INTRODUCTION
« Et Hans Castorp vit ce qu’il avait dû s’attendre à voir, mais ce qui, en
somme, n’est pas fait pour être vu par l’homme, et ce qu’il n’avait jamais pensé qu’il
fût appelé à voir ; il regarda dans sa propre tombe. Cette future besogne de la
décomposition, il la vit, préfigurée par la force de la lumière, la chair dans laquelle
il vivait, décomposée, anéantie, dissoute en un brouillard inexistant, et, au milieu
de cela, le squelette, fignolé avec soin, de sa main droite, autour de l’annulaire
duquel son anneau, qui lui venait de son grand-père, flottait, noir et lâche : un objet
dur de cette terre, avec quoi l’homme pare son corps qui est destiné à disparaître,
de sorte que, redevenu libre, il aille vers une autre chair qui pourra le porter un
nouveau laps de temps. […] Il apercevait un membre familier de son corps : avec
des yeux pénétrants de visionnaire, et pour la première fois de sa vie, il comprit
qu’il mourrait. »1
C’est ainsi que le protagoniste de La montagne magique de Thomas Mann
fait l’expérience de l’imagerie médicale (par rayons X). A l’expérience de son corps-
propre vient se superposer une image de soi qui a un statut phénoménologique et
ontologique indéfini. Quel est le statut de cette image ? Quel type de connaissance
délivre-t-elle, selon quelles modalités et à quelles conditions ? Cette image se
donne tout d’abord comme une représentation, celle d’une intériorité organique,
corporelle ; dans ce passage de l’invisible au visible, il y aurait ainsi la possibilité,
pour le sujet, d’une saisie cognitive de ce qu’il est, tout du moins sur un plan
anatomique et physiologique. Par l’image médicale se constituerait une
connaissance de soi sans doute partielle mais immédiate - non médiatisée par un
dispositif de modélisation, de schématisation, tel celui de la planche anatomique ;
c’est bien son propre corps qui se donnerait à voir dans l’instantanéité de son
apparition radiologique. Cette définition (apparemment) scientifique et médicale
de ce type d’image est néanmoins oublieuse de l’expérience phénoménologique
qu’elle induit : ce corps affiché est perçu sur le mode de l’étrangeté, en clivage avec
1 Thomas Mann, La montagne magique, Editions Le Livre de poche, 2007, p.252
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