec une précarité sociale notamment avec les
travailleurs vivant seul sans leur famille ou les saisonniers temporaires constitués pour la
plupart de population jeune. L’offre très présente de services sexuels favorise un
changement de comportements sexuels dans le sens d’une multiplication des partenaires
occasionnelles et d’un recours à la prostitution.
Certains auteurs parlent de « promiscuité sexuelle »1 et place cette notion au centre de
leurs réflexions comme caractéristique propice aux cultures africaines et aux sociétés
africaines de manière générale. Par contre des anthropologues et des sociologues2
recentrent l’explication sur les fondements structurels et économiques qui sont à l’origine
des mutations sexuelles dans certains milieux.
La multiplicité donc des partenaires sexuels ou la fréquentation des travailleuses de sexe
résulte de l’environnement souvent propice à une mutation des comportements sexuels.
A cela s’ajoute parfois une situation de profonde isolement ou de promiscuité social,
affectif et sexuel de ces travailleurs à laquelle « ils ne s’adaptent que difficilement sur le
plan socio-culturel, économique que psychologique »3
Depuis le début de l’épidémie, le préservatif a été considéré comme un moyen de
protection contre le VIH. Nous avons abordé cette question dans notre enquête.
1
Hirut Gebrekristo : 1990 «the impact of family housing on HIV transmission among mining communities
in South Africa» Lancet
2
Rapport sur l’épidémie mondiale de VIH/SIDA 2002 : «Le Point : sida et monde du travail»
1
La notion de promiscuité sexuelle (traduction libre de l’anglais) se retrouve parfois dans la littérature
francophone sous des appellations du type «partenariat multiple» ou «de mobilité sexuelle»
2
Sanders D and A Sambo : «AIDS in Africa the implications of Economic Recession and Structural
Adjustement », Health policy and Planning 1992 p 157-160
3
Anarfi J K : «Sexual Networking in some selected societies in Africa », Sonderborg, 1990 p 38
43
Tableau 4 : Fréquence d’utilisation du préservatif avec les prostitués
Préservatif
Oui
Non
Total
Effectif
110
69
179
Pourcentage
73,9
26,1
100
Le tableau montre un autre aspect lié aux comportements sexuels à risque avec
l’utilisation du préservatif. En fait 26,1% des travailleurs n’ont pas utilisé le préservatif
lors des derniers rapports sexuels avec les prostitués.
D’autre part selon certains propos recueillis chez des travailleurs il est inconcevable
d’utiliser le préservatif avec sa femme.
Cette réticence à l’utilisation du préservatif dans les rapports sexuels repose tant sur des
représentations religieuses et tant sur des raisons à la fois de confort, d’affection et de
confiance. Ceci constitue un facteur de révélateur social sur l’éducation sexuelle.
Le refus du préservatif malgré une connaissance du SIDA reste très lié à des
représentations sociales en rapport avec la sexualité telle qu’elle est construite et
socialisée par ces travailleurs de l’usine.
Ce décalage entre la connaissance et l’acceptation reste un problème persistant malgré les
politiques de prévention et de sensibilisation et à la suite accentue le risque à l’infection
du VIH.
Par ailleurs, le risque devient beaucoup plus présent, lorsque les personnes vivant avec le
VIH/SIDA ont des rapports sexuels non protégés (environ 40% des personnes vivant avec
le VIH/SIDA n’ont pas utilisé le préservatif lors des derniers rapports sexuels).
Partant l’utilisation du préservatif permet de soulever des questions liées notamment à
l’appréciation du risque chez ces personnes infectées mais aussi de manière générale sur
le contexte culturel et l’acceptation du préservatif
Tableau 5 : Analyse comparée des comportements sexuels
Comportements
PVVIH (personnes vivant Négatifs au test
avec le VIH
A eu recours aux prostitués 53,3% (nombre moyen de 11,1%
au cours du mois passé
fois : 1,6)
(nombre moyen
de fois : 0,18)
Utilisation du préservatif 53,3
avec prostitués au cours du
mois passé
66,7
44
Le tableau expose les derniers rapports sexuels avec les prostitues et l’utilisation du
préservatif avec ses même prostitues au cours du mois passe.
A partir de cette analyse comparée des gens qui ont connu leur résultat de test qu’il soit
négatif ou positif on peut remarquer que les comportements sont différents entre les
personnes qui ont le SIDA aux personnes qui sont négatives au test.
Cette différence est perceptible à deux niveaux d’une part sur la fréquentation des
prostitués et d’autre part sur l’utilisation du préservatif.
En fait les personnes négatives aux tests semblent être plus conscientes de la notion de
risque et ont des comportements qui les exposent moins à l’infection du VIH/SIDA.
Au contraire, chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA la tendance est tout autre, ils
exposent toute une population et du coup ont des comportements qui favorisent la
propagation de l’infection et les plus vulnérables sont les prostitués avec les quelles ils
entretiennent des rapports sexuels non protégés.
Des changements de comportements sont perceptibles auprès des personnes négatives
aux tests contrairement auprès des personnes infectées.
Par ailleurs, dans l’échantillon général, ces changements de comportement restent
toujours relativement limités, dans la mesure où plus de 25% ont affirmé qu’ils ne
veulent pas changer de comportements sexuels.
Tableau 6 : Répartition de la population relativement sur le changement de
comportement sexuel
Changement
Effectif
Pourcentage
Oui
220
77,1
Non
NRP
Total
77
3
300
25,7
0,2
100
La résistance aux changements de comportements sexuels chez certains des travailleurs
surtout chez les personnes vivant avec le VIH/SIDA pose d’avantage la problématique du
risque à l’infection VIH/SIDA.
A la question pourquoi les travailleurs ne veulent pas changer de comportements, le
recours à des recherches beaucoup plus approfondies liées à des dimensions
psychologiques et sociales des individus peuvent expliquer ce type de comportement.
45
Chapitre 2 Identification des d’impacts sur l’entreprise
L’impact de l’épidémie du SIDA sur l’effectif de la population active dépend de
l’ampleur de la contamination et de la vitesse de propagation1 . Mais de manière générale,
il peut atteindre le capital en ressource humaine, la productivité et la couverture des
dépenses de santé.
2.1 Effets sur le capital humain et sur la productivité
il y’ a des impacts de la maladie du SIDA sur le capital humain et la productivité de
l’entreprise. La maladie a des répercussions sur le rendement et la qualité du travailleur
vivant avec le virus.
Concernant l’entreprise, le SIDA est considéré comme ayant un impact très négatif car la
maladie s’attaque à des travailleurs qualifiés, instruits et qui sont souvent, des soutien de
famille. Ceci renvoie à des pertes de compétence : le SIDA a tendance à frapper des
individus productifs qui ont accumulé un capital d’expérience qui s’est constitué au cours
de longues années de travail.
Une étude menée au Zaïre en 1988 montre que l’infection à VIH/SIDA avaient atteint des
individus dont les niveaux d’instruction et de revenus de qualification étaient les plus
élévés2 . Ces répercussions sont ressenties à la fois dans l’entreprise et au niveau de la
famille.
On note que, selon les données du questionnaire, la moyenne d’age des personnes vivant
avec le VIH/SIDA est de 36 ans. Ces personnes appartiennent aux différentes catégories
socio-professionnelles de l’usine, comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau 7 : Répartition selon la catégorie socio-professionnelle des personnes vivant
avec le VIH/SIDA
CSP
Journalier
agent de maîtrise
supérieur
Agent de maîtrise
Fréquence
2
1
Pourcentage
13.3
6.7
Cum.
13.3
20
1
6.7
26
Ouvrier
11
73.3
100
Total
15
100
A travers le tableau on peut lire que le SIDA touche aussi bien les cadres que les ouvriers
et les journaliers. Pour l’entreprise, l’enquête montre certains indicateurs à partir desquels
on peut identifier et analyser des effets du SIDA sur la productivité.
1
Institut Panos : «le coût du Sida un nouveau défi au développement », l’Harmattan 1993
R Ryder : analyse économique de l’impact de l’infection à VIH/SIDA sur les patients de l’hôpital Mama
Yemo de Kinshasa Zaïre AIDS 1990
2
46
Tableau 8 : Analyse comparée des indicateurs relatifs à l’absentéisme
Indicateurs
PVVIH
Nombre moyen de jours d’absence au cours du mois
passé
Fréquence des raisons évoquées pour justifier les
absences au cours du mois passé
maladie -------------------------cérémonie -----------------------décès de parent ------------------
2,8 jours
Négatifs
au test
0,5 jour
40,0%
0,0
6,718,5
18,5%
7,4%
0,0%
Le SIDA menace la productivité de l’entreprise notamment avec l’augmentation du taux
d’absentéisme. Le problème consiste en une perte de plusieurs heures de travail comme le
montre le tableau. En générale les personnes infectées s’absentent le plus souvent pour
des raisons de maladie. A un certain stade de la maladie, ces absences peuvent
s’accentuer et les congés de maladie deviennent de plus en plus fréquents.
Selon les informations que nous avons reçues, à l’usine, les travailleurs vivant avec le
VIH/SIDA, sont souvent reclassés dans des postes considérés comme moins
contraignants et plus compatibles avec leur état de santé avec, parfois, des créneaux
horaires réduits. Ce qui pourrait, certainement, entraîner une baisse de leur productivité.
2.2 Les dépenses de santé
La prise en charge médicale des personnes malades du SIDA, par l’entreprise pourrait,
constituer aussi une menace pour les chiffres d’affaires et bénéfices. On peut citer, à titre
d’exemple le cas d’un employé dont la maladie a été prise en charge pendant deux ans
par les ICS avant qu’il ne décède. Au stade final de sa maladie cet employé avait été
placé sous traitement ARV (Antirétroviraux)1
Selon le service médical de l’usine l’achat de médicament pour cet employé était de
65000 f cfa par mois pour les ARV. A cela s’ajoutait, un coût estimé incalculable de
médicaments pour le traitement des maladies opportunistes. Le malade avait fait l’objet
de plusieurs hospitalisations dans les cliniques et hôpitaux du pays. L’employé en
question avait été acheminé, à 2 reprises en France, pour y recevoir des soins. Les frais
d’évacuations sanitaires à l’étranger sont estimé à 10 millions de franc cfa, chacun. Le
coût des hospitalisations au Sénégal est considéré comme variant entre 4 et 5 million de
francs par hospitalisation.
Après le décès de ce même ouvrier, les ICS ont versé un capital décès de 3 millions, en
plus du salaire contractuel, à sa famille, pendant 3 mois. Il faut préciser que ce salaire
contractuel peut être très consistant, si le défunt appartenait à une catégorie élevée de la
1
Les antirétroviraux sont des médicaments pour le traitement de l’infection du VIH/SIDA même s’ils ne
guérissent pas du SIDA
47
hiérarchie professionnelle. Il y’a aussi l’assistance financière pour l’organisation des
funérailles donnée par l’entreprise en guise de participation aux obsèques. Aux deux
enfants les plus âgés de l’ouvrier, les ICS ont effectué des versements mensuels d’une
certaine somme d’argent, sur une période de 5 mois. Il faut en ajouter à ces versements,
les prestations d’assurance maladie et celles des assurances vie.
Par ailleurs, selon le médecin de la section Chimie, pour les quatre (4) cas qu’il a eu à
traiter, le budget en médicament varie entre 600 000 à 800 000 F par commande, et le
nombre de commande pouvant aller jusqu’à trois (3) par an. Ces médicaments sont
achetés par l’entreprise. Pour les malades qui sont de la famille mais qui ne sont pas
couverts par l’entreprise, ils comptent souvent sur les associations d’aide, pour pouvoir
bénéficier des dotations en matière de médicaments et de soins contre le SIDA.
Selon une étude menée en Afrique du Sud, les compagnies d’assurance ont versé, à la fin
des années 1980, un total de 1,3 milliard de dollars, d’indemnisations diverses liées au
SIDA1
En examinant les différents éléments qui constituent les depenses de sante, on aperçoit
que pour le cas des ICS, si on peut penser que le SIDA n’a, peut être, pas encore entraîné
d’effets catastrophiques immédiats sur les finances de l’entreprise, on peut craindre que
au fur et à mesure que les personnes déjà contaminées tomberont malades, les budgets et
le ralentissement de la production (notamment avec l’accroissement des absences)
deviendront une menace qui se fera de plus en plus sentir.
Le SIDA affecte donc le monde du travail à plusieurs niveaux : il frappe le segment le
plus productif de la main d’œuvre, réduit ses gains et accroît considérablement les
dépenses des entreprises parce qu’il réduit la production, augment les coûts du travail et
induit une perte de compétences et d’expériences.
Par ailleurs il y’a des répercussions sur les familles car les travailleurs contaminés sont
aussi des soutiens ou des responsables de famille. L’impact sur les ménages donc s’avère
très grave sur le plan de l’éducation des enfants, la prise en charge de la famille si un
travailleur de cette famille venait à mourir du SIDA.
1
Anarfi J K : «Sexual Networking in some selected societies in Africa », Sonderborg, 1990 p 38
48
CONCLUSION
Cette étude sur le SIDA a nécessité la construction d’une approche conceptuelle qui
permet une analyse multidimensionnelle (tout à la fois social, économique et biologique)
de la maladie. Cette approche a été empruntée à la démarche générale des sciences
sociales.
En effet, l’approche des sciences sociales sur la question du SIDA dépasse généralement
le cadre d’une simple évaluation pour entrer dans l’analyse de la complexité des facteurs
associés à la maladie. Il fallait établir des liens entre les facteurs culturels, sociaux,
économique et la progression du SIDA.
Notre recherche sur le SIDA en zone minière a soulevé des questions liées à la
dynamique économique et sociale qui caractérise le milieu. Plusieurs recherches sur le
SIDA ont été menées en partant du concept de vulnérabilité à l’infection VIH et ont ciblé
des groupes dits à risque, en l’occurrence, les travailleuses du sexe, les homosexuels, les
migrants. Ces groupes, isolés parfois dans un souci de recherche épidémiologique, se
révèlent, être, sous l’angle de la recherche socio-anthropologique, des agents sociaux en
interrelation permanente avec leur environnement social.
L’étude nous montre que la vulnérabilité et le risque d’infection au VIH se reproduisent
dans le contexte de la zone des ICS. Des facteurs associés à la propagation du SIDA ont
été montrés par les enquêtes. Ainsi le lévirat est apparu comme un facteur de risque de
transmission du virus, de même que le multipartenariat sexuel. Une large proportion de la
population semble avoir entendu parler du SIDA mais les changements de comportement
sexuel ne semblent pas avoir eu lieu. Les facteurs de risque et de vulnérabilité semblent
résulter d’interactions complexes entre les réalités socio-économiques et les perceptions
et les types de comportements.
Par ailleurs, l’enquête par questionnaire révèle une prévalence du VIH de 5%. Ce qui est
un taux très élevé par rapport à la moyenne nationale, qui elle, est estimée à 1,4% chez
les adultes. Ces données du questionnaire vont d’ailleurs, dans le sens des données
épidémiologiques recueillies à travers différentes structures de santé implantées dans les
ICS et dans la zone. On retiendra que la majorité des personnes vivant avec le VIH/SIDA
telle que l’a montré les enquêtes sont des hommes mariés. D’après les données des
structures de santé, les hommes mariés vivant avec le VIH n’avaient pas informé leurs
conjointes.
Dans les milieux du travail comme le montre cette étude sur l’entreprise des ICS, le
SIDA s’avère être une menace très importante. Pour l’essentiel l’impact du SIDA dans
l’entreprise apparaît à différents niveaux.
La perte de productivité ainsi que la perte d’une main d’œuvre qualifiée pourraient être
des conséquences qui résultent de l’absentéisme des personnes infectées du fait que
l’épidémie s’attaque à la population la plus active.
A cela s’ajoute les dépenses financières liées à la prise en charge médicale des
travailleurs infectés.
49
L’étude a soulevé des points de réflexion qui, dans le souci d’une approche holistique
pourrait, compléter l’analyse de la situation du VIH/SIDA dans l’entreprise par des
recherches sur les cultures et relations sociales avec des communautés locales qui sont en
interaction avec les ICS.
La mise en œuvre de cette approche pourrait s’appuyer sur l’approche qualitative telle
que posée dans l’étude (notamment par la reconstitution et l’analyse des cas de personnes
et de familles infectées ou directement affectées par le VIH).
50
BIBLIOGRAPHIE
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Rapport du BIT sur le SIDA : 2000 «VIH/SIDA Une menace pour le travail décent, la
productivité et le développement », Genève
53
ANNEXES
54
QUESTIONNAIRE ICS
Je m’appelle__________________________ , je fais cette enquête pour Ndack DIOP, étudiante en
troisième cycle de sociologie à l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar (UCAD). Ndack DIOP mène une
étude sur les problèmes de santé dans la zone minière de Mboro.
Je vais vous poser quelques questions parfois très personnelles mais soyez rassuré que vos réponses sont
strictement anonymes et confidentielles.
Nous vous serions reconnaissant de nous aider de répondre à ce questionnaire
N° !_ !_ !_ !
1
Identification
1.1
Sexe :
1.2
Age : !_ !_ !
1.3
Où (dans quelle localité) résidez-vous actuellement
_______________________________________
1.4
1.5
Masculin
1
Féminin
2
De quelles régions du Sénégal / ou de quels pays êtes vous originaire ?
Dakar 1 St Louis 2
Louga 3 Diourbel
4
Kaolack 5
Fatick 6 Thiés
7 Tambacounda
8 Ziginchor
9
Kolda
10
Matam
11
Mali
12
Guinée
13
Mauritanie
14
Gambie
15
Autres pays _____________________________
Ethnie :
Wolof
1
Al Pulaar (Toucouleur) 2
Sérère
4
Diola 5
Mandingue
Autres ______________________
1.6
Religion
Musulman
1
chrétien
2
Autres____________________________
1.7
Quel est votre niveau d’instruction ?
N’a pas été à l’école
1 Élémentaire
Secondaire
3
Supérieur
Peul 3
Soninké
6
2
4
1.8
Dans quel secteur êtes vous affecté ?
Mine
1
Chimie
2
Autres___________________________
1.9
Quel est votre statut dans l’usine ?
Permanent
1
journalier
2
Stagiaire
3
Autres___________________________
55
7
1.10
Quelle est votre fonction actuelle ?
Fonction : ________________________________
1.11
Avez vous exercé une autre fonction dans le passé ?
Oui
1
non
2
1.11.1 Si oui quelle était cette fonction ?
Fonction dans le passé _________________________________
1.12
De quelle hiérarchie(catégorie) appartenez-vous actuellement
Cadre
1
Agent de maîtrise Supérieur
Agent de maîtrise
3
Ouvrier
4
Autres________________________________________
1.13
Depuis combien d’années travaillez-vous aux ICS !_ !_ !
1.14
Combien gagnez-vous par mois ?
Moins de 35000
1
De 50000 à 100000
3
De 200000 à 400000
4
+ de 1000000
6
de 35000 à 50000
de 100000 à 200000
de 400000 à 1000000
2
2
4
5
1.15 Situation matrimoniale
Célibataire
1
Marié
2
Divorcé
3
Veuf(ve)
4
Autre ________________
1.15.1 Si vous êtes marie(e) combien avez-vous d’épouses (ou de coépouses)
Nombre d’épouses (ou de coépouse)
!_!_!
1.15.2
Est-ce que votre épouse ou l’ensemble de vos épouses (s’il s’agit d’une
femme : est-ce que vos coépouses) vivent avec vous dans la même localité ?
Oui
1
non
2
1.15.3 Si oui combien avez-vous d’épouses ou de coépouses qui ne vivent pas
avec vous
Nombres d’épouses/ coépouses !_ !_ !
1.16 Avez vous déjà divorcé ?
Oui1
non2
1.16.1 Si oui, combien de fois avez-vous divorcé ! _ ! _ !
1.17 Combien d’enfants vivant avez-vous !_ !_ !
1.18 Combien d’enfants décédés avez-vous !_ !
1.19
Vivez-vous avec votre famille
oui
1
non
2
1.19.1 Si oui quels sont les membres de votre famille qui vivent avec vous dans la
même maison
Epouse
!_ !
mari
!_ !
enfants !_ !
56
père
2
2.1
2.2
!_ !
mère
!_ !
Autres_______________
Intégration socioprofessionnelle
Actuellement avez-vous les biens suivants
maison
!_ !
voiture
!_ !
compte bancaire
!_ !
bétail
!_ !
Autres_________________________
Est-ce que vous payez les études de vos enfants ?
oui
1
non
2
2.2.1 Si oui pour combien d’enfants payez-vous les études !_ !_ !
2.3
Envoyer vous de l’argent à des parents
oui
1
non
2
2.3.1 Si oui quel montant envoyez-vous par mois !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_
2.4
Avez-vous eu une promotion (changement de position) dans l’entreprise
Oui 1
non
2
2.5
Êtes-vous membre d’une quelconque association
Dahiras
1
Association de ressortissant
2
ASC
2
Syndicat
3
Autres___________________________________
2.5.1Occupez-vous un poste de responsabilité dans cette association
oui
1
non
2
2.5.1.1 Si oui lequel
Président !_ !
Secrétaire !_ !
Trésorier !_ !
Membre du bureau !_ !
Autres______________________________
2.6 Existe-t-il un comité ou une organisation de lutte contre le SIDA
Dans votre quartier !_ !
Dans votre lieu de travail !_ !
Autres________________________________
2.6.1 Êtes-vous membre de ce comité ou de cette organisation
Oui
1
non
2
2.7
A quand remonte la dernière fois que vous vous êtes absenté de votre lieu de travail
Nombre de jour !_ !_ !
nombre de mois
!_ !_ !
nombre d’année !_ !_ !
2.8 Quelle était la durée de votre dernière absence ?
Nombres de jours !_ !_
2.8.1 Pour quelles raisons vous vous êtes absenté la dernière fois
Maladie 1
Cérémonie
2
décès de parent
3
Parent malade
4
Autres___________________________
2.9
Est-ce que vous vous êtes absenté au cours du mois passé ?
Oui
1
non
2
57
2.9.1 Si oui combien de fois vous vous êtes absenté au cours du mois passé !_ !_ !
2.9.2 Pour quelles raisons ?
Maladie !_ !
Cérémonie
!_ !
décès de parent
!_ !
Parent malade
!_ !
Autres___________________________
3 Les problèmes de santé
3.1 Pouvez-vous me donner la liste de dix(10) maladie les plus fréquents dans votre
localité
__________________________________1
___________________________________2
___________________________________3
____________________________________4
____________________________________5
_____________________________________6
________________________________7
________________________________8
________________________________9
________________________________10
3.2 Avez-vous entendu parler de SIDA ?
Beaucoup entendu parler
1
Peu entendu parler
3
trop entendu parler 2
pas entendu parler du tout
4
3.3 Avez vous au moins vu une personne qui a le SIDA
Oui
1
non 2
3.3.1 Si oui où avez vous vu cette personne
A la télé !_ !
A l’hôpital
!_ !
Dans votre quartier !_ !
A votre lieu de travail !_ !
Ne se souvient plus !_ !
Autres________________________
3.3.2 Comment avez-vous su que cette personne a le SIDA ?
C’est connu dans l’usine
!_ !
Des personnes vous l’ont dit
!_ !
Ça se voit à vu d’œil
!_ !Autres___________________________
3.4 Selon vous qu’est qui peut causer le SIDA ?
La saleté
!_ !
Le mauvais sort
La sorcellerie !_ ! les mauvais vents
3.5
!_ !
!_ !
Un virus
!_ !
Autres__________________
Pouvez-vous me donner la liste des signes par lesquels se manifestent le SIDA
____________________________________1
____________________________________2
____________________________________3
____________________________________4
____________________________________5
3.6 Comment le SIDA se transmet-il ?
58
En serrant la main d’une personne malade !_ ! Par les piqûres de moustique !_ !
Par le contact du sang d’une personne malade !_ !
De la mère à l’enfant
!_ !
Par les rapports sexuels non protégés
!_ ! En s’embrassant sur la bouche !_ !
Autres______________________
3.7 Est-ce qu’on peut guérir du SIDA ?
Oui 1
non
2
3.7.1Si oui quel est le remède le plus efficace
Les prières
1
La médecine traditionnelle
2
La médecine moderne
3
Autres___________________
3.8 Y-a-t-il un vaccin contre le SIDA
Oui1
non2
3.9 Selon vous quel est le moyen le plus efficace pour se prévenir du SIDA
Les prières
1
La fidélité
2
Les préservatifs
3
Les gris-gris 4
L’abstinence 5
Autres__________________
3.10 Comment le Docteur peut savoir qu’une personne a le SIDA ?
Par la radiographie
1
Par l’analyse du sang
2
Par l’analyse de la salive
3
Par la visite médicale
Par l’analyse de l’urine
5
Autres_______________________
4
3.11 Quelles est votre principale source d’information sur le SIDA ?
L a radio
1
La télévision
2
Les journaux 3
Autres ________________________________
3.12
A quelle date remonte la dernière fois que vous avez parlé de SIDA ?
Une semaine avant
1
Un mois avant
2
Une année avant
3
Vous n’avez jamais parlé de SIDA
Autres ________________________________
3.13 la dernière fois que vous avez parlé de SIDA s’était-il avec ses gens suivants
votre partenaire sexuel !_ !
des gens plus jeunes que vous
!_ !
dans votre service
!_ !
des personnes âgées
!_ !
avec des collègues de travail !_ ! les membres de votre famille !_ !
59
4
4 Attitudes, devant la personne vivant avec le VIH/SIDA
Propositions
Totalement
d’accord
Pas du
tout
d’accord
Ça
dépend
Ne se
prononce
pas
4.1 Certains pensent que les personnes
qui ont le SIDA payent pour des
péchés qu’ils avaient commis
4.2 Certains pensent qu’on ne doit pas
confier des postes de responsabilités
aux personnes qui ont le SIDA
4.3 Certains pensent que si un des
visiteurs de la famille a le SIDA vous
devez limiter ses entrées
4.4 Certaines pensent que si le mari
n’a pas le SIDA et que son épouse a le
SIDA. Le mari doit la répudier
4.5 Certaines pensent que si la femme
n’a pas le SIDA et que son époux a le
SIDA. La femme doit le quitter
5
Comportements
5.1 A quand remonte vos derniers rapports sexuels ?
la nuit d’hier
1
la journée d’hier
2
week end passé
il y’a une semaine
4
il y’a entre 7 et 15 jours
5
il y’a entre 15 et un mois
6
il y’a plus d’un mois
7
3
5.1.1. Avec quelles personnes avez-vous eu des rapports sexuels pour la dernière
fois que vous-avez fait des rapports sexuels ?
votre épouse/votre mari (s’il s’agit d’une femme)
1
une femme avec laquelle vous avez des rapports pour la première fois
2
un homme avec lequel vous avez des rapports pour la première fois
3
une femme qui n’est pas votre épouse mais avec qui vous avez régulièrement des
rapports sexuels
4
un homme qui n’est pas votre épouse mais avec qui vous avez régulièrement des
rapports sexuels
5
Autres___________________________________________
5.2
Est-ce que vous avez déjà utilisé le préservatif au cours de ses derniers rapports ?
Oui 1
non
2
5.3
Au cours du mois passé combien de fois êtes vous allé voir des prostitués
Combien de fois !_ !_ !
60
5.3.1 Avez-vous utilisé le préservatif la dernière fois que vous êtes allé voir les
prostitués
Oui
1
non
2
n’a jamais été avec les prostitués
3
5.3.2 A quelle fréquence utilisez-vous le préservatif quand vous allez voir les prostitués
Tout le temps !_ !
de temps en temps (ça dépend)
!_ !
Jamais presque jamais
!_ !
je n’ai jamais été voir les prostitués
!_ !
Autres_________________________________
5.4 Qu’est ce que vous pensez du préservatif ?
Vous êtes Contre
!_ !
Diminue le plaisir !_ !
La religion l’interdit !_ !
Il remet en question la confiance !_ !
Il est bien
!_ !
Il protége
!_ !
Autre_____________________________
5.5 Avez vous changé de comportements sexuels après avoir entendu parler du SIDA ?
Oui1
non2
5.5.1 Quels ont été ces changements ?
vous êtes resté fidèle à votre partenaire !_ ! vous évitez les rapports
!_ !
vous utilisez le préservatif à chaque rapport
!_ !
vous utilisez le préservatif de temps en temps
!_ !
vous choisissez vos partenaires
!_ !
vous diminuez le nombre de partenaires
!_ !
Autres_______________
5.6 Avez-vous déjà fait un test de SIDA ?
Oui1
non2
5.6.1 Aimeriez-vous le faire ?
Oui1
non2
5.6.2 Si non pourquoi ?
Vous n’avez pas confiance au test !_ !
Vous avez peur
!_ !
5.6.3
5.7
Autres_______________
Si vous avez fait le test avez-vous eu connaissance des résultats
Oui 1
non
2
Pouvez-vous m’indiquer les résultats
Oui
1
non
2
5.7.1Si oui êtes-vous
Positif
1
négatif
61
2
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
DROGUE ET CONSTRUCTION
SOCIALE DE LA
MARGINALISATION
MEMOIRE DE D.E.A
(Diplôme d’Etudes Approfondies)
Présenté par :
Marie Solange NDIONE
Sous la Direction du Professeur
Boubacar LY
Année Académique 2004-2005
1
DEDICACES
Je dédie ce travail à :
• A mon fils Cédric Dylan et à son papa Maxime
• Ma famille : mon papa Etienne, ma maman Hortense, ma sœur Emilie
et mon frère Louis César
• A la mémoire de mon ami et frère El Hadji Sémou NDIAYE ravi à
notre affection à la fleur de l’âge. Reposes en paix et que brille sur
toi la Lumière Eternelle.
2
REMERCIEMENTS
J’exprime ma profonde gratitude à l’endroit du :
• Professeur Boubacar LY pour avoir accepté d’encadrer ce travail. Je vous remercie du fond
du cœur pour la disponibilité dont vous avez toujours fait preuve.
• Programme SAHARA, pour m’avoir permis de réaliser ce travail. J’ai beaucoup apprécié le
soutien financier que vous m’avez accordé et qui m’a permis d’effectuer ce travail dans de
bonnes conditions.
• Monsieur Cheikh Ibrahima NIANG pour les orientations théoriques et méthodologiques qui
ont contribué à améliorer ce travail.
• Professeur Abdoulaye Bara DIOP et de Monsieur TAMBA pour les connaissances
transmises.
• L’équipe du Programme SAHARA pour le soutien apporté tout au long de ce travail ; je
veux nommer Mar, Oumy, Elisa, Lucie, Edwige, Ndèye Louise, Ndack, Fatimata, Astou,
Lamine, Abasse, Fadel, Ndiogou, Fatou, Solange, Dieynaba.
• Monsieur Laurent VIDAL ; merci pour le temps que vous avez consacré à la revue de ce
travail. J’ai beaucoup apprécié votre disponibilité.
• Monsieur Mamadou BA, Expert –Consultant en réduction de la demande de drogues du
Sénégal auprès de la CEDEAO, (Comité Interministériel de Lutte contre la Drogue).
• Messieurs Galandou Guèye assistant social au Centre Jacques Chirac de Thiaroye et Bamar
Guèye de l’ONG JAMRA.
• Toutes les personnes qui de près ou de loin ont contribué à la réalisation de ce travail. Je
voudrai vous exprimer toute ma reconnaissance pour vos suggestions, vos conseils, vos
encouragements, votre collaboration, votre soutien moral.
3
• Toute la Promotion du DEA de l’année académique 2004-2005
Que tous trouvent à travers ces lignes, l’expression de ma profonde gratitude
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION
8
PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
11
CHAPITRE 1- CADRE THEORIQUE
12
1.1- Contexte et justification
12
1.2- Cadre théorique
18
1.3.1- Les objectifs
18
1.3.2- Le cadre d’analyse
18
1.3- Cadre conceptuel et terminologique
21
CHAPITRE 2 : METHODOLOGIE
25
2.1- Méthode d’approche
25
2.2- Sites et population d’étude
26
2.3- techniques et outils de collecte
26
2.4- Les difficultés rencontrées
27
DEUXIEME PARTIE : LES RESULTATS
28
CHAPITRE 1 : LES DIFFERENTS TYPES DE DROGUES
29
CHAPITRE 2 : LES INTERACTIONS ENTRE LA DROGUE ET LA MARGINALITE
32
2.1- Les caractéristiques des usagers de drogue
32
2.2- Les motivations qui justifient la consommation de drogue
34
2.3- Les perceptions et les représentations sur la drogue
35
2.4- Les procédés analogiques
37
2.5- La création des espaces de consommation
38
5
CHAPITRE 3 : COMMENT LA DROGUE RENFORCE L’ANORMALITE ET LA
MARGINALITE
40
CONCLUSION
45
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
47
ANNEXES
50
6
LISTE DES ABREVIATIONS
CILD
Comité Interministériel de Lutte contre la Drogue
CSID
Centre de Sensibilisation et d’Information sur les Drogues
OGD
Observatoire Géopolitique des Drogues
OCRTIS
Office Central de la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants
ONUDC
Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime
OMS
Organisation Mondiale de la Santé
ONUSIDA
Organisation des Nations Unies contre le SIDA
7
INTRODUCTION
La drogue est devenue un phénomène de société des temps modernes. La production, le trafic
et la consommation de drogue ne cessent de se propager dans tous les continents. L’usage des
drogues, que des témoignages très anciens lient à la vie des hommes, est universel. Dans
chaque culture et à chaque moment de l’histoire, les hommes ont utilisé des « plantes
magiques », non pour se nourrir mais pour influencer leur humeur, stimuler leurs rêves,
rechercher détente ou excitation, s’abstraire du monde qui les entoure ou au contraire trouver
le courage de lui faire face. Les sociétés ne pouvaient donc pas ignorer cette fascination,
souvent d’ordre métaphysique, qu’éprouve l’homme pour les drogues et leurs effets (OGD,
1998).
Néanmoins, cette fonction de la drogue a évolué à travers les âges et le temps. La drogue est
de nos jours un phénomène de masse qui touche toutes les couches sociales, constituant ainsi
une nouvelle problématique cruciale eu égard au contexte de la propagation alarmante du
VIH/SIDA et des nombreux effets qu’entraînent son trafic et sa consommation sur les
individus et les sociétés. En effet, l’infection à VIH ne cesse de progresser, le nombre de
nouvelles infections augmente chaque année et ce malgré les nombreux efforts et les multiples
programmes de prévention élaborés dans presque tous les pays. En dehors des modes de
transmission habituels tels les rapports sexuels, la voie sanguine, la drogue a été identifiée
comme un moyen de transmission du VIH dans beaucoup de pays en particulier dans les pays
de l’Asie. Depuis quelque temps, la communauté des usagers de drogue par voie intraveineuse
est considérée comme étant la plus à risques face au VIH/SIDA. Les drogués, que se soit les
hommes ou les femmes, partagent leurs seringues, mènent une vie sexuelle active et se
coupent souvent la main en essayant de diviser les doses d’héroïne, (Virahsawmy, juillet
2004). Selon H. Jackson, chez les utilisateurs de drogue par injection dans certaines parties de
la région du Xinjiang en Chine, on a documenté une séroprévalence de 35-80% et de 20%
dans la province du Guangdong. En Inde, on estime que 300 000 personnes environ ont
nouvellement contracté le VIH rien qu’en 2003 et le taux d’infections documenté chez les
utilisateurs de drogue par injections atteint les 75%, (ONUSIDA et OMS, 2003, cités par H.
Jackson).
Par ailleurs, en ce qui concerne la situation de risque, il est apparu que généralement, l’usager
de drogue flirte avec le milieu de la prostitution où il est souvent dans une situation de
faiblesse quant à la négociation de l’usage du préservatif. En effet, la consommation de
8
drogue renforce la vulnérabilité des usagers et augmente le risque d’infection à VIH. Plusieurs
travaux ont abouti à la conclusion selon laquelle la consommation de drogue constituerait un
comportement à risque par rapport au VIH/SIDA. La consommation de drogue est considérée
comme étant à l’origine de nombreux cas d’infections à VIH. Elle peut constituer un risque de
contamination directe du VIH à travers l’usage de seringues contaminées, mais aussi un
risque de contamination indirecte du fait de l’état d’altération de la conscience dans lequel
l’usager de drogue se retrouve et qui peut l’amener à avoir des comportements sexuels à
risque.
Le choix de cet objet d’étude se justifie en partie par cet état de fait, mais également par le
développement impressionnant de la production et de la consommation de drogues
notamment dans les pays africains. Selon Lopes, (OGD, 1998), jusqu’à une époque récente, la
société traditionnelle – qui connaissait l’existence des drogues et leurs effets excitants – était
en mesure d’en contrôler l’usage. Mais, à mesure que l’oisiveté se répandait, que le respect
des anciens se perdait, que la vente d’alcool devenait plus libre, que la légalisation restait
inadéquate et que l’influence des média augmentait, la consommation de cigarette, d’alcool et
de drogues illicites en faisait autant.
Dans certains pays du continent tels le Maroc, la Côte-d’Ivoire, le cannabis a une valeur
économique telle que des communautés entières en dépendent pour leur sécurité matérielle.
Après la chute des prix des produits agricoles, la culture et la vente du cannabis sont devenues
les activités de substitution les plus lucratives, particulièrement dans les pays africains
marqués par une pauvreté chronique et ravagés par la guerre et les conflits ethniques. E.
Léonard a mis ce facteur en exergue lorsqu’il a étudié les cas ivoirien et ghanéen. Concernant
le cas ivoirien, il a noté que l’épuisement des réserves forestières, support essentiel de la
culture du cacao et la dépression prolongée des cours mondiaux s’est ainsi traduite par une
crise qui s’est répercutée à tous les niveaux de la société. Il a poursuivi en ajoutant que,
corrélativement, on a pu assisté à une véritable explosion de la production et du trafic de la
marijuana puisque la culture du cannabis s’est imposée comme la plus pertinente et la plus
accessible des reconversions pour les paysans, les réseaux marchands ainsi que les élites
administratives (Léonard, 1998).
Selon Joseph Bediako Asare, l’abus des drogues est l’un des problèmes multiples qui pèsent
sur les pays en développement. Il se greffe sur ceux de la pauvreté et de l’injustice de l’ordre
9
économique mondial qui interdit à ces pays de fixer eux-mêmes le prix de leurs productions.
La drogue ainsi que ses conséquences alarmantes n’ont surgi que tardivement dans le débat
sur les facteurs de développement en Afrique. Elle n’a commencé à être sérieusement prise en
compte que depuis seulement une quinzaine d’années, (OGD, 1998). Werner a noté que
l’usage des psychotropes illicites est un objet rarement étudié en Afrique par les ethnologues
contemporains (Werner, 1993). Phénomène récent, en croissance rapide, le développement
d’un marché des drogues illicites, dans la majorité des sociétés africaines, est un des
symptômes de la crise majeure qu’elles traversent, a-t-il ajouté. L’usage des drogues est donc
un problème de santé publique, un problème de développement et de sécurité.
Le plan de ce travail s’articule essentiellement autour de deux parties :
- la première présente le cadre théorique et méthodologique de l’étude
- la seconde est consacrée à la présentation des résultats
10
PREMIERE PARTIE
CADRE THEORIQUE
ET
METHODOLOGIQUE
11
CHAPITRE 1- CADRE THEORIQUE
1.1- CONTEXTE ET JUSTIFICATION
- un nombre de nouvelles infections en continuelle augmentation
« L’épidémie avance toujours plus vite que la riposte » a noté Catherine Hankins de
l’ONUSIDA. Les chiffres publiés par le rapport de l’ONUSIDA en 2005 sont alarmants.
Selon le rapport, on a compté près de 5 millions de nouvelles infections à VIH dans le monde,
dont 3,2 millions en Afrique subsaharienne seulement. La même année, 3 millions de
personnes sont mortes de maladies liées au sida, dont plus d'un demi million d'enfants.
Aujourd'hui, souligne le rapport, le nombre de personnes vivant avec le VIH est de 40,3
millions, deux fois plus qu'en 1995, (ONUSIDA, 2005).
Ce qui amène à conclure que malgré la mise en œuvre de multiples programmes de prévention
dans tous les pays du monde, le nombre de personnes infectées par le VIH ne cesse de croître.
En effet, on estime que chaque jour en 2003, 14.000 personnes ont été par le VIH, dont plus
de 95% dans les pays à faible et moyen revenu (ONUSIDA, décembre 2003). Le rapport
signale que la situation en Afrique est assez alarmante avec 65% du total des personnes vivant
avec le VIH: le nombre de personnes vivant avec le VIH est le plus haut jamais enregistré. La
propagation rapide du VIH dans de nombreuses régions est accélérée par la consommation de
drogues injectables et les rapports sexuels non protégés (OMS, 2003).
- Une prise en compte tardive de la problématique « drogue et sida »
Selon l’ONUSIDA et l’OMS, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes,
(MSM) et les consommateurs de drogues injectables sont toujours laissés pour compte dans
les campagnes de prévention (ONUSIDA/OMS, 2004). Dans le rapport publié en 2004, le
directeur exécutif du programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA Peter Piot
révèle : « nous avons obtenu des avancées mais elles sont fragiles. Le problème des usagers
de drogue séropositifs a été mis à l’agenda des décideurs un peu tard. (…) Dans de nombreux
cas, les usagers de drogues ne sont pas sur l’agenda des politiciens. (…) Si le monde veut que
le VIH/SIDA ne s’étende pas comme une traînée de poudre, il est temps de penser à la
réduction de risques. Depuis quelque temps, la communauté des usagers de drogue par voie
intraveineuse est considérée comme étant la plus à risques face au VIH/SIDA. Réduire les
risques est devenu aujourd’hui un objectif prioritaire dans la lutte contre l’épidémie de
12
VIH/SIDA, notamment dans les programmes de prévention en direction des groupes les plus
vulnérables. Selon l’étude réalisée sur les consommateurs de drogues au Sénégal par le
Population Council (2001), aucune couche sociale n’est épargnée dans la consommation de la
drogue. L’étude met en exergue la précocité de plus en plus affirmée à la première
consommation. Plus récemment lors de la 15ème Conférence Internationale sur le VIH/SIDA
tenue à Bangkok en Thaïlande, il a été beaucoup question de prévention, de traitement et de
réhabilitation des usagers de drogues (Virahsawmy, 2004).
- Une production et une utilisation de plus en plus importante de drogues illicites
Selon le rapport mondial sur la drogue publié par l’Office des Nations Unies contre la drogue
et le crime (ONUDC), le nombre d’usagers de drogues dans le monde est de 185 millions de
personnes (ONUDC, 2004). Le directeur des opérations de cet office note que le taux de
prévalence annuel de l’abus de drogues s’élève aujourd’hui à 3% de la population mondiale,
soit 15% de la population de plus de 15 ans. Déjà en 1998, le rapport de l’OMS sur le
VIH/SIDA soulignait que l’usage de la drogue était en hausse dans de nombreux pays.
En Afrique, non seulement la consommation, la production et le trafic des drogues n’ont cessé
de prendre de l’ampleur depuis une vingtaine d’années, mais les produits eux-mêmes se sont
diversifiés (OGD, 1998). Des substances comme la marijuana par exemple faisaient depuis
longtemps l’objet d’un usage rituel ou tout au moins traditionnel dans certaines régions
d’Afrique. Ces substances ont désormais perdu ce statut ancien pour alimenter une
toxicomanie de masse (OGD, 1998). En effet, l’Afrique devrait être un des plus gros marchés
mondiaux de trafic illégal des stupéfiants en 2004, indique le dernier rapport des Nations
Unies contre la drogue et le crime. Ce rapport prévient que la montée de la toxicomanie
compromet fortement les tentatives de maîtrise de la progression du VIH/SIDA. Les nouvelles
estimations révèlent que le cannabis est la substance la plus utilisée (150 millions de
consommateurs), suivie des stimulants de type amphétaminique (30 millions) et de l’ecstasy
(8 millions de personnes). Un peu plus de 13 millions de personnes consomment de la cocaïne
et 15 millions des opiacés (héroïne, morphine, opium, opiacés synthétiques) dont 9 millions
d’héroïnomanes (ONUDC, 2004). Parmi les drogues les plus consommées en Afrique, figure
le cannabis qui représente 65% des 150 millions d’individus s'adonnant à la consommation de
cette drogue.
13
Dans le rapport, il est également noté que 20% des 5.800 tonnes de cannabis saisies à travers
le monde l’années dernière l’ont été en Afrique, alors que l’Europe représentait 16% de ces
saisies et l’Amérique 55%. En effet, le Maroc a été identifié comme la principale source de
cannabis. Selon le Bureau International de lutte contre les substances narcotiques (INCB), le
Maroc est devenu le 3ème producteur mondial de résine de cannabis après le Pakistan et
l’Afghanistan. En l’an 2000, 13% des saisies de résine de cannabis dans le monde ont eu lieu
au Maroc. En définitive, bien qu’aucun chiffre ne soit disponible pour le moment sur
l’ampleur du trafic de la drogue dans le continent, l’Afrique, zone classique de transit du trafic
de la drogue, participe de plus en plus à la fabrication et à la consommation selon l’Union
africaine (Jeune Afrique - L’intelligent, décembre 2004).
Par ailleurs, selon l’European NGO Council on Drug Policy (ENCOD), la prohibition
internationale des drogues actuelle est totalement inefficace et contre-productive : elle ne fait
pas baisser la consommation de drogues. L’ONUDC estime les profits de l’industrie illégale
de la drogue dans le monde à environ 400 milliards d’euros par an. Elle ne fait pas non plus
baisser la production de drogues et génère des problèmes ; les consommateurs sont pénalisés
juridiquement (arrestations, emprisonnements) et marginalisés
par le milieu familial,
professionnel ou relationnel, (Communiqué de presse Journée internationale contre les
drogues, Nations Unies/OMS, juillet 2004). Selon le coordonnateur du Comité
Interministériel de Lutte contre la Drogue, l’abus et le trafic de drogue sont les maux les
mieux partagés dans le monde car aucun pays n’est à l’abri. La plupart des jeunes s’adonnent
à l’usage de stupéfiants pour noyer leurs soucis, chasser la frustration. Le Sénégal a pris des
mesures importantes qui ont été revues et corrigées au fil des temps pour mieux les adapter au
phénomène de la drogue. Avant c’était le cannabis, maintenant ce sont les drogues dures.
Le Sénégal est un grand producteur de cannabis surtout avec l’insécurité dans la région sud du
pays. En effet, la région de Ziguinchor récolte les 2/3 de la production nationale de cannabis a
révélé le président de l’association de sensibilisation contre l’usage des drogues en marge de
la réunion préparatoire de lancement de la semaine nationale de mobilisation contre la drogue
qui s’est déroulé le 19 juin 2005 dans la région sud. En 2005, plus de 25 kilogrammes de
cocaïne et 3,3 tonnes de cannabis ont été saisis par les forces de sécurité sénégalaises, ainsi
qu’un kilogramme et demi d’huile de haschich et quelques 542 comprimés psychotropes.
Selon le commissaire divisionnaire Niang, chef de l’OCRTIS, ces quantités de drogues qui
doivent être incinérées proviennent de plus de 1 540 saisies opérées après 4 817
14
interpellations au cours de l’année 2005, contre 975 saisies en 2004, soit une augmentation de
49%. L’intensification de la lutte au plan international a été mise en exergue et saluée ainsi
que le renforcement de la police de proximité dans les quartiers. Néanmoins, une
recrudescence du petit trafic a été notée, surtout en banlieue. Les saisies des drogues dures
quant à elles proviennent essentiellement du trafic international en provenance du Brésil via le
Cap-Vert a ajouté le chef de l’OCRTIS. Les catégories les plus vulnérables telles les enfants,
les jeunes et les femmes bien que minoritaires sont souvent utilisées dans le trafic.
Sur le plan législatif, la première loi votée en 1963 a porté sur la répression du cannabis (la
culture, le trafic, l’usage) car c’était la seule drogue qui circulait au Sénégal. En 1975, il y a
eu l’introduction de l’injonction thérapeutique qui est une approche socio-sanitaire permettant
aux usagers de drogue d’accéder à un traitement à la suite d’une interpellation. Toutefois,
selon le coordonnateur du CILD, la grande révolution reste la promulgation du Code des
drogues qui constitue une riposte appropriée au développement de la consommation de
drogue et à l’accroissement des voies de trafic. Sur le plan institutionnel, en 1963, la
commission nationale des stupéfiants qui est devenue aujourd’hui le Comité Interministériel
de Lutte contre la Drogue (CILD) a été mise en place. Ce Comité est chargé de définir la
politique nationale de lutte contre la drogue et il coordonne l’ensemble des actions des
structures intervenant dans ce domaine. Sur le plan répressif, l’office Central de Répression
du Trafic Illicite de Stupéfiants (OCRTIS) a été crée en 1997, ainsi que des unités régionales
et frontalières.
La lutte contre la drogue se déploie au Sénégal à trois niveaux:
-
la prévention (dans les établissements où il y a des jeunes et auprès des ONGs) ;
-
la réhabilitation, le traitement et la réinsertion ;
-
la répression.
En mars 1998, le plan d’action national mise sur pied par le gouvernement vise à lutter
durablement et efficacement contre la drogue. Il a été élaboré par plusieurs acteurs notamment
les médecins, les gendarmes et policiers, les ONGs qui luttent contre la toxicomanie lors d’un
séminaire tenu en 1996. Les objectifs que se fixe ce plan sont les suivants :
-
le renforcement du cadre institutionnel global de lutte anti-drogue ;
-
la réorganisation et le renforcement des services répressifs pour une coordination plus
efficace des actions ;
15
-
l’intensification des actions visant à réprimer l’usage de la drogue (la prévention, la
facilitation de l’obtention de récépissé pour les structures oeuvrant dans la lutte contre
la drogue) ;
-
la prise en charge des toxicomanes et la réinsertion sociale.
En définitive, l’année 1998 aura été sans conteste celle de la recherche d’une meilleure
harmonisation des actions de lutte contre le fléau de la drogue. Le gouvernement du Sénégal a
cherché des solutions visant à renforcer la lutte contre l’usage et le trafic de la drogue. La
réorganisation du comité interministériel de lutte contre la drogue et de l’Office Central de
Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants (OCRTIS) pour les adapter au nouveau contexte
constitue l’un des points majeurs des innovations apportées au renforcement de la lutte contre
la drogue durant l’année 1998. Ces innovations sont sous-tendues par un nouveau code des
drogues, adopté en 1997 par l’Assemblée Nationale et entré en vigueur le 1er janvier 1998.
Néanmoins, le plan d’action national souffre de sa non exécution parce qu’il n’est pas
entièrement financé.
En effet, dans « Afrique Relance » - bulletin publié par les Nations Unies - il est souligné
que malgré l’existence de cette législation antidrogue, le problème est loin d’être résolu
(ONU, 1998). Les différentes saisies perpétrées par les forces de répression en ce qui
concerne surtout la drogue dure (héroïne et cocaïne) avec de nouvelles méthodes de trafic
jamais soupçonnées, prouvent que le Sénégal n’est pas épargné par la recrudescence et la
diversification du trafic. Le Sénégal est même devenu une plaque tournante de la drogue dure
comme en témoignent les saisies réalisées par l’OCRTIS à l’aéroport international Léopold
Sédar Senghor. Ce pays est proche de l’Amérique du Sud et de l’Europe et ses excellentes
liaisons aériennes et maritimes font de sa capitale Dakar, un point de transit idéal pour les
drogues illicites. Au Sénégal, le cannabis est la drogue de prédilection. Les paysans préfèrent
cultiver cette drogue car elle leur rapporte 20 fois plus que l’arachide, la principale culture du
Sénégal et ils sont payés au comptant avant la récolte. Toutefois, le problème le plus
préoccupant demeure l’acheminement via le Sénégal de la cocaïne, de l’héroïne et des
substances psychotropes. Selon Mamadou Fofana ancien coordonnateur du Comité
Interministériel de Lutte contre la Drogue, les enfants de 12 ans fument de plus en plus le
cannabis (ONU, 1998). A cela s’ajoute qu’au Sénégal la situation de la consommation de
drogue n’est pas suffisamment connue. C’est ce qui explique sans doute la conduite de l’étude
nommée « Evaluation rapide de la situation de la drogue au Sénégal » par le Comité
16
Interministériel de Lutte contre la Drogue au Sénégal (CILD) en partenariat avec l’Office des
Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Cette étude doit déboucher sur
l’élaboration d’un plan national car elle permettra d’identifier les modes de consommation, les
comportements, les conditions de risque entre autres. La drogue est également un phénomène
qui a fait l’objet de peu d’études. Les premiers chercheurs à s’être intéressés à ce phénomène
restent ceux de l’Ecole de Chicago
- Un champ d’étude peu exploré
Entre 1910 et 1935, les sociologues de l’université de Chicago ont, à travers l’étude de la
ville, de l’immigration, de la délinquance et de la criminalité, de la marginalité et de la
déviance, forgé un des courants les plus influents de la sociologie américaine.
L’interactionnisme symbolique (partant de l’idée que les individus ne subissent pas les faits
sociaux, mais qu’ils les produisent par leur interaction) et l’ethnométhodologie (centrant son
intérêt sur le savoir et les capacités de chacun des membres de la société) sont des démarches
et théories qui sont nées des recherches effectuées entre autres par Small, William Thomas,
Hubert Blumer, Hughes et Horward Becker. Ces chercheurs de l’Ecole de Chicago ont été les
premiers à poser les jalons de la recherche sur les phénomènes de déviance, de marginalité, de
délinquance entre autres en se plaçant au cœur de la vie des populations déracinées afin de
comprendre leur rapport à la société. Les notions de migration, d’acculturation et
d’assimilation occupent une place centrale dans leurs analyses.
Des études anthropologiques ont été réalisées sur le phénomène de la drogue au Sénégal par
l’anthropologue français Jean François WERNER et les résultats de ces études ont été publiés
en 1993. D’emblée, Werner souligne que la drogue constitue un champ d’investigation encore
largement inconnu en Afrique. Jusqu’à la fin des années soixante, à l’exception des
anthropologues urbains appartenant à l’Ecole de Chicago, l’auteur note qu’il y a une absence
de recherche sociologique spécifique dans ce domaine. Dans son ouvrage, Werner explore
l’espace de la marginalité urbaine en étudiant les consommateurs de drogues dans la banlieue
dakaroise, l’agglomération de Pikine. L’Afrique est caractérisée par la rareté des études
d’ordre scientifique sur la production, la distribution et l’usage des psychotropes illicites.
L’étude réalisée sur la Côte-d’Ivoire et le Ghana en 1998 par Léonard (1998) sur la crise des
économies de plantation et le trafic de drogues en Afrique de l’Ouest fait partie des rares
travaux effectués en matière de production et de trafic de drogues.
17
Le Population Council a également réalisé une étude sur les consommateurs de drogues à
Dakar et les IST/VIH/SIDA. Cette étude a été menée en 2001 dans le cadre d’une collecte
exploratoire de l’information pour la prévention. Selon cette étude, aucune couche sociale
n’est épargnée par la consommation de la drogue. Elle met en exergue la précocité de plus en
plus affirmée à la première consommation.
Au regard de ces différents constats, la problématique de la drogue reste de plus en plus
cruciale. Comment la vulnérabilité (chômage, problèmes familiaux, insuffisance de résultats
ou de productivité, timidité, etc.) crée la situation de drogué qui est une situation de déviance?
Comment la marginalisation est-elle socialement construite ? (Sur la base du normal et de
l’anormal). Quelles sont les interactions entre la consommation de drogue et la marginalité ?
Quelles sont les représentations et les perceptions des usagers sur la drogue ? Telles sont les
interrogations qui sous-tendent la problématique de cette étude.
1.2- CADRE THEORIQUE
1.2.1- Les objectifs
L’objectif principal de cette étude est d’analyser les interactions entre la drogue et la
marginalité. Cet objectif se divise en trois objectifs spécifiques qui sont les suivants :
-
identifier les différents types de drogues consommées ;
-
analyser le processus de production sociale du drogué et de la marginalisation ;
-
analyser la reproduction de la marginalité à travers l’usage de la drogue.
1.2.2- Le cadre d’analyse
La consommation de drogue est considérée comme un comportement marginal, déviant tout
comme le vol, le manquement à la politesse et aux convenances, l’habillement excentrique.
Selon Mucchielli (1999), le point commun à tous ces comportements est qu’ils sont tous
condamnés par des normes sociales ou par le droit, partagées à des degrés divers dans les
différents groupes sociaux qui composent une société à un moment donné de son histoire. En
d’autres termes, il existe différents comportements déviants (vol, drogue…) mais cette
déviance a une intensité différente et on peut émettre l’hypothèse que la déviance représentée
par la consommation ou le trafic de drogue est spécifique et que la sanction juridique diffère
de même que la sanction sociale. Autrement dit, l’intensité des sanctions varie selon la forme
de la déviance. Mucchielli (1999) a rangé les théories sociologiques de la transgression en
18
trois grands types d’approches qui sont les approches culturalistes, l’approche inégalitariste et
les approches dites « rationnelles » ou « stratégiques ».
Les approches culturalistes
Dans les années 1920 et 1930, une série de travaux fondateurs mettent en évidence le rôle de
l’acculturation des migrants, la formation et le développement des bandes de délinquants (les
« gangs » étudiés par Fédréric Thrasher en 1924) et l’effet de la ségrégation urbaine. C’est
autour du concept de culture que tournent les trois notions centrales émergeant de l’ensemble
des travaux (dont le principal thème de travail fut la criminalité) effectués par les sociologues
dits de l’ « Ecole de Chicago » :
-
la désorganisation sociale : cette notion est classique depuis la parution de l’ouvrage
fondateur de William Thomas et Florian Znaniecki (1910), a noté Mucchielli (1999).
A travers une longue série de recherches sur le processus de migration et
d’assimilation, ils ont mis en exergue les contradictions qui surgissent entre la culture
d’origine de leur communauté et la culture américaine individualiste. Cette tension et
ces contradictions affaiblissent les normes et les solidarités, elles créent une
ambivalence et une incertitude morales qui facilitent la transgression ou la déviance
individuelle.
-
Le conflit de cultures : d’autres auteurs plutôt que de penser le choc de cultures très
différentes en termes de contradictions perturbantes, l’ont analysé en terme de conflits
ou de choix exclusifs. En 1938 souligne Mucchielli, Thorsten Sellin systématise la
notion de conflit de cultures (c’est-à-dire conflit de normes), révélant que la déviance
provenait de la coexistence d’une culture valorisant ou tolérant une pratique interdite
par l’autre culture. Cette théorie explique le fait qu’un individu commette un acte
interdit par la culture dominante comme par la culture traditionnelle, mais valorisé par
la sous-culture (fondée sur des normes instituées par un ensemble de personnes à
l’intérieur d’un groupe de drogués ou tout simplement d’un groupe de pairs).
-
La théorie de l’éducation déviante, comme modèle d’analyse d’un comportement
déviant, par exemple la consommation de drogue. C’est un modèle élaboré par Edwin
Sutherland dans les années 30 qu’il a appelé « l’association différentielle ». Pour cet
auteur, la déviance ne résulte pas d’un manque ou d’un conflit, mais tout simplement
19
d’un apprentissage. Il pose comme principe que le comportement déviant (tel la
consommation de drogue) est appris dans l’interaction avec d’autres personnes par un
processus de communication et qu’une part essentielle de cet apprentissage se déroule
à l’intérieur d’un groupe restreint de relations personnelles.
L’approche inégalitariste
En réaction aux approches culturalistes, les sociologues américains ont commencé, dès la fin
des années 30, à s’interroger plus qu’avant sur le rôle des inégalités sociales, en reléguant au
second plan celui des cultures d’origine. Robert K. Merton est l’un des premiers à comprendre
l’importance du décalage entre les aspirations à la réussite sociale qu’encourage l’idéologie
individualiste des sociétés modernes et la réalité des inégalités sociales et raciales qui, en
réalité, n’offrent pas à chacun les moyens d’y parvenir, selon Mucchielli.
Les approches dites « rationnelles » ou « stratégiques »
C’est la notion de « rationalité de l’acteur » qui est au cœur de ces approches encore appelées
théories de l’ « occasion » ou de l’ « opportunité ». Par ailleurs, selon Mucchielli, ces
approches présentent des limites et ont mis en exergue des questions insolubles notamment
celle de savoir si l’occasion suffit pour faire un déviant. La rationalité de la conduite paraît
évidente a posteriori, lorsque l’individu s’est adapté à son mode de vie déviant, mais le choix
initial de la transgression demeure inexpliqué.
Ces approches nous semblent pertinentes pour aborder notre thème de recherche, dans la
mesure où elles permettent de comprendre les facteurs qui pourraient expliquer la
consommation de drogue en tant que comportement marginal. En effet, les approches
culturalistes nous donneraient la possibilité de mettre en exergue les contradictions qui
surgissent entre les valeurs traditionnelles et les éléments introduits par la modernité, car la
tension et les contradictions qui en résultent affaiblissent les normes et les solidarités, elles
créent une ambivalence et une incertitude morales qui facilitent la transgression ou la
déviance individuelle. Par ailleurs, d’autres sociologues, notamment Edwin Sutherland,
posent comme principe que le comportement déviant (par exemple la consommation de
drogue) est appris dans l’interaction avec d’autres personnes par un processus de
communication, et qu’une part essentielle de cet apprentissage se déroule à l’intérieur d’un
groupe restreint de relations personnelles. Mais ces théories suffisent-elles à expliquer la
consommation de drogue qui plus est dans un contexte de pandémie du VIH ?
20
1.3- CADRE CONCEPTUEL ET TERMINOLOGIQUE
Le cadre conceptuel et terminologique présente la définition des concepts et des terminologies
utilisés dans l’étude.
- La drogue
La drogue est définie dans la littérature comme un produit psychoactif naturel ou synthétique
utilisé par une personne en vue de modifier son état de conscience ou d’améliorer ses
performances, ayant un potentiel d’usage nocif ou de dépendance et dont l’usage peut être
légal ou non. Dans son ouvrage, WERNER (1993) définit la drogue comme une substance
psychotrope dont l’usage est soit interdit, soit formellement réprimé par l’Etat. Il ajoute qu’il
n’y a pas de drogue sans interdit légal ou social et que cet interdit peut varier d’une société à
l’autre ou d’une époque à l’autre. Ce qu’il importe de noter, c’est que la drogue est une
substance active dont au moins un des effets est de modifier le fonctionnement du système
nerveux central et par voie de conséquence, elle agit sur le psychisme et le comportement.
WERNER a souligné que la tendance actuelle, tant au niveau de la recherche que des
institutions est de distinguer les psychotropes licites (alcool, tabac) et illicites (opium,
cannabis, cocaïne). Ce sont ces dernières qui sont l’objet de cette étude. Parmi les drogues
illicites, nous avons les drogues dites douces telles que le cannabis et les drogues dites dures
notamment la cocaïne, l’héroïne, l’ecstasy, le crack, etc.
- La marginalité
La marginalité est définie par rapport aux normes, valeurs, règles qui régissent une société. La
notion de marge désigne le contraire de la norme, à la fois ce qui n’est pas conforme à la
règle, ce qui est différent, spécial, exceptionnel et qui s’oppose à ce qui doit être : elle signifie
donc écart et déviance. Est normal, ce qui a lieu fréquemment, le plus souvent. La norme
désigne l’ordre des choses. En effet, selon Colussi, toute société maintient une accumulation
de règles qui constituent sa normalité. Cet auteur trouve que dans un monde tellement
complexe, il y a plus de place pour les sous mondes ; des sous mondes de la mendicité, des
drogues, de la vie dans les rues pour ne citer que ceux-là. En définitive, la marginalisation
serait selon lui un processus « naturel » de la société complexifiée qui soutient dans des
caractéristiques propres ce qui est humain. Cela fait peur et par conséquent on marginalise
tant un vagabond qu’un handicapé mental, un drogué autant qu’un délinquant. Ce qui est
étranger, avant tout, produit un rejet. De la à la stigmatisation poursuit-il, il y a seulement un
pas (Colussi, 2004).
21
Parlant de la marginalité et du drogué, Foucher (2000) a écrit : « la marginalité, c’est aussi
cette personne qui ne voit plus : le drogué ; cet homme qui est « ailleurs », en étant toutefois
ici. Comme certains clochards, le drogué semble vivre dans un autre monde. Pourtant, leurs
faits et gestes sont coordonnés à la même réalité que la nôtre. On pourrait comprendre qu’ils
vivent dans le même monde que nous, mais ce monde est différent pour eux. Le marginal
n’est pas en dehors de la réalité, il est en marge de celle-ci. (…) La société structure notre
espace. Le marginal regarde un espace vide de tout repère. Nous sommes ce que nous faisons,
dans cette société. Le marginal existe seul, seul face à lui-même ». Werner a noté que la
marginalité, dans la plupart de ses manifestations, est révélatrice de mutations socioculturelles
provoquées par des phénomènes comme l’urbanisation, qui se développe à un rythme rapide
partout en Afrique (Werner, 1993).
- La stigmatisation
La notion de stigmatisation est attachée au nom d’Erving Goffman qui la développe dans son
ouvrage « Stigmates – Les usages sociaux des handicaps » en 1975. Pour Goffman, le
stigmate correspond à toute caractéristique propre à l’individu qui, si elle est connue, le
discrédite aux yeux des autres ou le fait passer pour une personne d’un statut moindre. La
stigmatisation résulte d’abord d’un phénomène d’étiquetage, (« labeling theory » la célèbre
théorie développée par Becker dans son ouvrage « Outsiders »,1985).
Selon Alonzo et Reynolds, un stigmate est « une étiquette sociale puissante qui discrédite et
entache la personne qui la reçoit et qui change radicalement la façon dont elle se perçoit et
dont elle est perçue en tant que personne » (ALONZO & REYNOLDS, 1995, cités par DE
BRUYN, 1998). Les personnes stigmatisées sont habituellement considérées déviantes ou
scandaleuses pour une raison ou une autre et, par ce fait même, elles sont évitées, discréditées,
rejetées, réprimées ou pénalisées. En d’autres termes, les stigmatisés sont une catégorie que la
société perçoit d’une façon péjorative, des gens qui sont dévalorisés ou privés de certaines
opportunités de la vie ou de l’accès aux bienfaits humanisants que procurent des rapports
sociaux libres et aisés. En soi, un stigmate part d’une expression de norme sociale et culturelle
qui façonne des relations entre les personnes adhérant à cette norme et qui trace une frontière,
dans la société, entre les « normaux » et les « exclus ».
22
-
Initialement développée par Goffman dans ses recherches sur les handicapés, la
stigmatisation est devenue un phénomène social. Le concept est très utilisé de nos
jours, notamment dans le contexte de la consommation de drogue, mais surtout dans
celui de l’infection à VIH. Selon les études de cas réalisées par l’Association de
Coopération et de Recherche pour le Développement, (ACORD) en Ouganda du Nord
et au Burundi en juin 2004, la stigmatisation se caractérise par le rejet, la dénégation,
le discrédit, le mépris, la dévalorisation et la mise à distance sur le plan social. Elle
conduit souvent à la discrimination et à la violation des droits de l’homme, (ACORD,
2004). Comme le souligne cette définition, la stigmatisation est enracinée dans les
attitudes individuelles et sociétales et se traduit par des comportements qui portent
atteinte aux droits comme à la dignité des personnes qui en sont victimes. La notion
de stigmatisation ne peut être appréhendée sans faire référence à la notion de déviance.
- La déviance
Selon le Petit Robert, la déviance est un mot d’usage très récent (les années 1960) qui, au
sens psychologique, signifie « comportement qui échappe aux règles admises par la société ».
De fait, pour qu’une situation de déviance existe, il faut que soient réunis trois éléments :
-
l’existence d’une norme ;
-
un comportement de transgression de cette norme ;
-
un processus de stigmatisation de cette transgression (MUCCHIELLI, 1999).
Dans les années 1950, Edwin Lemert distingue la déviance primaire (la transgression de la
norme), et la déviance secondaire (la reconnaissance et la qualification de cette déviance par
une instance de contrôle social). C’est à ce deuxième volet que se sont consacrés les
sociologues américains dits de la « seconde école de Chicago » ou encore de la « théorie de la
stigmatisation ». Il s’agit de Lemert, Erving Goffman et Howard Becker ainsi que Aaron
Cicourel et de Harold Garfinkel. Ils ont montré qu’une déviance reconnue comme telle
suppose un processus de désignation ou de stigmatisation. Ce processus peut se faire de façon
formelle ou informelle. Le simple détournement du regard ou du corps constitue une
stigmatisation. Dès lors, le contrôle de son image reste un enjeu crucial et Goffman a attiré
l’attention sur les innombrables adaptations pour nous conformer à ce que les personnes avec
lesquelles nous interagissons attendent de nous. Selon ces sociologues, la déviance n’est ainsi
qu’un rôle endossé par celui qui est victime de la stigmatisation des autres. Et s’il persiste, ce
23
rôle peut entraîner une modification de la personnalité de l’individu ainsi qu’une modification
de ses relations sociales.
- La vulnérabilité
La vulnérabilité est l’inverse de la sécurité. Elle traduit l’état de quelqu’un qui est vulnérable
parce que fragile ou placé dans une situation qui le fragilise et qui court ainsi le risque d’être
un jour victime. Dans le cadre de la drogue, la vulnérabilité se manifeste par les facteurs de
risque qui sont des situations anormales telles le chômage, les problèmes et soucis quotidiens,
la pauvreté, le manque de créativité et de productivité. Ces facteurs placent l’individu dans
une situation de fragilité et peuvent le conduire à utiliser la drogue à la poursuite de l’idéal.
Cet idéal signifierait pour lui, la productivité, le dynamisme, l’intelligence, la créativité, en un
mot une situation normale. Aussi, les notions de normal et d’anormal seront-elles souvent
utilisées pour comprendre les relations entre la vulnérabilité et la consommation de drogue.
- Le cannabis
Il y a plusieurs sortes de cannabis :
-
la marijuana (herbe, ganja…) qui est la feuille de la plante elle-même appelée chanvre
indien cultivé pour la production de stupéfiant ;
-
le haschich (Shit, Hasch…), la résine de cannabis.
Le cannabis se consomme soit par ingestion (tisane par exemple), soit par inhalation (joint,
pipe à eau…).
- L’héroïne
C’est un opiacé puissant, obtenu à partir de la morphine. Les opiacés sont des substances
naturelles contenues dans le latex recueilli sur une plante, le pavot. L’héroïne se présente sous
forme d’une poudre. Elle est la plupart du temps injectée en intraveineuse, après dilution et
chauffage. L’héroïne est également sniffée et fumée.
- La cocaïne
Elle est le résultat de la distillation des feuilles de cocaïer préalablement séchées. La cocaïne
se présente sous la forme d’une fine poudre blanche. Elle est prisée : la ligne de coke est
sniffée, la cocaïne est également injectée par voie intraveineuse ou fumée. Il importe de
préciser qu’il est difficile d’arrêter une consommation aiguë de cocaïne, tant la dépendance
est forte. L’apaisement, même avec la consommation d’une autre substance, est très difficile.
24
- Le crack
C’est un mélange de cocaïne, de bicarbonate de soude et d’ammoniaque présenté sous forme
de petits cailloux. L’usager en inhale la fumée après les avoir chauffés. Cette opération
provoque des craquements, d’où son nom. Ce mode de consommation provoque des effets
plus intenses que ceux de la cocaïne : le produit arrive plus rapidement au cerveau, la durée de
son effet est plus brève.
CHAPITRE 2- METHODOLOGIE
2.1- Méthode d’approche
Il s’agit d’une étude ethnographique sous-tendue par une approche qualitative essentiellement
exploratoire. La nature sensible du phénomène a fait qu’il était essentiel d’élaborer une
méthode d’approche ciblée, adaptée à la nature de la question étudiée. Nous sommes sortie
des sentiers battus, c’est-à-dire de la méthodologie classique pour élaborer une méthodologie
sous-tendue par une démarche raisonnée au gré des situations qui se sont présentées lors de la
collecte des données. Au début il nous a fallu bien expliciter les objectifs de l’étude à notre
informateur négocier des rapports de confiance, lui garantir l’anonymat et la confidentialité
car, un récit de vie devait être réalisé avec lui. Comment le mettre en confiance ? C’est à
partir de cette interrogation que nous avons été amenée à utiliser le jeu de rôle qui a servi à la
fois comme moyen pour le mettre en confiance et comme outil de collecte d’informations.
Deux jeux de rôles ont été faits; dans un premier temps, nous avons proposé à l’informateur
de se mettre dans la peau du chercheur. C’est une simulation qui a consisté à l’amener à
présenter le sujet de l’étude et à lui demander de réfléchir sur la manière dont il devait
conduire l’étude s’il avait à le faire. Dans un second temps, nous nous sommes mise à la place
d’une personne qui voulait commencer à se droguer et lui a joué le rôle d’une personne qui
connaît bien le milieu de la drogue et qui pouvait nous orienter ou nous renseigner. Les jeux
de rôle ont permis de collecter des informations sur les différents types de drogues, les lieux
de vente, le coût ainsi que les effets produits par chaque drogue.
A la suite de ces jeux de rôles, un récit de vie a été réalisé avec lui ; il s’est fait en quatre
séances. Le récit de vie constitue un moyen privilégié d’investigation anthropologique. Il a été
utilisé pour collecter des données sur la vie de l’usager de drogue ; ses comportements
quotidiens, son réseau de relations, ses interactions avec le reste de la société (famille,
entourage, forces de l’ordre, etc.). Le recrutement des usagers de drogue a été très difficile ;
25
ce qui explique que nous avons eu recours à des facilitateurs. Ce sont des personnes qui
connaissent bien le milieu et la cible car travaillant avec elle ou ayant des relations avec elle.
Leur rôle a été capital eu égard à la sensibilité de la question et à la complexité du milieu qui
est souvent très réticent et très méfiant.
2.2- Sites et population d’étude
L’étude s’est réalisée au Centre de Sensibilisation et d’Information sur les Drogues (CSID)
« Jacques Chirac » de Thiaroye et dans certains endroits tels l’Université, les plages. Le choix
de ces sites se justifie par le fait que ce sont des lieux fréquentés par les usagers de drogue, le
Centre Jacques Chirac étant un centre de référence en matière de prise en charge des usagers
de drogue et la plage un lieu de consommation de drogue. Quant à l’Université, elle a été
choisie pour la réalisation de certains entretiens et du focus group, car elle offrait un cadre
propice et anonyme. La population cible reste les consommateurs de drogues. Mais en dehors
de cette catégorie, quelques entretiens ont été faits avec des personnes ressources. Il s’agit
notamment du coordonnateur du Comité Interministériel de Lutte contre la Drogue, du
responsable d’une Organisation Non Gouvernementale qui intervient dans le domaine de la
lutte contre la toxicomanie, d’un Expert Consultant en réduction de la demande du Sénégal
auprès de la CEDEAO.
2.3- Techniques et outils de collecte
Les techniques utilisées pour collecter les informations sont les suivantes:
-
l’entretien individuel ;
-
la discussion de groupe ;
-
le récit de vie
-
l’observation
Une quinzaine d’entretiens individuels ainsi qu’un récit de vie et un focus group ont été
réalisés. Des guides d’entretien ont été élaborés et utilisés lors des entretiens, de la discussion
de groupe et du récit de vie qui s’est réalisé en plusieurs phases. Ces guides peuvent être
consultés en annexes. Par ailleurs, une visite d’observation a été aussi faite dans des endroits
tels les plages. En ce qui concerne les usagers de drogue, la procédure de recrutement s’est
fait à partir de l’échantillonnage par « boule de neige ». La technique de l’analyse de contenu
a été utilisée pour traiter les données obtenues.
26
2.4- Les difficultés de l’étude
La principale difficulté rencontrée reste liée à la nature sensible du phénomène étudié. La
consommation de drogue étant sanctionnée par la loi, les usagers se méfient des étrangers.
Certains ont même refusé de collaborer et de répondre à notre guide par peur d’être dénoncés
et arrêtés. Il importe de souligner à ce niveau que la plupart des entretiens ont été réalisés dans
des endroits neutres, plus sécurisés et loin des lieux d’habitation des usagers de drogue, donc
il fallait trouver une forme de motivation et leur faciliter le déplacement. C’est ce qui fait
qu’une certaine somme a été remise à tous ceux qui ont été coopératifs et qui ont accepté de
nous accorder un entretien.
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DEUXIEME PARTIE
LES RESULTATS
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Les résultats sont présentés à travers trois grandes parties. La première partie présente les
différents types de drogues, la seconde décrit les interactions entre la drogue et la marginalité
quant à la dernière partie, elle montre comment la drogue renforce la marginalisation et
comment les usagers de drogue reproduisent cette marginalisation.
CHAPITRE 1- LES DIFFERENTS TYPES DE DROGUES
Parmi les drogues utilisées par les personnes interrogées, il y a l’héroïne, la cocaïne, le
powder, le chanvre indien.
- L’héroïne
L’héroïne se présente sous forme de poudre qui se trouve dans une sorte de capsule. Elle est
sniffée et se vend dans les quartiers tels Grand Dakar, Pikine, Thiaroye, etc. Son coût varie
entre 2 500 ou 5 000 et 15 000 Francs, la différence se trouve au niveau de la qualité et de la
quantité. La dose de 2 500 Francs ne donne qu’un flash de cinq minutes tandis celle de 10.000
ou de 15.000 Francs peut être consommée en plusieurs prises. Elle est disponible dans des
endroits chics tels les bars, les discothèques ou boîtes de nuit. L’héroïne est un produit qui
vient brut, c’est une fois arrivée à destination qu’elle est traitée et mélangée avec une poudre.
Le coût est fonction alors de sa pureté (la qualité) et de sa gamme. Selon la personne
interrogée, lorsqu’on prend de l’héroïne, on est dans les nuages, les plus « profonds
derrières », on n’est pas dans le même monde ; on ose faire des choses qu’étant lucide on ne
peut pas faire, a noté un des enquêtés. Il affirme que l’effet de l’héroïne est plus fort que celui
du chanvre indien. Quelqu’un qui prend de l’héroïne poursuit-il a un comportement
« diabolique » qui montre à première vue que la personne s’est droguée, alors que quelqu’un
qui fume le yamba peut passer inaperçu devant une personne qui ne la connaît pas. Le choix
de cette drogue dépend du milieu, du standing de vie car elle n’est pas donnée à n’importe
qui. L’héroïne c’est la drogue des bourgeois et les expatriés l’utilisent plus que les gens du
pays, a précisé un usager de drogue. Le choix peut également dépendre de la sensation ou de
l’effet qui est recherché.
- La cocaïne
Là où on trouve de l’héroïne, on peut également trouver de la cocaïne a noté un enquêté. Les
dealers qui vendent de l’héroïne vendent de la cocaïne, surtout dans le milieu aisé. La cocaïne
vient sous forme de briques (comme les briques de foin), elles sont ensuite coupées pour être
29
revendues. La cocaïne est mélangée avec d’autres produits forts ; c’est ce qui fait qu’on
devient « accro » ; dès qu’on y goûte, c’est difficile de laisser. L’effet produit par la cocaïne
est plus grave que celui que produit l’héroïne. Selon la personne interrogée, quand on prend la
cocaïne, on est dans un état secondaire, ça amène chez « papa noël ». L’enquêté à
déclaré : « j’ai une fois pris de la cocaïne, mais j’ai pas pu bouger, je me suis endormi sur
place là où je l’ai prise et j’ai dormi jusqu’au soir. C’était pour tester seulement ». La cocaïne
est plus chère que l’héroïne et le chanvre indien. La plus petite dose se vend à 15 000 Francs.
La dose de cocaïne se trouve dans un petit flacon car c’est plus facile à écouler et à dissimiler.
Répondant à notre question sur l’utilisation de la drogue chez les filles, il a révélé qu’une fille
qui veut commencer à se droguer devra d’abord intégrer le milieu de la prostitution et
commencer par la drogue douce notamment le chanvre indien, car il a un effet moindre. On ne
peut pas sauter du coq à l’âne a-t-il poursuivi. On commence par le chanvre indien et ensuite
on évolue (héroïne, cocaïne, …). Ce qu’il importe de mettre en exergue à ce niveau, c’est
l’association systématique que l’enquêté a établie entre la drogue et le milieu de la
prostitution. En effet, selon lui, une fille qui se drogue ne peut être qu’une travailleuse de
sexe, une fille qui est dans le milieu de la prostitution.
- Le chanvre indien
Parmi les types de drogues citées et consommées par les usagers, le chanvre indien reste celle
qui est la plus consommée. Son nom varie selon les milieux et la qualité. En effet,
l’appellation communément utilisée est celle de cannabis. Certains l’appellent également
chanvre indien ou marijuana. Toutefois, il existe d’autres appellations utilisées localement.
Parfois le cannabis prend le nom de yamba qui est celui le plus couramment utilisé dans le
milieu et par les consommateurs, ou encore de « kali », « boon », de « Djiagoye » ou de
« Lops », « Lopito », « colombia » ou encore de « pastef ». Cette dernière appellation est tirée
du wolof et signifie dynamisme. Les usagers de drogue interrogés ont employé ces différentes
appellations au cours de la collecte des données. Aussi, seront-elles alternativement utilisées
au cours de l’analyse.
Le chanvre est une drogue douce et comparé aux drogues dures telles la cocaïne et l’héroïne,
il est plus accessible géographiquement et financièrement. C’est une herbe qui est parfois
mélangée à de la cigarette. Mais d’autres le préfèrent brut. On peut le trouver un peu partout.
Une des personnes interrogées déclare lors de l’entretien : « je suis presque sûr que dans le
secteur où nous nous trouvons (l’université), il y a un dealer qui vend du yamba. Son coût
30
varie entre 250 Francs pour un joint et 30 000 ou 40 000 Francs pour le kilogramme. C’est de
l’herbe qu’on pèse et qui se fume. En général a souligné l’enquêté, un consommateur qui
achète pour 2 000 Francs a ses doses pour 10 jours. Un paquet de yamba de 500 Francs peut
donner 5 ou 6 joints.
L’effet produit par cette drogue dépend du nombre de joints fumés. Il y a une dose appelée
« lance-roquette » ou « meunseum » qui est le top niveau, le « papa » de tous les joints. Ce
joint peut prendre la taille d’un marqueur (feutre) et pour le faire, il faut un paquet ou cornet
de 500 Francs et demi de yamba. Ce joint se fume doucement sinon on disjoncte. Quand on
fume ce joint nommé « lance-roquette », on ne voit que des trous en marchant, note
l’enquêté ; on a l’impression de marcher sur une route où il y a beaucoup de trous, on fait de
grandes enjambées comme si on sautait pour éviter de tomber dans ces trous. Selon lui, la
dose « lance roquette » produit un « effet stone », c’est-à-dire qu’on est très bien, au top
niveau, « denguèye bien ». Il y a également la dose appelée « ficelle » qui ressemble à un
« rap » de tabac ; elle est plus petite que la dose appelée « lance-roquette ». Lorsqu’on prend 6
joints note l’enquêté, cela produit la moitié de l’ « effet stone » : on bouge, on est en
mouvement, « denguèye speed ». Quelqu’un qui a fumé le yamba a une haleine amère qui
sent, mais seuls les initiés (nandités) peuvent le remarquer ; quand il parle, il a une haleine
particulière qui est différente de l’haleine d’une personne qui a fumé une cigarette ou de
quelqu’un qui ne s’est pas brossé les dents le matin au réveil, a-t-il ajouté.
Les usagers de drogue interrogés ont noté qu’il y a beaucoup de drogues dures maintenant au
Sénégal, surtout dans les quartiers appelés « les Ghettos » tels Usine Niary Tally, Ben Tally,
Médina, etc. Selon le coordonnateur de l’ONG JAMRA qui lutte contre la toxicomanie, à
Dakar, dans tous les quartiers, il y a des trafics. Il ajoute qu’actuellement, beaucoup de jeunes
touchent à la drogue dure. Au Sénégal, la drogue la plus consommée reste le cannabis encore
appelé chanvre indien ou yamba. En effet, dans le rapport de l’étude diagnostique de PEC des
usagers de drogues au Sénégal réalisée par le CSID de Thiaroye en août 2004, il est souligné
que le cannabis est la drogue la plus utilisée au Sénégal avec un pourcentage de 75%. Il serait
suivi par les inhalants qui représentent 25% des usages de drogue.
31
CHAPITRE 2- LES INTERACTIONS ENTRE LA DROGUE ET LA
MARGINALISATION
Il s’agit de voir comment l’ « anormalité » produit le drogué et comment la marginalité est
socialement construite à partir des catégories de normal et d’anormal. En d’autres termes, il
s’agit d’analyser la production sociale du drogué et la construction de la marginalisation.
Différents paramètres sont analysés à cet effet tels les caractéristiques des usagers de drogue,
les raisons de la consommation, les perceptions et les représentations des usagers sur la
drogue, les procédés utilisés pour masquer la consommation et la création des espaces de
consommation.
2.1- Les caractéristiques des usagers de drogue
Les données révèlent que les usagers de drogues vivent pour la plupart dans des conditions
socio-économiques assez difficiles et précaires. En effet, ils sont presque tous dans le secteur
informel et font des petits métiers qui leur permettent de survivre. Ils sont de petits
commerçants ambulants, des journaliers dans les chantiers de construction, soudeurs
métalliques, des infographes, des animateurs de soirées, des sculpteurs, peintres, mais aussi
des chômeurs. L’âge varie entre 22 ans et 50 ans. Mais dans la grande majorité ce sont surtout
des jeunes célibataires qui vivent encore chez leurs parents. Ils ont fait des études jusqu’en
classe de 4ème, 3ème ou encore de Terminale. Le niveau le plus bas est le primaire et le diplôme
obtenu le plus élevé est le Baccalauréat. Certains ont décidé eux-mêmes d’arrêter parce qu’ils
ne voulaient plus continuer et n’étaient pas intéressés par les études, tandis que d’autres ont
été contraints de quitter l’école pour chercher du travail et soutenir leurs familles, les parents
étant âgés et retraités.
L’âge de la première consommation est de 15 ans, ce qui montre qu’il y a une précocité liée à
la consommation de drogue. De plus en plus, les jeunes s’adonnent à l’usage de drogue soit
par curiosité parce qu’ils ont des copains qui l’utilisent, soit par influence du groupe de pairs
qui à force de vanter les vertus de la drogue finissent par les convaincre. Cet extrait tiré d’un
entretien en constitue une illustration : « je fume à cause des fréquentations parce que je ne
prenais même pas de la cigarette. J’avais un copain lorsque je faisais la 6ème, j’étais souvent
avec lui à l’école. Un jour il était en train de fumer, il m’a demandé si j’en voulais, par
curiosité j’ai accepté et il m’a passé le joint qu’il avait déjà commencé. C’était la première
32
fois que je fumais. Après j’avais la tête très lourde ». Un autre abondant dans le même sens a
révélé : « un jour on était dans la chambre de mon copain, il a mis de la musique. Il a fait
sortir le chanvre indien et a allumé un joint. Il a tiré 3 fois et me l’a passé. Il me l’a proposé et
je n’ai pas pu refuser. Je l’ai donc pris et j’ai tiré 3 fois aussi avant de lui remettre et c’est
comme ça qu’on a fait jusqu’à avoir terminé le joint. C’est à partir de là que j’ai commencé à
fumer le chanvre parce que j’y avais pris goût ».
L’exemple qui suit montre comment le milieu peut être déterminant quant à la consommation
de la drogue. C’est celui d’un jeune homme qui a émigré en France à la recherche d’une
situation meilleure et qui s’est retrouvé confronté au chômage et aux dures conditions de la
vie. N’ayant pas de revenus fixes, il n’avait pas d’appartement et par conséquent était obligé
de dormir dehors, dans les gars, les jardins publics. C’est ainsi qu’il a commencé à avoir les
« mauvaises fréquentations » selon ses termes. Il a fait la connaissance d’autres émigrés qui
étaient des revendeurs et des consommateurs de drogue et a noué des relations amicales avec
eux. Il raconte à travers ces lignes, comment il en est arrivé à consommer la drogue. «Vous
savez quand vous êtes dans un milieu où beaucoup de personnes marchent à deux pas, vous
êtes obligés de marcher à deux pas. Si vous entrez dans une boîte où tout le monde est à poil,
vous êtes obligés de vous mettre à poil. Donc en fréquentant des amis qui étaient des usagers
de drogue, ça m’a poussé à découvrir leur monde aussi. J’avais envie de découvrir leur monde
par rapport à mon monde à moi parce que mon monde à moi c’était l’alcool. Comment le
découvrir, ce n’est pas en leur posant la question, mais en rentrant dans leur jeu c’est-à-dire en
fumant le cannabis. Moi j’étais dans le milieu de l’alcool, eux ils étaient dans la drogue, mais
on fréquentait le même milieu. C’est de là maintenant que je suis entré petit à petit jusqu’à
m’enfoncer dedans. J’ai laissé le monde de l’alcool et je suis entré carrément dans le monde
de la drogue. La première drogue que j’ai consommée, c’était dans une soirée, on me l’avait
donnée. J’étais avec mes amis marocains, antillais, algériens, je prenais la drogue avec eux, on
était tout le temps ensemble. Du 1er janvier au 30 décembre, on était ensemble».
En effet, l’usage de drogue est souvent le fruit de l’interaction avec d’autres personnes
notamment le groupe de copains ou la bande. Dans les années 30, Edwin Sutherland un
sociologue de l’Ecole de Chicago avait montré à travers les approches culturalistes,
notamment la théorie de la désorganisation sociale et celle de l’éducation déviante que le
comportement déviant ou marginal est appris dans l’interaction avec d’autres personnes et
qu’une part essentielle de cet apprentissage se déroule à l’intérieur d’un groupe restreint.
33
2.2- Les motivations qui justifient la consommation de drogue
Les principales raisons qui sous-tendent la consommation de drogue sont classées en trois
catégories :
-
les raisons d’ordre psychique : la stimulation permettant un meilleur rendement
physique, intellectuel ou sexuel, l’évasion comme moyen d’oublier ses problèmes, de
trouver du réconfort en s’évadant de son contexte;
-
les raisons d’ordre économique, liées au chômage avec ses corollaires : l’ennui et les
problèmes d’argent ;
-
les raisons d’ordre thérapeutique : les usagers estiment que les drogues, notamment le
chanvre indien, ont des vertus curatives.
En effet, les usagers de drogue rencontrés vivent tous dans une situation socio-économique
précaire, sans emploi stable ou pas du tout. Leur particularité c’est qu’ils sont souvent des
soutiens de famille, leurs parents étant retraités. La consommation de la drogue leur permet de
refouler les problèmes, de noyer leurs soucis, de stimuler leur créativité, leur dynamisme, leur
intelligence, d’attirer l’attention lorsqu’ils vivent dans des problèmes ou dans le noir pour
reprendre l’expression de l’un d’entre eux. En prenant la drogue, ils affirment qu’ils voient le
blanc, la lumière. Ils l’expliquent en ces termes : « Quand tu es lucide, tu es angoissé par les
problèmes de cette vie. Tu veux aider tes parents, tu ne peux pas, tu veux régler certains
problèmes tu ne peux pas parce que tu n’as pas d’argent. Alors le chanvre indien nous permet
d’oublier pendant un moment tous ces soucis ».
D’autres le prennent également pour créer de l’ambiance lorsqu’ils sont entre copains, ou
pour se sentir à l’aise dans leurs rapports avec les autres. Cette phrase extraite du focus group
réalisé avec certains usagers en donne la substance : «Parfois on est ensemble, très calmes,
chacun est plongé dans ses problèmes, il n’y a pas d’ambiance. Mais il suffit qu’on prenne le
chanvre et on commence à s’éclater, l’ambiance est là et on discute bien ».
La plupart des personnes interrogées ont noté que la drogue possède certaines vertus
puisqu’elle stimule l’intelligence, la créativité, améliore la productivité, aide à transcender les
problèmes quotidiens, constitue un remède contre la timidité, la peur et donne du courage.
Elle serait ainsi un remède miracle à de nombreux problèmes. La « prexion » est l’effet
produit par la consommation de drogue. Elle procure un état très agréable selon les usagers.
« La « prexion c’est bon, disait une des personnes interrogées. Si tu prends le yamba, tu es
34
serein, calme, tu réfléchis beaucoup, tu ne fais pas d’erreur, ni ne dis pas de bêtises. Il
poursuit en ajoutant que la drogue est comme un couteau à double tranchant. Elle a un bon et
un mauvais côté. Quand j’ai un problème avec ma femme par exemple, je fume du yamba qui
me procure une « prexion » qui me permet d’oublier et de dépasser le problème. Là ce n’est
pas une « prexion » négative, mais bien positive, car le rendement est positif. De même quand
quelqu’un me fait du tort et que je suis très en colère, ou j’ai des problèmes très graves, je
fume du yamba et c’est comme si on m’avait fait un lavage de cerveau, j’oublie tout et je
retrouve l’équilibre. Quand je suis sous « prexion », je ne fais que du bien ». Dans cette même
lancée, un autre a déclaré : « Le chanvre indien développe l’intelligence, la réflexion, il
nettoie le teint et le rend plus clair. Tu vois les jamaïcains, ils ont tous un très bon teint, c’est
parce qu’ils consomment la marijuana. Il soigne également l’asthme. Quand tu le consommes
pour augmenter ta productivité, elle va augmenter, si tu le fais pour améliorer ton intelligence
et être plus créatif, c’est le résultat là que tu auras. Mais si tu le prends pour avoir le courage
de voler ou de commettre des actes de délinquance, c’est ça que tu vas obtenir. Les effets
dépendent de la satisfaction qui est recherchée, de l’objectif visé ».
2.3- Les perceptions et les représentations sur la drogue
Certains usagers reconnaissent à la drogue des vertus thérapeutiques et curatives. Elle serait
un remède contre les problèmes de la vie (chômage, oisiveté, etc.) et permettrait d’augmenter
la productivité, de stimuler l’intelligence, la créativité. Elle serait aussi un remède contre
l’asthme; par exemple ce jeune homme a déclaré : « j’ai des copains qui sont asthmatiques,
mais depuis qu’ils fument le chanvre, ça ne les fatigue plus. On peut le fumer ou le faire
bouillir et le boire comme une tisane, c’est très efficace ». Lorsqu’elle est bien consommée,
pensent certains usagers, la drogue ne produit pas d’effets négatifs. Toutefois, ils ont tous
reconnu que tout excès est nuisible qu’il s’agisse du chanvre indien, de l’alcool ou de la
cigarette.
Par ailleurs, une distinction est faite entre les drogues dites douces notamment le yamba et
celles dites dures comme la cocaïne, l’héroïne, etc. La drogue douce est considérée comme
étant la plus naturelle et elle est plus tolérée. Selon les usagers de drogue interrogés, le
chanvre est une plante que Dieu a créée comme toutes les autres plantes. C’est une herbe qui a
des vertus thérapeutiques. C’est parce que le chanvre indien fait reculer l’économie du pays et
n’arrange donc pas le gouvernement qu’il est classé comme une drogue, mais il ne l’est pas. Il
est naturel c’est pour cela que certains pays l’ont légalisé ils ont découvert qu’il soigne. C’est
35
pour cette raison essentiellement que les personnes interrogées préfèrent le chanvre indien par
rapport aux autres types de drogue. Ils trouvent qu’il est mieux que les autres parce qu’il ne
détruit pas ceux qui le consomment comme les drogues dites dures. L’un d’eux l’a souligné
en disant : « Le chanvre indien ne détruit pas, quand tu le prends, tu deviens plus conciliant,
plus humain, plus humble. Il dissipe la colère, il y a des choses que tu n’oses pas faire. Mais la
drogue dure quand tu es en manque, elle peut t’amener à faire certains actes tels l’agression,
le vol, le meurtre. Ceux qui la consomment ont un autre esprit ». La cocaïne, l’héroïne ou le
powder sont souvent des produits traités dans les usines et mélangés avec d’autres substances
chimiques qui ont des effets nuisibles sur la santé et qui créent un état de dépendance très
avancé.
Les drogues dures sont souvent considérées comme des drogues de bourgeois destinées aux
classes et personnes aisées et riches telles les hautes personnalités, mais surtout les marocains,
libanos-syriens qui contrôlent d’ailleurs la distribution. Quant au yamba, il serait destiné aux
classes moyennes et défavorisées tels les petits commerçants, les gardiens, les maçons, les
fonctionnaires moyens, les étudiants et élèves, les apprentis, etc.
Par ailleurs, d’autres déclarent que la drogue a des effets destructeurs sur la santé mentale des
personnes qui l’utilisent. Lors du focus group, un des participants affirme : « la consommation
du yamba entraîne la création de toile d’araignée dans le cerveau, ce qui peut le détruire parce
que ces toiles le bouchent. De cette sorte, la réflexion n’est plus possible. Lorsque j’étudiais
encore, un jour j’ai pris du yamba à l’examen. Mais lorsqu’on a distribué les sujets, je ne
pouvais même pas écrire mon nom. Il y avait un grand vide dans ma mémoire, je ne me
souvenais de rien, même pas de mon nom ». La drogue mène également à la folie surtout chez
ceux qui ont « un petit cerveau », elle est à l’origine d’actes de délinquance et coupe de la
société les personnes qui la consomment. Un des participants au focus group a révélé :
« Quand les gens découvrent que tu fumes du yamba, ils ne te respectent plus, ils t’évitent, ne
te considèrent plus, tu perds ta notoriété, ta dignité, ton autorité. Quoi que tu fasses, ils diront
toujours en parlant de toi : ce fumeur de yamba là ». Quant à la drogue dure, elle mène à
l’appauvrissement car elle crée une situation de dépendance qui fait que la personne peut aller
jusqu’à vendre tous ses biens pour s’en procurer. Lorsque la dose est très forte, elle peut vous
mettre dans un état chaotique qui peut durer 24 heures et là le travail est ralenti et par
conséquent la productivité baisse. Tout le problème de la consommation de la drogue se
trouve dans le dosage, la quantité consommée.
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En ce qui concerne la légalisation de la drogue, les avis divergent. Certains pensent qu’on
devrait autoriser les gens à en consommer tout en fixant des limites à ne pas dépasser. La
sanction pourrait être appliquée seulement si cette limite est dépassée. Ils révèlent que s’il n’y
avait pas la répression, les gens allaient arrêter de la consommer. Toutefois, la plupart des
usagers de drogue interrogés trouvent qu’il faudrait par contre renforcer la répression et
combattre l’usage de la drogue. D’ailleurs, une des personnes interrogées a déclaré : « La
drogue n’apporte rien de bon. Par exemple le chanvre n’apporte rien à part la « prexion » qui
est bonne parce qu’elle apporte un soulagement. Moi je regrette amèrement d’avoir
commencé à fumer et je ne voudrai jamais que mon frère ou un proche en consomme. La
répression c’est mieux parce que sinon beaucoup de jeunes vont devenir fous». Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, la plupart des consommateurs de drogues sont contre la
légalisation. Ils craignent qu’en les rendant plus facilement accessibles, on augmente le risque
de conflits sociaux, de problèmes de santé notamment les maladies mentales et de
délinquance.
Selon Brûlé (OGD, 1998), la drogue est un problème lié au temps car elle est utilisée pour
résoudre des problèmes ponctuels. Si la drogue n’était pas considérée comme un remède par
ses utilisateurs, elle n’aurait pas d’adepte et ne serait pas devenue un fléau international. Son
mécanisme, que l’on peut résumer ainsi : « je vais mal, je prends quelque chose et je vais
bien », est lié au temps, à l’instantanéité miraculeuse de ses effets sur le mal qu’elle est censée
guérir. La drogue est donc liée au concept du temps : elle est une réponse immédiate à
différents problèmes et c’est ce qui fait sa force. La drogue a un aspect magique.
2.4- Les procédés analogiques
En ce qui concerne la drogue, c’est un processus qui est souvent utilisé pour rendre sa vente et
sa consommation invisibles et ne pas attirer l’attention des autres. Pour la vente de drogues, le
but de ce procédé est de donner l’impression que l’on fait un autre travail. Les revendeurs ont
souvent de petites activités qui servent de couverture à une activité de vente de drogue. Les
observations effectuées à la plage des Mamelles ont constitué une occasion pour mieux cerner
ce phénomène. Elles ont permis de noter que la tenue de petites activités reste souvent une
couverture et sert à cacher les pratiques auxquelles se livrent les consommateurs mais aussi
les revendeurs de drogues. Les petites cabanes de fortunes installées sur la plage et la vente de
37
boissons sucrées et de poissons braisés ne servent qu’à couvrir les activités de vente de
drogue.
Quant à la consommation de drogue, le procédé le plus utilisé pour la rendre invisible est le
mélange du yamba avec de la cigarette. Le yamba est mélangé et fumé avec de la cigarette. Ce
procédé vise non seulement à atténuer l’odeur du yamba qui est très forte, mais aussi et
surtout à cacher la consommation de la drogue par ce qu’on pourrait appeler le procédé du
« montré/caché ». Cette personne interrogée explique ce procédé en ces termes : « C’est
lorsque mes parents ont découvert que je fumais que j’ai commencé à faire le mélange. Pour
cacher ça, souvent je mixais le chanvre avec de la cigarette comme Marlboro, Excellence ou
Houston pour masquer l’odeur et l’enflammement du joint ». On montre qu’on fume de la
cigarette qui est un produit accepté pour cacher le yamba dont l’usage est interdit. Ainsi, le
yamba est souvent mélangé à du Dunhill ou Marlboro. D’autres pour atténuer l’odeur mettent
de l’encens ou s’aspergent de parfum après avoir fumé le yamba. La drogue dure appelée
powder est parfois aussi consommée avec un morceau de pain. C’est ce procédé du
« montré/caché » que la plupart des consommateurs de yamba utilisent pour rendre invisible
leur consommation.
2.5- La création des espaces de consommation
La drogue est un produit illicite dont la détention et l’usage sont réprimés car ils s’inscrivent
en marge des comportements et pratiques acceptées et admises par la loi et la société. La
consommation de drogue est une pratique marginale sanctionnée à la fois juridiquement
(peine d’emprisonnement) et socialement (marginalisation, stigmatisation). Aussi, pour
consommer la drogue, les usagers reproduisent-ils la marginalisation et la stigmatisation.
Cette reproduction se manifeste par la création et la fréquentation d’espaces isolés et
discrimés qui sont souvent des lieux d’exclusion. En d’autres termes, ils créent un monde, un
microcosme qui est en rupture avec le normal, en rupture par rapport à une certaine centralité
qui accuse, qui surveille et qui stigmatise.
En effet, les plages où la baignade est interdite, les rues, écoles et terrains de football (à des
heures désertes), certains endroits peu fréquentés dans les maisons notamment les terrasses et
les chambres des jeunes hommes ou encore les toilettes, les jardins publics, les maisons closes
servent souvent de lieux de consommation de drogue. « Avant je fumais dans ma chambre et
je pensais être plus rusé, alors ma femme a fini par comprendre. Depuis lors, j’ai changé de
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milieu. On a une maison close mes amis et moi c’est dans cette maison qu’on se voit
lorsqu’on veut fumer le yamba » a déclaré un des interviewés. Un autre révèle : « Quand je
veux fumer chez moi, je monte sur la terrasse pendant la sieste ou la nuit lorsque tout le
monde est couché. Là je fume tranquillement sans avoir peur d’être surpris ».
Ce sont des endroits dont l’accès est difficile la plupart du temps et de ce fait sont moins
fréquentés. Par exemple les plages sont des endroits très fréquentés par les usagers de drogue.
Pour échapper à la surveillance, au contrôle et aux regards accusateurs, certains usagers
préfèrent se retirer à la plage pour y fumer la drogue. La plage des Mamelles constitue un de
ces espaces. En effet, c’est un milieu dont l’accès est très difficile avec de petits sentiers
tortueux bordés d’une végétation très touffue. Située en bordure de route, l’entrée qui mène à
la plage sert de dépotoir d’ordures. L’odeur du chanvre indien encore appelé yamba accueille
les visiteurs depuis l’entrée. C’est un milieu très calme, isolé, un havre de paix pourrait-on
même dire, loin de la pollution sonore et atmosphérique de la ville, un endroit propice au
repos, à la réflexion et à la méditation. Ils sont souvent dans une position de solitude,
d’isolement, de méditation et de réflexion assis sur les roches face à la mer. Ils ne sont pas
agressifs, ils ne cherchent qu’à fumer tranquillement leur drogue loin des regards indiscrets et
accusateurs. Les messages trouvés à l’intérieur des cabanes en témoignent. Sur les dalles en
ciment servant de tables et de bancs aux clients, les messages qui suivent étaient inscrits :
« One love, one poeple, Jah love », « Peace in love » des messages qui prônent la paix et
l’amour.
Pour échapper au contrôle et à la sanction juridique et sociale, l’usager de drogue se construit
un espace neutre, isolé, moins fréquenté, discriminé, un milieu qui est en rupture avec les
normes sociales et où il peut librement consommer sa drogue. Il se retire de cette sorte de la
société, construit son monde et coupe ses relations avec les autres qui n’appartiennent pas à ce
monde, c’est-à-dire ses amis et proches qui ne consomment pas de la drogue.
39
CHAPITRE
3-
COMMENT
LA
DROGUE
RENFORCE
L’ANORMALITE ET LA MARGINALISATION?
L’usage de drogue est un comportement stigmatisé, parce qu’il s’inscrit en marge de ce qui
est admis par la société et la loi. Il en résulte que les consommateurs de drogue sont traqués,
surveillés et sanctionnés s’ils sont surpris en flagrant délit ; ce qui fait que la drogue est
achetée en cachette, elle est également consommée en cachette.
S’il n’est pas avec ses pairs, il préfère la solitude car il a besoin de se mouvoir dans un milieu
qui le comprend, qui l’accepte tel qu’il est, qui ne le juge pas, ne le condamne pas et où il peut
être à l’aise et fumer sa drogue quand il en a envie. C’est pour ces raisons que l’usager de
drogue recherche souvent la compagnie de camarades qui fument. Les consommateurs de
drogue appartiennent à des bandes, des groupes de copains qui sont souvent ensemble et qui
fument ensemble. Un des participants à la discussion de groupe a abordé cet aspect en
soulignant : « Quand tu fumes le chanvre indien, tu ne peux pas être avec des gens qui ne le
fument pas parce que vous n’êtes pas sur la même dimension, la même longueur d’onde. Mais
quand tu laisses, ils se rapprochent plus de toi».
Certains ont été expulsés de chez eux lorsque leur pratique de consommation a été découverte
par la famille, d’autres ont été victimes de discrimination. L’exemple de ce jeune homme
revenu de la France illustre comment la stigmatisation envers les usagers de drogue se
manifeste dans les familles. «Quand je suis revenu au Sénégal, je suis parti chez mes parents,
ma mère. Mes parents ont divorcé. Ma mère elle était avec sa maman bon j’ai trouvé une de
mes sœurs là-bas et une tante. Ca a été toujours difficile, très difficile pour moi de m’intégrer.
Au départ c’est vrai neuf ans d’absence on n’a pas vu une personne, il y a eu des accolades et
tout, ils ont réagi positivement au départ pendant quelques mois. Mais après ils ont réagi
négativement vu mon comportement que j’avais. J’ai été donc expulsé de chez moi, ils m’ont
expulsé après quelques temps, huit ou neuf mois».
Le cas de ce jeune homme mérite
également d’être mis en exergue. Il a été rejeté par sa famille lorsque cette dernière a su qu’il
consommait de la drogue. Lors de l’entretien, il a révélé la dénégation, le mépris, le rejet dont
il est victime par sa famille: « J’ai eu des problèmes avec mes parents quand ils ont su que je
fumais du chanvre, ça ne leur a pas plu. Donc j’ai eu des problèmes ; on ne m’appelait plus
40
pour manger même les restes, ils préféraient les donner à des talibés (les enfants qui
mendient). Mon linge n’était plus lavé ».
L’institution (la famille, la société, la prison, etc.) croyant participer à une hypothétique
réinsertion du sujet, en favorisant son retour dans la « normalité », ne fait que rajouter au
décès social, un décès physique. Cette conclusion de Declerck (2001) s’inscrit dans le même
ordre d’idées que celle des participants au focus group. En effet, ces derniers ont noté que :
« la prison n’est pas une bonne correction parce que quand tu sors, la première chose que tu
vas chercher c’est la drogue. La prison détruit la personne. Seul 1% des prisonniers change et
arrive à se réinsérer. Le reste ne change pas ». En voulant corriger, ramener à la normalité, la
société ou la loi blâme, rejette, exclut, éloigne, punit ou sanctionne ; ce qui contribue à
renforcer la stigmatisation, la marginalité et par conséquent l’anormalité. La drogue renforce
l’anormalité car sa consommation crée une altération de la conscience. L’individu peut ainsi
commettre des actes irresponsables tels le vol, le viol, ou la délinquance, car il ne réfléchit
plus étant sous l’emprise de la drogue. Le récit de cet homme en témoigne : « j’ai fait un
constat : quand je fume, j’ai envie d’avoir une femme à côté. Il m’arrive souvent de vouloir
coûte que coûte avoir une femme. Je ne cherche pas l’âge de la femme, l’essentiel c’est
d’atteindre ma libido. Et là je fais beaucoup de conneries. Une fois, je suis tombé sur une fille
de 16 ans et ce sont des choses qui se répètent. Je suis même allé voir un guérisseur pour
arrêter ça ». Un autre a également commis le vol sous l’effet de la drogue ; il a déclaré : « il
m’arrivait souvent de prendre des choses qui ne m’appartenaient pas ou de contracter des
dettes sans honorer mes engagements. J’ai toujours eu des problèmes »
En réalité, la marginalisation et la stigmatisation sous-tendues par la répression et la sanction
ne peuvent constituer une stratégie efficace de réduction de la demande et de réinsertion. Ce
passage extrait d’un entretien en témoigne : « Depuis que ma famille sait que je fume du
chanvre indien, personne ne me considère plus, ni s’occupe de moi. Je devais voyager, aller
en Allemagne, mais mes parents ne veulent plus m’amener parce qu’ils pensent que si je pars,
je vais passer tout mon temps à me droguer. Même mes cousins qui sont plus jeunes sont
partis. Alors parfois pour réagir, je fais ce que je veux, je me drogue bien et je viens à la
maison faire du boucan. C’est ma famille qui m’a détruit, elle devait m’amener, elle ne l’a pas
fait ». Lui refuser de partir, constitue pour la famille, un moyen de faire pression sur l’usager
de drogue, une façon de le punir et de le contraindre de cette sorte à changer de
comportement.
41
La réaction de l’usager s’inscrit par contre dans une logique toute autre. En le punissant, la
famille favorise la consommation de plus en plus accrue de la drogue parce qu’elle constitue
pour l’usager une arme pour lutter contre ce refus, cette stigmatisation et cette discrimination
dont il est victime. Alors que les parents voient dans ce refus une façon de l’obliger à arrêter
de fumer, l’usager l’analyse et le considère comme un processus de discrimination qui conduit
à sa destruction. Ainsi, en voulant rééduquer et ramener à la normalité, on renforce
l’anormalité, la marginalisation et par conséquent la vulnérabilité des usagers de drogue, qui
renforcent à leur tour l’usage de drogue. On note des interrelations entre deux phénomènes
notamment l’usage de drogue et la marginalité. Ils interagissent à travers des rapports de
réciprocité, l’un influençant et déterminant l’autre et vice-versa. L’interdiction entraîne un
certain nombre de dysfonctionnements. Elle peut par exemple, en influençant l’attitude des
consommateurs à l’égard de ces drogues, en accroître les effets négatifs. Le cas du jeune
usager de drogue à qui ses parents refusent le voyage en constitue un exemple frappant. Loin
d’être une solution, l’interdiction renforce la vulnérabilité et la consommation de drogue.
La consommation de drogue entraîne l’isolement, la distanciation par rapport au reste de la
société. Les usagers sont éloignés du tissu social. En les blâmant, les traquant et les
sanctionnant, la société finit par les éloigner et les confine dans des espaces marginalisés, loin
du regard accusateur où ils peuvent s’adonner librement à leur pratique. Il résulte de ce
processus de marginalisation, une réduction de leur réseau relationnel, les seuls compagnons
et amis étant la bande ou le groupe de copains souvent tous des usagers de drogue. Cette
marginalisation dont sont victimes les usagers de drogue entraîne une stigmatisation et une
désocialisation puisqu’elle les exclut de la société, de la vie sociale.
La notion de désocialisation empruntée à Declerck (2001) traduit cette réalité que vit l’usager
de drogue. En effet, la désocialisation et l’exclusion sociale ne constituent d’ailleurs plus des
thèmes étrangers à l’analyse des phénomènes sociaux contemporains tel la consommation de
drogue. Selon cet auteur, ces modes particuliers de rapport au social ont souvent été
interprétés comme l’envers ou l’échec de l’intégration, de l’assimilation ou de l’insertion
sociale touchant aussi bien des individus que des groupes complets. Etre désocialisé ou exclu
suppose une distanciation du social dans le sens d’une détérioration plus ou moins complète
des conditions de vie au sens de la norme et des valeurs d’une société dominante donnée. La
désocialisation est ici perçue comme un ensemble de comportements et de mécanismes
42
psychiques par lesquels le sujet se détourne du réel et de ses incertitudes pour chercher un
soulagement dans un aménagement du pire. Pour Declerck, souligne Laurent, la
désocialisation constitue en ce sens le versant psychopathologique de l’exclusion sociale,
(Laurent, 2002).
Toutefois, au bout de la désocialisation, naît un processus de « resocialisation ». L’usager de
drogue, se retirant de la société, s’insère dans un autre espace en créant son propre milieu
composé par son groupe de pairs. La construction de cet espace donne naissance à une micro
société où l’usager peut s’épanouir et exprimer la singularité de sa nature pour reprendre les
termes de Park. En effet, il note que : « Dans la liberté propre à la ville, tout individu, quelle
que soit son excentricité, trouve quelque part un milieu où s’épanouir et où exprimer d’une
certaine façon la singularité de sa nature. Sans aucun doute, l’un des attraits d’une ville est
que chaque type d’individu – le criminel, le mendiant, aussi bien que l’homme de génie- peut
trouver quelque part la compagnie qui lui convient », (Park, 1979, cité par Werner, 1993).
Le phénomène de la drogue est révélateur d’un problème de société en ce sens qu’il met en
exergue et exacerbe les problèmes d’injustice et d’inégalité. Pour la plupart des usagers, ce
sont les classes aisées qui sont à la base du trafic de la drogue. Un d’entre eux l’a noté en ces
termes : « ce sont les fils de patrons qui introduisent la drogue dans le pays parce que nous on
n’en a pas les moyens ça demande beaucoup d’argent ». Un autre a ajouté : « on ne doit pas
nous arrêter, ceux qu’on doit arrêter, ce sont ceux qui la font entrer dans le pays, les fils de
bourgeois et les grandes personnalités. Nous ne sommes que de pauvres victimes. Nous les
fumeurs, on te prend avec un seul joint on te défère, c’est grave alors que les revendeurs on
les prend, ils donnent de l’argent et on les laisse. Il y a des policiers qui consomment la
drogue ».
43
Le diagramme qui suit montre les différentes interrelations entre la drogue et la marginalité.
Anormal
Drogue
Normal
Marginalisation
L’anormal est caractérisé par une situation de chômage, de pauvreté, par les problèmes et
soucis quotidiens. C’est cette situation qui crée la vulnérabilité et qui expose à la
consommation de la drogue qui est ainsi utilisée pour être normal, c’est-à-dire intelligent,
dynamique, productif, créatif. L’approche inégalitariste développée par Robert K Merton
dans les années 30 et qui met en exergue le décalage entre les aspirations à la réussite et la
réalité des inégalités et des conditions de vie précaires trouve ici sa pertinence et pourrait
servir à comprendre la consommation de drogue qui est un phénomène social. En d’autres
termes, la drogue est consommée pour poursuivre ou atteindre un but ou un idéal. Ce qui
installe l’individu dans une situation de marginalité, la drogue étant interdite et son usage
sanctionné. La marginalité à son tour renforce l’anormalité parce qu’elle peut conduire à la
délinquance et à une punition (peine d’emprisonnement). Toutefois, la punition dont le but est
de ramener l’usager à la normale en le contraignant à abandonner l’usage de la drogue,
favorise davantage la vulnérabilité et partant la dépendance à la drogue.
44
CONCLUSION
La drogue est un fléau des temps modernes qui touche tous les continents. Elle est devenue
une nouvelle donne dans le contexte de la propagation alarmante de l’infection à VIH.
Beaucoup de nouveaux cas d’infections à VIH dans le monde sont attribuables à la
consommation de drogues notamment injectables (les drogues dures). Toutefois, les drogues
dites douces telles le cannabis, eu égard à l’état d’altération de la conscience que leur
consommation entraîne, pourraient constituer un facteur de risque et renforcer la vulnérabilité
face à l’infection à VIH par voie sexuelle. Aussi, la drogue est-elle un problème de santé
publique, de sécurité nationale et de développement. C’est ce qui justifie notre intérêt pour cet
objet d’étude.
L’Afrique est devenue une zone de transit de la drogue, mais elle est aussi une zone de
production. Après la chute des prix des produits agricoles, nombre de populations ont
développé la culture et le trafic de la drogue. Le Maroc est par exemple le troisième
producteur mondial de cannabis. Le Sénégal, de par sa position géographique est devenu la
plaque tournante du trafic international. Avec l’avènement de l’insécurité dans la région sud
du pays, la culture du cannabis s’est développée surtout dans les îles Karones (Casamance).
La région sud produit à elle seule les 2/3 du cannabis cultivé au Sénégal. Toutefois, le fait le
plus inquiétant reste que la population toxicomane ne cesse d’augmenter. De plus en plus de
jeunes consomment la drogue et à un âge précoce. Au Sénégal, le cannabis est la drogue la
plus consommée.
L’objectif principal de cette étude était d’analyser les interactions entre la drogue et la
marginalité. En effet, les raisons qui expliquent la consommation de la drogue sont
essentiellement d’ordre social, économique et psychique. L’usager trouve dans la
consommation de la drogue, un moyen de s’évader de son cadre de vie marqué par les
problèmes quotidiens et le chômage : il y voit aussi une stimulation dans ses activités
physiques ou de création.
Par ailleurs, la drogue étant un produit illicite, sa consommation est interdite, réprimée et
sanctionnée à la fois juridiquement (peine d’emprisonnement) et socialement (marginalisation
et stigmatisation). En d’autres termes, la consommation de drogue est sanctionnée par la loi et
par la société car elle ne fait pas partie des normes et règles qui sous-tendent le
45
fonctionnement de la société et assurent la cohésion et la paix sociale. Aussi, pour en
consommer, les usagers de drogue sont-ils obligés de se cacher. L’étude a révélé que pour
échapper à la stigmatisation, ils reproduisent finalement la marginalisation. La création
d’espaces de consommation peu fréquentés et éloignés du regard accusateur de la société,
l’utilisation de procédés pour masquer la consommation de la drogue constituent des
stratégies développées par les usagers pour échapper à la sanction juridique et sociale. La
consommation de drogue entraîne la marginalisation et la marginalisation renforce la
vulnérabilité à la consommation de la drogue. L’étude a révélé qu’il existe ainsi des rapports
réciproques entre la drogue et la marginalité. En interdisant l’usage de la drogue et
sanctionnant les usagers, la société les marginalise. Pour ne pas être victime de cette
marginalisation, les usagers se distancient de cette société qui les blâme et créent ainsi des
espaces discriminés qui sont en rupture avec les normes et où ils peuvent s’épanouir et
consommer leur drogue. Aussi deviennent-ils plus vulnérables face à la drogue et sont-ils plus
exposés à la délinquance.
Dans un contexte marqué par la propagation fulgurante et alarmante du VIH/SIDA, mais aussi
une pauvreté et un chômage chroniques, les usagers de drogue exclus, marginalisés et
stigmatisés peuvent constituer une catégorie vulnérable et être par conséquent exposés à
différentes maladies notamment l’infection à VIH. Cette question reste une piste de recherche
à laquelle nous nous intéressons. Elle pourrait être prise en compte à travers la mise oeuvre
d’une étude plus large et plus approfondie que nous souhaitons effectuer dans le cadre de la
thèse. Il s’agira de voir comment la drogue, associée à la marginalisation et à la stigmatisation
renforcerait le risque d’infection à VIH.
46
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49
ANNEXES
50
Guide utilisé pour les entretiens individuels et le focus
Les grands thèmes qui ont été développés au cours des entretiens et des discussions de groupe
sont les suivants :
1- Les caractéristiques des usagers de drogue
Age
Sexe
Niveau d’étude
Activité professionnelle
2- La consommation de drogue
Types de drogues connues
Drogues utilisées
Raisons ou motivations de la consommation
Modes d’utilisation
Espaces de consommation
Lieux d’approvisionnement
Effets recherchés et produits
3- Les perceptions et les représentations des usagers sur la drogue
4- Les interrelations des usagers de drogue avec le reste de la société (famille, entourage,
etc.)
Problèmes de marginalisation et de stigmatisation
Stratégies utilisées pour faire face à cette marginalisation
51
Guide utilisé pour le récit de vie
-
L’enfance
-
De l’adolescence au voyage
-
Le voyage
-
Drogue, sexe et marginalisation
-
Stigmatisation et problèmes juridiques
52
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