je hurle! - Eurysthee

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JE HURLE!
Ainsi il ne nous resterait plus “qu’une morale provisoire, que des éthiques parcellaires
adaptées au concret de nos situations”... Et Descartes, portant la pensée aux nues, serait— il
encore une fois le fossoyeur involontaire de la liberté suprême, celle de la conscience, la seule
qui, en “humanisant l’homme”, se passe de morale, nous rappelant notre universalité en nous
apprenant notre unicité...
Quoi! Ils n’auraient donc traversé les siècles que pour permettre aux décrotteurs d’inconscient
de diagnostiquer chez de fieffés illuminés une fuite des réalités, enracinée dans un fatidique
refus du hochet que Madame leur mère leur opposa jadis, les Socrate, Platon, Siddharta
Gautama (alias Bouddha), Lao Tseu, Moïse, Jésus de Nazareth, Paul de Tarse, Irénée (de
Lyon!), Augustin, Muhammad …
Combien de temps encore faudra t’il que Narcisse persiste à se noyer en admirant son reflet
dans l’eau, pour qu’au lieu d’apprendre à y nager, nous regardions dans une autre direction?
Et nous faudra t’il attendre que les ombres au fond de la caverne nous effrayent tant que nous
nous retournions enfin?
Je hurle!
Quoi! Ils auraient consacré vainement leur vie à tenter de nous rappeler que l’essentiel était
peut-être ailleurs que là où nous le cherchions (dans le seul endroit auquel nous ne pensions
pas à le chercher!), les Eckhart, Bergson, Alain, Aurobindo, Krishnamurti, Tagore,
Deshimaru, Gibran, Teilhard de Chardin, Jung, Graf Dürckeim, Tresmontant... Et j ‘en passe
La morale du Bien est vichyssoise: Elle a tout à la fois les hurlements des pharisiens, les mains
d’un Ponce Pilate, l’odeur des bûchers inquisitoriaux et le sang des pogroms... Dans l’histoire,
les poussées de fièvre éthique furent souvent les premiers symptômes du cancer moraliste.
Faudrait-il donc se résoudre à voir de nouveau l’hydre rampant sous nos pieds relever
fièrement ses multiples visages, du plus faussement angélique au plus hideux ?
Religion, politique, culture: Tous les supports du langage des valeurs se sont écroulés; il n’y a
quasiment plus de réflexes hérités de l’éducation... Faut-il s’ en lamenter? Peut-être pas !
Mais si les idéologies sont mortes, les idéaux les ont suivies: Sociétés et individus n’ont plus
guère de moteur pour avancer, et sacrifiant à la religion de l’argent, tous en viennent à
confondre moteur et carburant.
Nous vivons, de par le monde et autour de nous, une situation pour le moins explosive : Que
chacun garde à la conscience que les inévitables abus, quel que soit leur sens, finissent par
sonner le retour triomphateur d’une morale qui connut de tous temps des heures brunes et
noires.
Il ne s’agit pas de renier les différences et de prêcher un œcuménisme qui ne serait qu’un
syncrétisme de mauvais aloi : En effet, pourquoi les clochers romains, les minarets et les
bulbes orthodoxes au dessus desquels fusèrent les obus serbes ou bosniaques seraient—ils
promesse d‘oecuménisme bafouée plutôt que constructions humaines préfigurant les
divisions actuelles et éternelles ? De même les églises, synagogues, temples et mosquées de
Jérusalem furent de tous temps au centre de divergences que l’on ravive sans cesse par l’odeur
de la poudre et du sang.
Pourtant, Socrate, Lao Tseu, Abraham, Moïse, Jésus de Nazareth, Bouddha ou Muhammad
ont—ils jamais donné de leçons d’architecture ?
Faut-il alors blâmer un hypothétique créateur, au mieux négligent, au pire cruel, (au pire
inexistant, suis—je tenté d’écrire au vu des conséquences de l’annonce faite au cours du
20ème siècle de sa disparition!), ou relever enfin la tête et voir en face, pour mieux les prendre
en mains, nos responsabilités d’individu, de citoyen, d’humain.
Face à l’inexorable, certains – les animateurs de toutes nos télévisions ne sont pas les derniers
- choisissent de figer en valeur suprême la folle enfance et semblent se donner le devoir de ne
pas grandir...: Que voilà un programme alléchant... A tel point que des millions d’entre nous y
souscrivent massivement, nous offrant ainsi les plus belles générations d’autruches qu’une
société dite développée aura jamais produites!
Résultat : un individualisme adulescent exacerbé, une montée des corporatismes de tous
poils…
Je hurle!
Parce que tous les supports ont disparu, il nous reste le choix de la chute ou celui de la
reconstruction... En cela “nous vivons une époque formidable”, car l’homme, l’individu, tient
seul son destin en main. Mais quelle reconstruction peut-elle encore nous mobiliser quand
tous les systèmes, politiques, sociaux, religieux, économiques, médiatiques, font la
démonstration éclatante de leur caractère éphémère? Quelle “valeur” est-elle de tous temps et
de tous lieux, unique et universelle?
C’est l’homme qu’il faut reconstruire, en lui-même et par lui-même, libre, autonome, et
responsable: Peut—être l’humanité, ayant retrouvé le sens d’une éthique, et pourquoi pas ses
esprits, voire même l’Esprit, pourra t’elle alors se passer du combat des morales du bien
contre celle du mal - de mon « Dieu » (quelque soit le nom qu’on lui donne) contre le
« Satan » d’en face- , la responsabilité consciente et autonome venant équilibrer les libertés
mutuelles souvent contradictoires.
Je ne parle pas là de santé physique, ni même de santé mentale –puisque, paraît-il, « nous ne
sommes pas fous »- mais de santé de la conscience, et par là de la réelle capacité de
reconstruction par chacun d’un sens équilibré à sa vie et d’une vie équilibriste.
Un homme conscient et responsable : Voici une utopie, un idéal pour le 21ème siècle!
Mais voilà, cette reconstruction passe par la connaissance de ce qu’est réellement l’homme...
Philosophie existentialiste ou personnaliste, Psychologie humaniste, anthropologie ternaire,
physique quantique, biologie, neurophysiologie... Des hommes de notre temps, scientifiques
rigoureux, rejoignent pas à pas les prophètes, les philosophes anciens, les ésotéristes et les
mystiques... Et si l’espoir et le courage étaient encore possibles?
Possibles, que dis-je, nécessaires, voire obligatoires. Car il en faut du courage pour, non pas
rester cet « enfant-autruche » que nos sociétés façonnent, mais devenir cet
« enfant—homme », dont il est écrit dans un de ces textes qui ont traversé les siècles que “le
royaume des cieux est à ceux qui sont comme lui”!
Ne laissons pas l’espoir et le courage entrer au nombre des valeurs tombées au champ de
bataille, mais reprenons ces étendards de ceux qui à travers les siècles ont toujours refusé de
courber la tête et pour cela furent les premiers à tomber... Non pas l’espoir naïf et béat de ceux
qui se nourrissent de grands mots, ni le courage des imbéciles; mais l’espoir humble et
confiant de ceux qui ont su chercher une lumière pour y voir un peu plus clair, et le courage de
poser de simples actes au quotidien.
Je le hurle: La démocratie est malade de cancers multiples, et la tumeur s’installe ...
Beaucoup –sans s’en rendre compte- sont en train de plonger dans la spirale de violence qui
leur est proposée : portée par le concert des plaintes, lui même gonflé par le vent médiatique,
cette violence ne peut aller qu’en s’amplifiant : je crains fort de participer ici à ce concert,
mais il faut le dire, la tempête approche…
Ni la philosophie, ni le droit ne sont plus des garde-fous suffisants … Et si la psychologie
paraît gagner du terrain, c’est heureux, mais n’en faisons pas un instrument de plus au service
involontaire de l’individualisme irresponsable. A côté de nos sacro-saintes psychés percluses
de stress, angoisses, frustrations et tous autres traumas ou mécanismes de défense, regardons
aussi le monde dans sa complexité et ses paradoxes. Apprivoisons ce qui peut l’être avant de
jeter bas tout ce qui nous fait peur et choisissons nos combats sans nous tromper de guerre ni
d’ennemi.
Il est urgent de réguler cette angoisse qui assaille ceux qui, à force de se sentir victimes
impuissantes, croient ne plus avoir que la toute puissance de l’acte violent pour s’en sortir :
Voici encore quelques années ceux là n’étaient que les « voyous » ou « les « sauvageons » :
Le mal gagne : d’abord les agriculteurs, puis les routiers … et progressivement, chauffeurs de
bus, cheminots, personnels des usines en déroute, internes, infirmières, médecins, même nos
gendarmes et nos pompiers y viennent !!!
« Des moyens » « Des salaires » … A l’état donc de résoudre tout cela !
A entendre la rue, seul l’argent semblerait pouvoir nous tirer d’affaire… Ce serait donc le
seul sens qui nous reste ?
Pourtant, personne n’est ni tout puissant, ni totalement impuissant : « Il n’y a pas d’issue,
une issue ça s’invente » écrivait Sartre : Agir pour exister, voila l’issue … Mais exister en
être humain au sein d’une collectivité, et non au sein d’un groupe corporatiste, qu’il soit une
fonction, un métier, une religion, une nationalité, ou une race …
Et agir juste … Pas de ces actions d’éclat qui ne font qu’alimenter la spirale de l’absurde …
Pas de ces feux de paille médiatisés qui ne construisent rien de durable, mais des actes
simples, pertinents, efficaces, à la juste hauteur de ce que notre quotidien nous permet… des
briques posés une à une, par chacun à la mesure de ses possibilités, sur l’édifice collectif que
nous avons à restaurer.
Dialoguer, inventer ensemble, être réaliste, trouver des équilibres justes et tenant compte de
l’ensemble du système… Oublier le chant des sirènes du « avoir toujours plus » et penser
« faire mieux tous ensemble, au juste bénéfice de chacun »…
Pour ce faire : reconstruire l’Homme et redonner un sens : « Instruis-les si tu peux, sinon
supporte les ! » le message de Marc-Aurèle est toujours d’actualité !
Dans le combat contre la violence aveugle, la conscience et la responsabilité sont des armes
que nous devons avoir le courage de fabriquer en masse…
Debout 1’homme!
Christophe Fiévet. Lille, 1998
Texte écrit en 1998 en réponse à un article du monde (B.Poirot Delpech),
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