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DE LA MORALE AU RETOUR DE L'ÉTHIQUE
La controverse est toujours engagée, arbitrairement, entre ceux qui fondent la
morale sur les révélations divines et ceux qui, reconnaissant qu'aucune théorie
ne la fonde, ne peuvent en prêcher que la nécessité. Pour ces derniers, le mot
même est contestable en fonction de sa connotation religieuse. Il suffit
d'entendre les cris d'orfraie des milieux intello-médiatiques lorsqu'ils se croient
menacés par un "retour à l'ordre moral". Gérard ZWANG, lui-même, éthologiste
et chirurgien, ne se dégage pas de la morale lorsqu'il la considère comme "un
système de palliation des lacunes de la programmation" [13]. Ses gradients de
liberté font de l'homme un être aux comportements incertains en société,
comme le serait "un animal malade de ses choix". Bien qu'il soit naturellement
peu sociable, il ne peut vivre qu'en société et ses activités demandent à être
"encadrées" sous peine de dérives pitoyables dont notre Histoire foisonne, le
XXème siècle en particulier.
LE DÉCLIN DE LA MORALE
En suivant un chemin purement philosophique, on passe successivement de la
nécessité morale, à la morale improbable, voire impossible. L'Antiquité, l'Âge
Classique, la Période Moderne (ces 3 périodes phares de la pensée humaine) ont
édifié des systèmes dont les différences, voire les incompatibilités permettent de
récuser l'idée d'un progrès philosophique aussi bien que l'hypothèse d'un retour
au passé. Pourtant les hommes ont toujours instauré l'arbitraire d'un tiers exclus
pour régulariser leurs conduites et leurs rapports : du code d'Hammourabi à la
nouvelle religion des "droits de l'Homme", nombreuses furent les formules
susceptibles d'assurer l'installation du pouvoir. Même le conseil delphique de
l'autonomie ne se dispensait pas des dieux. L'autonomie, dont on nous "bassine"
aujourd'hui, serait-elle un leurre ?
Le décalogue de la révélation judéo-chrétienne avait conditionné les mentalités
occidentales pour de nombreux siècles. Il fallait attendre la Renaissance pour
que l'homme découvre la "Raison" et donne à "l'Esprit" une valeur absolue.
Devant "le silence des espaces infinis", PASCAL prend toutefois conscience que
"ce qui est ne dit rien sur ce qui doit être". En prétendant faire une révolution
"copernicienne" de l'esprit humain, E. KANT va catégoriser la pensée humaine
avec une obscure clarté dont beaucoup ne retiendront que la formule qu'ils
attendaient : "Dieu est un produit de la Raison" et l'homme doit trouver en lui-
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même les fondements de sa dignité. Pourtant, avec "le principe d'espérance", la
morale chrétienne prenait en compte les visions eschatologiques du monde et de
ses fins dernières dans l'au-delà.
Malgré quelques résistances épisodiques, libérée de l'idéalisme pragmatique et
de la métaphysique, étouffée par les gnoses, la philosophie européenne s'épuise
dans un "fourre-tout" dialectique où l'être reste inaccessible à ses épigones
(étant, ego, surmoi, l'autre, etc) : bouc émissaire ? référent conventionnel ?
miroir déformant ? Comme si DIAFOIRUS avait quitté la médecine pour devenir
philosophe, tandis que les médecins quittaient l'obscurantisme… La morale
kantienne aura permis l'installation du subjectivisme du "principe supérieur",
prélude à l'individualisme post-moderne.
LA RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE
Pour la période moderne il n'est pas possible de résumer en peu de mots le
tortueux chemin qui, des diverses formes du nihilisme et de la philosophie
biologique, a conduit Hans JONAS [7] à la rédaction de son ouvrage d'éthique "Le
Principe Responsabilité" (1979) où il entend fonder l'éthique sur une base
purement ontologique, débarrassée des utopies qui lui paraissent obsolètes.
L'ontologie dont il se réclame est ancrée dans le caractère transitoire et
éphémère de "l'être humain" lié à ses vulnérabilités : cette fragilité de l'existence
exigerait donc, pour H. JONAS, une conscience d'autant plus aiguë de la
responsabilité à son égard alors même que nous en sommes prévenus. Le
concept de "responsabilité" se situe au centre de l'éthique, bien avant "l'amour
froid" et le "respect formel" kantiens dont les finalités restent ambiguës même
lorsqu'ils sont partagés. La responsabilité, quant à elle, ne demanderait qu'à être
largement partagée. Conscient des grands dangers liés aux progrès
technologiques, H. JONAS en appelle à une conception ouverte de l'être pour
dresser les grandes lignes d'une éthique future, sans finalisme ni prédestination.
L'éthique ne peut donc pas être une morale effective. Elle apparaît plutôt comme
une méthode exploratoire dans le sens où W. JAMES disait : "la vérité vit à
crédit."
LE RELATIVISME MORAL
De telles notions sont plus facilement contournées dans les pratiques
industrielles et commerciales où les "modes d'emploi" submergent l'éthique.
Dans les activités dites "libérales", l'instrumentalisation de l'homme est plus
sournoise dès lors que la bonne intention prétend primer sur le reste.
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Comme le souligne G. STEINER [11] avec intelligence et sensibilité, les mots sont
des armes. Il convient de les définir dans le cadre d'une éthique de la discussion
[6]. Leur mauvais emploi explique bon nombre d'ambiguïtés de dérives, de
conflits. Bien que leur étymologie, latine pour la morale, grecque pour l'éthique,
ne les sépare guère, ces 2 mots ont suivi des chemins parallèles par convention
tacite. La morale comporte davantage d'interdits, tandis que l'éthique est plus
riche en préceptes et en conseils. Le lecteur pardonnera le raccourci, mais tout
se passe comme si ces 2 mots inséparables, traduisaient au fil des siècles,
l'évolution du "miracle grec de l'esprit". La voie de la pensée réflexive ouverte
par SOCRATE (469-339 bc) bifurque chez ses successeurs.
Pour PLATON, avec ou sans dépendance métaphysique, nous sommes dans le
domaine des "IDÉES", des paradigmes des valeurs intrinsèques avec les
difficultés, voire les impasses de leurs applications.
ARISTOTE, quant à lui, considère les données de l'expérience pour déterminer
les composants essentiels du bonheur et formuler un code de conduite en
s'adaptant aux situations nouvelles.
Aujourd'hui ces 2 courants se retrouvent constamment dans toutes les pensées
catégorielles, au-delà même des mutations à l'origine de la modernité :
individualisme exacerbé, parallèlement à l'évolution des biotechnologies et de
leurs corollaires asservissants.
Faut-il agir en conformité à des normes intangibles ou, en fonction de
l'évaluation des conséquences pratiques : l'entropie des intentions ou le calcul
des conséquences ? Mise à part la sagesse relativiste du serment d'Hippocrate,
les médecins n'ont jamais eu la tête vraiment philosophique tandis que les
philosophes, "grosso modo", n'ont retenu de l'homme que les vaticinations post-
kantiennes. La phénoménologie elle-même ne fut-elle pas l'art de nous faire
prendre "les vessies pour des lanternes" ?
Professionnellement la médecine vit des imperfections physiques, innées ou
acquises des hommes. Elle est marquée par ce rappel de PLATON dans
"PARMENIDE" : "ce qui existe existe, ce qui n'existe pas n'existe pas". Le lecteur
qui, à juste titre, trouverait ces lignes insuffisantes, est invité à retourner aux
sources des principales théories morales à implication médicale que nous ne
pouvons développer ici [3-4-5-8-10] en raison des limitations éditoriales :
1. la morale supérieure de KANT et son impératif catégorique.
2. théorie du bénéfice individuel et "utilitarianisme" de J. BENTHAM.
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3. devoirs absolus et obligations évènementielles avec W. ROSS.
4. casuistique de J. RAWLS dans sa théorie de la justice donnant le pas à l'équité
sur l'égalité, pour dépasser l'antagonisme traditionnel entre la liberté et
l'égalité.
5. thèse multiculturelle des sphères de la justice, plus récente, avec
Ch. TAYLOR.
Dans la pratique médicale, "chaque individu est unique" et les critères
d'évaluation décisionnelle sont variables, spécialité par spécialité, pronostic par
pronostic. Il n'en reste pas moins que les prises de décision doivent reposer, au-
delà des applications, sur les principes généraux de l'éthique ou de la morale,
tels qu'ils s'appliquent à tous les membres de la société.
En ce qui concerne l'éthique médicale, il faudrait bien paraphraser
J.J. ROUSSEAU (EMILE 1762) : "ceux qui voudront traiter séparément la
politique et la morale n'entendront jamais rien à aucune des deux". A cela près
que les irresponsabilités de la classe politique ne sont pas suivies de
"rétorsions".
Aujourd'hui, la responsabilité du médecin semble devoir servir de "fusible" à la
"démocratie sanitaire" alors qu'initialement celui-ci avait pour honneur de la
revendiquer comme la conséquence logique de sa liberté d'action.
LA MODE DE L'ÉTHIQUE
Comment faire pour faire bien ? L'éthique est un mot "porteur" qui sert à
l'édification de "morales contractuelles", de pactes ou de modes d'emploi. C'est
pour s'opposer à la morale des principes abstraits réservés aux situations
idéales, rarement données, que E. GRISEBACH [in 4], en 1928, lançait
l'expression "morale de situation". Une bonne trituration des valeurs permet
l'agencement des arguments. La stratégie de la communication peut, au besoin,
"persuader sans éthique ni morale" :
"Moral distribution means more business"
"ethic pays"
La déconstruction philosophique représentée surtout par Jacques DERRIDA [4],
en France, a installé parallèlement un nouveau dogmatisme déresponsabilisant :
celui du sentiment pour reprendre l'expression de J. LAPORTE [4]. Il deviendrait
alors le pilier d'une éthique universelle, le plus petit dénominateur commun de
tous les codes, permettant de contester toutes les autres hiérarchies de valeurs
et même "la condition naturelle de l'homme". Dans ce sens, certaines tendances
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de la pensée occidentale tournent le dos à la sagesse, dont la recherche est la
seule véritable philosophie pour répondre aux questions fondamentales sur la
vie, le bonheur, la vertu, la volonté, ce "carré" dont l'harmonie devrait être le
critère suprême (SÉNÈQUE). Elle appelle avant tout une argumentation des
conséquences.
LA BIOÉTHIQUE, UN DÉTOURNEMENT MORAL
Bien que la bioéthique n'intéresse pas directement le sujet de ce rapport, ses
ambitions impliquent tous les aspects de la responsabilité médicale dans la
mesure où les mots "logique" et "conséquence", "légal" et "moral", "éthique" et
"humain" forment des couples infernaux.
Le terme de bioéthique est inauguré en 1972 par un cancérologue américain VAN
RESSELAER POTER [2]. Pour cet auteur il s'agissait de faire participer l'homme
au processus de son évolution biologique et culturelle de manière rationnelle.
Serait-ce un nouveau droit ? Un nouveau surhomme ? Une utopie dangereuse ?
Quels hommes seraient aptes à prendre des décisions ?
Au prétexte que la "personnalité juridique" n'a pas de substratum biologique
univoque, par une sorte d'intimidation, les "bio-éthiciens" (généralement auto-
qualifiés) veulent pouvoir développer leurs expériences après avoir "médicalisé
les normes juridiques". La loi sur la protection des personnes devant les
expérimentations médicales étaient un bon exemple de "sollicitude contractuelle
et formelle" facilement débordée par la stratégie finalisée des méthodologies
mises en œuvre. Parmi d'autres, l'avis N°73 (26/09/2002) du C.C.N.E. sur la
chimiothérapie vient de montrer que l'homme pourrait redevenir officiellement
un cobaye "consentant" à défaut d'être totalement volontaire.
Les finalités de la bio-médecine ne sont pas claires et ses moyens le sont encore
moins. Pris en tenaille par les revendications d'une population mentalement
conditionnée, les pressions irresponsables de structures associatives de tous
bords et les projets d'une recherche médicale anticipatrice, le pouvoir politique
est pris en otage, pour reprendre l'expression de G. MEMETEAU [9].
Le XXème siècle nous avait pourtant incités à ne "jamais oublier" que la
déshumanisation et l'instrumentalisation du corps passent par le déni de qualité
de sujets de droit et frappent des catégories entières (POLIAKOW, Hannah
ARENDT [1]). En admettant même que "le bricolage du vivant" trouve des
arguments moteurs dans une économie devenue paranoïaque, il est des
transgressions sans aucun fondement, qui traduisent le dérangement mental de
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