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REVUE DE L’IRSA N° 20 Novembre 2014
Il présente une dizaine de difficultés qui portent atteinte à la recherche de terrain en milieu congolais dont
l’analphabétisme rendant l’opérationnalisation du questionnaire écrit inefficace dans certains milieux, la
déformation de la pensée due à la non maitrise de la langue de travail, l’attitude de méfiance des enquêteurs, la
mauvaise tenue des archives publiques justifiée par les mauvaises conditions de vie et de travail, le non respect de
temps, le déficit de culture de recherche scientifique (traduit par la modicité des budgets consacrés à la recherche
scientifique) ; l’accès aléatoire à la documentation et le complexe d’infériorité de la part des informateurs. Toutes
ces particularités du terrain congolais l’ont poussé pertinemment à considérer, à l’instar de Verhaegen, que la
contextualisation des outils de recherche en sciences sociales demeure un impératif.13
C’est dans cette école de la sociologie qualitative que de nombreux chercheurs adhèrent, peut être sans le
savoir, dont nous même, surtout lorsque nous menons nos recherches sur la pauvreté à Kisangani, plus de deux
décennies après Benoît Verhaegen.
3. Approche qualitative, pour comprendre et expliquer la pauvreté à Kisangani de nos jours: notre
expérience empirique
Si, de fait, les méthodes qualitatives, comme l’indique Jean Claude Kaufmamm14, ont pour fonction de
comprendre plus que de décrire systématiquement ou de mesurer, c’est-à-dire rendre intelligible, en se donnant les
moyens de connaitre la complexité subjective des actions d’un individu ou groupe d’individus dans un contexte
particulier. Nous avons décidé aussi dans le cadre de notre recherche doctorale sur la culture de pauvreté à
Kisangani de recourir à la méthodologie qualitative à la Verhagennienne. Autrement dit, les particularités
contextuelles de cette étude et la nature de son objet (pauvreté), à l’instar de ces chercheurs, nous ont également
convaincu.
Fort de cet argumentaire, nous avons utilement décidé de marcher sur les sentiers verhaegenniens en
recourant à quelques techniques qualitatives dont l’enquête par entretien, la documentation, l’observation
quotidienne des faits, l’étude du vécu. Grace à la technique d’entretien par exemple, nous avons à l’issue de notre
enquête sur la pauvreté à Kisangani, trouvé qu’en 2009 sur 180 ménages, 85,5% vivaient avec un revenu moyen
par jour et par personne de 0,782 USD, 58,9% n’accèdent pas à l’électricité.
En terme de stratégie de lutte contre ce phénomène, la majorité des habitants recourt aux activités du
secteur maraicher, le petit élevage, la pisciculture, les petits métiers tels que la briqueterie, la menuiserie, le
transport par moto, ou vélo taxi, la prostitution, la vente des archives publiques ou privées, etc. De nos jours, il
faut ajouter la bureautique, la vente des cartes prépayées pour la communication, la vente des habits et chaussures
usés aux villages (communément appelés « Bwaka nzoto ». Ce qui veut dire littéralement (jeter son corps), la
prolifération des églises et écoles primaires et secondaires privées comme micro-entreprise, le lavage des motos
et véhicules dont les acteurs sont organisés en association.14
Pour des raisons impératives relatives à notre objet d’étude, nous avons forgé une nouvelle approche,
appelée «Approche syndromatico-sociologique » en vue de renforcer la compréhension du phénomène de culture
de pauvreté à Kisangani par rapport aux exigences et particularités de ce terrain. Cette dernière n’est rien d’autre
qu’une transposition du raisonnement ou encore de l’approche symptomatique utilisée par les médecins pédiatres
dans le traitement des enfants. Ceux-ci étant incapables de se prononcer sur ce qu’ils ressentent (complexité du
comportement), les médecins se limitent à les examiner à partir des signes extérieurs afin d’établir un diagnostic
provisoire qui sera confirmé ou infirmé par les examens de laboratoire, voire complété par le témoignage des
parents.
Par analogie, nous nous sommes inspiré de ces médecins pour construire cet outil de collecte des données.
La ville de Kisangani, étant socialement malade suite à une pauvreté extrême de masse, et de longue date, se trouve
en difficulté de rendre disponible, il y a bien des décennies, des données statistiques avec précision sur les salaires,
les chômeurs, les ménages, les enfants de la rue et les enfants mal nourris, les vieux, les taux de scolarité, de
natalité et de mortalité, sur le revenu moyen des citoyens, etc. D’où la difficulté de produire une connaissance