Faustine Régnier, INRA-CORELA, Ivry
Faustine.Regnier@ivry.inra.fr
Pour en savoir plus
Caillavet F. (coord), 2004, L'alimentation des populations défavorisées comme dimension spécifique de la pauvreté
en France. Vol. 1 : Caillavet F., Darmon N., Lhuissier A., Régnier F., L'alimentation des populations défavorisées en
France. Une revue de la littérature dans les domaines économique, sociologique et nutritionnel, Rapport pour
l'ONPES, 134 p., février 2004 ; Vol. 2 : Andrieu E., Caillavet F., Lhuissier A., Momic M., Régnier F., L'alimentation
comme dimension spécifique de la pauvreté. Approches croisées de la consommation alimentaire des populations
défavorisées, Rapport pour l'ONPES, 197 p. + annexes, février 2005.
Diffusion : Martine Champion, INRA SAE2 - Mission Publications, 65 Bd de Brandebourg - 94205 Ivry Cedex.
Egalement disponible (au fomat pdf) sur le site : http://www.inra.fr/Internet/Departements/ESR/publications/iss/
Téléphone : 01 49 59 69 34 - Télécopie : 01 46 70 41 13
Dépôt légal : 2ème trimestre 2005. Commission Paritaire n° 2147 ADEP.
Réalisation et impression : Suzanne Jumel et Jacky Debret, INRA SAE2, 65 Bd de Brandebourg - 94205 Ivry Cedex.
leur corps - que l'on peut notamment mesurer à travers la
volonté de maigrir - permet d'éclairer la répartition socia-
le de l'obésité. En France comme aux Etats-Unis, lors-
qu'on réalise une régression logistique expliquant la
volonté de maigrir par l'âge, le niveau de vie et d'éduca-
tion, les variables liées à la hiérarchie sociale ne ressor-
tent pas comme variables explicatives significatives. Le
désir de maigrir (encadré 2, méthodes) est paradoxale-
ment uniforme dans tous les milieux sociaux : 59% des
femmes cadres et 54% des ouvrières souhaitent perdre du
poids, cet écart n'étant pas significatif au seuil de 5%.
Mais la corpulence est très différente d'un groupe social à
l'autre. Quand on introduit l’IMC dans le modèle, toutes
les variables - en particulier celles de hiérarchie sociale -
voient augmenter leur degré de significativité. Ainsi,
pour une corpulence donnée, de part et d'autre de
l'Atlantique, les plus riches et les plus diplômés sont
beaucoup plus nombreux à vouloir maigrir que la moyen-
ne : les catégories les plus aisées sont beaucoup plus
attentives à la prise de poids que les catégories plus popu-
laires, et pour cela ne dépassent pas certaines limites fran-
chies par d'autres groupes, moins vigilants ou plus tolé-
rants. La pression sociale à l'égard de la minceur serait-
elle différente selon les milieux sociaux ?
Pour la France, l'enquête EPCV de mai 2001 permet de
mesurer plus finement cette attention portée au corps.
Chez les hommes et les femmes, les agriculteurs sont la
catégorie pour laquelle on constate la plus forte adéqua-
tion entre corpulence réelle et corpulence idéale, toutes
deux élevées. Les cadres hommes, et plus encore les
femmes - de même que les femmes des professions inter-
médiaires - ont la corpulence réelle la plus basse, mais
également l'idéal le plus bas. Moins touchées par l'obési-
té, dotées d'une corpulence inférieure aux autres, les
femmes de ces catégories sont également les plus atten-
tives à leur poids : elles sont plus nombreuses à vouloir
maigrir, se pèsent le plus souvent et pratiquent le plus
régulièrement une activité sportive (43% des femmes
cadres déclarent faire du sport au moins une fois par
semaine, contre 18% des ouvrières et 7% des inactives).
Les femmes des catégories supérieures témoignent du vif
souci de respecter une norme corporelle, celle de la min-
ceur. Dans ce cadre, le corps participe-t-il d'un processus
de distinction, les techniques du corps se diffusant du
haut vers le bas de la hiérarchie sociale ? On peut en tout
cas lire dans cet exercice d'un contrôle sur le poids plus
sévère une forte pression sociale en matière corporelle,
qui s'exprime par exemple sur le lieu professionnel, lieu
privilégié de socialisation. A contrario en effet, chez les
femmes qui ne travaillent pas, mais aussi chez les
ouvrières, les obèses sont plus nombreuses et l'attention
portée au physique - vigilance à l'égard de la prise de
poids, pesées et pratique sportive moins fréquentes - est
moindre. Cette vigilance moins marquée à l'égard de la
minceur découle-t-elle d'une faible valorisation de l'ima-
ge du corps, ou bien d'une liberté et d'une tolérance qu'au-
raient les femmes des catégories populaires à l'égard du
contrôle du poids, ou bien encore d'une pression sociale
contre la prise de poids moins prononcée dans un groupe
social où la corpulence moyenne est élevée ? Les milieux
les plus touchés par l'obésité sont également ceux où les
représentations poussent à une plus grande tolérance à
l'égard du surpoids : dès lors, les individus y seraient frei-
nés moins tôt dans leur trajectoire d'obèses.
La comparaison internationale fait apparaître des liens
remarquablement similaires en France et aux Etats-Unis
entre obésité, en particulier féminine, et hiérarchie socia-
le, mais elle montre également des différences dans les
mécanismes qui jouent au sein de ces relations. Surtout,
sur la période 1970-2000, l'obésité aux Etats-Unis a pro-
gressé régulièrement, rapidement, et à partir d'un point de
départ très élevé, alors que la situation française met en
évidence une stabilité de 1970 à 1990 et une détérioration
sur la décennie 1990 qui pousse à une certaine vigilance.
Il convient enfin de ne pas négliger l'importance du phé-
nomène dans les catégories populaires, moins marquées
par la pression sociale à l'égard du contrôle du poids. Ne
s'agit-il pas dès lors de renforcer la conscience des dan-
gers de l'obésité dans ces catégories populaires par une
politique de santé publique et d'éducation populaire à l'at-
tention de l'ensemble de ces catégories modestes, plutôt
qu'un discours alarmiste tout azimuts ou qu'un ciblage
exclusif sur les populations les plus précaires ?
Encadré 2
Données
Six enquêtes représentatives de la population, incluant le
poids et la taille des individus, sont exploitées : pour la
France, les enquêtes de l'INSEE Santé et soins médicaux
de 1970 (n=14842) et de 1990 (n=15794), et l'Enquête
permanente sur les conditions de vie des ménages
(EPCV) de 2001 (n=5113); pour les Etats-Unis, les
National Health and Nutrition Examination Survey
(NHANES) américaines de 1970 (n=23808), de 1990
(n=16305) et de 2000 (n=9965).
Méthodes
Le rôle des facteurs du risque d'obésité est évalué par
des modèles de régression logistique du risque d'obésité
par les variables explicatives suivantes : âge, éducation,
revenu et appartenance ethnique aux Etats-Unis ; âge,
PCS, lieu de naissance, zone d'habitation en France ;
âge, éducation, revenu, zone d'habitation en France.
L'attention portée au corps est analysée par une régres-
sion logistique portant sur le désir de maigrir (enquête
NHANES, 2000 et EPCV, 2001). Celui-ci est défini à par-
tir de la question "Voudriez-vous peser plus, moins, gar-
der le même poids ?" dans NHANES (2000). Dans
l'EPCV (2001), la variable "quel poids souhaiteriez-vous
peser?" permet, par différence entre le poids réel et le
poids idéal des individus, de repérer les individus souhai-
tant perdre du poids et de calculer leur perte de poids
souhaitée ainsi que leur corpulence idéale.
Ces résultats sont notamment issus d'une étude demandée et financée par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. L'auteur remer-
cie également le Lasmas/Centre Quételet qui lui a permis d'obtenir les enquêtes de l'INSEE