Manifeste fondateur de chapitre2

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Manifeste fondateur de Chapitre 2
L
La France au futur
a France deviendra un pays meilleur, à
la condition qu’elle retrouve la voie de
sa démocratie, qu’elle soit plus juste
et inclusive, qu’elle s’insurge contre le
système de l'Union européenne (UE), ses traités
et ses institutions, qu’elle s’engage
radicalement pour la décarbonation de son
économie et qu’elle agisse au service de la paix
dans les relations internationales.
Alors que les pouvoirs successifs vendent
encore l’illusion insoutenable des Trente
glorieuses – croissance, consommation et
emploi – la crise économique et sociale sévit
depuis plus de trente ans. Le rouleau
compresseur des « réformes d’adaptation »
actionné depuis des décennies a anémié
l’activité économique réelle au profit de la
finance spéculative et parasitaire. Il a donné
le pouvoir aux rentiers contre les
travailleurs et installé le chômage de masse
au cœur de notre société. La précarité pour
tous et le creusement des inégalités sociales
et culturelles s’imposent au profit d’une
minorité privilégiée. Droite et sociauxdémocrates ont joué de ces périls en attisant
le racisme, les paniques morales et
culturelles et, in fine, en encourageant le
développement insidieux d’une guerre larvée de
tous contre tous.
Ce faisant, les partis de gouvernement ont
assidûment contribué à délégitimer l’action
publique, qui ne repose plus sur un projet
intégrateur de toute la nation. Ils
apparaissent en outre intellectuellement
désarmés face à la série de chocs non seulement
économiques, mais aussi géopolitiques et
climatiques qui déstabilisent le Vieux
Continent et ses populations. Dans ce
contexte, l’extrême-droite s’est vue attribuer
le monopole de la contestation du système.
Contestation factice, tant on sait qu’une fois
au pouvoir, l’extrême-droite sert toujours le
patronat national. Opposition de pacotille,
qui obéit aux intérêts des formations
dominantes du système politique et ne menace
que le vivre-ensemble. L’extrême-droite est
l’adversaire idéal, suffisamment fort pour
effrayer mais pas assez pour diriger seul. Il
permet aux puissants de conserver leur
position malgré le mécontentement populaire
qu’ils soulèvent.
Notre pays dispose des forces pour construire
un avenir meilleur. Ses idéaux républicains,
bousculés, n'ont pas disparu. Jamais notre
société n’a été aussi mêlée, éduquée, formée,
riche et innovante. Des luttes continuent de
se mener contre la domination et l'oppression
économique. Le débat politique reste animé et
riche au sein des organisations sociales,
environnementales et politiques, même s'il
n'est que bien peu relayé par les médias de
masse. A gauche, les partis, syndicats et
mouvements altermondialistes formulent et
expérimentent des alternatives qui doivent
encore être amplifiées et consolidées.
Les
nouvelles
générations
inventent
progressivement
un
autre
rapport
à
l’information
et
à
l’action.
Elles
expérimentent partout des projets alternatifs
et sont portées par le refus de subir l’ordre du
modèle dominant, tout en manifestant un déni
de confiance aux formes traditionnelles de
l’action publique et collective.
La dépression politique que traverse notre
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pays n’est que l’expression frustrée de ses
exigences méprisées.
Le peuple ne trouve plus en son système
politique le moindre relais à ses aspirations.
Notre nation se fourvoie quant à elle dans un
système de contraintes européennes et
internationales qui brident toute possibilité
de politique alternative.
Tout peut bifurquer si
possession de notre avenir.
R
nous
reprenons
econquérir notre
souveraineté
politique
Les
instruments permettant
l’exercice
effectif de la démocratie échappent désormais
aux supposés représentants du peuple. En
effet, les Etats se sont auto-dessaisis de
nombreux pouvoirs qu’ils détenaient en
matière de souveraineté économique, monétaire
et financière.
Ces champs n’appartiennent plus à celui de la
délibération collective commune. Ils ont été
largement transférés aux institutions de l'UE
qui
ne
connaissent
comme
principe
constitutionnel que celui de la « libreconcurrence ». Hors de tout débat et de toute
alternance démocratique, elles organisent la
dérégulation de l'économie et établissent
juridiquement le libéralisme comme mode
d'organisation sociale. Les mobilisations
populaires ne peuvent que se briser sur cette
casemate antidémocratique.
La capacité d’action et la légitimité des Etats
se sont considérablement réduites par la
privatisation de secteurs entiers de
l’économie, y compris ceux en situation de
monopole, et la dégradation voulue et
programmée des services publics – éducation,
santé – pour justifier leur transfert aux
forces du marché. Ce cycle sans fin
d’alignement vers le bas, sous couvert de
fatalité bruxelloise, a été voulu et consenti
par nos gouvernements successifs.
Notre dépendance aux marchés de capitaux
internationaux nous expose aux chantages des
investisseurs et des détenteurs de la dette
publique – dont plus aucun parti de
gouvernement ne conteste le principe même du
remboursement. D’un côté, des banques repues
qui tiennent les gouvernements en laisse, de
l’autre, une logique austéritaire qui nous
étrangle toujours plus. Quant à notre
participation à la zone euro, elle nous prive
de toute politique monétaire autonome. Notre
adhésion à la logique du libre-échange
généralisé justifie tous les dumpings
possibles, comme l’illustrent les accords
méga-régionaux
tels
les
traités
transatlantiques. L’Union européenne, qui a
confisqué l’idée d’une Europe des nations
pacifique et solidaire, est aujourd’hui la
garantie que ces principes ordolibéraux se
perpétuent.
Nulle politique
alternative
ne
sera
réalisable tant que notre pays restera
prisonnier de cette camisole et tant qu’un
gouvernement installé au centre du système
européen n’aura pas décidé de s’affronter à la
logique qui y prévaut.
E
n finir avec notre
République de
papier
Les institutions républicaines et leurs
représentants ont perdu l'essentiel de leur
légitimité. Le budget de l’Etat passe d’abord
devant la Commission européenne plutôt que
devant le Parlement, alors qu’à l’autre bout de
l’échelle les responsabilités et les moyens
territoriaux sont dissous dans d’obscures
constructions technocratiques. Sur fond
d’effacement progressif de ses promesses
fondatrices – liberté, égalité, fraternité – la
République se perd entre cooptation d’élus et
élites autoproclamées ayant déserté l’intérêt
général dans leur collusion avec le pouvoir de
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l’argent. Les partis politiques traditionnels,
professionnalisés, ne sont plus que des relais
d'ambitions
personnelles,
sans
aucune
profondeur idéologique. Leurs militants les
plus sincères sont meurtris et finissent
logiquement par se décourager.
Nos élites, issues des familles de la droite ou
de la social-démocratie, ont en effet toutes
capitulé devant la participation au grand
marché mondial comme horizon indépassable,
asséchant ainsi des pans entiers du débat
public. Sans conflictualité politique majeure
assumée en son cœur, la démocratie fait figure
de concept creux, vidé de toute substance
concrète.
Les médias, aux mains des puissances
économiques dominantes, ne relaient que peur
et fatalité de l'ordre établi. Ils affadissent
le débat démocratique en le réduisant à ses
aspects les plus triviaux. Dans le même temps,
la volonté des peuples de vivre autrement
demeure entravée par l’attrait exercé par la
consommation et les nouvelles technologies.
Entre désir infantile et frustration de
l’avoir, celles-ci font miroiter la promesse
factice de construire son individualité par
l’acquisition permanente de biens et par les
gratifications narcissiques des réseaux
sociaux.
Pour leur part, les moyens de surveillance de
masse se sont généralisés, sans être encadrés
par des droits et de nouvelles libertés
publiques.
Au
prétexte
d’une
guerre
permanente contre le terrorisme, le pays
s’abandonne progressivement aux sirènes d’un
régime libéral-sécuritaire.
A
ccompagner la
gauche au-delà de
ses tabous
Dans ce contexte, force est de reconnaître que
la gauche est aujourd’hui dans l’impasse.
La gauche sociale-démocrate a abandonné toute
critique du système économique dominant. Pire,
elle s’est fourvoyée depuis trente ans dans une
stratégie ruineuse d’accompagnement du
néolibéralisme et a organisé l’ajustement de
nos sociétés aux exigences des marchés
financiers en l’échange du pouvoir formel et
de l’illusion vite déçue de sauver quelques
emplois.
Lorsqu’elles accèdent au pouvoir d’Etat, les
forces à gauche de la social-démocratie se
fracassent quant à elles contre le mur des
pouvoirs financiers tant elles restent
respectueuses des cadres de la construction
européenne, de la liberté des mouvements de
capitaux et du libre-échange auxquels leur
pensée économique et géopolitique reste encore
bornée. C’est ainsi que ces forces ont
longtemps
cru
que
l’austérité
et
l’ordolibéralisme pourraient être conjurés au
sein de l’Union européenne et de la zone euro.
La brutalité des événements qui ont mis la
Grèce à genoux après l’accession au pouvoir de
Syriza est venue une nouvelle fois défaire
cette illusion, de la plus douloureuse des
manières.
Faute d’indiquer comment elle entend
s'affranchir du carcan qui pèse aujourd’hui
sur les Etats-nations et sur tout projet
international progressiste, la gauche ne
parvient donc plus à rendre crédible ses
propositions pour la France, pour l’Europe.
Q
uelle France dans
dix ans ?
Notre chantier
La géographie française se divise de façon
nette entre deux populations : l'une, bien
insérée dans la mondialisation technologique,
ultra connectée, affranchie des contraintes
territoriales, l'autre, tout au contraire, vit
au quotidien les désespoirs nés de la
globalisation économique, de la volatilité des
capitaux et de la production. Pour elle,
mondialisation ne rime qu'avec délocalisation,
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désindustrialisation, et n'a pour réalité que
déclassement
et
panne
définitive
de
l'ascenseur social. La capacité pour le peuple
d’agir de nouveau sur son présent et son futur,
la possession de sa souveraineté pleine et
entière, y compris dans le cadre d’un projet
européen, constituent les réponses à la crise
démocratique
de
notre
pays.
Cette
restauration de la démocratie, qui doit
permettre de redonner sa voix à une majorité
politique capable d’affronter dans un espace
souverain les pouvoirs économiques et
financiers, ne suffit évidemment pas. Ce n’est
qu’un moyen, nécessaire mais non suffisant,
pour une politique centrée sur la justice
sociale et environnementale, l’égalité et la
redistribution des richesses.
Chapitre 2 souhaite s’engager sur ces
orientations qui conduiront notre société
vers la prospérité partagée dans les limites
de la planète, et plus largement vers
l'émancipation individuelle et collective.
Nous affirmons que la vie de chacun sera
meilleure lorsque celle de tous le deviendra.
La reconquête de l'hégémonie culturelle et
intellectuelle est possible en empruntant ce
chemin.
Cette perspective ne saurait se réduire à la
préparation
des
prochaines
échéances
électorales, dussent-elles en constituer une
étape. Il s’agit d’entamer une démarche de
longue portée visant à formuler un projet pour
notre pays à l’horizon de la décennie et à
établir les moyens concrets d’y parvenir.
Nous nous proposons de contribuer à ce travail
de reconquête patiente autour des trois axes
exposés dans ce Manifeste par
des
interventions mises à disposition du public,
la publication d’articles de fond et de
supports éditoriaux, l’organisation de
séminaires et de débats avec des personnalités
politiques, sociales et intellectuelles, et
toute autre initiative renforçant notre
démarche.
Nous mettrons les modestes fruits de cette
action collective au service des forces
agissantes de la société pour qu’elles
puissent, dès que possible, reprendre
l’ascendant sur l’autoritarisme de marché et
des Etats.
Paris, le 18 mars 2016
Morvan Burel, Clément Caudron, Fabien Escalona, Olivier Fontan, Christophe Ventura et Frédéric
Viale sont à l’initiative de Chapitre 2.
Chapitre 2 accueille des chercheurs, des fonctionnaires, des salariés du secteur privé, des
syndicalistes, des enseignants.
Les premiers signataires du Manifeste de "Chapitre II" sont Aurélien Bernier, Morvan Burel,
Clément Caudron, Fabien Escalona, Olivier Fontan, Corinne Morel-Darleux, Christophe Ventura et
Frédéric Viale
www.chapitre2.org
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