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Introduction
POUR
UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE
DES MOBILISATIONS RELATIVES À L’ESPACE
[« Espaces de vie, espaces enjeux », Yves Bonny, Sylvie Ollitrault, Régis Keerle et Yvon Le Caro (dir.)]
[ISBN 978-2-7535-1732-5 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]
Yves BONNY et Sylvie OLLITRAULT
Le présent ouvrage se caractérise par une double ambition. La première
et la plus évidente consiste à aborder le champ de recherche bien établi que
constituent les mobilisations sociales dans plusieurs disciplines – et en particulier
la sociologie et la science politique – à partir d’un questionnement spécifique,
portant sur la dimension spatiale des mobilisations. Bien souvent en effet, quand
bien même elle est fortement présente, notamment dans les conflits d’appropriation et d’usage, d’aménagement et d’environnement, la dimension spatiale est
traitée sur le mode d’une simple variable, d’un cadre, d’un élément de contexte,
qui ne joue aucun rôle significatif dans la démarche de recherche. Par-delà l’idée
banale que toute action sociale s’exprime nécessairement dans des configurations
sociospatiales et se déploie elle-même spatialement, la focalisation du regard
sur la dimension spatiale des mobilisations, sous de multiples formes – en tant
que cadre de vie familier, en tant qu’enjeu conflictuel, en tant que déploiement
d’actions dans des lieux dotés d’une résonance symbolique, etc. – oblige à s’interroger sur la manière d’inscrire cette dimension dans la problématisation et l’analyse. Si un tel questionnement constitue l’ordinaire de la géographie sociale, il en
va autrement pour les autres disciplines anthroposociales, et en particulier pour
les chercheurs qui travaillent sur le thème des mobilisations, y compris souvent
lorsqu’ils s’intéressent à des mobilisations à propos d’enjeux dans lesquels
l’espace est central. Réunir des chercheurs de disciplines variées pour aborder
directement cette dimension a constitué le premier objectif de cet ouvrage. Cela
a permis de faire émerger des cadrages théoriques, des concepts et des méthodologies à caractère interdisciplinaire où cette dimension est pleinement prise
en considération. À cet égard, nous n’avons d’autre prétention ici que d’ouvrir
des pistes demandant à être approfondies.
Mais cette première ambition s’articule avec un deuxième objectif, qui est
d’interroger, à propos et à partir de cette dimension spatiale, la notion même
de « mobilisation » telle qu’elle a été thématisée et théorisée dans le champ des
Yves Bonny et Sylvie Ollitrault
[« Espaces de vie, espaces enjeux », Yves Bonny, Sylvie Ollitrault, Régis Keerle et Yvon Le Caro (dir.)]
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sciences sociales. L’on y entend couramment par mobilisations l’ensemble des
formes de regroupement et d’action collective prenant place dans des arènes
publiques autorisées ou non et développant une orientation à caractère politique
au sens large du terme, depuis la protestation et la contestation à l’égard des
acteurs politiques dominants jusqu’à la participation aux instances de décision
(Cefaï, 2007). Cette conception des mobilisations postule en général une coupure
assez nette entre les pratiques sociales ordinaires et les formes d’action collective
à caractère politique, ce qui conduit à négliger ou à traiter de façon très limitée
(par exemple, l’entrée en militantisme) les continuités et les relations complexes
qui se nouent entre les deux ensembles de pratiques ainsi distingués et opposés.
Elle concentre d’autre part l’attention sur les formes d’engagement issues de la
société civile (collectifs, associations, mouvements sociaux, groupes de pression,
etc.), par opposition à ce que la science politique appelle « l’action publique »,
soit tout ce qui renvoie aux décisions, réglementations, instances, dispositifs et
initiatives mis en place par les autorités publiques. Pourtant, l’on peut considérer
que celles-ci déploient en permanence ce faisant des formes de mobilisation, tant
des membres de l’univers politico-administratif que de l’ensemble des acteurs
qu’elles affectent ou sollicitent. En d’autres termes, ces deux types de séparation
et d’opposition sont loin d’aller de soi.
La réunion de chercheurs d’origines variées dans des programmes de
recherche ou des colloques, lorsqu’elle est guidée par un authentique souci de
dialogue interdisciplinaire, conduit à réinterroger de façon souvent pertinente
certaines perspectives établies. En l’occurrence, la rencontre entre la sociologie,
la science politique, l’anthropologie et la géographie (surtout lorsqu’elle intègre
une approche phénoménologique) conduit à donner à la notion de mobilisation une extension sémantique nettement plus grande que dans la littérature
spécialisée, comme par exemple la sociologie des mouvements sociaux. Nous en
sommes ainsi venus à considérer d’un côté que l’investissement le plus ordinaire
des acteurs dans leur vie quotidienne constitue déjà sous un certain regard une
forme de mobilisation, et que de l’autre les acteurs politico-administratifs se
mobilisent et mobilisent la population de multiples manières. Passer d’une
conception largement discontinuiste à une conception beaucoup plus continuiste
et dialectique de la notion de mobilisation conduit à renouveler le regard et les
problématiques de recherche d’une façon qui nous paraît féconde.
Ce double questionnement a été développé et approfondi tout d’abord dans le
cadre d’un programme de recherche 1, puis d’un colloque international organisé
1. Ce programme de recherche, intitulé MAGIE (« Mobilisations d’acteurs et gestion intégrée
des espaces »), financé par la région Bretagne, et dirigé par Y. Bonny et S. Ollitrault, s’est
déroulé entre mars 2006 et juin 2009 et a regroupé des chercheurs et enseignants-chercheurs
d’ESO-Rennes (UMR CNRS 6590 « Espaces et sociétés », Université européenne de Bretagne
– Rennes 2), du CRAPE (UMR CNRS 6051 « Centre de recherches sur l’action publique en
Europe », Université européenne de Bretagne – Rennes 1) et du LAPSS (« Laboratoire d’analyse
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en novembre 2008 qui visait à en prolonger et en élargir les problématisations
et qui portait le même intitulé que ce livre 2. Nous voudrions présenter ici les
bases du cadre d’analyse qui est issu de ce programme et a alimenté tant l’appel
à communications du colloque que le plan de l’ouvrage. Ce cadre d’analyse se
déploie dans trois directions principales, portant respectivement sur la manière
d’articuler structuration et action, sur les formes et types de mobilisation et sur
la problématisation de la dimension spatiale des mobilisations.
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LA
RELATION DIALECTIQUE ENTRE STRUCTURATION ET ACTION
La démarche d’analyse en sciences sociales suppose d’intégrer ensemble en
permanence la structuration des rapports sociaux et des configurations sociospatiales et les dynamiques issues des actions et interactions en situation. À l’encontre
des lectures simplistes et hâtives des rapports entre « individu » et « société »,
s’interrogeant de façon rhétorique ou idéologique sur le primat qu’il convient
d’accorder à l’un ou l’autre des deux termes du dualisme qu’elles ont commencé
par poser, il est possible de penser ces questions de façon pleinement dialectique
en prenant en compte la dimension temporelle constitutive des rapports sociaux
comme des mises en forme de l’espace. En effet, les acteurs agissent et interagissent dans des univers sociaux et des situations qui leur préexistent, et ils sont
eux-mêmes à travers leur socialisation le produit de leur société, de leur milieu,
de leur époque, dont ils intériorisent différentes caractéristiques au cœur même
de leur subjectivité. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient de simples « personnages sociaux », dans la mesure où il faut aussi prendre au sérieux, dans l’autre
sens, l’autonomie des acteurs, leur réflexivité, la pluralité des lignes d’action qui
s’offrent à eux, même dans les situations les plus contraintes, et leur capacité à
transformer la structuration sociale et sociospatiale. Partant de là, l’enjeu de l’anades politiques sociales et sanitaires », École des hautes études en santé publique). Il s’est inscrit
dans une démarche résolument interdisciplinaire, associant des sociologues, des géographes et
des politistes. Trois axes de recherche ont constitué ce programme : « Les pratiques festives
nocturnes dans les espaces urbains centraux » (dir. Y. Bonny), « La gestion de l’eau en région
Bretagne » (dir. S. Ollitrault), « Multiusage des lieux et régulation des tensions dans les espaces
ruraux » (dir. Y. Le Caro).
2. Le colloque a été co-organisé par les laboratoires ESO-Rennes et CRAPE. Cet ouvrage ne retient
qu’une petite partie des soixante-quinze communications présentées lors du colloque. La majorité
d’entre elles sont disponibles sur le CD-rom produit à cette occasion. Le comité scientifique du
colloque était composé des personnes suivantes : Sophie Allain (sociologie, INRA), Hélène
Bertheleu (sociologie, Tours), Maurice Blanc (sociologie, Strasbourg), Yves Bonny (sociologie,
Rennes 2), co-président, Laurent Cailly (géographie, Tours), Fabrizio Cantelli (science politique,
Bruxelles), Camille Hamidi (science politique, Lyon), Graeme Hayes (French studies, Aston
University, RU), Régis Keerle (géographie, Rennes 2), Christian Le Bart (science politique,
IEP, Rennes 1), Jean-Pierre Le Bourhis (science politique, Amiens), Yvon Le Caro (géographie, Rennes 2), Patricia Loncle (science politique, EHESP), Sylvie Ollitrault (science politique,
IEP, Rennes 1), co-présidente, Michel Parazelli (géographie, Montréal), Tom Storrie (Colleges of
further and higher education, RU), Tommaso Vitale (sociologie, Milan).
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lyse est d’articuler constamment structuration et action, afin d’inscrire d’un côté
dans toute leur épaisseur sociale et historique l’expérience des acteurs et leurs
orientations d’action, tout en étant attentif de l’autre à leurs formes d’engagement
subjectif dans la vie sociale et aux dynamiques actionnelles et interactionnelles en
situation. Une démarche dialectique doit donc traiter la structuration comme le
produit cristallisé d’actions antérieures qui configure et régule les actions actuelles
et analyser celles-ci comme source d’élaboration tout autant que de reproduction
structurelle (figure 1, d’après M. Archer, 1998).
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Figure 1 : Articuler structuration et action dans le temps
La mise en forme structurelle renvoie aux propriétés de la structuration
sociale et spatiale existante, qui sont à penser comme autant de conséquences et
de cristallisations d’actions passées. Ces propriétés issues du passé façonnent et
encadrent les acteurs contemporains, notamment à travers la socialisation, mais
aussi à travers la distribution des positions occupées par les différents acteurs
dans la vie sociale, avec les ressources et les contraintes correspondantes, ainsi
qu’à travers la configuration des espaces, des lieux, des enjeux, des situations,
des régulations.
Les dynamiques actionnelles et interactionnelles en situation correspondent
à l’appropriation de cet héritage par les acteurs que l’on examine à un moment
donné et aux jeux d’acteurs qui se constituent sur cette base. L’on se centre ici
sur la manière dont ces acteurs font l’expérience du monde social, dont ils s’y
engagent, dont ils l’interprètent, à partir des ressources et contraintes qui les
caractérisent, de leur réflexivité, de leur créativité, ainsi que sur l’ensemble des
processus et dynamiques qui en résultent. Ces dynamiques peuvent être pour
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partie interprétées comme une conséquence logique de la mise en forme structurelle, mais elles ne s’y réduisent jamais et doivent aussi être saisies dans leur
déroulement effectif et toujours contingent et dans leurs effets émergents.
L’analyse de la reproduction ou de l’élaboration structurelle renvoie aux conséquences collectives des actions et interactions, à leur impact structurel. L’on
parlera de reproduction structurelle lorsque les actions et interactions confirment
pour l’essentiel les formes de structuration et de régulation préexistantes (par
exemple, chaque fois que nous parlons nous reproduisons en même temps le
français comme langue vivante commune) et d’élaboration structurelle lorsque
les actions et interactions génèrent du nouveau, sur un mode qui peut être plus
ou moins intentionnel. Ceci aboutit alors à modifier les propriétés structurelles
préexistantes, point de départ d’un nouveau cycle morphogénétique, puisque les
propriétés émergentes du temps « t », une fois cristallisées, contribuent à la mise
en forme structurelle des actions et interactions du temps « t + 1 ».
Ce modèle d’analyse en trois temps repose sur un découpage dans la continuité temporelle effectué par le chercheur en fonction de sa problématisation.
Ces trois temps analytiques ne doivent donc pas être confondus avec un enchaînement temporel au niveau de la réalité étudiée elle-même, ils renvoient à une
construction de l’objet d’étude, lequel est en général marqué par une multiplicité
de temporalités enchevêtrées et par des boucles récursives permanentes entre
structuration et action. C’est seulement lorsque la réalité étudiée se présente
elle-même sur un mode fortement séquentiel que les trois temps de l’analyse
correspondent aussi à des phases temporelles facilement repérables dans le réel.
Soulignons d’autre part que ce modèle d’analyse peut s’appliquer à n’importe
quelle échelle temporelle, laquelle doit être choisie en fonction de l’objet d’étude
et de la problématique privilégiée, de même que les échelles spatiales à propos
desquelles l’on met en œuvre cet enchaînement analytique, que ce soit de façon
explicite ou implicite.
LES
FORMES ET TYPES DE MOBILISATIONS
La question des mobilisations (mais aussi des non-mobilisations) d’acteurs est
habituellement abordée par les sciences sociales à travers des découpages disciplinaires et des problématisations conduisant à séparer ce qui relève des espaces
de vie des acteurs sociaux et ce qui renvoie à la construction de problèmes
publics par les mobilisations collectives et les instances politico-administratives.
L’on peut pourtant interroger cette séparation et réfléchir aux continuités et
discontinuités mais aussi aux articulations entre ce que l’on propose d’appeler
l’investissement ordinaire de l’espace et les mobilisations davantage organisées
ou institutionnalisées, qu’il s’agisse de mobilisations « par le bas » (associations,
collectifs, mouvements sociaux) ou « par le haut » (instances et dispositifs d’action
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publique). Plutôt que de poser a priori une définition précise de la notion de
mobilisation et une démarcation forte entre mobilisations et d’autres modalités de
rapport à l’espace, nous proposons de distinguer différents types de mobilisation
relatifs à l’espace, de les clarifier, de les mettre en regard, de cerner leurs spécificités (en termes de logiques d’action, de régulations, de modes de coordination
et d’accords) et leurs modalités variées d’articulation.
L’idée directrice que nous avons développée est que l’on peut distinguer
plusieurs formes, types ou régimes de mobilisation (d’investissement, d’engagement 3) relatifs à des espaces et lieux spécifiques ou à des enjeux spatialisés 4,
allant de pair avec des manières différentes d’appréhender et de réguler les
rapports sociaux, et que l’analyse des spécificités de ces formes, types ou régimes,
ainsi que de leurs modalités d’articulation, constitue un objet d’étude important à
plusieurs égards. Bien souvent, la question des mobilisations relatives à l’espace
n’est traitée qu’à partir des mouvements sociaux, des conflits ouverts (d’aménagement, d’implantation, d’appropriation, d’usage), des controverses, des modes
de constitution et de gestion des problèmes publics. L’intérêt de l’entrée proposée est d’ouvrir sur d’autres questionnements, en interrogeant en particulier les
articulations et les clivages entre formes ordinaires d’investissement de l’espace
et mobilisations politiques. Elle permet notamment de faire apparaître des enjeux
non encore constitués en problèmes publics ou à peine émergents dans le débat
public, restant cantonnés à la sphère privée et interpersonnelle. Elle conduit
également à examiner la manière dont les associations, les mouvements sociaux,
les instances et dispositifs d’action publique prennent en compte ou pas l’expérience sociale des acteurs ordinaires, la catégorisent, la reconfigurent. En particulier, alors que l’on parle beaucoup de démocratie participative, quelle place
effective fait-on aux acteurs sociaux dits ordinaires (en tant que pratiquants d’un
espace, qu’habitants d’un territoire donné, que riverains d’un projet controversé,
etc.) dans les procédures et dispositifs d’action publique ?
Ces interrogations prennent toute leur portée lorsqu’on les rapporte à un
certain nombre de transformations sociohistoriques. Mentionnons notamment
des transformations culturelles marquées par des processus de détraditionnalisation, allant possiblement de pair avec l’affaiblissement des ressources et régulations endogènes et souvent informelles des acteurs sociaux pour coordonner
3. Sur le concept de « régimes d’engagement », voir L. Thévenot (2006).
4. Nous avons au cours du temps distingué deux formes de spatialisation des enjeux. La notion
d’« espaces-enjeux » ou de « lieux-enjeux » désigne des étendues faisant l’objet d’une délimitation
et d’une qualification qui engendrent une stabilité suffisante de leurs formes pour que l’on puisse
en déceler l’évolution et y déceler des évolutions dans le temps. Ces deux types d’évolution,
« des » et « dans les » espaces-enjeux, donnent lieu à des mobilisations de plus ou moins forte
intensité, selon les thèmes de mobilisation, de la part de différents acteurs. D’autres formes de
spatialisation des enjeux ne se caractérisent pas par des aires spécifiques, parce que leurs manifestations spatiales sont plurielles et non contiguës à l’échelle considérée. Nous parlons dans ce cas
d’« enjeux spatialisés ».
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les usages ou dépasser les tensions, conflits et controverses qui marquent leurs
espaces de vie. Parallèlement, l’on peut mettre l’accent sur une réflexivité accrue
à l’égard des modalités de structuration des rapports sociaux, qui se traduit d’un
côté par une intervention croissante des acteurs publics et privés dans le tissu
de la vie sociale – projets d’aménagement, d’implantation, de requalification,
intervention dans les conflits d’appropriation et d’usage, enjeux de compétitivité
des territoires, de développement durable –, de l’autre par une promptitude à
la mobilisation autour d’enjeux variés, la contestation des savoirs dits experts et
des orientations privilégiées par les acteurs politico-administratifs, une prise de
conscience croissante des enjeux écologiques. Notre démarche part ainsi de l’idée
que les formes de mobilisation peuvent être pensées sur un continuum ; nous
en proposons une schématisation à six paliers au tableau 1. Pour des raisons de
clarté analytique, nous avons distingué sur ce continuum trois types principaux
de « mobilisations d’acteurs » :
– celui des mobilisations sociales ordinaires (nous avons convenu de parler à
ce propos d’investissement ordinaire de l’espace) ;
– celui des mobilisations politiques ordinaires (hors système
politico-institutionnel) ;
– celui des mobilisations dans des instances et dispositifs politico-institutionnels.
L’intérêt de cette perspective est d’enraciner les conflits d’aménagement,
d’occupation, d’appropriation ou d’usage, les mobilisations politiques ou les
« problèmes publics » dans les expériences ordinaires des acteurs, dans leurs
« engagements » quotidiens. L’objectif est de se donner les moyens d’articuler
l’infra-politique et le politique, le politique ordinaire et le politico-institutionnel,
le politique « par en bas » et le politique « par en haut ». Il s’agit en particulier
d’interroger l’articulation entre les types de régulation informels et formels des
aménagements et usages de l’espace, relevant de l’ordinaire et du sens commun
ou au contraire du droit et de dispositifs publics formalisés. Quand on passe au
niveau des mobilisations politiques, l’on peut de même s’intéresser à l’articulation
entre mobilisations extérieures au système institutionnel et mobilisations dans les
instances et dispositifs politico-institutionnels, par exemple les dispositifs participatifs, avec la possibilité d’établir des gradients de participation, qui sont aussi
des échelles de mobilisation des « partenaires » visés par les pouvoirs publics, du
moins dans les dispositifs top down (Bacqué, Rey, Sintomer, 2004).
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Tableau 1 : Formes et types de mobilisations
Formes de mobilisations
Types de
mobilisations
Investissement subjectif ordinaire
Mobilisations sociales
Trouble, besoin ou aspiration ressenti
ordinaires
Plainte dans l’entourage, initiative à plusieurs, régulations informelles
Mobilisation dans une arène ou un forum publics (plainte, protestation, revendication, initiative, etc.) : réseau non formalisé d’acteurs
Mobilisations
politiques ordinaires
Mobilisation dans une arène ou un forum publics : réseau formalisé
d’acteurs (association, collectif, etc.) hors système politico-institutionnel
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Mobilisation dans le système institutionnel : réseau formalisé d’acteurs Mobilisations politicoparticipant à des instances et dispositifs politico-administratifs
institutionnelles
Nous souhaitons insister sur une orientation importante de notre approche,
que l’on peut résumer à travers la notion de hiérarchie enchevêtrée 5. D’un côté, le
tableau 1 n’implique aucun primat d’une forme de mobilisation par rapport à une
autre et aucune téléologie impliquant un passage obligé de l’une à l’autre. Il est au
contraire essentiel d’être attentif à l’ensemble de ces formes, en évitant en particulier de ne penser les types d’investissement ordinaire de l’espace qu’en fonction de
leur basculement dans des types d’action collective à caractère politique. En même
temps, l’on ne peut ignorer le poids structurant dans les rapports sociaux des
formes d’aménagement, des dispositifs et des régulations en tous genres renvoyant
aux décisions d’autorités publiques, à différents échelons politico-administratifs.
Un poids d’ailleurs croissant compte tenu de l’inflation des politiques publiques
que l’on constate dans tous les domaines de la vie sociale. Ce poids structurant
conduit logiquement à considérer que si les formes de mobilisation que nous
avons distinguées ne s’inscrivent pas dans une perspective séquentielle ou téléologique, elles sont en revanche marquées par une certaine hiérarchisation, que l’on
peut mesurer sur la base de l’impact qu’un type de mobilisation donné peut avoir
sur la configuration des rapports sociaux et des possibilités d’action qui s’offrent
à d’autres niveaux. Ainsi, l’aménagement des espaces et des lieux, ou encore les
règles formelles d’usage qui les accompagnent, structurent, orientent et régulent
de façon évidente les formes d’investissement ordinaire de l’espace. De même, les
caractéristiques des dispositifs participatifs mis en place par les pouvoirs publics
ont-elles un impact majeur sur les acteurs qui vont y participer comme sur les
dynamiques interactionnelles qui vont en découler.
Mais cette reconnaissance d’une certaine hiérarchisation des mobilisations,
lorsqu’on les considère du point de vue de leur impact structurel, ne débouche
pas pour autant sur un modèle simple, à caractère vertical et unilatéral. Les formes
d’articulation entre les instances et acteurs politico-administratifs et l’ensemble
5. Cette notion a été développée en particulier par D. Hofstadter (1985).
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des acteurs sociaux peuvent de moins en moins être pensées selon un tel modèle.
Les déplacements de la focale privilégiés par les politistes, passant des politiques
publiques à la notion plus large d’action publique, sont l’une des traductions
de cette évolution 6, de même que la montée en puissance phénoménale de la
notion de « gouvernance » au cours des dernières décennies. Mais l’on peut
aller plus loin encore et mettre en évidence la relation dialectique qui s’établit
entre les différents types de mobilisation que nous avons distingués. Ainsi, pour
reprendre nos exemples, les modes d’occupation, d’appropriation et d’usage des
espaces, les représentations qui leur sont associées, contribuent de façon majeure
à structurer et orienter les politiques d’aménagement de ces espaces et les régulations qui visent les pratiques qui s’y déroulent. De même, les dispositifs participatifs ne s’élaborent pas uniquement top down à partir des choix et objectifs des
autorités publiques, ils sont également selon des modalités variables le produit
des mobilisations militantes et des pressions qu’elles exercent sur ces autorités.
La notion de hiérarchie enchevêtrée permet donc simultanément de prendre
acte d’une certaine asymétrie entre les acteurs et formes de mobilisation et des
boucles rétroactives qui se constituent à tous les niveaux et inscrivent les autorités
publiques dans des interdépendances et dans des jeux d’acteurs variés encadrant
de façon souvent majeure leurs marges d’initiative et d’action ou orientant leurs
décisions comme leurs non-décisions. La figure 2 illustre cette perspective.
Figure 2 : Les articulations entre niveaux de mobilisation : une hiérarchie enchevêtrée
6. À condition que par « action publique » l’on entende non seulement l’action mise en œuvre par les
pouvoirs publics, mais toute forme d’action collective s’inscrivant dans l’espace public politique.
Ainsi que le souligne avec force S. Biarez (1999, p. 267), en effet, « il est frappant de constater
à quel point l’approche de l’action publique a été banalisée par une partie des sciences sociales
contribuant ainsi à s’éloigner d’une réflexion sur les pouvoirs, sur l’action collective et l’ordre
politique. Sait-on aujourd’hui ce que signifie l’action publique par rapport à l’action politique ? »
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LA
DIMENSION SPATIALE DES MOBILISATIONS
Le cadre d’analyse qui précède traite d’abord des mobilisations en général,
sans se pencher spécifiquement sur la question de leur dimension spatiale. Il
propose d’ouvrir le champ sémantique de la notion de mobilisation, afin d’articuler les questionnements propres à la science politique et à la sociologie avec
des approches plus anthropologiques. Mais le présent ouvrage n’a pas seulement pour ambition d’explorer ce champ dans toute son étendue, il vise aussi à
approfondir, à la faveur d’élaborations théoriques ancrées dans des recherches
empiriques, l’analyse de la dimension spatiale des mobilisations. Traiter de
mobilisations relatives à l’espace implique d’examiner théoriquement le statut
de l’espace dans l’analyse et la façon de l’appréhender. L’on peut à cet égard
distinguer deux orientations majeures : l’une consiste à prendre en considération l’espace en tant que contexte ou enjeu des mobilisations, l’autre l’espace en
tant que dimension intrinsèque des mobilisations. Dans le premier cas, l’espace
constitue un cadre de l’action permettant de la contextualiser ou le support de la
thématisation de problèmes publics mais il ne joue pas nécessairement un rôle
central au niveau de la problématisation elle-même. L’on peut ainsi s’intéresser
aux dynamiques de l’engagement militant en comparant des mobilisations en
matière d’environnement ou d’aménagement et d’autres qui se situent sur un
tout autre registre, dès lors que ce sont ces dynamiques en tant que telles qui
constituent l’objet d’étude, et non les spécificités associées à l’espace-enjeu ou
à l’enjeu spatialisé impulsant la mobilisation. Dans le second cas, au contraire,
l’espace constitue une composante essentielle de l’analyse. Comment la double
grille analytique présentée ci-dessus, visant à articuler dialectiquement structuration et action d’une part, différents types de mobilisation de l’autre, se traduitelle lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement à la dimension intrinsèquement
spatiale des mobilisations ?
Si nous reprenons la distinction entre trois temps analytiques présentée à la
figure 1, nous pouvons tout d’abord considérer la dimension spatiale sous l’angle
de la mise en forme structurelle des rapports sociospatiaux. Ceci recouvre notamment la morphologie des espaces et des lieux, les imaginaires collectifs, saillances
et prégnances sociosymboliques qui leur sont associés (Parazelli, 2002), les territorialisations institutionnelles et les spatialités et territorialités vécues héritées, la
distribution des acteurs dans l’espace, indissociable de leurs statuts, des ressources
dont ils disposent et des contraintes qui pèsent sur eux, la configuration économique, politique, culturelle, sociale des lieux, l’ensemble des régulations qui
encadrent et orientent les pratiques qui s’y déroulent, les enjeux inscrits dans la
mémoire collective ou émergents. Tout ceci préstructure fortement les modalités
d’investissement de l’espace des différents acteurs ainsi que leur propension à se
mobiliser politiquement ou non à propos de certains espaces-enjeux ou enjeux
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spatialisés, et leur capacité à le faire. Si l’on déplace l’attention vers l’analyse des
dynamiques actionnelles et interactionnelles, la dimension spatiale des mobilisations peut être examinée de plusieurs points de vue : formes d’occupation,
d’usage, d’appropriation et de marquage des lieux, dynamiques de problématisation sociale et politique de certains lieux ou enjeux spatialisés, processus de
thématisation et de traitement des conflits et enjeux dans des arènes publiques,
modes d’expression des mobilisations dans l’espace. Enfin, le troisième temps
analytique distingué conduit à examiner les mobilisations du point de vue de la
reproduction de configurations sociospatiales ou de l’élaboration de nouvelles
caractéristiques structurelles : transformations morphologiques plus ou moins
significative des espaces et des lieux et de leur composition sociodémographique,
recomposition des saillances et prégnances, reconfiguration des investissements
ordinaires des acteurs et des engagements militants, consolidations ou modifications des régulations et des politiques publiques, déplacements des thématisations, territoires institutionnels et territorialités émergents.
La deuxième entrée proposée, à savoir les formes et types de mobilisations,
oriente l’analyse différemment, mais de façon complémentaire. Envisagé sous
l’angle de l’investissement ordinaire, l’espace constitue une composante intrinsèque
et fondamentale de ce que la tradition phénoménologique appelle le « monde de
la vie » (lifeworld) des acteurs. Il se présente souvent sous une forme éminemment
concrète et constitue en tant qu’espace vécu un milieu existentiel ou milieu de vie
(la terre de l’agriculteur, le quartier du riverain, le paysage du promeneur), support
d’expériences sensibles, d’habitudes, de routines, d’identifications, d’affects, de
valeurs et d’intérêts, de tactiques et stratégies d’occupation, d’appropriation, de
marquage. Il donne lieu à des formes de sociabilité ainsi qu’à des régulations
endogènes, issues des jeux d’acteurs passés et présents, qui peuvent se cristalliser
sous forme de principes et règles tacites d’appropriation et d’usage, de normes
de co-occupation, d’accords informels, constituant autant d’éléments d’un sens
commun et d’un rapport d’évidence aux pratiques sociales relatives à tel ou tel
espace, producteurs de spatialités et territorialités vécues. Mais il est également
travaillé par une conflictualité plus ou moins importante, traversé par toutes sortes
de bouleversements correspondant à des dynamiques renvoyant à d’autres échelles,
et soumis à des régulations externes contraignantes. L’analyse de l’investissement
ordinaire de l’espace de vie implique donc de cerner au plus près des acteurs
leur expérience sociale quotidienne et leurs formes d’appréhension de l’espace et
d’engagement dans l’espace, les régulations qui régissent leurs rapports sociaux, y
compris dans leurs dimensions de violence symbolique, de cautionnement d’inégalités et de rapports de domination, les épreuves pragmatiques auxquelles ils sont
confrontés et la manière dont ils y font face, les concernements qu’ils développent,
débouchant éventuellement sur des formes de mobilisation infra-politiques (ex :
plainte dans l’entourage) ou de basculement vers un engagement public.
Yves Bonny et Sylvie Ollitrault
[« Espaces de vie, espaces enjeux », Yves Bonny, Sylvie Ollitrault, Régis Keerle et Yvon Le Caro (dir.)]
[ISBN 978-2-7535-1732-5 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]
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Lorsqu’il est inscrit dans les enjeux des mobilisations politiques et appréhendé
par des militants, porte-paroles, élus, fonctionnaires ou experts, l’espace est
fréquemment doté de qualités plus abstraites, entrant dans des caractérisations et
qualifications de type juridique, scientifique, technique, économique, écologique,
culturel, stratégique, etc. Il prend sens à travers les différentes thématisations et
problématisations de l’engagement collectif ou de la mise sur agenda politique,
portées par des publics concernés par des nuisances ou des projets, des militants
ou des acteurs politico-administratifs. Il devient un enjeu d’aménagement, de
planification, de régulation, de gestion, de protection, de valorisation, donne lieu
à des territorialisations (délimitations, segmentations, zonage) et à l’émergence
de territorialités (Melé, 2003 ; Vanier, 2009), engendre des enjeux de coordination de l’action publique institutionnelle et de prise en compte des interdépendances caractérisant un périmètre donné. Il est le support de représentations,
de mises en scène, de discours de justification ou d’enrôlement autour de biens
communs partagés, de stratégies de communication et de marketing. Il constitue fréquemment une dimension essentielle des mobilisations collectives par les
réseaux relationnels de proximité et une composante intrinsèque des répertoires
de l’action militante à travers la symbolique des lieux et des parcours. La porosité
entre ces deux appréhensions peut aussi donner lieu à un métissage du rapport à
l’espace dans le cadre des mobilisations politiques, que ce soit à travers l’ancrage
de l’engagement militant dans des investissements ordinaires denses, la montée
en puissance de notions telles que « l’expertise d’usage » ou la prise en compte
des non-experts dans les arènes publiques (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001).
Parmi les thématiques qui demandent à être approfondies, mentionnons les
jeux d’échelles et les enchevêtrements d’échelles spatiales associés aux différents
types de mobilisation. Cela conduit notamment à examiner l’articulation entre
l’espace effectif de mobilisation des acteurs (les lieux concrets où ils agissent) et
l’espace de référence de leur mobilisation (les territoires d’identification ou de
compétence qui sont au fondement de leur action). L’objectif étant de dépasser
les lieux communs comme celui du brouillage des niveaux d’action ou encore
les dichotomies commodes – telles que celle du global et du local – qui dispensent de réfléchir sur les articulations opérées par les acteurs, leur inventivité à se
positionner dans des contextes d’action présentant parfois des contraintes ou des
opportunités inédites. Un autre axe de questionnement renvoie à la polysémie
du terme « espace », se prêtant en particulier à des usages métaphoriques (ex :
espace des positions sociales, espace public) qui font l’objet de discussions et de
controverses entre ceux qui déplorent la confusion qu’elles génèrent et ceux qui
soulignent à l’inverse le caractère fécond de ces mélanges de significations. Ceci
s’applique en particulier au concept d’« espace public », défini en urbanisme
comme un lieu concret (bâtiment, place, rue…) ouvert et accessible à tous, et
dans un sens socio-politique comme ensemble de lieux d’expression des diffé-
Introduction
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[« Espaces de vie, espaces enjeux », Yves Bonny, Sylvie Ollitrault, Régis Keerle et Yvon Le Caro (dir.)]
[ISBN 978-2-7535-1732-5 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]
rentes catégories d’acteurs de la société civile (citoyens, représentants d’associations, ONG, monde socio-économique) ou ensemble d’instances et dispositifs de
débat public, de confrontation et de médiation proposés par les pouvoirs publics.
La conclusion du présent ouvrage prolonge les réflexions ici engagées sur
la base, entre autres, d’un examen approfondi des usages de la notion d’espace
dans les différentes contributions.
La structure de l’ouvrage reflète le cadre d’analyse élaboré collectivement par
les deux équipes rennaises, ESO-Rennes et CRAPE ; elle permet autant d’interroger la question des espaces que d’enrichir la notion de mobilisation. Les trois
premières parties traitent respectivement des formes d’investissement ordinaire
de l’espace, des mobilisations sociales et politiques des acteurs non institutionnels, des mobilisations initiées par des autorités publiques, suivant un gradient
conforme à la hiérarchie enchevêtrée de la figure 2. Les études réunies dans la
quatrième et dernière partie tentent des approches dialectiques de ces différents
types de mobilisations. Les différents chapitres abordent des terrains variés, en
France et à l’étranger, de la Belgique en passant par Israël, l’Égypte, l’Éthiopie
ou l’Algérie. Des chercheurs de différents horizons disciplinaires (géographie,
sociologie, science politique, urbanisme, architecture…) se sont interrogés avec
leurs modalités scientifiques propres et leurs méthodologies sur la variabilité des
formes d’investissements ou de mobilisations ayant trait aux espaces. Parmi les
lacunes du livre, mentionnons en particulier une attention insuffisante accordée
aux représentations intimes de l’espace – comment les espaces que traverse un
individu le marquent, donnent sens à ses représentations du monde physique
et social, dynamisent ou non ses pratiques sociales ? – et l’absence d’examen
de ces espaces virtuels qui, de plus en plus, structurent les représentations de la
réalité des espaces physiques, nouent des réseaux sociaux et créent des événements. Sans prétendre par conséquent couvrir l’ensemble des questionnements
qui traversent ce nouveau champ d’étude, cet ouvrage vise d’abord à diffuser des
travaux originaux et à impulser une dynamique de recherche interdisciplinaire
sur les mobilisations relatives à l’espace.
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