Cybergeo : Revue européenne de géographie, N°283, 31 août 2004
La gestion des peuplements forestiers touchés par les tempêtes de
décembre 1999 : l’exemple de la forêt domaniale de Perche-Trappe
(Orne)
The management of forested areas hit by the December 1999 storms :
the example of the Perche-Trappe State forest in the Orne district
Yves Petit-Berghem
Laboratoire Géophen, LETG-UMR 6554 du CNRS
UFR de Géographie, Esplanade de la Paix, Université de CAEN
BP 5186 14032 CAEN CEDEX France
Résumé :
Les violentes tempêtes de l’hiver 1999 (26 et 28 décembre) ont durement frappé les forêts
françaises : 140 millions de m3 de bois ont été renversés, soit un volume correspondant à 3
années de récolte habituelle. En Basse-Normandie, la forêt de Perche-Trappe fait partie des
massifs domaniaux les plus touchés. Emblême de la chênaie-hêtraie normande, cette forêt
comporte aussi des peuplements résineux dont certains n’ont pas résisté aux coups de vent. Les
chablis ont généré des clairières au sein desquelles s’expriment de nouvelles dynamiques
végétales. Pour rendre compte de ces dynamiques et des stratégies en matière de restauration et
de gestion conservatoire, le Parc naturel régional du Perche a commandé une étude auprès du
laboratoire Géophen de l’université de Caen afin que celui-ci réalise un diagnostic écologique
dans des parcelles anciennement enrésinées. Ce diagnostic montre la forte réactivité de la
végétation mais aussi la pauvreté biologique des sols associée à des problèmes de tassement. La
question de la reconstitution paysagère est abordée et une réflexion est engagée sur les méthodes
et les pratiques de gestion conservatoire à employer. Ces dernières destinées à optimiser la
biodiversité pourraient être confiées à des agriculteurs locaux sensibilisés au préalable à la
protection du milieu.
Mots-clés : Chablis, Diagnostic écologique, Forêt de Perche-Trappe, Gestion conservatoire,
Restauration
Abstract :
The violent storms which occurred in the winter of 1999 (December 26th and 28th)
severely hit French forests : 140 million m3 of timber were thrown to the ground, thus destroying
a volume equivalent to an average 3 years’ productivity. In Lower Nomandy, the Perche-Trappe
forest was one of the most severely hit of the whole French State forest network. It was the finest
example of the oak-elm association in Normandy but it also had coniferous species, some of
which were unable to resist wind-throw. Massive uprooting generated clearings in which new
plant dynamics have manifested themselves. For to assess the extent of these plant dynamics but
also with a view to help regeneration and environmental conservation, the Perche Natural
Regional Park placed an order with the scientific authority of the Géophen Research Center
based in Caen University so that this one carries out an ecological diagnosis in pieces of conifers.
This assessment showed strong vegetational regeneration but it also showed that the soil could be
impoverished due to compaction. This paper deals with the question of landscape restoration and
the means and methods upon which environmental conservation can be based. As users of the
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land, local farmers could be actively involved in the conservation process, once they have been
made aware of the importance of environmental protection.
Key-words : Chablis, Ecological diagnosis, Perche-Trappe State forest, Conservation
management, Restoration.
Introduction
Des masses d’air très contrastées ont provoqué les violentes tempêtes de l’hiver 1999 dont
les victimes restent encore aujourd’hui largement dans les esprits. Ces tempêtes de fin décembre
1999 ont été exceptionnelles en intensité et en étendue. En France, les 140 millions de m3 de bois
couchés par les vents correspondent à près de 7 % du stock sur pied d’avant la tempête ; ces 140
millions représentent l’équivalent de trois années de récolte commercialisée et autoconsommée.
En Basse-Normandie, environ 2 millions de m3 de bois1 (dont 1/3 pour les forêts gérées par
l’ONF) ont été renversés, principalement dans le département de l’Orne mieux pourvu en forêts
(plus de 500000 m3 uniquement dans les forêts soumises pour ce département [1, 2]). Avec plus
de 60000 m3 de chablis, la forêt de Perche-Trappe n’a pas été épargnée et il faudra de longues
années pour reconstituer le paysage dévasté. C’est dans ce contexte que le Parc naturel régional
du Perche a confié au laboratoire Géophen de l’université de Caen la réalisation d'un programme
de recherche portant sur l’impact des tempêtes sur les paysages arborés percherons et les
stratégies de restauration du milieu [3].
La question de la reconstitution pose le problème du choix des objectifs et des nouvelles
pratiques de gestion. Comment gérer l’après tempête ? Quels sont les nouveaux enjeux ? Que
faut-il préconiser pour répondre à ces enjeux ? Comment réagir face aux nouvelles dynamiques
végétales ? Faut-il se limiter à reconstituer la formation végétale d’origine ou, encore, le système
écologique historique de référence ? Pour tenter de répondre à ces questions, le développement
qui suit comporte d’une part un diagnostic écologique destiné à évaluer la reprise de la végétation
et la qualité des sols, d’autre part une réflexion et des propositions de gestion pour la
reconstitution des paysages dévastés. Les acteurs de cette reconstitution seront évoqués en
particulier les agriculteurs appelés à participer activement à la gestion durable d’un territoire
d’exception.
Présentation du contexte de l’étude et de la zone de prospection
Pour faire face aux dégâts des tempêtes et envisager une restauration du patrimoine
naturel, des crédits d’Etat ont été accordés pour 10 ans (2000-2010) à la Basse-Normandie
(environ 620000 euros). En 2001, une subvention a été versée au Parc naturel régional du Perche
(avenant au IV e contrat de plan Etat-Région 2000-2003) afin que celui-ci soit le maître
d’ouvrage pour la reconstitution de ses massifs. Pour le Parc, la tempête fut un bon prétexte et
même une opportunité pour mener un partenariat intéressant. Le programme de recherche mené
sur 2 ans (septembre 2000-septembre 2002) s’est concentré sur quelques sites peu productifs
présentant un très fort intérêt en matière de biodiversité, du fait notamment d’une hydromorphie
1 Un bilan chiffré des chablis s’avère difficile à établir encore aujourd’hui. Pour dresser ce bilan et corriger certaines
informations statistiques fournies par les forestiers, de nombreuses données d’observation de la Terre ont été
utilisées en association avec les observations de terrain. Le satellite Spot 5 a permis d’affiner certaines évaluations et
de proposer une cartographie des dégâts avec une nouvelle gamme de résolutions spatiales (cf. document sur le site
http://spot5.cnes.fr/applications/forets.htm).
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marquée. Ces sites ont concerné en priorité des peuplements non adaptés aux conditions
stationnelles, en particulier des parcelles de résineux installées dans des milieux tourbeux ou
paratourbeux.
Nous avons choisi la forêt domaniale de Perche-Trappe pour rendre compte de l’expertise
de terrain et des stratégies en matière de reconstitution du milieu. D’une superficie de 3230 ha,
cette forêt est située à l’extrémité nord-ouest du territoire du Parc et est assez représentative des
forêts domaniales percheronnes : de belles chênaies-hêtraies associées à des peuplements
résineux de différentes générations. Ces derniers n’ont pas été épargnés par les tempêtes. Les
plus affectés ont été les peuplements situés dans les dépressions tourbeuses autour de la haute
vallée de l’Avre (figure 1). En toute logique, ils ont retenu notre attention pour délimiter l’aire
d’étude et mener le travail d’expertise. A première vue, le volume important de chablis de
résineux (épicéas) s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : exposition directe aux
grands vents d’ouest, contexte édaphique contraignant (limon avec hydromorphie en profondeur
et formations résiduelles à silex bloquant la pénétration des racines), contexte sylvicole
défavorable (absence d’éclaircies). Ce dernier point peut s’expliquer par la culture des forestiers
de l’Orne, peu enclins à intervenir dans des parcelles enrésinées qui produisent peu. En effet,
jusqu’à la fin des années 1980, le but était de produire du beau bois de chêne et non des produits
de faible valeur donnés par les résineux. De plus, dans la forêt domaniale, les forestiers se
heurtaient à des difficultés d’ordre technique (machines peu aptes à intervenir sur des sols
hydromorphes) et d’ordre sylvicole (forte densité de plantation au départ, soit 2500 plants à
l’hectare en moyenne). Les premières coupes d’éclaircie apparaissent en 1987. A partir de 1994,
elles sont réalisées à partir du bord des berges et consistent en un bûcheronnage manuel et un
débardage au porteur. En 1996, l’ONF privilégie le débusquage des produits résineux par le
cheval de trait, méthode déjà utilisée dans certaines tourbières mais lourde à mettre en place et
pas rentable sur le plan économique.
La tempête de 1999 a été un facteur d’accélération puisqu’elle a occasionné d’importants
volumes de chablis dans des peuplements résineux mal adaptés qui auraient disparu à moyen
terme. Les produits chablis ont été exploités en 2000 et 2001 (avec une décote de 40 à 50 % par
rapport à la valeur sur pied de 1999), un important travail a été fait grâce à la réactivité des
forestiers ; ceux-ci en ont profité pour prélever les bois sur pied qui restaient dans les parties les
plus tourbeuses. Ces bois constitués uniquement de résineux représentaient ¼ du peuplement
survivant des parcelles affectées.
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Figure 1 : Localisation du secteur d’étude (forêt domaniale du Perche – Trappe : haute vallée de
l’Avre comprenant notamment la parcelle 122)
Chablis et diagnostic écologique : l’exemple de la parcelle 122
Le diagnostic écologique du milieu est un préalable à la gestion. Il vise, dans le cadre
d’une phase d’inventaire, à décrire les éléments structurants du milieu et à identifier les enjeux
patrimoniaux. Quelles sont les espèces remarquables dont la conservation impose une attention
particulière ? Les communautés végétales traduisent-elles un dysfonctionnement du milieu ?
Annoncent-elles le retour de la forêt de feuillus ? Cinq parcelles ont fait l’objet d’un diagnostic
écologique. Parmi celles-ci, la parcelle 122 a été sélectionnée (figure 1) pour rendre compte du
travail effectué. Ce choix est légitimé par le fait qu’elle est très représentative de la zone
affectée : large bande d’épicéas détruite, accrus forestiers en formation, tourbe de surface en voie
d’assèchement etc.
Dans cette parcelle, la tempête a permis de « casser » des blocs d’arbres de même âge comme le
préconisait d’ailleurs le plan d’aménagement établi pour la période 1999-2018. Les trouées
occasionnées par ces chablis étaient au départ modestes. Les forestiers en ont profité pour
éclaircir davantage et prélever les bois sur pied à proximité. Ainsi, le bois d’épicéas qui s’étendait
sur 500 m de long et 100 à 200 m de large n’existe plus. Les souches d’épicéas restent les
témoins de cette sombre pessière. Elles sont espacées de quelques mètres seulement (moins de 2
m parfois) et témoignent des fortes densités de peuplement initiales précédemment évoquéesi.
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Quelles potentialités végétales
secteur 2 : petite aulnaie en formation
Très sec
Sec
Assez sec
Assez frais
Frais
34
7
Assez
humide
20
21
12
1
Humide
16
2 19
18 35
13 14
Très
humide
17 22 4 23
HUM
ACI
Très acide
Acide
Assez acide
Peu acide
Neutre
Calci
cole
Liste des espèces végétales
1 : Alnus glutinosa 19 : Juncus effusus
2 : Betula sp. 20 :
Lonicera periclymenum
3 : Calamagrostis canescens 21 : Lysimachia nemorum
4 : Callitriche stagnalis 22 : Lysimachia vulgaris
5 : Centaurea nigra 23 : Lythrum salicaria
6 : Circaea lutetiana 24 : Molinia caerulea
7 : Corylus avellana 25 : Osmunda regalis
8 : Carex curta 26 : Oxalis acetosella
9 : Carex pseudocyperus 27 : Phalaris arundinacea
10 : Deschampsia cespitosa 28 : Salix aurita
11 : Epilobium obscurum 29 : Sphagnum sp.
12 : Eupatorium cannabinum 30 : Scrophularia umbrosa
13 : Galium palustre subsp. palustre 31 : Stachys sylvatica
14 : Humulus lupulus 32 : Scutellaria galericulata
15 : Hieracium vulgatum 33 : Scutellaria minor
16 : Juncus acutiflorus 34 : Teucrium scorodonia
17 : Juncus bulbosus subsp. bulbosus 35 : Viburnum opulus
18 : Juncus conglomeratus 36 :
Wahlenbergia hederacea
Grilles écologiques inspirées de la Flore Forestière Française
(travaux de J.C. RAMEAU)
HUM = GRADIENT D’HUMID E IT
ACI = GRADIENT D’ACIDITE
secteur 1 : clairière occasionnée par les chablis
Très sec
Sec
Assez sec
Assez frais
Frais
15
5
Assez
humide
6
26 1
31
Humide
8
2
33
35 14
30
Très
humide
36 11 4 32 3
HUM
ACI
Très acide
Acide
Assez acide
Peu acide
Neutre
Calcicole
secteur 3 : aulnaie-bétulaie acidiphile
Très sec
Sec
Assez sec
Assez frais
Frais
Assez
humide
1
Humide
24
25 2 35
13 27
10
Très
humide
36
29 28 22 9
HUM
ACI
Très acide
Acide
Assez acide
Peu acide
Neutre
Calcicole
Figure 2 : Chablis et diagnostic stationnel : l’utilisation des grilles écologiques
pour trois secteurs tests (parcelle 122 et abords immédiats)
Commentaire
Secteur 1
- Nous retrouvons un nuage regroupant des espèces hygrophiles peu acides à neutrophiles. Cette zone comprend des herbacées turficoles (Scutellaria galericulata, Calamagrostis
canescens), des forestières ou pré-forestières ou d’autres plantes plus banales (Circaea lutetiana) ;
- Un deuxième nuage montre des espèces hygrophiles franchement acides (bordure de l’Avre) ;
- Un troisième nuage montre des stations fraîches couvertes d’espèces légèrement acidiphiles.
Secteur 2
- Les plantes associées à l’aulnaie sont à majorité acidiphiles sauf dans les parties les plus entrouvertes où se développent préférentiellement Humulus lupulus et Lythrum salicaria ;
- Le noisetier apparaît bien à l’écart (caractère mésophile sur les parties plus asséchées) ;
- Les creux inondés sont occupés par deux espèces communes de jonc.
Secteur 3
- Un premier nuage regroupe des espèces turficoles et/ou caractéristiques des forêts humides et fraîches ;
- Un second nuage regroupe des forestières et des plantes typiques des mégaphorbiaies.
Y. Petit-Berghem, UMR 6554 du CNRS, Laboratoire Géophen, Université de Caen
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