Revue Centrafricaine d'Anthropologie
2|SORCELLERIEETJUSTICEENRÉPUBLIQUECENTREAFRICAINERECAA>
Acteducolloquedel'UniversitédeBangui,1eret2août2008.
http://recaa.mmsh.univaix.fr/numeros/2/Pages/26.aspx
TABOAndré,KETTEC.Grégoire
La position du psychiatre par rapport au problème de la
sorcellerie en République Centrafricaine
Mots-clés :
Psychiatrie
Sorcellerie
Afrique; République centrafricaine
INTRODUCTION
Auxtoutdébutsdelapsychiatrie,onaassistéàuncroisementdedonnéesanthropologiqueset
psychopathologiques,quiaconstituéunquestionnementessentiel.
Cependant,lespsychopathologistesn’ontutilisélesfaitsanthropologiquesquepourconfirmer
certaineshypothèsesthéoriques.Ilsn’ontjamaisprisausérieuxlesentreprisesculturellesde
réparationdesdésordrespsychiques.
MarcelMAUSS,dès1902aattirél’attentionsurlefaitquelamagieétaitunetechniqueetnonune
religion.Ilareconnularéalitédesactionsrituelles,seposantlaquestiondesavoir«l’effetphysique
chezl’individudel’idéedemortsuggéréeparlacollectivité».En1937,EVANSPRITCHARDpubliesa
célèbremonographiesurlesZANDEduSoudanilamontrélepremiercommentdesprocessus
désignéscommethérapeutiquesétaientintimementintriquésàlalangue,àlavisiondumondeetà
l’organisationdelasociété.L’anthropologieetlacliniquepouvaientainsirestituerdesmodalités
traditionnellesdisqualifiéesparl’Occident.Plusieursautresanthropologuessesontconsacrésà
l’analysedétailléedesdispositifsspécifiquespouvantêtrethérapeutiques.Lesnombreusesannées
depratiquepsychiatriquenousontpermisdedécouvrirlerôledescroyancesdanslasorcellerieet
danslagenèsedestroublespsychopathologiques.Laplupartdesmaladessedisaientensorceléset
cetteconvictionquenousaurionspuconsidérercommedéliranteétaitpartagéeparlesautres
membresdelafamille,duclan,voireduvillage.Notreformationuniversitairenousapaspréparésà
affrontercettedélicatesituationquinousasouventconduitsàcollaborer,toutaumoins
implicitement,parpatientinterposé,avecleguérisseur.Apartirdenotreexpériencecliniqueet
grâceauxapportsdel’anthropologiemédicale,nousnousproposonsdedémontrerquelasorcellerie
n’estqu’unfaitsocial,mêmesisesrapportsaveclapsychiatrieenRépubliqueCentrafricainesont
étroitsetsonimportanceenpsychopathologieestréelle.
LAPSYCHIATRIEETLASORCELLERIEAUQUOTIDIEN
Dansnotreexercicedelapsychiatrieauquotidien,ilestextrêmementfréquent(9cassur10)
d’écouterunrécitdesorcellerie.Eneffet,laplupartdenospatientsetleursfamillesnousracontent,
souventdanslesmoindresdétails,commentilsontétéattaquésparle(s)sorcier(s).Ceshistoires,
émouvantes,récitéesdanslebutdeconvaincre,ontdeuxpointscommunscentraux:lapersécution,
delajalousieetdel’envie.Lavictimeseditpersécutéeparle(s)sorcier(s)quienvie(nt)saposition
sociale.Lesméthodesutiliséesetlesrésultatsobtenusparle(s)sorcier(s)sontdifférentsd’une
histoireàl’autre.Encequiconcernelapsychiatrie,lestroublespsychocomportementauxobservés
chezcespatientssontattribuésauxattaquesdessorciers.Danslagrandemajoritédescas,le
discoursdumaladeetdesafamilleestplaquésurlesrévélationsdudevinquilesconfortedansleur«
déliredepersécution».Maislepsychiatren’apaslesméthodesdivinatoiresdutradipraticien.Sa
formationbiomédicaleneluiapasdonnélescompétencesnécessairespourunteldiagnostic.
Pourtant,ildoitavoirdesréponsesàdonneràcespersonnesensouffranceetquisontvenueslui
demanderdel’aide.C’estpourquoi,lepsychiatrealedevoirderesterneutre,d’écoutercesrécits
avecladistancenécessaireafindeproposeruneaideefficacedansl’empathiequeluiimposesa
pratique.Prendrepositionouêtreencoalitionaveclemaladeetsafamilleparrapportàlaréalitéou
pasdesfaitsévoquéspourraitconstituerunfreinàl’efficacitédecetteaide.
Commentexpliquerlapersistancedecescroyancesàl’heuredelamondialisation?Pourrépondreà
cettequestion,nousavonschoisidenousbasersurlesconnaissancesdel’anthropologiemédicale.
LESTHÉORIESDECAUSALITÉ
Zemplenietsoncollaborateurontécritquelediagnosticdelamaladiecomporteauplusquatre
opérationsetquestionscorrespondantes:
1)Dequelsymptômeoudequellemaladies’agitil?:C’estlareconnaissancedusymptômeoudela
maladieetdesanominationéventuelle.
2)Commentestellesurvenue?:C’estlaperceptionoulareprésentationdesacauseinstrumentale.
3)Quiouquoil’aproduite?C’estl’identificationdel’agentquienestresponsable.
4)Pourquoiestellesurvenueencemoment,souscetteformeetchezcetindividu?:c’estla
reconstitutiondesonorigine.
Lesmêmesauteursontajoutéquelesartsdeguérisondessociétéssansécrituretendentversles
conceptionsextériorisantesdelamaladieàlaquelleilsconfèrentunsenssocial.Lerapportdumalade
àsonmilieusocial,l’étatmêmedecemilieuetladispositiondesagentshumainsouextrahumains
quil’habitentysontessentiels.Cessociétésprivilégientl’agent(lequioulequoi)etl’origine(le
pourquoispécifique)etconsidèrentlesautrescommecontingents.PourBONNET,lescirconstances
quientourentl’originedelamaladie«parlent»davantageaudevinquelesymptôme.Car,enAfrique
noireengénéral,enCentrafriqueenparticulier,lapersonnen’estpasuneunitéindividuellemais
plutôtprisedansunensemblequeformentlegroupeetl’environnementdanslesquelsellesetrouve.
D’aprèsIbrahimSOW,lapersonneafricainen’estpasunsystèmecloss’opposantaumonde
extérieur.Iciplusqu’ailleurs,l’individualiténepeutseconcevoirqu’enétroitsrapportsavectoutce
quil’entoure.C’estunenvironnementpeuplédesignifiantsculturelsdansununiversluimême
complexe.
Lamaladiedumaladepeutdoncêtreunsymptômededésordresocial.D’évènementindividuel,elle
setransformeenévènementsocial.ZEMPLENIatoutdemêmeapportéunecertainenuanceàcette
transformationenécrivantqu’unemaladieàsoignern’estpasnécessairementlesigned’une
affectionsocialeàguérir.Elleledevientengénérallorsquesaduréeinaccoutumée,sabrusque
apparitionouaggravation,sonévolutionatypiqueetsurtoutsarépétitionchezlemêmeindividuou
danslamêmecommunautémobilisentl’angoissedesautresetfontsurgirlaquestion«d’oùvient
elle?».C’estàcemomentégalementquelaliaisonestimmédiatementétablieavecd’autres
évènementssurvenusdanslemêmegroupe.Unmalheurn’arrivejamaisseul.Ceuxquileprécèdent
etlesuiventsontpassésenrevueparleclan:lafaussecouchedelatante,sonéchecprofessionnelou
sentimental,lapertedelarécolte,sespenséesbizarres,l’incendiedesacase,sapaniquebrutale.
Touscesévènementspeuventserenvoyerlesunsauxautresetselirecommeautantd’effetsdela
mêmechaînecausale.S’ilspeuvents’enchaîner,c’estqu’ilssontinterprétablessurlemêmemodeet
aumoyendesmêmesréférentsétiologiquescommeparexemplelacolèredesmortsoulasorcellerie.
GeorgesDEVEREUXaévoquéuncertainnombredecausesdesmaladiescommeentreautreslesigne
qu’unedivinitéfamilialeouvillageoisechercheàcommuniquerquelquechoseaugroupe:un
avertissement,unrappelàl’ordreouuneinjonction.PourBELLIERetcollaborateurs,lamaladieestle
châtimentd’unindividuquis’estrenducoupabled’unetransgressiondel’ordresocialfixéparla
tradition.Elleestaussilerésultatd’unsortjetéparunsorcierdétenteurd’unpouvoirsurnaturelqu’il
utilisepournuire,soitpoursonproprecompte,soitdemanièrevénalepourlecompted’unennemi
oud’unjaloux.BONNETaécritquelasorcellerieestl’unedescatégoriescausalesdesmaladiesà
interprétationpersécutive.
Enrésumé,lamaladieestattribuableàunagentextérieuràlapersonne;cetagentestspirituel
(aspectsancestrauxoudeslieux)ouhumain:lesorcier.
Qu’estcequelamaladiementaledanslaculturecentrafricaine?
Lesreprésentationsculturellesdelamaladiementale
Lamaladiementaleneprésenteaucunedifférenceaveclamaladieorganiqueniaveclacatégorieplus
vastedumalheur.
Toutcequivientd’êtredits’appliqueàlamaladiementale.
SelonBENSMAIL,l’individuétantunmaillond’unvasteréseau(leMoicollectif),samaladiementale
vaêtredavantageperçuecommeunemenacededésorganisationdugroupequecommeune
affectionindividuelle.Lathérapietraditionnelleconsisteraavanttoutàressouderlacommunauté,à
resserrerlesliensaffectifsdesesmembres,àstimulerleursolidaritéetparréaménagerl’équilibre
duclan.Lesdifférentescausescitéesplushautseretrouventmaisdanslecasdelamaladiementale
plusqu’ailleurs,l’actionintentionnellementmalveillanted’autruiestévoquée.BENSMAILimputela
maladiementaleàunaccidentréductibleetcurableprovenantdel’extérieuretnoncommeun
processusmorbides’inscrivantdansledéveloppementgénétiquedupatient.Lemaladeestune
victime,nonresponsabledesamaladiequivaconcernertoutlegroupe.Pournousrésumer,les
représentationsculturellesdelamaladiementaledanslaculturecentrafricainesontdonccomprises
dansunsystèmedepenséeglobale.Ellesrépondentàunelogiquequiasabasedanslefondement
cultureldumilieutraditionnelcentrafricain.Ilestadmisquelescaslesplusnombreuxdemaladies
mentalessontattribuésàlasorcellerie.
Commentl’individucentrafricaindéveloppetilunemaladiementaleparl’actionmaléfiqued’un
agentdésignédutermedesorcier?
LEPROCESSUSMORBIDE
Maîtredelanuit,lesorcierestreprésentécommunémentcommeunchasseurnocturne.Ilchasse
pendantquelesautresdorment.Iltuesa(ses)victime(s)pourendévorerlesorganesvitauxen
compagnied’autressorciersdontlesassociationssontrégiespardesrèglesd’échanges:dons,prêts,
dettes[ROSNY(de)E.].S’ilneréussitpasàtirersavictime,illarendmalade.Leprocessusquiaboutit
àlamaladiementalepeutêtrerésumédelafaçonsuivante:
Unévènementintervient,quiaffaiblitoumenacelapositiondel’individudanslegroupe.Cet
évènementpeutavoirunesignificationsocialeoureligieuse:contestation,querelle,perted’un
parentoud’unmembredugroupe,pertedel’appuid’unprocheoudelacollectivité,transgression
d’uninterdit,nonrespectdesrèglesdelacoutume…Lesmécanismesdecompensationpropresàla
culturesontdéclenchés:rituels,offrandes,actesdecharité,sacrificesd’animaux.Cesmécanismes,
pourdesraisonsdiverses,nesontpasefficacesets’avèrentincapablesderéhabiliterl’individu,delui
restituersaplacedanslegroupe.Lamaladievaseconstituer,d’abordsousformedetension
psychologique,demalaisediffus.Plusoumoinsrapidement,ellevas’organiserentroubles
psychopathologiquesvariésdontl’évolutionetlagravitédépendrontdesattitudesdugroupesocial.
Eneffet,larecherchedesolutionàlaquestion«d’oùvientlamaladie?»amènelesfamillesdes
maladesàconsulterlesdevins,etlesmarabouts…Pourcemaladeetsafamille,lasolutionradicale
auxtroublesprésentésparlemaladesetrouvecachéedanslemêmeenvironnementsocialquelui.
Quiconquen’estpasimprégnéounepartagepaslesréalitésdumilieutraditionnelestconsidéré
commeincapablededécouvrircettesolution.Ilnepeutdoncprétendresatisfairepleinementle
maladeetsafamilleparlathérapeutiquequ’ilpropose.Seulslamédecinetraditionnelleetses
praticienspeuventapporterdesréponsesacceptablesàlaquestion«d’oùvientlamaladie?»La
consultationoul’hospitalisationenmilieumédicalconstituepourcertainesfamilles,unesolution
temporairequin’adevaleurqu’àunmomentprécis:parexemplelasurvenued’unephaseféconde
d’unemaladiementalequiévoluedepuisplusieursannées.Pendantquelafamilles’acharneàtrouver
unesolutionenmilieutraditionnel,cette«crise»obligeàconduirelemaladeenpsychiatrieles
"piqûres"sontjugéesagirplusvite.Dèsquecettephasefécondes’amende,lemaladeestramené
danssonmilieulestraitementsparallèlessepoursuivent.Faitsocial,lephénomènedela
sorcellerieestuneréalitéenRépubliqueCentrafricaine,commedanslaplupartdessociétés
africaines.
LESFONCTIONSDELASORCELLERIE
Lasorcellerien’estpasquemaléfiquecar,malgrésesapparencesantisociales,elleconstitueà
l’évidencel’undesliensessentielsdelasociétéafricaine[COLLOMB].Decefaitsafonctionestdouble
:
- Thérapeutique
Leconceptdelasorcellerie,profondémentcohérent,donnelieuàdesprocéduressociales
parfaitementcodifiées.Ilesttrèsdifficileàquiconquen’apasréellementvécul’intérieurdusystème
d’imaginerlecaractèrederéalitéquientourelesénoncésconcernantlephénomène.Aujourd’hui
encore,enpleincœurdeBangui,lacapitalecentrafricaine,ondépenseuneénergieconsidérableà
identifierlessorciers,àentreprendredesrituelsd’aveuxetàorganiserdescérémoniesde
récupérationdessorciersetdesvictimes.Lasorcelleriejouitd’unemassesocialeénorme,carelleest
leprincipalsystèmequiorganiselespenséesétiologiques,lesrituelsthérapeutiquesetlesgroupesde
professionnelsappeléslesngangas.Dispositifthérapeutiquequalifiédecomplet,àlafois
psychologiqueetchimiothérapeutique,ilestaussiéminemmentsocial.
‐Maislafonctionprimordialedelasorcelleriedansnotrepaysestdejouerunrôlederégulateurdes
relationssociales.Ledésenvoûtementparl’intermédiaired’undevinoud’unchasseurdesorcier
permetdelibérersonagressivitétoutenseprotégeantd’unretourdusort.Lasorcellerieest
représentéecommeunelutteàmort(mortdelavictimeoumortdesonpersécuteur).Ellese
manifesteauseinmêmed’ungroupe"souffrant"qui,parlebiaisdesescroyances,vaessayerdese
restructurerendésignantunboucémissaire:lesorcier.Cetempsestcapitalpourlasurviedugroupe
dontlacohésionestpréservée.L’ensembleestainsireconstituél’individu,songroupe
d’appartenanceetlerestedelaterrequilesfaitvivresontintimementliés.
CONCLUSION
LaréalitéetmêmelapérennisationànotresiècledesphénomènesdesorcellerieenRépublique
Centrafricainenefaitaucundoutedansl’imaginairecollectifdesCentrafricains.
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