depuis le Moyen Âge. Certes, les obscurités de l’histoire de la confirma-
tion peuvent excuser les tâtonnements d’un débat qui a longtemps divisé
liturgistes et théologiens, et qui les divise encore. À la question: “lequel
des deux rites, l’imposition des mains ou la consignation frontale, était
ordonné au don de l’Esprit dans l’Antiquité chrétienne?”, jamais les ré-
ponses apportées n’ont paru satisfaisantes. Car s’il ressortait clairement
d’une majorité de textes issus de la période patristique que c’était l’impo-
sition des mains qui, seule, semblait ordonnée à la communication de
l’Esprit au croyant, d’autres au contraire associaient nettement une onc-
tion à cette communication7.
De cet apparent balancement entre imposition des mains et onction,
on est passé à l’époque carolingienne à une savante conjugaison des
deux chez nombre d’auteurs. Le don de l’Esprit ne se retrouvait plus as-
socié tantôt à l’un tantôt à l’autre, mais aux deux rites ensembles de ma-
nière conjointe. (L’une des raisons de ce phénomène réside dans le fait
que les auteurs carolingiens ont réduit fortement la distinction que la
période patristique opérait entre l’intervention de l’Esprit dans les rites
de l’initiation et le don plénier de sa personne au croyant8. Des expres-
sions totalement nouvelles, inconnues de toute la période patristique, in-
citaient malheureusement à voir une effusion de l’Esprit aussi bien dans
le baptême que dans l’onction ou l’imposition des mains). Et ce n’est pas
tout. Les réformateurs carolingiens ont apparenté dans leurs écrits la
consignation romaine à l’onction postbaptismale, comme une sorte de
dédoublement de cette dernière. Ainsi, non seulement la consignation,
mais aussi l’onction postbaptismale, se sont trouvées interprétées par
eux comme étant toutes deux des organes du don de l’Esprit9.
Pour expliquer cette “évolution”, on a parlé le plus souvent d’une cla-
rification théologique, initiée par les carolingiens, et parachevée par la
scolastique qui aurait enfin donné son expression claire et définitive à
une théologie patristique qui se cherchait un peu obscurément sur la
question du rite associé au don de l’Esprit. Mais la fameuse “évolution
théologique” s’est révélée être en réalité une belle fracture entre l’Église
carolingienne et l’Église de la période patristique. L’imposition des
mains et le don de l’Esprit étant désormais indissolublement associés à
la consignation à partir du Moyen Âge, cette onction allait conduire à
faire de la confirmation un ensemble sacramentel non-réitérable: en ef-
fet, puisque, de toute l’histoire de l’Église, les documents ecclésiastique
n’ont jamais fait mention d’une quelconque réitérabilité de la consigna-
13ONCTIONS ET DON DE L’ESPRIT DANS LES TRADITIONS OCCIDENTALES...
en œuvre, dans l’initiation chrétienne, une imposition des mains pour le
don de l’Esprit. Dans le cadre de la réconciliation des hérétiques ou des
pénitents d’origine catholique, ces milieux liturgiques ne mentionnaient
aucune réitération d’une quelconque onction. Cet état de fait pose donc
la question du rapport entre le don de l’Esprit et les onctions des an-
ciennes liturgies3. C’est sur ce point précis que nous voudrions concen-
trer l’étude qui va suivre. Celle-ci constituera ainsi le complément de ce
que la longueur impartie à un article déjà bien volumineux ne nous avait
pas permis de dire au sujet de ce rapport. Car en effet, puisque ces docu-
ments évoquaient la réitération de l’épiclèse et de l’imposition des mains
liées au don de l’Esprit, en vertu du fait que celui qui recevait cette impo-
sition des mains et cette épiclèse avait perdu ou n’avait jamais été en pos-
session de l’Esprit Saint, pourquoi ces mêmes documents –et cela durant
toute la période patristique– n’ont-ils jamais fait état de la réitération
d’une seule onction, si l’on considère comme parfaitement établi le postu-
lat qui fait du don de l’Esprit un produit de l’onction de la confirmation4?
On avait brièvement évoqué dans notre précédent travail la fracture
qui séparait la période patristique de la renaissance carolingienne du IXe
siècle, sur la question de la perte et du recouvrement de l’Esprit, et
constaté les conséquences que cette fracture avait entraînées au Moyen
Âge, tant au niveau de la confirmation qu’au niveau de la réconciliation
des apostats et des schismatiques. C’est sur ce point que nous voudrions
revenir, avant d’aborder le parcours que nous nous proposons d’entre-
prendre ici sur la signification des onctions mises en œuvre dans les li-
turgies de l’initiation chrétienne qui ont existé durant toute la période
patristique, dans l’Occident latin.
Dans la liturgie romaine –liturgie qui a fini par supplanter au Moyen
Âge les autres liturgies occidentales– la confirmation est aujourd’hui en-
visagée comme la réunion de deux rites conjoints, une imposition des
mains et une consignation5, qui forment un seul et même sacrement or-
donné au don de l’Esprit. À vrai dire, l’imposition des mains n’a pas la
même importance que la consignation, puisque la réforme liturgique qui
est intervenue après Vatican II a fait de l’onction la matière même du sa-
crement du don de l’Esprit6, après bien des hésitations sur la question
12 LAURENCE DECOUSU
3 Rappelons la classification schématique que l a science liturgique avait proposé pour
ces anciennes liturgies: d’une part les liturgies africaine, hispanique et gallicane,
toutes trois construites sur le même modèle, à savoir essentiellement: le baptême, une
onction postbaptismale, une imposition des mains; et d’autre part la liturgie romaine
composée du baptême, d’une onction postbaptismale, puis d’une imposition des
mains suivie d’une consignation avec onction.
4 Étant établi que l’onction de la confirmation n’est autre que la consignation de la li-
turgie romaine, liturgie qui a supplanté, en Europe, toutes les autres liturgies qui exis-
taient durant l’Antiquité avant Charlemagne.
5 Voir la structure schématique de la liturgie romaine dans la note 3.
6 En continuité d’ailleurs avec la position qu’avait prise le pape Eugène III lors du
concile de Florence dans le décret pour les Arméniens.
7 Voir le débat entre D. Pierre de PUNIET et Paul GALTIER (Onction et confirmation, dans
RHE 14 (1912) p. 450-476) au début du XXesiècle, en particulier à propos de Pacien
de Barcelone.
8La Confirmation dans l’histoire: évolution ou fracture?, § III.1, op. cit.
9 Et par ricochet, ce sont toutes les onctions postbaptismales des anciennes liturgies
gauloise, hispanique et africaine, décrites dans les documents de la période patris-
tique, qui ont été interprétées en ce sens par nombre d’auteurs carolingiens.