7 octobre 2009 Chimie & Alimentation
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Science et Technologie chimiques :
une longue histoire en quelques étapes.
Hervé THISa
aÉquipe INRA de gastronomie moléculaire, UMR 214 INRA/ AgroParisTech,
Directeur Scientifique de la Fondation Science & Culture Alimentaire (Académie des sciences),
16 rue Claude Berna
rd, 75005 Paris - Tel : 01 44 08 72 90.
Courriel : he
[email protected]On ignore que les plus grands noms de la chimie se sont préoccupés d’alimentation. Dès
1705, Nicolas Lémery [1] étudie les gelées, citant Denis Papin [2], qui avait introduit
son « digesteur » (l’ancêtre de la cocotte-minute) pour faire le meilleur usage des os, à
une époque où les famines étaient hélas courantes. En 1730, Geoffroy le Cadet [3], suivi
par le grand Antoine Laurent de Lavoisier [4], étudie la confection des bouillons de
viande. Lavoisier montrera plus tard, en perfectionnant une méthode de mesure de la
densité, que les composés sont mieux extraits à grande eau. Augustin Parmentier, connu
pour avoir popularisé la pomme de terre dans les parties de la France qui y étaient
réfractaires, a beaucoup étudié les tablettes de bouillon de viande, proposant d’utiliser le
bétail d’Amérique du Sud (que l’on élevait alors seulement pour sa peau), ce que Justus
von Liebig fera avec beaucoup de succès commercial bien plus tard. En 1803, Jean-
Antoine Chaptal [5] explore la chimie des aliments, créditant le chimiste italien
Jacoppo Beccari de la découverte du gluten… alors que ce dernier avait été en réalité
identifié par Mayer et Kessel, le nom de la substance ayant été donné par François
Rouelle (un des professeurs de chimie de Lavoisier) [6]. La liste est immense, de
François Quesnay [7] à M. Fourcroy, qui, découvrant les « albumines végétales » dans
les végétaux, alors que l’on croyait ces composés être l’apanage du vivant animal,
suscita un bouleversement un peu semblable à la révolution copernicienne[8].
Plus près de nous, Adolphe Würtz, Emile Peligot, Achille Müntz, Jean-Baptiste
Boussingault… se sont intéressés aux faits alimentaires… car tous avaient bien compris
que la science se nourrit de phénomènes et que la chimie, en particulier, cherche les
mécanismes des phénomènes… des divers « arts chimiques » [9]. L’activité culinaire
est un de ces champs où beaucoup de belle chimie a été produite, et le chantier est à
peine ouvert, car, à l’heure où l’on envoie des sondes vers les confins du Système
solaire, on ignore encore les mécanismes de confection de ce bouillon qui fut à l’origine
de la chimie des transformations des aliments [10].
Références :
[1] N. Lemery, Traité des aliments, seconde éditions, p. 225, Paris, Pierre Writte, 1705.
[2] J. J. P. Darcet, La gélatine extraite des os et les diverses applications qu’on peut en faire à l’économie domestique, p. 16, M.
Moleon, 1830.
[3] M. Geoffroy le Cadet, Examen chimique des viandes qu’on employe ordinairement dans les Bouillons. Pour lequel on peut
connoître la quantité d’Extrait qu’elles fournissent, & déterminer ce que chaque Bouillon doit contenir de suc nourrissant, Mémoires
de l’Académie royale, pp. 312-332, in Histoire de l’Académie royale des sciences, Pierre Mortier, Amsterdam, 1733.
[4] A. L. de Lavoisier, Mémoire sur le degré de force que doit avoir le bouillon, sur sa pesanteur spécifique et sur la quantité de
matière gélatineuse solide qu’il contient, in Oeuvres complètes, t. III, p. 563-578, Expériences de novembre 1783.
[5] F. Chaptal, Elémens de chymie, t. 3, Paris, p. 9, Deterville, 1792.
[6] D. Diderot, Eléments de physiologie (texte de 1778), texte établi, présenté et commenté par Paolo Quintili, pp. 111-112, Honoré
Champion, Paris, 2004.
[7] Pierre Laszlo, Molecular Correlates of Biological Concepts, in Albert Neuberger, Laurens LM Van Deenen (eds),
Comprehensive Biochemistry, vol 34A, Elsevier Science Publishers, Amsterdam, 1986.
[8] M. Fourcroy, La chimie, p. 11, in Encyclopédie méthodique, t. 2, Panckoucke, Paris, 1792,
[9] J. Delage, Histoire de la chaire de chimie analytique, d’AgroParisTech, communication AgroParisTech, Paris, 1986.
[10] H. This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking, Accounts of Chemical Research, vol. 42, N°5, pp. 575-583, 2009.
Mots Clés : chimie, cuisine, albumine, bouillon, agronomie