catholicisme libèral et catholicisme social

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CATHOLICISME LIBÈRAL ET CATHOLICISME SOCIAL
Article écrit par René RÈMOND
I. Prise de vue
II. Catholicisme libéral
• Catholicisme et libéralisme, dogmatisme et irréligion
• La liberté, fille du christianisme
• Le pari des catholiques libéraux
III. Catholicisme social
• Un double refus
Refus du libéralisme
Refus du socialisme
• De l’initiative spontanée…
à la doctrine de l’Église
• Les institutions
1. Prise de vue
Catholicisme
libéral, catholicisme social, démocratie chrétienne : trois courants
de pensée qu’il serait déraisonnable de traiter comme s’ils n’avaient
entretenu
aucune sorte de relation réciproque. Assurément, ce qui les différencie est souvent essentiel entre catholiques libéraux et démocrates chrétiens, il y a toute la distance
qui sépare au XIXe siècle le libéralisme de la démocratie, et, d’autre part, le catholicisme social réprouve le libéralisme qu’il tient pour responsable des maux qui
affligent la société.
Plusieurs traits apparentent néanmoins ces écoles et autorisent à les considérer, dans une certaine mesure, comme autant de manifestations d’une même tentative
pour assurer la présence active du christianisme dans la société contemporaine. C’est, en premier lieu, la référence explicite et délibérée au catholicisme. La fidélité
avouée à l’Église est au principe de ces trois écoles. Catholiques libéraux, catholiques sociaux, démocrates chrétiens acceptent dans son intégralité le dogme défini par
l’Église : ils reçoivent son enseignement, sans restrictions ni aménagements. Limitant leur ambition au domaine des applications à la société, ils se défendent de vouloir
prendre position dans l’ordre de la foi. Cette précision prévient l’équivoque que l’analogie des appellations risque de provoquer entre catholicisme libéral et
protestantisme libéral : ce dernier exprime une tendance à interpréter les dogmes à la lumière du rationalisme moderne, et va parfois jusqu’à remettre en question la foi
même en la divinité du Christ. Rien de tel dans le catholicisme libéral. Cependant, l’adhésion à la cause de la liberté ou la sympathie pour la démocratie colorent
inévitablement l’appartenance à l’Église et affectent le jugement sur son organisation interne. Les catholiques libéraux s’accommoderont plus difficilement que les
intransigeants de l’autorité souveraine du pape, surtout si celle-ci s’exerce pour condamner l’usage des libertés ; des démocrates chrétiens seront tentés de souhaiter
que la coercition cède le pas à la discussion dans l’Église. De la constitution interne et de la discipline, leurs préférences gagneront-elles le contenu dogmatique de la
foi ? C’est la thèse des adversaires : acharnés à les perdre, ils s’évertueront à prouver qu’un catholique libéral ou social ne peut être un bon catholique puisqu’il éprouve
le besoin d’ajouter une nuance propre à l’enseignement commun. C’est par réaction contre ces appellations distinctives que les catholiques attachés à une tradition
immuable se sont baptisés « intégraux » : procès de tendance contre lequel s’élève la fidélité indéfectible à l’Église de tant d’adeptes de ces trois familles.
Elles sont si loin de se détacher de l’Église que c’est le souci de défendre ses libertés, de préserver son influence ou d’accroître son rôle qui inspire toutes leurs
entreprises. La deuxième caractéristique qui les rapproche, en les singularisant par rapport à l’ensemble de leurs coreligionnaires, est en effet la conviction partagée
que le catholicisme n’est pas une affaire privée : il implique des conséquences pour l’ordre social. Elles se refusent donc à entériner une séparation radicale entre
l’ordre social et la religion. Les chrétiens doivent emprunter à l’Évangile les normes et les lumières de leur pensée et de leur action. Les différences entre ces trois
courants naissent au-delà de ce point commun : leurs analyses de la société divergent et ils n’accordent pas leur sympathie aux mêmes valeurs.
Leur nature mixte constitue le troisième trait de parenté de ces mouvements. Ils intéressent à la fois la réflexion théorique et l’activité pratique. Ce sont des écoles
de pensée : elles sont contraintes de se définir tant par rapport à l’Église que par rapport aux autres courants : l’effort doctrinal pour légitimer leur existence même et
dessiner les linéaments de l’ordre idéal est un aspect essentiel de leur histoire. Mais parce que leur raison d’être est aussi d’insérer le christianisme dans l’organisation
de la société, ces familles d’esprit — les deux dernières surtout — se manifestent par une efflorescence d’initiatives et d’institutions de toute sorte, associations, partis,
syndicats.
On mentionnera encore, au titre des analogies, la courbe générale qui figure leur position à l’intérieur du catholicisme. Ce furent longtemps des minorités contestées,
désavouées par l’autorité, suspectes à l’ensemble. L’acceptation de la liberté, l’affirmation d’une morale sociale, le ralliement à la démocratie parurent, en leur temps,
autant de provocations : elles isolèrent longtemps leurs adeptes et tracèrent dans l’Église des lignes de clivage décisives. L’évidence des faits, le caractère
manifestement irréversible de certaines évolutions, le progrès de la réflexion, la diffusion des idées de ces minorités, l’intervention du magistère, l’apaisement des
passions eurent pour résultat le renversement des tendances. D’une certaine façon, il n’est pas excessif de dire que les positions de ces écoles sont devenues dans la
seconde moitié du XXe siècle celles de l’Église tout entière. Les enseignements de Vatican II présentent, dans un contexte différent, une incontestable parenté avec telle
ou telle des thèses défendues jadis par ces trois écoles de pensée.
Les unes et les autres ont eu enfin une dimension internationale. Si elles ont pu trouver un milieu d’élection dans tel ou tel pays, aucune ne s’est enfermée dans un
cadre strictement national ; l’universalité de l’Église catholique l’interdisait : partout où elle était présente, il était naturel que certains de ses fidèles fussent tentés par
ces orientations ; d’autre part, l’analogie des problèmes posés à l’Église par une évolution parallèle à travers l’Europe et le monde des sociétés politiques, provoquée
par la Révolution française, le progrès de la liberté et de la démocratie, l’industrialisation et l’apparition du socialisme, appelait l’analogie des réponses. Catholiques
libéraux ou catholiques sociaux de plusieurs pays devaient
sentir le besoin de se concerter et de confronter le fruit de leurs
réflexions comme les résultats de leurs
initiatives.
1. Catholicisme
libéral
De ces trois courants, le catholicisme libéral est le plus ancien encore qu’on ait pu discerner du catholicisme social des origines qui remontent aux années 1820-1830,
contemporaines par conséquent des débuts de l’école catholique libérale. C’est aussi que la société a institué la liberté bien avant d’instaurer la démocratie politique et
que la révolution politique a précédé la révolution sociale née de la révolution industrielle.
Catholicisme et libéralisme, dogmatisme et irréligion
En Europe
occidentale, le libéralisme tend alors à s’imposer comme la philosophie
dominante : les institutions politiques, l’économie, les relations
sociales s’en
inspirent. Il imprègne les codes et les mentalités. Le libéralisme catholique est une variante de ce grand courant dominateur. À essayer de jeter un trait d’union entre
catholicisme et libéralisme, il rencontre de grandes difficultés : la philosophie libérale est en effet liée au rationalisme moderne et semble inséparable de la critique de
tout enseignement dogmatique. L’effort des catholiques libéraux implique un pari sur la nature du mouvement : ils ne pensent pas que son association avec
l’anticléricalisme ou même l’irréligion soit indissoluble ; elle est, à leurs yeux, le fruit contingent des circonstances et ils ne désespèrent pas de la rompre en rendant la
liberté à ses véritables origines, qui sont chrétiennes.
Des considérations diverses les inspirent. Ce peut être une vue simplement réaliste : la société moderne est fondée sur l’affirmation de la liberté. À refuser de la
reconnaître, l’Église s’exclut du monde, alors qu’elle peut trouver des avantages à un ordre qui repose sur la liberté de tous : elle n’a rien à perdre au droit commun et
tout à gagner
à échapper à la tutelle régalienne de l’État. A-t-elle eu à
se louer de la protection intéressée du pouvoir monarchique ? Tel est
le point de vue que
Lamennais, dont le nom s’inscrit aux origines du catholicisme libéral comme au principe de plusieurs des courants modernes du catholicisme, exprime en 1829 dans
l’ouvrage qu’il intitule Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église. La bataille contre le monopole universitaire, les luttes pour la liberté de
l’enseignement, les disputes autour du droit d’association et sur le statut des congrégations fournissent autant d’arguments aux thèses libérales et actualisent leur
programme. Certains bornent leurs aspirations à réclamer pour l’Église le droit de se gouverner elle-même ; d’autres vont jusqu’à appeler de leurs vœux une séparation
radicale entre société religieuse et société civile. Le mot d’ordre « l’Église libre dans l’État libre » associe dans son ambiguïté libéraux et catholiques libéraux : c’est à la
fois la formule énoncée par Cavour pour régler la question romaine (1860) et le mot d’ordre proposé par Montalembert au congrès de Malines (1863). Mais dans tous
les pays où le catholicisme, se confondant avec le passé national, était la religion d’État et où l’Église jouissait d’un statut privilégié, comme en Autriche ou en Espagne,
les vues des catholiques libéraux heurtaient trop profondément les habitudes de pensée et la sensibilité pour pouvoir atteindre autre chose que de faibles minorités,
convaincues par avance de la bienfaisance de la liberté et de sa grandeur.
Il en allait tout autrement dans les pays où les catholiques ne formaient qu’une minorité perdue dans une masse : ils avaient tout à redouter de l’application stricte du
principe de l’unité de foi. La liberté possède pour eux un mérite essentiel, qu’elle soit à conserver ou à conquérir : elle est la condition de leur existence. Dans certains
de ces pays, la liberté religieuse existait de longue date et ne leur avait jamais été contestée : c’était le cas aux États-Unis. Les prêtres français qui ont émigré pendant
la Révolution y ont découvert le bienfait de la séparation et en ont rapporté une sympathie durable pour la liberté religieuse. Ailleurs, les catholiques ont dû s’unir,
combattre, parfois s’allier à d’autres, pour obtenir la liberté. En 1828, les catholiques belges s’associent à leurs compatriotes libéraux contre la domination des
Hollandais protestants ; la révolution de 1830 et l’indépendance belge seront le fruit de cette alliance. 1829 : l’action du grand tribun irlandais O’Connel arrache
l’émancipation des catholiques d’Angleterre. 1837 : l’« incident de Cologne » marque le point de départ d’une évolution qui fera du catholicisme allemand une force
politique de premier plan. Dans tous ces pays, les catholiques ont découvert expérimentalement les avantages de la liberté pour tous ; rattachement à la liberté et la
défense des libertés catholiques se confondaient dans une même cause, où les catholiques intransigeants et ceux qui étaient convaincus de la supériorité intrinsèque
de la liberté pouvaient mêler sans problèmes leurs efforts.
La liberté, fille du christianisme
Il existe en effet une famille de catholiques qui croient à la liberté pour elle-même : ce sont eux les catholiques libéraux authentiques. À leurs yeux, la liberté se
justifie pour elle-même, indépendamment des avantages qui peuvent en résulter pour l’Église. Elle est au reste fille du christianisme : c’est l’Évangile qui en a inculqué
la notion aux hommes, c’est l’Église qui, au cours des siècles, en a enseigné les principes. C’est un faux dilemme que celui qui les contraindrait à choisir entre la fidélité
à leur foi et leur attachement à la liberté. Un Montalembert, un Lacordaire, pour s’en tenir à des exemples français, ne mettent pas, à servir la liberté, moins de ferveur
ou de conviction que les libéraux non catholiques, tels un Benjamin Constant ou un La Fayette. Ils constituent, à l’intérieur de la grande famille libérale, une branche
originale qui se propose, selon la devise du journal de Lamennais, L’Avenir
(1830-1831), de réconcilier « Dieu et la liberté ». Ils sont favorables à la reconnaissance
de toutes les libertés qui symbolisent l’accomplissement de la liberté : libertés de conscience et d’expression, institutions représentatives, contrôle du pouvoir par les
assemblées délibérantes. Leur défiance de l’État les rapproche des autres libéraux. Elle n’est pas étrangère à leur indifférence à l’égard de la question sociale qui
commence à tourmenter les catholiques sociaux : ils ne partagent pas nécessairement les thèses économiques du libéralisme, mais redoutent que l’intervention de l’État
dans les rapports sociaux ait pour contrepartie le renforcement de l’autorité aux dépens, une fois de plus, de la liberté des individus.
Dans les pays traditionnellement catholiques, cette famille de catholiques libéraux a toujours été au XIXe siècle une minorité ; son importance a en partie dépendu de
ses antécédents intellectuels et religieux. Elle n’existe guère qu’en Italie et en France. Une certaine forme de religion austère, raisonnante, telle que le jansénisme
l’avait un temps exprimée, semble bien lui avoir préparé le terrain. À première vue, la filiation a de quoi surprendre : comment une théologie qui se caractérisait
essentiellement par l’affirmation de la toute-puissance divine, la gratuité absolue de l’intervention de la grâce et la misère impuissante de l’homme a-t-elle pu frayer la
voie à une philosophie qui met l’accent sur la grandeur de la liberté ? La réponse tient en partie dans les avatars du jansénisme qui, au XVIII e siècle, s’est lié étroitement
au gallicanisme et à toutes les formes parentes de résistance à l’ultramontanisme, ainsi qu’à une volonté de réforme intérieure dans le sens d’une interprétation
rationnelle. Au Piémont, en Lombardie, on peut suivre le cheminement qui conduit d’un clergé janséniste et gagné aux thèses gallicanes et richéristes du XVIIIe siècle au
catholicisme libéral et patriote qui est, avant 1848, une composante du Risorgimento et qu’illustrent les noms de Pellico, de Manzoni, de Rosmini. L’Italie est un cas où
les circonstances politiques ont renforcé l’attraction du courant libéral : l’amour de la patrie opprimée par l’Autriche de Metternich fortifie le courant néo-guelfe qui rêve
de voir l’Église prendre la tête du renouveau national et le pape unir dans sa personne la religion et la liberté. À ce grand rêve, le début du pontificat de Pie IX (1846) a
apporté un commencement d’accomplissement, vite compromis par les événements de 1848. De même en France, la famille d’esprits qui se caractérise à partir de la fin
de la Restauration, par son attachement aux valeurs de liberté et sa volonté de les concilier avec l’Église, trouve des prédispositions dans une certaine tradition
intellectuelle qui affirmait les droits de l’intelligence et répugnait autant aux excès de l’autorité dans le gouvernement de l’Église qu’aux égarements d’une piété trop
sensible. De Royer-Collard à Imbart de La Tour, une lignée d’universitaires ne juge pas que la foi doive s’établir sur la défaite de la raison. Ce libéralisme est souvent
associé aux vestiges du gallicanisme et aux survivances d’un type de catholicisme antérieur à la Révolution. D’où sa faible audience dans le jeune clergé dont la ferveur
va à un catholicisme ultramontain dévot et militant, lié à l’intransigeance dogmatique et au culte de l’autorité. Les catholiques libéraux se défendent de vouloir
infléchir la vie interne de l’Église, ils n’en sont pas moins en désaccord avec les orientations qui y prédominent. Leur sympathie va naturellement à plus de liberté dans
l’Église : or les progrès de l’ultramontanisme ne font qu’y renforcer l’autorité et la centralisation. La plupart d’entre eux ont désapprouvé la tendance qui dispose de la
majorité au concile du Vatican. En retour, ils apparaissent suspects et font l’objet de mises en garde : leurs positions, avouées ou supposées, motivent des condamnations
doctrinales. L’encyclique Mirari vos (1832), l’encyclique Quanta cura (1864) et le catalogue des erreurs contemporaines qui l’accompagne, connu sous le nom de
Syllabus, les définitions conciliaires de 1870 anéantissent les efforts des catholiques libéraux, dispersent leurs groupes, désavouent leurs entreprises et condamnent les
postulats mêmes
de leur action. Contrairement à leurs espérances, le magistère romain
et l’épiscopat semblent s’acharner à affirmer l’incompatibilité
de la foi
catholique et de la liberté.
Le pari des catholiques libéraux
À vrai dire, c’était plutôt la contradiction du dogme tel qu’il était conçu avec le libéralisme tel qu’il se formulait alors. C’était en effet une gageure en 1830, et encore
en 1870, de prétendre unir catholicisme et libéralisme. Le libéralisme paraissait trop lié à l’anticléricalisme : le postulat suivant lequel la religion n’était qu’une affaire
privée dont la société n’avait pas à connaître était difficilement acceptable pour un catholicisme convaincu que la religion devait inspirer tous les actes publics, et que
l’Église était la garante du droit naturel et de la morale publique. La politique anticléricale de tous les gouvernements libéraux, le programme menaçant pour les droits
acquis de l’Église proposé par les partis libéraux, la réalisation de l’unité italienne au détriment de la souveraineté pontificale par un gouvernement dont l’inspiration
était autant libérale que nationale rendaient illusoire toute tentative de conciliation. L’évolution interne du catholicisme ne suscitait pas de moindres obstacles : le
mouvement théologique tend alors à affirmer les droits de la vérité sans contrepartie. En face d’elle, l’erreur ne saurait en avoir. Or n’est-ce pas la logique du
libéralisme que d’affirmer le droit pour toute opinion sincère de s’exprimer et de tenter de faire des adeptes ? Entre ces deux systèmes, la position des catholiques
libéraux est difficile et précaire : leur foi les rend suspects aux yeux des libéraux, et leurs adversaires intransigeants ont beau jeu à les présenter comme des
catholiques inconséquents dont la foi est douteuse ; ils reculent devant les conséquences logiques d’une conviction sincère et entière. Leur argumentation même prête
le flanc à la critique doctrinale quand elle se fonde sur la distinction, énoncée par Mgr Dupanloup à propos de l’interprétation du Syllabus, entre la thèse et l’hypothèse.
C’est accorder à l’intransigeance qu’elle a raison sur le terrain des principes : seule la considération du possible contraindrait à suspendre, ou à différer, l’application
de la thèse. Elle ne rassure pas les libéraux qui se souviennent du passé.
Isolé, le catholicisme libéral s’amenuise. D’autres familles s’affirment qui l’éclipsent. Sa trace se perd presque complètement et il semble disparaître sans postérité.
Et pourtant la suite a donné raison à cette minorité suspectée et dénoncée. Un siècle plus tard, ses positions sont devenues celles du catholicisme tout entier. La
déclaration adoptée par le deuxième concile du Vatican sur la liberté religieuse (1965) consacre la recherche et les efforts des catholiques libéraux du XIX e siècle.
L’Église y reconnaît la valeur éminente de la liberté : elle renonce pour elle-même à un régime de privilège ; elle s’accommode du droit commun et ne demande que la
liberté de s’administrer elle-même et de prêcher l’Évangile. Du premier concile du Vatican au deuxième et du Syllabus à cette déclaration, le renversement est
complet. C’est aussi que, dans l’intervalle, la perspective d’ensemble s’est profondément modifiée. D’une part, le libéralisme s’est éloigné de ses sources anticléricales :
il a admis la liberté religieuse et ses prolongements au même titre que les autres libertés. D’autre part, la pratique a généralisé les conclusions que les catholiques
libéraux avaient au XIXe siècle tirées de quelques expériences positives aux États-Unis ou en Belgique. Surtout, l’approfondissement de la réflexion théologique, une
perception plus aigue et plus juste de la mission de l’Église ont révélé que la foi était inséparable de la liberté de la conscience. Aussi n’est-ce plus par une concession à
la nécessité des circonstances — l’hypothèse —, mais bien par une conformité fondamentale à une exigence intrinsèque de la vérité que la liberté est acceptée par le
catholicisme. Jean-Paul II souligne la convergence entre la conception chrétienne de l’homme et la défense des droits de l’homme. Ces deux causes qui ont longtemps
pu paraître adverses se sont aujourd’hui réconciliées.
Ainsi l’histoire du catholicisme libéral est-elle celle d’une poignée de précurseurs dont l’intuition, longtemps combattue comme prématurée, a obtenu la consécration
de l’universalité. C’est aussi l’extension d’une expérience d’abord limitée à des situations d’exception et devenue avec le temps la règle de nos sociétés.
1. Catholicisme
social
L’expression « catholicisme social » est relativement récente : elle n’a été reçue couramment en France que dans la dernière décennie du XIXe siècle. La réalité est
notablement plus ancienne : l’un de ses historiens, J. B. Duroselle, en fait remonter la première apparition en France à un article de Lamennais sur la démoralisation
ouvrière, paru en 1822 dans Le Drapeau blanc. Le retard du vocabulaire sur la réflexion et les tâtonnements entre plusieurs appellations, « économie chrétienne (ou
charitable) », « socialisme chrétien », illustrent les incertitudes d’une école qui a hésité avant de prendre conscience d’elle-même, ainsi que les résistances qu’elle a dû
vaincre avant d’imposer ses convictions et ses vues à l’ensemble des catholiques.
Si l’on enjambe la longue période des préparations pour aller d’emblée aux conclusions et si l’on fait — provisoirement — abstraction des nuances de pensée pour
dégager les composantes fondamentales de l’attitude des catholiques sociaux, on retiendra quelques orientations maîtresses.
Le catholicisme social se définit d’abord, logiquement et chronologiquement, par référence à ce qu’on appelle, au XIXe siècle, la question sociale, c’est-à-dire les
conséquences sociales de la révolution industrielle, le paupérisme, l’existence d’un prolétariat ouvrier misérable et livré sans défense aux rigueurs de la loi de l’offre et
de la demande. Cette condition préalable implique elle-même un commencement d’industrialisation ; elle requiert que des catholiques aient su reconnaître la nouveauté
du phénomène. La corrélation entre l’essor de l’industrie et l’apparition d’une école catholique sociale rend compte de la localisation territoriale de celle-ci : sa
géographie est circonscrite aux pays déjà touchés par le progrès technologique. Elle explique aussi, d’une certaine façon, la lenteur à prendre conscience de la
nouveauté et de l’ampleur du phénomène. Le catholicisme social est d’abord un sursaut de la conscience morale provoqué par la révélation de la misère ouvrière. Cette
relation avec le monde de l’industrie n’a pas empêché les catholiques sociaux de s’intéresser aussi à la condition paysanne ; leurs efforts se sont largement orientés vers
l’organisation de l’agriculture, le syndicalisme agricole ; certains d’entre eux ont même pensé trouver la solution de la question ouvrière dans le retour à la terre.
Un double refus
Refus du libéralisme
Après la reconnaissance de l’existence d’une question sociale vient la volonté d’y remédier. Le catholicisme social ne prend pas son parti de la situation : il ne la croit
pas irrémédiable ; la misère de la condition ouvrière n’est pas une fatalité. Il ne la justifie pas non plus, comme une transition nécessaire, par les résultats ultérieurs. Il
ne souscrit pas à la thèse libérale qui y voit la conséquence normale du libre jeu des mécanismes économiques. Il refuse d’incliner les exigences de la moralité, les droits
de la personne devant les nécessités de l’économie ou les impératifs du rendement. Il est donc revendication de la conscience morale, protestation volontariste au nom
de la liberté de l’homme de façonner son destin. Le catholicisme
social — ce trait est particulièrement accusé à ses origines —
se présente doublement comme
l’adversaire du libéralisme ; non seulement il en récuse les thèses et les maximes, mais il lui impute la responsabilité des maux qui affligent la condition ouvrière : la
libre concurrence érigée en règle, l’intérêt particulier élevé à la hauteur d’un principe, le culte du progrès ont engendré cette société inhumaine. Le catholicisme social
prend le contre-pied de l’individualisme qui inspire la pensée, l’économie et la société libérales. C’est au reste l’un des sens de l’épithète qui le qualifie que d’opposer
la préoccupation altruiste du groupe à l’égoïsme de l’individualisme libéral.
Refus du socialisme
Le refus de se résigner au désordre social et le procès du libéralisme ont engendré diverses orientations. À la même époque, le socialisme aussi procède de ces
mêmes refus. L’opposition aux écoles socialistes n’a pas moins contribué à constituer le catholicisme social que sa critique du libéralisme. Il ne pouvait évidemment que
rejeter le marxisme du fait de son postulat matérialiste, de son acceptation de la lutte de classes et de l’utilisation délibérée de la violence pour substituer à l’ordre
capitaliste une société présumée plus juste. Mais il ne s’oppose guère moins aux autres écoles socialistes, même celles qui se défendaient d’être matérialistes. Il refuse
de souscrire au procès qu’elles intentent au droit de propriété. À quelques exceptions près et qui relèveraient davantage du socialisme chrétien que du catholicisme
social — encore qu’au départ pareille distinction ne soit pas aisée à établir —, les catholiques sociaux sont profondément attachés à la défense de la propriété
individuelle
: ils y voient le prolongement matériel de la personne et cherchent
la solution de plusieurs des problèmes de la société moderne dans
sa diffusion
généralisée et une transmission facilitée.
Devant la gravité et l’urgence de la question sociale qu’atteste au XIXe siècle l’universalité du péril révolutionnaire — le spectacle de la Commune a été décisif pour la
naissance de la vocation sociale d’un Albert de Mun et d’un La Tour du Pin —, les catholiques ont le devoir d’intervenir. Leur religion leur en fait une obligation de
conscience : « sociaux parce que catholiques », selon le mot d’ordre proposé à l’Association catholique de la jeunesse française par l’un de ses premiers présidents, Henri
Bazire. Ce faisant, le catholicisme social répudie à la fois la thèse libérale, qui réduit le fait religieux à la vie privée, et l’orientation théologique, qui déduit de
l’attachement exclusif au seul nécessaire une attitude d’indifférence à l’égard du monde et de ses problèmes. L’action des chrétiens doit prendre une forme nouvelle. La
charité traditionnelle est impuissante à résoudre la question que pose l’industrialisation : elle peut atténuer des souffrances, éveiller des dévouements, mais non
atteindre le mal à sa racine même.
Si les catholiques puisent dans leur foi le ressort de leur action, elle leur apporte aussi la réponse aux questions. L’Église détient en effet le secret d’un ordre social
juste et harmonieux. Le principe des solutions réside dans l’Évangile bien compris, interprété par le magistère et appliqué à la société. La conviction que le catholicisme
possède la clé de l’organisation de la société, que l’Église a compétence pour définir l’ordre idéal, qu’elle est qualifiée pour enseigner aux hommes les moyens de le
réaliser, est une des composantes du catholicisme social. Aussi va-t-il s’employer concurremment à élaborer une doctrine sociale inspirée des maximes de l’Évangile, à
obtenir du magistère sa reconnaissance et à en amorcer l’application.
L’histoire du catholicisme social, à partir de ces éléments de base, se développe effectivement, pendant un siècle et demi, sur plusieurs lignes parallèles : recherche
intellectuelle des principes et des modalités ; lutte d’influence à l’intérieur de l’Église ; efflorescence d’initiatives pour la réalisation de l’ordre rêvé ; action dans la
société politique.
De l’initiative spontanée…
L’accord sur ces quelques intuitions fondamentales laissait un large champ à l’initiative. À partir de la dénonciation, ambiguë, de l’injustice existante et du procès de
la société libérale, on pouvait aussi bien déduire le retour à un ordre antérieur que s’orienter vers la recherche d’un ordre nouveau. L’histoire du catholicisme social est
en partie celle de l’alternance entre ces deux attirances contradictoires et de la rivalité de ces influences antagonistes. Bien que le catholicisme social se soit
généralement défendu de prendre position sur le terrain politique espérant même unir sur le terrain de l’action sociale les catholiques divisés par leurs préférences
politiques, il n’a pu complètement échapper à la nécessité de se situer politiquement dès qu’il fallut préconiser des réformes et envisager les modalités de leur
réalisation.
De la critique de l’individualisme libéral une première école a tiré la conséquence qu’il fallait abolir l’œuvre de la Révolution. Une législation présomptueuse avait
supprimé toutes les communautés où l’individu trouvait les conditions de son accomplissement ; elle avait, ce faisant, privé le faible des possibilités de se défendre
contre l’égoïsme du fort. Le devoir des catholiques sociaux était ainsi clairement tracé : faire la contre-révolution, reconstituer les institutions disparues, restaurer
l’ordre social traditionnel. Contre-révolution, restauration et tradition sont les maîtres mots de la branche conservatrice, réactionnaire même, du catholicisme
social. Elle dénonce l’utopie égalitaire de la démocratie. Toute société est naturellement différenciée : aucun ordre social ne peut subsister qui ne repose pas sur la
hiérarchie des groupes, la subordination des uns aux autres. Les classes inférieures ne peuvent trouver le bonheur que dans l’acceptation de leur position dépendante ;
réciproquement, leur situation éminente impose aux classes dirigeantes des devoirs à l’égard des inférieurs, ces obligations dont le libéralisme tend à les dispenser, en
particulier le devoir de patronage, c’est-à-dire de prendre à cœur la misère ouvrière et de travailler à la soulager. Cette école se consacre à défendre la famille
traditionnelle, met son espérance dans la restauration des corporations. Telle est l’inspiration des écrits de Le Play et La Tour du Pin, comme celle qui préside en
France à la fondation par Albert de Mun des Cercles catholiques d’ouvriers.
L’autre
école tire de l’examen de la même situation des conclusions opposées.
Au lieu de nourrir la nostalgie du passé, elle accepte le présent.
Plutôt que de
demander à l’Ancien Régime le remède aux maux du présent, elle attend de l’avenir la réponse aux interrogations de la société. Son analyse est dominée par la certitude
que les changements survenus depuis 1789, dont les uns procèdent directement de la révolution politique, dont les autres sont les effets d’une révolution technique et
économique, sont irréversibles. Toute tentative de restauration est donc vouée à l’échec : elle ne peut qu’approfondir le divorce entre la société et le christianisme. On
n’édifiera rien de durable que sur l’acceptation des réalités nouvelles : industrie, concentration urbaine, démocratie politique, libre association, organisation des
salariés dans des syndicats.
Entre ces deux courants, l’événement arbitre. L’école contre-révolutionnaire l’emporte au XIXe siècle à la faveur des événements qui affectent la vie de l’Église ou
bouleversent la société : orientation résolument intransigeante du pontificat de Pie IX après 1848, échec des espérances de révolution pacifique (1848, 1871). Suspecte
dans l’Église en raison de ses sympathies pour la démocratie, soupçonnée dans la société en raison de ses relations et de ses affinités, la tendance démocratique qui
s’affirmait dès la première moitié du
siècle en France a été réduite au silence pendant tout le second
Empire. Elle devra attendre le pontificat de Léon XIII pour
retrouver le droit de s’exprimer publiquement.
Ce schéma fondé sur la distinction de deux courants opposés l’un à l’autre dans une relation d’antagonisme irréductible — comme peuvent l’être politiquement droite
et gauche — exprime une vérité fondamentale. Mais il majore des divergences qui n’ont pas toutes été reconnues d’emblée. Surtout, il ne tient pas assez compte du fait
que les deux écoles s’inscrivent dans une même vision intégraliste qui tend à christianiser la société. De surcroît, le désaccord ne porte pas sur l’ensemble des positions
: outre leur critique de l’ordre libéral, les deux écoles ont en commun plusieurs points essentiels. On mentionnera ainsi, au titre des convergences, la notion du juste
salaire, la défiance à l’égard de la puissance publique, le souci de contenir son action dans des limites définies, l’intérêt porté à la famille (pour les uns, ce sera la
famille-institution ; pour les autres, la préoccupation de considérer le travailleur comme un père de famille), l’insistance à défendre et à promouvoir les corps
intermédiaires (profession, corporation ou syndicat, famille, collectivités territoriales). Ces divers articles du programme catholique social impliquent une même
philosophie sociale également éloignée de l’individualisme libéral et de l’étatisme, jacobin ou monarchique. La visée est toujours la même : préserver la liberté véritable
de la personne en favorisant l’éclosion et le développement des petites communautés proches d’elle. C’est ce que la doctrine sociale de l’Église appelle le principe de
subsidiarité : entre deux niveaux de responsabilité, deux étages d’institutions, la préférence doit toujours aller au plus proche de l’initiative personnelle.
…à la doctrine de l’Église
L’angoisse de la question sociale et la conviction que l’Église avait son mot à dire restèrent longtemps le fait d’individualités, laïques pour la plupart, penseurs ou
militants. Faute de discerner la nouveauté des problèmes ou d’en mesurer la portée, les autorités religieuses gardèrent le silence : on ne trouve longtemps d’allusions à
la misère ouvrière que dans un petit nombre de mandements épiscopaux. Un Von Ketteler, futur archevêque de Mayence, est un précurseur isolé. L’Église enseignante a
commencé de s’intéresser à l’effort des catholiques sociaux avec le pontificat de Léon XIII (1878-1903). Le pape encourage les recherches, bénit les rencontres qui à
Fribourg (Suisse) réunissent à partir de 1885, sous les auspices de l’Union internationale catholique d’études sociales, les pionniers du mouvement : Vogelsang
(Autriche), Decurtins (Suisse), Albert de Mun, La Tour du Pin, Léon Harmel (France). C’est de ces rencontres et de ces travaux qu’est sorti le premier document social :
l’encyclique Rerum novarum (15 mai 1891). Sa promulgation marque une date capitale dans l’histoire du catholicisme social. L’Église reprend ainsi l’intuition première
des précurseurs : les catholiques ont des responsabilités sociales, l’Église peut aider la société à édifier un ordre plus juste, l’économie ne doit pas être laissée au libre
affrontement des forces sociales, le libéralisme et le socialisme sont des erreurs. Le catholicisme social cesse dès lors de constituer une tendance parmi d’autres dans
l’Église : il tend à devenir l’enseignement même de l’Église.
Cette conjonction entre l’initiative spontanée et l’autorité romaine, si elle marque l’aboutissement de soixante années d’efforts, ne met fin ni aux controverses, ni aux
recherches. De larges secteurs de
l’opinion catholique, et jusqu’à une fraction de l’épiscopat,
D’autre part, l’encyclique de Léon XIII n’a pas levé toutes
demeureront longtemps réfractaires à l’enseignement social de Rome.
les incertitudes : syndicats mixtes ou séparés, syndicalisme ou
corporatisme
? Elle n’éteint pas
complètement la querelle entre l’école qui s’oppose à toute intervention de l’État et celle qui juge impossible de refuser son concours pour l’amélioration de la condition
ouvrière. Surtout le progrès de l’analyse, le développement de la réflexion et l’évolution des données objectives appelleront de nouvelles mises au point. D’autres
documents pontificaux jalonneront l’enrichissement du corps de doctrine et mettront à jour l’application des principes permanents : Quadragesimo anno (1931) pour le
40e
anniversaire
de l’encyclique initiatrice, Mater et magistra (1961), Pacem
in terris (1963), Populorum progressio (1967), auxquels il
convient d’adjoindre la
constitution conciliaire Gaudium et spes (1965) et l’encyclique de Jean-Paul II sur le travail Laborem exercens (1981).
La succession rapprochée des textes manifeste un intérêt croissant; les titres illustrent l’élargissement du champ d’application de l’enseignement social de l’Église.
Pour les premières générations de catholiques sociaux, la préoccupation majeure, presque exclusive, était la question sociale entendue dans son acception stricte, c’està-dire la condition ouvrière. Depuis lors, la réflexion s’est, par degrés, étendue à d’autres aspects de la vie en société : les relations internationales et l’organisation de
la paix, la décolonisation et les nouvelles relations entre colonies d’hier et anciennes métropoles, l’aide aux pays en voie de développement et le Tiers Monde. Les points
d’application se sont multipliés et diversifiés, mais postulat et inspiration demeurent les mêmes : les chrétiens ne peuvent se désintéresser des problèmes posés par
l’organisation de la société, ils puisent dans leur foi le ressort de leur action et dans la lumière de l’Évangile les principes d’un ordre plus juste. Quand Paul VI déclare : «
Le développement est le nouveau nom de la paix », il actualise l’enseignement de ses prédécesseurs.
Quand il se présente devant l’O.N.U. comme « expert en humanité », que fait-il d’autre que prendre à son compte, dans une perspective agrandie aux dimensions de la
société internationale, l’espérance qui a soutenu des générations de catholiques sociaux ? L’encyclique de Jean-Paul II sur le travail humain jette un trait d’union entre le
règlement harmonieux des tensions sociales internes et le développement en soulignant la solidarité de ces deux lignes d’action.
Les institutions
Le catholicisme social a, dès ses débuts, associé intimement la réflexion théorique sur les conditions de l’ordre idéal et les efforts pratiques pour soulager les
misères les plus criantes. Il était conforme à sa philosophie sociale que son action s’institutionnalisât dans des mouvements, des œuvres destinés à survivre à leurs
fondateurs. Une notice sur le catholicisme social pourrait se présenter sous les espèces d’un inventaire d’organismes. Les uns trouvent leur finalité principale dans la
recherche (telle l’Union de Fribourg), d’autres dans l’enseignement et la diffusion de la doctrine (ainsi les publications de l’Action populaire, fondée en France par la
Compagnie de Jésus) ; d’autres encore associent les deux tâches (par exemple les Semaines sociales, fondées en France en 1904, imitées ensuite en de nombreux pays
étrangers). D’autres institutions se proposent pour tâche d’observer la situation, d’agir sur la société (Secrétariats sociaux).
Son inspiration autant que les affinités personnelles rattachent au catholicisme social le syndicalisme chrétien, agricole, patronal, ouvrier. Évoquer le mouvement
ouvrier chrétien, c’est prendre la mesure de l’efficacité du mouvement catholique social. Pour prendre une vue objective de son influence, il faudrait aussi mentionner la
part prise par ses élus au vote d’une législation sociale : allocations familiales, assurances sociales, mutualité, protection du travail, garanties de tous ordres données
aux travailleurs. Tant par sa participation aux initiatives qui transformèrent légalement la condition ouvrière et substituèrent à une économie libérale un ordre bien
différent que par l’influence diffuse de sa pensée, le catholicisme social déborde les limites de l’Église et son étude fait partie intégrante de l’histoire générale des
doctrines et des sociétés.
René RÈMOND
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