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Les espaces de la dynamique industrielle -
état des lieux et problématiques
Le «territoire» de l’industrie
Une importante caractéristique historique des activités indus-
trielles, encore largement présente dans les esprits, est son
ancrage matériel incarné par de grandes installations spéci-
fi ques: halls d’assemblage, chevalements des mines, hauts-
fourneaux, réseaux de tuyaux enchevêtrés des raffi neries
surmontés de torchères lumineuses, etc. Cette fi gure de l’usine
traduisait une localisation géographique à la fois massive (forte
concentration de main-d’œuvre, fl ux de produits entrants et
sortants par camions, trains ou voie fl uviale), dominant tout
l’espace environnant (installations visibles de loin, bruits régu-
liers, émissions variées de fumées) et s’étalant sur de longues
périodes (dépassant souvent le siècle). Cette caractéristique
continue aujourd’hui de structurer largement les représenta-
tions intuitives de l’industrie, alors même que ses formes, ses
lieux, ses manifestations sont devenues plus variées et diffuses.
Mais son poids toujours dominant explique aussi le caractère
profondément perturbateur et menaçant du phénomène de
délocalisation, qui consiste en un déplacement géographique
d’activités productives vers des pays plus avantageux en
termes de coût du travail, de fi scalité, de contraintes environ-
nementales, et s’inscrit en opposition complète à l’ancrage
géographique en apparence durable des sites industriels.
Entre la vision d’un enracinement garanti et immuable d’une
activité industrielle et celle de l’indépendance complète de la
géographie que suggèrent les délocalisations, il semble impor-
tant d’affi rmer la notion propre de territoire industriel. Celui-
ci ne se réduit pas à l’environnement proche du site, autour
d’un « bassin industriel », cet espace hautement hiérarchisé
drainant les ressources humaines, les entreprises sous-trai-
tantes, les fl ux matériels et économiques vers un grand site
industriel principal. Les installations productives sont intégrées
dans des chaînes de valeur se déployant à l’échelle du pays,
du continent, voire du monde. Et la main-d’œuvre intérimaire,
dont le poids n’a cessé de croître avant la crise pour assu-
rer la fl exibilité des grands sites jusqu’à atteindre 10 % des
effectifs industriels, provient souvent de régions distantes de
plusieurs centaines de kilomètres. Débordant les limites clas-
siques du bassin, le territoire de l’industrie n’a cependant
pas de périmètre géographique unique et clairement établi.
Il ne peut a priori être assimilé ni aux découpages adminis-
tratifs en vigueur (communauté urbaine, département, région),
ni aux segmentations économiques classiques (zone d’em-
ploi, marché, secteur). D’étendue variable selon les activités,
pouvant aller d’une zone urbaine dédiée à une voire plusieurs
régions, on l’appréhendera comme l’espace des relations de
nature multiple (commerciales, fi nancières, informationnelles,
techniques) entre différents acteurs (entreprises, institutions,
associations, structures de formation, individus consom-
mateurs/salariés/citoyens) à des fi ns d’activité économique
productive (matérielle comme immatérielle).
L’industrie et ses différentes dimensions
La relecture des exercices de prospective menés par la Datar
depuis une trentaine d’années souligne combien la probléma-
tique industrielle, d’une part, n’est considérée que de façon
irrégulière et épisodique, et d’autre part, qu’elle porte princi-
palement sur les enjeux de restructuration et de réindustria-
lisation autour des activités manufacturières.
En 2010, il importe de tenir compte des profondes trans-
formations structurelles du paysage industriel intervenues au
cours des dernières décennies et de partir d’une approche
élargie de l’industrie, qui ne se limite pas à son périmètre
statistique sectoriel tel que défi ni par la nomenclature d’activi-
tés de l’Insee (même élargi aux branches de l’agroalimentaire
et de l’énergie). Cela exige de proposer des critères opéra-
tionnels et économiques permettant d’identifi er les activités
industrielles. Trois notions nous semblent fondamentales: la
standardisation (d’un produit comme d’un service), qui offre la
possibilité de production en série et des économies d’échelle
associées, l’innovation, impérative pour éviter la concurrence
frontale en prix et développer de nouveaux débouchés de
croissance, l’investissement de long terme enfi n, dans des
infrastructures physiques comme dans des éléments intan-
gibles (R&D, brevets, marques). Dans cette approche, on
comprend, qu’au-delà des domaines historiques de l’indus-
trie (secteurs manufacturier, énergétique, et plus récemment
agroalimentaire), il convient de s’intéresser dans un très grand
nombre de secteurs à une frontière mouvante entre fabri-
cations artisanales et industrielles. Un secteur n’est ainsi, ni