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© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 18/04/2017
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avec toute une armée d'hommes, dont certains périrent : « Le bilan fut en réalité désastreux : un Abyssin
perdit la vie lors de l'assaut ». Opération réussie à moitié : l'animal meurt au fond de son coffre de cuir.
Mais c'est pour Bertier un succès : « il avait porté sa collection jusqu'à un indépassable sommet. » Ce récit,
aux accents borgesiens, se double d'une théorie de la fascination, que symbolise l'animal de légende.
Elle est développée habilement d'après les notes et les méditations de Sir Thomas Browne, ce médecin
et théologien du 17e siècle (qui a aussi fasciné Poe dans Double assassinat de la rue Morgue). Un extrait
résume sa conception : « Mais dans la fascination, cette distance qu'impliquant encore l'admiration se
trouvait abolie pour laisser la place à un étrange contact qui se faisait par les yeux, à la faveur duquel
quelque chose de lointain et de séparé se trouvait soudain uni à soi, à la manière d'une peau amoureuse. »
Superbe définition qui déporte l'histoire du basilic sur un phénomène existentiel dans lequel peut se
reconnaître, entre autres, le sentiment amoureux : le regard qui tue. Ou encore, plus trivialement, l'œil
photographique, ainsi que le rappelle l'épisode de l'homo iracundus, le semeur de discorde qui agresse
de sa caméra les voyageurs d'un train : « Nous venions de lui concéder, nos visages à découvert, nus et
sans défense, au moins dix ou quinze secondes de nos existences. » Le récit n'est donc pas que savant :
il plonge aussi dans les souffrances du narrateur qui, çà et là, évoque ce qu'on pourrait appeler son basilic
intérieur, formé de souvenirs lointains, de terreurs enfantines, d'images archaïques de honte et de haine de
soi. L'histoire de cette « vilaine bestiole », qui de tout temps « rampe sous un meuble du salon familial »,
de la même manière qu'elle a pu terroriser la Rome de Léon X, s'apprécie certes pour l'immense savoir
encyclopédique qu'elle convoque, mais elle fascine surtout par ses pouvoirs de faire vaciller en soi, le temps
de la fiction, nos certitudes : il n'est pas sûr, en effet, que le basilic n'ait été qu'un animal légendaire.
Olivier Dubouclez, Histoire du basilic, Actes Sud, 2015, 208 p.
Voir aussi Le paradoxe du basilic. Note sur un animal borgésien