TOPIC Novembre 2003 « L’usine du monde » : attention à la persistance rétinienne La croissance chinoise à l’abri de la crise du SARS Du côté de Pékin, tout se passe comme si la crise du SARS n’avait jamais existé ! La croissance de l’économie chinoise en 2003 a toutes les chances de dépasser confortablement la performance déjà remarquable de 2002 (+8%). Les exportations ont augmenté de 32,5% sur les huit premiers mois de l’année. Les investissements directs étrangers devraient dépasser les 60 milliards de dollars. La production manufacturière (des entreprises nationales et étrangères) a augmenté de 16,9% en juin par rapport à la même période en 2002, après les hausses successives de 13,7% et 14,9% en mai et en avril, même en pleine paranoïa du SARS. Qui plus est – c’est un scoop – ces chiffre sont fiables ! On sait en effet, depuis les travaux américains (Keidel et autres…) approfondis menés ces derniers mois, que l’évolution technologique des systèmes statistiques chinois donne désormais des résultats macro-économiques crédibles : la croissance réelle de 2002 aurait ainsi plutôt été de 8,3% que les 8% officiels (chiffre à la fois économique et politique). Le tournant vers une production à plus forte valeur ajoutée… La Chine, que l’on décrit volontiers comme « l’usine du monde » est en passe de faire évoluer sa production vers des biens plus intensifs en capital. Les IDE à destination du pays devraient donc continuer sur leur lancée. La Chine n’est plus uniquement le pays qui produit 60% des jouets ou 50% des appareils photos de la planète, industries de bas salaires par excellence, délocalisées par les pays « chers ». On assiste à un double mouvement particulièrement significatif. D’abord, l’évolution vers la valeur ajoutée, le haut de gamme, les technologies sophistiquées peut contribuer à ranger dans quelques années notre vision d’une « Chine-camelote » au magasin des accessoires. Les multinationales étrangères s’y trompent de moins en moins. Elles trouvent sur place une main d’œuvre qualifiée (voire très qualifiée), qui parle de mieux en mieux l’anglais et dont le coût est sept à huit fois inférieur à celui des pays occidentaux. C’est bien pour cette raison qu’Alcatel a décidé d’implanter l’an passé un centre de R&D à Shanghai. Depuis, 1 500 ingénieurs chinois ont été embauchés. De son côté, Airbus fabrique là-bas certains éléments d’aile de son A320. Ce mouvement a été largement initié par les groupes japonais et sud-coréens qui ont commencé à délocaliser leur R&D avant l’entrée de la Chine à l’OMC. Matsushita a ainsi ouvert … initiée par les multinationales,… …. L’Etat chinois,… … et les nouveaux besoins des consommateurs chinois Un besoin croissant en matières premières… un centre de R&D à Beijing dès 2001 tandis que Sony en implantait un à Shanghai pour développer des produits, non seulement pour le marché chinois, mais aussi pour l’ensemble du groupe.Quant aux Taiwanais, ils délocalisent depuis un certain temps leur production à forte valeur ajoutée : c’est ainsi que Suzhou est devenu le premier centre mondial de production d’ordinateurs portables ! Le second mouvement concerne l’émergence de multinationales « sui generis » à partir d’initiatives, de capitaux et de talents locaux (voir topic d’octobre 2002 sur Haier, Huawei, Legend, TCL…). Dans une stratégie nationale non écrite, le gouvernement chinois, dans sa volonté de créer des champions nationaux susceptibles de concurrencer les multinationales étrangères, apporte son soutien aux groupes leaders dans les secteurs des télécoms, de l’électro-ménager ou dans la distribution. Le récent rapprochement de TCL et Thomson souligne à quel point la Chine est capable de jouer dans la cour des grands. Une telle alliance n’est pas un cas unique, loin de là. Le Japon et la Corée du Sud ont vu, depuis déjà deux ans, plusieurs de leurs grands groupes constituer avec un partenaire chinois des joint-ventures considérées comme des alliances d’égal à égal. C’est le cas, par exemple, du fabricant japonais de produits électroniques Sanyo avec Haier en janvier 2002. Et, dans un sondage effectué par la Fédération des Industries Coréennes (FKI) en novembre 2002, auprès de 80 conglomérats, 33% prévoyaient de contracter des alliances stratégiques avec des partenaires chinois. Le consommateur citadin, qui profite de revenus annuels en constante augmentation, est de plus en plus attiré par des produits hitech. Rappelons que le PIB par tête atteignait en 2002 plus de 22 500 renminbi (2 372 €) à Beijing et près de 35 000 (3 689 €) à Shanghai. Le revenu moyen des ménages urbains a augmenté de 11% par an depuis 1999. Les citadins disposent donc de plus d’argent et leurs goûts changent. En outre, ils hésitent de moins en moins à payer à crédit. Les prêts à la consommation, quasi inexistants voilà cinq ans, représentent désormais 8% du total des prêts souscrits par les Chinois. On assiste à une véritable frénésie de la consommation. En témoignent la hausse du montant du panier moyen de l’acheteur chez Carrefour depuis quelques années ou l’explosion des ventes automobiles aux particuliers qui devraient dépasser, en 2003, les 1.3 million de véhicules. Ceci ne va d’ailleurs pas sans poser de nouvelles contraintes : 300 000 voitures nouvelles dans les rues de Pékin cette année ne contribuent pas peu à de splendides embouteillages. Le rythme effréné de la production chinoise génère quelques inconvénients. « L’usine du monde » est en effet devenue très gourmande en matières premières et commence à générer des tensions sur les marchés internationaux. La Chine importera, cette année, 150 millions de tonnes de minerai de fer soit plus que le Japon. Les secteurs de l’automobile et de la construction sont les principaux importateurs de ce métal. Quant au cuivre, la Chine a … pour satisfaire l’appétit des industries exportatrices… … et les ambitions du gouvernement… … qui s’accompagne aussi d’un boom des importations en biens d’équipement La hausse des importations : un bon moyen de limiter la surévaluation du yuan atteint un tel niveau de pénurie qu’elle se voit contrainte d’importer des centimes de francs français pour les faire fondre! De même, les importations de pétrole ont explosé et devraient avoisiner les 80 millions de tonnes cette année contre 70 en 2002. L’augmentation du nombre de véhicules en circulation n’y est pas étrangère ainsi que les besoins en électricité. D’ailleurs, dans ce secteur comme dans d’autres, les pénuries sont très largement liées aux besoins gigantesques des industries d’exportations principalement localisées dans les provinces côtières. La demande en électricité augmente ainsi trois fois plus vite que ce que le gouvernement avait prévu. Alors qu’il envisageait un taux de croissance annuel de 5% dans son plan 2001 – 2005, ce taux était proche, début 2003, des 15% par rapport à la même période en 2002 ! Et dans le Guangdong, la demande a augmenté de 27% sur les quatre premiers mois de l’année. Pour la première fois en 2003, la croissance des importations sera donc supérieure à celle des exportations. Sur les huit premiers mois de l’année, les importations étaient en hausse de 40,6% et les exportations de 32,5% réduisant l’excédent commercial chinois à 8,86 milliards de dollars (soit une baisse de 50.4% par rapport à la même période en 2002). Entre janvier et juillet, les importations d’acier, de pétrole brut et de minerai de fer ont connu une hausse respective de 54,8%, 29,8% et 38,5% par rapport à la même période en 2002.Cette tendance ne semble pas prête de s’inverser. Car la Chine a besoin de ces importations de matières premières pour maintenir un niveau de croissance élevé et atteindre l’objectif que se sont fixés Hu Jintao et Wen Jiabao : quadrupler la taille de l’économie d’ici 2020. C’est le même pari qu’avait annoncé Deng Xiaoping pour la période 1985 – 2000 : pari tenu en seulement quatorze ans ! La volonté des autorités chinoises d’améliorer la qualité du tissu industriel, et donc des biens produits localement, conduit aussi le pays à importer en masse, depuis un an ou deux, des biens d’équipements et des biens électroniques. Sur les huit premiers mois de l’année, la hausse des importations de circuits intégrés et de composants micro-électroniques a atteint 35,5% par rapport à la même période en 2002. Quant à la croissance des importations de téléphones mobiles ou de radiotéléphones destinés à être intégrés aux voitures produites localement, elle avoisine les 107% sur la même période. Le gouvernement chinois sait donc parfaitement ce qu’il fait en laissant ainsi se réduire son excédent commercial. Le ministre du Commerce, Lu Fuyuan, se dit lui-même confiant au regard des énormes réserves de devises que possède la Chine puisque ces dernières devraient dépasser 330 milliards de dollars fin 2003. En outre, l’augmentation des importations permettra sans aucun doute, de réduire un peu la pression que fait peser la communauté internationale sur le yuan depuis quelques mois, laquelle laisse d’ailleurs la Chine impavide pour une bonne raison, qui est le secret (de Polichinelle) le mieux gardé de Chine : le déficit abyssal américain est désormais financé par la Chine à hauteur de 350 milliards de dollars ! Tableau de bord de l’économie chinoise 2002 2003 2004 PIB 1242 1356 1494 PIB / tête 963 1040 1135 TAUX DE CROISSANCE 8.0 8.2 7.6 INFLATION - 0.8 0.9 2.6 DETTE EXTERIEURE /PIB 14.5 14 13.3 EXPORTATIONS 324 402 450 IMPORTATIONS 295 380 441 COMPTE COURANT / PIB 2.9 1.0 0 RESERVES EN DEVISES 291 330 374 Source : BMI, EIU Units : PIB (mds $), PIB/tête (USD), Taux de croissance du PIB réel (%), Inflation (%), Dette extérieure (% du PIB), Exportations (mds $), Compte courant / PIB (%), Réserves en devises (mds $) Les importations de matières premières en pleine croissance (en volume) Produits Acier Minerai de fer Pétrole brut janvier-juillet (10 000 tonnes) 2 210 8 476 5 064 janvier-juillet (%) 54,8 38,5 29,8 Source : General Administration of Customs, People’s Republic of China La montée en gamme des exportations (en valeur (mds $)) Produits Haute technologie Biens électriques mécaniques Vêtements Ameublement Source : EIU janvier-juillet janvier-juillet (mds $) (%) 53.0 55,6 et 115,4 41,4 26,6 4,0 26,5 30,9 L.B/J.G www.hec.fr/eurasia