l`identité de la philosophie et de l`histoire dans la logique de la

L'IDENTITÉ DE LA PHILOSOPHIE
ET DE L'HISTOIRE
DANS LA LOGIQUE DE LA PHILOSOPHIE
par JEAN-MTCHEL BUÉE
Avec Hegel, la philosophie accède à la pleine reconnais-
sance de son caractère historique : elle est <
son temps saisi
dans la penséerr, le discours tenu dans et sur ce temps, en
lequel celui-ci se
pense.
Mais, paradoxalement, elle n'en tire
pas la conclusion que la vérité serait inaccessible à son
discours. Elle en tire même la conclusion opposée, et se
proclame le discours vrai et éternel, le savoir absolu.
Comment le peut-elle ? Bien qu'historique, la philosophie est
vraie, elle est même la vérité, car la vérité n'a pas à être
cherchée
hors du monde, du temps et de I'histoire : elle est en
effet le fond sur lequel I'homme parle et agit en tout monde
historique, I'en soi qui, grâce au travail que I'humanité a
accompli dans son histoire, a fini par devenir pour soi.
L'histoire n'est donc que l'histoire de la vérité, le procès
temporel en lequel la vérité, éternelle et infinie, apparaît à
l'homme et supprime son apparence pour se révéler dans le
discours
humain comme le tout qu'elle est en et pour soi.
Parvenu au terme de son parcours historique, le discours de
l'étre fini accède ainsi
à la saisie de I'Etre infini. Mais ce qu'il
saisit,
ce n'est plus l'Être immobile de I'ancienne ontologie,
qui faisait face au discours
comme son autre, comme un objet.
Devenu dans I'histoire, l'Être est son propre devenir. Il est le
tout du discours
développé, le Concept, I'acte infini et éternel
1. Hscrr. Principes de la Philosoohie du Droit, Préface
72 IEAN-MIcHEL BUÉE
de la pensée
gui se
pense. l'Étre est
et se sait
pensée,
la pensée
est et se
sait Être. Autrement dit, la philosophie
est
le discours
absolument cohérent qui comprend tout et soi-même, le
discours
de I'absolu, au double sens
du génitif. Et celui-ci,
rendu humainement
possible
par I'histoire
dont il est
le fond et
la fin voit en elle son histoire, I'histoire
de I'absolu, I'acte
de
I'esprit absolu explicitant et révélant dans le temps son propre
devenir éternel.
Apparemment, c'est
la seule
manière
pour la philosophie
de se penser à la fois comme discours historique et comme
discours totalement cohérent. Aussi la Logique de la philoso'
phie semble-t-elle reproduire la thèse hégélienne lorsqu'elle
àéclare que la philosophie est identique à son histoire 2 et
même à I'histoire tout court3. Mais, d'emblée, I'Introductiort
nous met en garde contre une telle interprétation : si la
philosophie est scientifique,
elle n'est pas la science
a.
Si elle
vise l'éternel, elle le vise dans I'histoire, et son discours,
historique et humain, n'est pas le discours de Dieu, de
I'absolus.
Elle n'est pas ontologie, et si elle est logique, elle
n'est pas la logique de l'Être. On pourrait multiplier les
citations, toutes nous indiquent la même chose : la philoso-
phie dont il est question ici n'est pas le savoir absolu et
i'identité de la philosophie
et de l'histoire n'est pas celle de
I'absolu et de son histoire. Comrnent comprendre cette
différence ? Comment la philosophie peut elle être plus et
autre chose que le discours absolument cohérent, qui, s'il est
le tout du discours est par même indépassable
? En
s'affirmant identique à I'histoire sans fonder dans et sur
I'absolu et cette affirmation, et cette identité, la philosophie
ne sombre-t-elle pas dans un scepticisme total que seul
I'absolu lui permettait d'éviter ?
L'énoncé même de ces
questions le montre : si nous voulons
comprendre la thèse de la Logique, il nous faut comprendre
2. Éric Wrrr-, Logique
de Ia philosophie'
p.68'
3.
Ibid.,
p.69.
4. Ibid., p. 65.
5. Ibid., p. 69.
LOGIQUF. DE LA PHILOSOPHIE 73
pourquoi celle-ci
ne se satisfait
ni du Système
hégélien,
ni de
la compréhension de la philosophie et de I'histoire qu'il
développe. L'Introductiorl nous fournit alors les précisi,ons
nécessaires.
Si, en un sens,
elle semble
donner raison
à Hegel,
puisqu'elle reconnaît dans le savoir absolu le discours
absolument cohérent en lequel s'achève
la recherche
de la
cohérence
dans
le discours,
elle ajoute que cette
compréhen_
sion et cette cohérence
ne sont pas le tout de la compréhen_
sion et de la cohérence. Selon elle, dans la mesure
précisément
le savoir
absolu
se veut savoir
et absolu,
il est
un fait qui lui demeure
incompréhensible
: c'est
le fait de son
refus. Non le refus que
lui opposent
les
discours partiels
qui ne
l'ont pas encore
atteint, mais la révolte absolue
de I'individu
qui le rejette, sans se soucier de le réfuter, ni même
d'expliciter
le pourquoi de son refus.
car, à travers
lui, c'est
le
discours,
tout discours,
qu'il rejette, et cela simplement
parce
qu'il n'en veut pas : cet individu sait qu'il est possible
d'accéder
à la cohérence
du discours,
et que cette cohérence
prétend constituer
la satisfaction
pour I'homme; mais il sait
aussi que cela
ne le satisfait pas
et ne peut le satisfaire,
lui, ne
veut pas être et se savoir réconcilié avec ce qui est en tant
qu'homme, mais veut être satisfait
en son individualité. pour
lui, ce qui compte,
ce n'est pas
de comprendre,
de chercher
la
raison, mais de vivre et de faire, d'æuvrer, sans que cette
æuvre renvoie à un but, une raison, une justification
quelconques
: à la raison absolue
du discours,
s'oppose
son
autre radical, la violence absolue
de l,æuvre.
Or, cet autre,
nous
dit la Logique,l'absolu ne le comprend
pas.
eu'entend_
elle par ? Elle ne prétend certes pas que cette compréhen-
sion soit impossible. Elle sait fort bien, en effet, qr,e pou,
I'absolu il n'y a que I'obstination de I'individu s;entétant
dans I'affirmation de son individualité et de sa finitude, le
non-sens
de celui
qui, refusant
de s'universaliser,
préfère
vivre
dans I'incohérence
et le malheur inhérents au fini de son
existence,
plutôt que de s'en libérer dans
I'infini du discours
tout fini est compris. Ce qui préoccupe la Logique, ce n'est
nullement la possibilité de cette compréhension, c'est la
question de savoir si celle-ci épuise le sens de ce qu'elle
comprend.
Pour I'absolu,
la violence
radicale
qui le refuse
est
t+ JEAN-MICHEL BUEE
un pur non-sens,
mais <cette réponse nous satisfait-elle,
nous ? 6
>>
Quel est
le nous
qui parle
ainsi,
et que
veut-il
dire
? Il est
manifeste
qu'il ne s'agit
ni de I'homme
qui tient le discours
absolu,
ni de
I'individu
révolté, lequel se
veut
un
moi, non
un
nous et ne se
soucie
pas de la façon
dont il est
saisi
par le
discours
absolu
qu'il rejette. Ce .,
nous
)) ne peut donc
renvoyer
qu'au logicien
lui-même.
Le sens
de Ia
question
que
nous
venons de citer apparaît
alors : elle signifie
que pour la
Logique, le fait de la révolte absolue
possède
un sens autre
que
celui
qu'il
possède
pour
I'absolu
; pour elle, il ne renvoie
pas à I'opiniâtreté du fini déjà dépassée
dans I'infini du
discours; il révèle
plutôt
que
I'homme
peut refuser sciemment
le discours et la raison,
pour
leur
préférer la violence; en un
mot, il signifie
que la violence est une
possibilité humaine,
irréductible
au
discours. Il devient clair
alors,
que ce
dernier
n'est
lui aussi
qu'une possibilité humaine,
une
possibilité que
I'homme
choisit
et à laquelle
il pourrait
préférer
son autre
possibilité, la violence, sans
que ce choix pour la raison,
logiquement
antérieur
à toute raison,
soit autre chose
qu'un
choix libre, c'est-à-dire
sans
raison. La violence radicale
révèle
ainsi
que
toute
raison
s'enracine
dans une
décision à la
raison,
irréductible
à la raison,
car
prise
librement
par l'être
fini ; elle révèle
la liberté originaire
qui constitue
le fond du
discours
humain, donc
de
tout
discours,
en
particulier
de celui
qui se veut le tout du discours
: le discours
absolument
cohérent.
Qu'en
résulte-t-il
pour
celui-ci
? Dans
la mesure
il est
et
se
veut I'absolu,
qui est à lui-même
son
propre fond,
il
n'aperçoit
pas
la liberté
qui le
fonde
; croyant
comprendre
tout
et soi-même,
il se méprend sur son propre sens et possède
pour la Logique un sens autre que celui qu'il possède
pour
lui-même : elle lui accorde
qu'il constitue
la cohérence
achevée du discours
; mais elle refuse d'identifier cette
cohérence
à la cohérence
tout court; car, pour elle, cette
identification
n'est
possible
qu'au prix
de
I'oubli
de
I'acte
libre
de I'homme sans
lequel
la cohérence
du discours
n'aurait
pu
6. Ibid.,
p.55
LocleuE DE LA pHILosopHIE 75
être atteinte
parce
qu'elie n'aurait pu être cherchée.
L'absolu
n'est pas pour la Logique la cohérence
totale. Il n'est qu'un
discours partiellement cohérent, une compréhension partielle
du Sens, qui reste partielle parce qu'elle réduit le Sens à la
raison absolue du discours, oubliant que le discours raison-
nable est le fait de I'homme, qui ne peut atteindre la raison
dans le discours que parce qu'il la cherche librement en tant
qu'être fini.
Parce
qu'il reste
aveugle
à la violence
qui le refuse,
I'absolu
est partiel. Mais il l'est seulement pour nous, qui voyons ce
qu'il .
ne voit pas. Car, en I'empêchant d'apercevoir sa
partialité, sa cécité
le conduit inévitablement
à s'interpréter
comme I'achèvement du discours humain. Qu'est-ce que
I'homme,
en effet, pour I'absolu'l
Un animal doué
de raison
et
de discours, un être dont la raison
est I'essence.
De sorte
que
I'homme, tout homme, parle sur le fond de la raison
absolue,
du discours absolument
cohérent
qui est
la vérité de tout dire,
y compris ceux qui se veulent dépourvus
de tout sens
ou ne
cherchent
pas à en avoir.
En apercevant
la violence
dans
sa
radicalité,
la philosophie
aperçoit du même coup I'insuffisance
de cette interprétation
d'elle même. Elle ne se
pense
plus comme I'absolu,
qui n'est
plus
pour elle le discours,
mais
un discours
: le discours
auquel
I'homme aboutit dès que, oubliant sa violence toujours
possible,
il se conçoit comme animal raisonnable
; le savoir
atrsolu
n'est
pas,
comme il le prétend,
la fin de la philosophie.
Ce qui s'achève en lui, et avec lui, c'est seulement la
philosophie
traditionnelle,
la tradition inaugurée par Socrate,
pour laquelle
l'homme se réduit au discours,
et la cohérence
à
la seule cohérence
du discours.
L'insuffisance
de I'absolu
est
donc I'insuffisance de cette tradition; et la philosophie
comprend que, prise en elle, elle ne parvient plus à se
comprendre : en se pensant
comme le fond de l'être fini, le
discours
en vient à se
proclamer le discours
de I'infini, en un
mot, le discours
de Dieu, qui se pense
et se révèle dans la
finitude de I'homme et de son histoire. Mais en se pensant
ainsi,
il oublie
son origine
finie ; il oublie que
seul I'homme est
philosophe, car seul il peut chercher
la sagesse.
La philosophie sait donc à présent qu'il lui faut à nouveau se
16 JEAN-MICHEL BUÉE
comprendre. Aussi se sépare-t-elle de la
tradition socratique,
en
laquelle elle voit la source d'une méprise sur son propre sens.
Elle renonce
à se
penser
dans sa nécessité
pour elle-même, et
fait
retour à son origine humaine : elle se comprend à partir de
I'homme,
dans sa
possibilité
pour l'homme.
Non plus
à
partir de
I'homme conçu
selon
la tradition, de I'animal
raisonnable
mais
de I'homme tel qu'il se montre à présent que la violence s'est
révélée
comme possibilité
humaine. L'homme n'est pas
un être
doué de raison et de discours, mais un être <
qui peut, s'il le
choisit, être raisonnable. Il est en un mot liberté en vue de la
raison (ou pour la violence)
>
7. Et la philosophie n'est rien
d'autre que l'actualisation de cette
possibilité
humaine qu'est la
raison.
Qu'en résulte-t-il ? Rien de plus
que la reconnaissance
d'un
fait, le fait que tout discours
philosophique
est l'æuvre d'un
individu concret, fini, déterminé, en un mot, historique,
parlant et vivant dans la finitude d'un monde historique,
concret et déterminé. En d'autres termes, la philosophie,
toute philosophie est historique. Car elle est l'æuvre de
I'homme, le discours
tenu par cet homme, dans ce monde
historique qui est son monde. Certes, si cet individu n'était
que cela, un être fini et déterminé, il ne parlerait pas ou du
moins, il ne tiendrait pas de discours
philosophique
; il ne
chercherait pas la raison. Il la cherche parce que, dans le fini,
il transcende le fini ; parce que, déterminé
et conditionné, il
est
libre et peut se détacher de la condition, de toute condition
dans son discours : toute philosophie vise I'inconditionné,
I'universel, l'éternel, I'infini et c'est sur le fond de I'infini que
l'homme se
voit fini et déterminé.
Mais visant I'infini dans
son
discours,
I'homme reste fini, et si le fini n'apparaît que sur
fond d'infini, c'est au fini et dans le fini que I'infini apparaît,
au sujet libre qui, dans sa finitude et celle de son
monde, s'est
décidé à ie chercher. En d'autres termes, tout discours
philosophique vise I'universel et l'éternel, mais c'est dans le
monde, dans le temps et dans I'histoire qu'il le fait, et c'est
7. Ibid., p. 68.
LOGIQUE DE LA PHILOSOPHIE
dans
ce monde et dans ce temps
que I'universel
et l'éternel se
montrent à lui. Parce qu'il est philosophique, tout discours
philosophique
vise
/e sens infini et universel dans la particula-
rité et la finitude d'un monde historique, mais parce
qu'il est
historique,
ce n'est pas le sens qu'il saisit c'est un sens,
une
cohérence, le sens concret présent dans ce monde pour
I'individu qui, s'étant décidé à l'universel dans sa situation
concrète,
n'atteint dans son discours
qu'un universel,
I'univer-
sel
concret
et particulier,
à la lumière duquel sa
situation et sa
compréhension
de sa situation deviennent compréhensibles
pour lui. L'homme peut oublier que son discours n'atteint
qu'un sens; il peut prendre ce sens
pour le sens
tout court,
comme I'illustre à la perfection
le cas du savoir absolu. Mais,
I'histoire
le montre, un nouvel homme, vivant dans
un monde
nouveau, ne se satisfera
pas de ce sens,
qu'il verra comme
partiel. Et, poursuivant librement la recherche du sens, il
tentera de dépasser
le discours antérieur, et révèlera à son
tour un nouveau sens,
qui comprendra le précédent.
mais
n'en
restera
pas
moins
partiel, parce
que
saisi
par un être historique
dans un monde historique. Etant el se sachant humaine, la
philosophie sait, par même, que I'universel et l'éternel
qu'elle
vise
et à
partir desquels
sa
visée
est compréhensible,
ne
se montrent à I'homme que dans la particularité du temps et
de I'histoire. Si la raison n'est que pour I'homme qui la
cherche
parce qu'il décide de la chercher,
la philosophie
n'est
que la recherche historique du sens,
ou, ce qui revient au
même, sa réalité est constituée par I'histoire de cette
recherche. En un mot, elle est et se sait identique à son
histoire.
Cette histoire possède pour la philosophie une origine : la
décision
de l'homme qui choisit la raison et pose par cette
décision
le sens,
I'universel
que son discours tente de mettre à
jour. Cette origine est même une origine absolue,
puisqu'il
s'agit d'une décision
libre, irréductible à autre chose
qu'elle
même, de sorte que la succession historique des discours
cohérents se comprend comme la réaffirmation de cette
décision initiale, effectuée par d'autres hommes qui ne se
satisfont
pas du sens
concret mis à jour dans le discours
de
I'homme, qui pour la première fois s'est décidé
à chercher
le
77
78 JEAN-MICHEL BUÉE
sens. Mais si c'est I'origine du discours cohérent, de tout
discours cohérent, il serait absurde d'y voir I'origine de la
cohérence que ces discours mettent à jour. Il y a philosophie
parce que l'homme s'y décide,
mais c'est
dans le monde qu'il
s'y décide et l'on ne comprendrait pas comment cette décision
le conduirait à l'élaboration d'un discours cohérent si ce
monde ne contenait déjà la cohérence
que son discours révèle,
bien que celle-ci n'apparaisse comme cohérence que dans le
discours, une fois effectué le choix en sa faveur.
E,n d'autres termes, I'homme n'est pas d'abord un individu
isolé qui ferait face à un monde extérieur, avec
lequel il aurait
à entrer en contact.
Il entre dans un monde, en lequel il vit et
agit. Et il n'y vit et n'y agit que parce que ce monde est
organisé.
structuré,
en un mot, parce que I'homme y trouve
une orientation, un sens. Cela,
d'ordinaire, I'homme ne
le voit
pas : il se
tient dans une attitude qui ne se comprend pas et ne
cherche d'ailleurs pas à le faire. Il agit, préoccupé de nier ce
qui ne le satisfait
pas
dans son
monde et il ne voit pas
que son
action est guidée par un but, une valeur, un <essentiel>
qu'elle s'efforce
de réaliser
parce qu'ils constituent son sens
comme ils constituent
le sens
de toute action en ce monde.
Mais, et le fait est décisif
pour la philosophie
(car,
sans lui elle
n'aurait jamais existé), il arrive que des hommes ne se
contentent
pas
d'agir sans savoir ce
qu'ils font, ni pourquoi ils
le font et mettent ainsi à jour dans le discours le sens
de leur
action et par le sens du monde dans lequel ils agissent.
L'attitude devient alors attitude
pure; elle se pense, et, se
pensant, révèle le concept qui I'organise et organise son
monde, ce que I'on peut nommer we catégorle, correspon-
dant à ce que nous nommions plus haut un sens
concret révélé
dans un discours cohérent.
Si la philosophie est le discours en lequel I'homme
historique comprend son monde et soi-même, ce que cet
homme comprend
n'est rien d'autre que ce qu'il a fait et s'est
fait dans ce monde. Pour le philosophe, la catégorie est
première, car c'est elle qui détermine
I'attitude, mais dans
la
réalité historique, c'est
I'attitude qui prime, car, sans elle, la
catégorie ne se montrerait pas. L'homme comprend et se
comprend dans son discours, mais ce discours, rendu possible
LOGIQUE DE LA PHILOSOPHIE
historiquement
par la liberté agissante
de I'homme
concret,
n'en
est
que
la compréhension.
Et cette
compréhension
ne se
détache
de I'action
que pour y renvoyer,
car I'action
seule
peut
s'efforcer
de réaliser
consciemment le sens
cbncret que le
discours
a mis à jour. En un mot, I'homme
parle
parce
qu'il
agit
et agit
parce qu'il parle,
et c'est le même homme
qui parle
et agit; ou, ce qui revient au même,
philosophie
et histoire
sont une et Ia même chose : elles ne sont que o
les deux
aspects
que
l'homme
se
présente
à soi-même de soi-même
" 8,
" tels
qu'ils
se distinguent
et se complètent
pour le discours
rre.
On voit ainsi
que
I'affirmation de
I'identité de
la
philosophie
et de I'histoire dans la Logique de la philosophie n'est
nullement
la répétition
de la thèse hégélienne
affirmant
I'unité
de
I'absolu
et
de
son histoire. Elle découle
tout au contraire de
I'abandon
de cette compréhension onto-théologique
de la
philosophie à laquelle elle substitue une compréhension
anthropologique
: I'unité de la philosophie
et de I'histoire
rappelle simplement
que la philosophie
est humaine
et non
divine,
qu'elle
est
le discours de I'homme
historique, de l'être
parlant
et agissant,
qui, dans son discours,
comprend le sens
de son action.
Mais si cette thèse nous libère de I'idée contradictoire du
discours
divin, ne nous
mène-t-elle
pas à une difficulté plus
grave
? Si toute philosophie
est historique, ne faut-il pas
avouer que
la philosophie
est
impossible,
que seules existent
des
philosophies,
des
discours
qui se succèdent
dans le temps
et révèlent
chacun un sens
concret,
une catégorie, le sens d'un
monde
historique, sans
que
cette
succession
puisse
s'achever ?
En se séparant
de I'absolu
pour se reconnaître humaine
et
historique,
la philosophie
n'est-elle
pas amenée à se penser
comme une tâche indéfinie et inachevable ? La thèse
de la
Logique ne nous conduit-elle
pas à un scepticisme radical
niant le caractère
un et systématique de la philosophie
?
Ce serait une conséquence
inévitable, si, préoccupés
par
ce que la thèse
énonce,
nous
en venions
à oublier la thèse
Ibid.,
Ibid.,
79
p. 69
p.'72
8.
a
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