Les morales du courage – le courage des Anciens – Gaëlle Jeanmart
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Arès, Mars, Indra et Tyr, et la fonction nourricière, productrice des richesses, spécifique des
dieux Poséidon, Quirinus, Nasatya et Njördr. Cette catégorisation des différents panthéons
se retrouve aussi dans l’organisation sociale et dans la distribution des rôles aux différentes
classes ou castes sociales. Dans la République, Platon renoue avec cette conception
traditionnelle de la société en proposant une cité divisée en trois groupes d’hommes aux
fonctions précisément liées à l’exercice de la souveraineté d’une part, à l’art martial d’autre
part et enfin à la production et à la reproduction.
Cette idéologie tripartite et la spécialisation des fonctions qu’elle implique est utile
pour une étude de la notion de courage dans la mesure où elle signifie qu’il y a une caste
d’hommes dotée d’un statut social particulier, une aristocratie militaire soumise à un
entraînement physique et dotée d’une psychologie différenciée. Le trait marquant de cette
« psychologie » du guerrier, c’est précisément sa capacité à être courageux, c’est-à-dire apte
à assurer la défense du peuple. Le courage est donc défini et rendu possible par une position
sociale. Et cette « psychologie » n’est pas une question de caractères et de dispositions
individuelles, mais de catégories sociales. Le guerrier est celui que sa position sociale oblige
à se forger une éthique comme condition d’existence et commencement de soi, au même
titre que le paysan apprend sa sagesse de la terre et que le politique tire leçon des faiblesses
et des passions humaines. Cette distribution sociale des vertus attribue naturellement le
courage au guerrier, la patience au paysan et l’intelligence rusée au politique. Mais on
pourrait considérer que le courage est ici la seule véritable vertu au sens où il est tiré de soi-
même et non d’un rapport premier (et passif) à la nature ou à la foule qu’il faudrait dompter.
Ainsi, si la morale est martiale en son origine, c’est sans doute qu’alors que les règles de leur
activité sont imposées au paysan et au politique de l’extérieur, le guerrier est voué au chaos,
à la fureur et c’est alors « de l’intérieur de lui-même qu’il devra apprendre la limite » (Gros,
Etats de violence, p. 19[1]). On peut donc dire que la nécessité de se déterminer soi-même
naît de la guerre et qu’il ne faut pas seulement présenter la morale comme intrinsèquement
martiale, comme l’un des arts du combat en somme, mais aussi voir plus localement dans le
champ de bataille le lieu du développement d’un rapport à soi qui définirait proprement la
morale : un rapport à soi modelé positivement par l’exigence d’agir bien et négativement
par l’exigence de ne pas se laisser entraîner sur la pente de ses désirs et de ses craintes.