Processus géologiques et ressources énergétiques

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GÉOLOGIE
Processus géologiques et
ressources énergétiques
L’exploitation des ressources du sous-sol, issues d’un long
processus de formation, doit être pensée dans une logique
de durabilité afin de préserver l’avenir de l’humanité.
> PAR GÉRARD BONHOURE, INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE
L’AVENIR DES ÉNERGIEStTDC N O 1076
16
L
a Terre est une planète du système solaire.
En tant que planète, elle recèle des sources
d’énergie interne. Elle s’est formée par
accrétion de planétoïdes, c’est-à-dire par
l’addition progressive d’éléments solides
de type météorites. Au fur et à mesure de la
croissance de la planète, à chaque impact,
l’énergie cinétique s’est convertie en chaleur, donnant une Terre d’abord liquide, qui s’est progressivement refroidie, solidifiée en surface, gardant
en profondeur une zone à très haute température
de l’ordre de 5 000 °C. Cette « chaleur initiale »
se dissipe encore aujourd’hui selon deux mécanismes : la conduction, lente diffusion de la chaleur à travers les enveloppes terrestres ; la convection, liée à des mouvements de matière du manteau
et ayant des manifestations en surface, dont les
plus visibles sont l’émission de laves volcaniques
et l’hydrothermalisme.
À cela s’ajoute la chaleur produite par la désintégration d’éléments radioactifs dont la croûte
continentale est riche (essentiellement potassium 40K, thorium et uranium utilisé dans l’industrie nucléaire). S’ajoutant à la conduction de chaleur initiale, cela explique l’élévation de température avec la profondeur et la possibilité d’utiliser
cette source d’énergie qualifiée de géothermique.
Mais cette augmentation progressive de la température, le gradient géothermique, n’est pas identique en tous les points du globe ; dans les zones
volcaniques ou bien dans des zones où la croûte
est plus mince (par exemple dans la plaine d’Alsace), l’exploitation de cette source d’énergie est
favorisée.
La taille de la planète en fait aussi la source
d’une importante énergie gravitationnelle, utilisée
par exemple en récupérant l’énergie des rivières
et des fleuves qui s’écoulent de leurs sources en
altitude vers le niveau zéro des océans.
L’énergie solaire
Par son appartenance au système solaire, la
Terre reçoit un apport extérieur d’énergie : l’énergie
solaire. Les radiations lumineuses agissent sur les
enveloppes périphériques − atmosphère, hydrosphère, lithosphère, biosphère −, où elles subissent
différentes conversions. Elles échauffent l’atmosphère, dont la température s’élève, phénomène
amplifié par l’effet de serre. Dans la gamme de
pression/température de la Terre, l’eau peut passer à l’état gazeux, s’évaporer, s’élever en altitude
(énergie potentielle) avant de se condenser et de
retomber en gouttes de pluie ou flocons de neige.
Combinés à la gravité, ces transferts sont à l’origine de la dynamique de l’atmosphère et de l’hydrosphère, dont les mouvements – l’énergie cinétique – constituent à leur tour des sources d’énergie. Ainsi, les différences de température sont
responsables des mouvements de convection de
l’air de l’atmosphère, à l’origine des vents et de
l’énergie éolienne. L’énergie potentielle de l’eau
a été gagnée car, en chauffant au soleil, elle a
changé d’état pour devenir vapeur, s’est élevée
dans l’atmosphère avant de se condenser sous
l’effet du refroidissement et de retomber sous forme
de pluie ou de neige, alimentant les cours d’eau.
Les végétaux verts, les algues, certains microorganismes peuvent au cours de la photosynthèse
convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique
grâce à leur aptitude à fabriquer de la matière carbonée organique. Le carbone ainsi réduit peut, en
se réoxydant, restituer une partie de cette énergie,
C’est de
la biomasse
fossile
qu’est tirée
l’énergie
Roches
sédimentaires
lacustres
– 120 Ma
Roches
salines
(évaporites)
Rifting
(rift continental)
Bassin continental
(eau douce)
Crétacé moyen
Roches
sédimentaires
marines
(milieu confiné)
Actuel
Roches
sédimentaires
marines détritiques
et biogéniques
de bassin subsident
Plateforme
Delta
Roches
sédimentaires
marines détritiques
Ouverture océanique
(rift océanique à l’axe de la dorsale)
(sans communication permanente
avec l’océan mondial)
Dorsale
600 km
Marge passive
limite lithosphèreasthénosphère
Asthénosphère
Rift
océanique
1 000 km
Isotherme 1 300 °C
Manteau lithosphérique
Manteau lithosphérique
200 km
Asthénosphère
❯
Origine de la
matière organique.
Zone d’accumulation
au crétacé inférieur
et migration ultérieure.
gisements et donc la répartition des ressources.
Les connaître permet d’orienter la prospection et
d’améliorer les chances de succès.
Rien ne se produit sans une première étape :
la fabrication de grandes quantités de matière organique. L’analyse de la composition du charbon,
les traces de fossiles, l’association avec d’autres
roches permettent de dire qu’il s’est formé à partir
de végétaux terrestres riches en cellulose et en
lignine en milieu continental. Le pétrole avec ses
huiles provient initialement d’algues planctoniques marines. Actuellement, les zones de forte
productivité marine se situent sur les marges
des continents, dont l’altération apporte par les
fleuves les éléments minéraux indispensables.
Deuxième étape, la « mise en conserve de l’énergie » ne peut se faire que si le carbone organique
n’est pas intégralement oxydé en CO 2 par la
respiration, condition réalisée dans des milieux
pauvres en dioxygène. Cela correspond de nos
jours à des océans étroits dans lesquels l’eau n’est
pas brassée, où l’on observe une accumulation
de matière organique non décomposée. Sur les
continents, les milieux humides (lagunes, bassins
de bordures de continent, lacs) à forte productivité présentent aussi de telles accumulations qui
pourraient annoncer un futur charbon.
Ce sont donc ces zones spécifiques que les géologues vont essayer de repérer dans l’histoire de
la Terre. Mais l’application de la connaissance du
passé à l’observation du présent n’est pas simple. ●●●
17
TDC N O 1076 tL’AVENIR DES ÉNERGIES
Le carbone fossile
De l’énergie solaire permettant la photosynthèse au pétrole ou au charbon que l’on extrait,
plusieurs étapes déterminent la localisation des
Tertiaire
– 50 Ma
Roches
sédimentaires
marines détritiques
calcaires et marneuses
Lagune (eau salée)
puis milieu marin fermé
chez les êtres vivants sous forme de travail, mais
aussi sous forme de chaleur. La matière organique
constitue aussi une source d’énergie. On en tire ce
que l’on appelle « l’énergie de la biomasse » ; elle
comprend par exemple la combustion du bois pour
se chauffer ou cuire des aliments, la fabrication
d’éthanol d’origine végétale ajouté aux carburants
classiques des voitures. Le biofuel tiré de certaines
algues contribuera peut-être aux biocarburants de
demain. Pour l’essentiel cependant, c’est de la biomasse fossile − charbon, pétrole et autres sources
d’énergie fossile − qu’est tirée l’énergie : la photosynthèse qui l’a formée date de quelques dizaines
ou centaines de millions d’années.
L’humanité puise dans toutes ces sources d’énergie. Certaines sont utilisées directement, comme
le vent ou le courant des rivières lorsqu’ils font tourner des moulins mécaniques destinés à broyer le
grain, ou bien en convertissant l’énergie de la combustion en énergie mécanique dans les moteurs à
explosion. Mais, le plus souvent, ces énergies ne
sont utilisables qu’après une ou plusieurs conversions pouvant mener, entre autres, à fabriquer un
vecteur énergétique privilégié, l’électricité destinée à être convertie à son tour… en lumière, chaleur, mouvement, etc.
Crétacé supérieur
– 80 Ma
– 100 Ma
© BERNARD SULLEROT
Crétacé inférieur
– 140 Ma
GÉOLOGIE
Il faut compter
avec les difficultés
d’accessibilité
●●●
L’AVENIR DES ÉNERGIEStTDC N O 1076
18
© BERNARD SULLEROT
Piège contre
dôme de sel
Piège contre faille
Faille
Anticlinal
Sel
Hydrocarbures
pris au piège.
❯
Statistiquement, les gisements déjà connus nous
indiquent que les conditions géologiques favorables, associant des bassins propices à la sédimentation à des zones climatiques favorisant une
forte productivité, n’ont été réunies qu’à certaines
périodes, par exemple au carbonifère ou au permien pour le charbon, ou bien au jurassique pour
le pétrole. C’est donc d’abord vers ces terrains datés
que l’on va se tourner.
Mais comment localiser, à des époques lointaines, un océan étroit situé sous des latitudes
propices, sachant que la tectonique des plaques
a profondément remanié la répartition des continents et des océans ? On se fonde sur des reconstitutions paléogéographiques pour prédire avec le
maximum de précision la localisation actuelle de
ces restes d’océans disparus et de leurs précieuses
bordures continentales. Leur répartition très particulière conditionne la possibilité pour un pays
d’appartenir ou non au club fermé des pays producteurs de pétrole.
Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il que le
charbon ou le pétrole se présentent sous une
forme exploitable avec les technologies actuelles.
On connaît des exemples d’affleurements sédimentaires, par exemple en Limagne ou dans les
Alpes, contenant en mélange des hydrocarbures,
mais sous une forme non exploitable. En effet,
les étapes suivant l’accumulation de la matière
première organique sont déterminantes dans la
formation du gisement.
Dans tous les cas, le sédiment initial a dû subir
un enfouissement, dans un bassin subsident, c’est-àdire subissant un enfoncement progressif, ce qui
est entre autres le cas des plateaux continentaux.
Ils reçoivent en permanence des sédiments qui
s’accumulent, provoquant une augmentation de
pression. Celle-ci déclenche des modifications
de la matière organique qui mènent à la formation du kérogène, forme initiale du pétrole, et de
petites molécules, sous forme gazeuse à la pression atmosphérique (phénomène de cracking).
Dans des contextes différents, des phénomènes
similaires (subsidence, augmentation de pression responsable de la houillification) se produisent
pour les roches mères à l’origine du charbon. Au
terme de ces phénomènes, la future source d’énergie est chimiquement prête…
Mais d’autres évolutions se produisent. Pour le
pétrole, la pression lui fait parfois quitter sa roche
mère et migrer, vers la surface, dans une roche
qualifiée de roche réservoir où il se glisse dans les
Piège par anticlinal
On prélève
dans un
stock fini
pores et les interstices. Si cette roche réservoir
est couverte d’une formation imperméable, dans
une géométrie favorable (un pli, un ensemble de
failles), le pétrole reste piégé en profondeur. S’il
est remonté à la surface et partiellement réoxydé,
il devient inutilisable.
Si toutes les conditions précédentes sont réunies, encore faut-il que les techniques appropriées
permettent une extraction économiquement
rentable. Les veines de charbon sont-elles assez
épaisses, définies, faciles à suivre pour que l’on
puisse y faire fonctionner une mine, pendant plusieurs années ? Le pétrole peut-il être chassé de
la roche mère puis récupéré, en quantité convenable, sachant qu’on peut en récupérer au maximum environ 30 % ? Et puis il faut compter avec
les difficultés d’accessibilité. Ainsi, l’exploitation
offshore du pétrole des plateaux continentaux
nécessite de travailler sous une tranche d’eau de
plusieurs milliers de mètres.
Outre la localisation des gisements, l’expertise des géologues permet, notamment grâce au
traitement informatique de données sismiques,
de constituer des images en trois dimensions des
gisements, améliorant ainsi l’évaluation du potentiel d’exploitation.
Énergie renouvelable ou non
renouvelable ? Quelles alternatives ?
Des matériaux organiques comme la tourbe
peuvent aujourd’hui servir directement de carburant, indépendamment de tout processus géologique. Des sédiments riches en matière organique se forment encore aujourd’hui, mais ils se
présentent sous une forme qui ne permet pas
d’en tirer immédiatement de l’énergie. Peut-être
donneront-ils du pétrole ou du charbon… dans
quelques millions d’années. Autant dire qu’à
l’échelle du temps de l’humanité, ces roches formées ne pourront pas compenser celles que l’on
utilise actuellement. On prélève donc dans un
stock obligatoirement fini, qui ne se reconstitue
pas au fur et à mesure.
Les unités énergétiques
Tableau réalisé d’après : www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/unites-de-l-energie
Type de travail
(contexte)
Unité de base
définition
Multiples
Équivalences
Ordres de grandeur
(les valeurs sont
largement arrondies)
Travail mécanique
Travail électrique
Chaleur
Référence du pétrole
Joule (J) : travail d’une
force de 1 newton dont
le point d’application se
déplace de 1 mètre dans
la direction de la force
Wh (wattheure) :
énergie fournie par le
travail d’un instrument
électrique de puissance
1 watt pendant
une heure
Calorie (cal) :
quantité de chaleur
nécessaire pour élever
la température de 1 g
d’eau de 14,5 à 15,5 °C
sous 1 bar de pression
atmosphérique
Tonne d’équivalent
pétrole (tep) : énergie
calorifique d’une tonne
de pétrole « moyen »
kJ kilojoule
Unité du système
international (SI)
1 Wh = 3 600 J
1 kWh : un fer à repasser
pendant une heure ou
un radiateur de « 1 000
watts » ou 10 ampoules
de 100 watts
Production annuelle
de la centrale de
Flamanville : 20 TWh
Une « grande éolienne »
pendant une heure :
4 500 kW
1 kcal = Cal
(« grande calorie »)
= 4,18 kJ
= 4 180 J
Encore utilisée par
tradition en diététique
1 cal = 4,18 J
Une journée
d’alimentation :
2 000 Cal
(kilocalories)
ktep ou 1 000 tep,
Mtep ou
1 million de tep
1 tep = 29,3 109 kJ
1 tep = 7,33 barils
de pétrole
(1 baril = environ 159 l)
Consommation
mondiale en énergie
primaire :
environ 10 Gtep
Production quotidienne :
20 000 barils soit
140 000 tep
Les unités de production d’électricité sont caractérisées par leur puissance nominale, c’est-à-dire la puissance maximale
qu’elles sont capables de délivrer.
En comparaison, même si l’énergie du Soleil
baisse, même s’il est prévu qu’il absorbe la Terre
dans quelque quatre milliards d’années, chaque
journée apporte sa quantité d’énergie solaire
avec ses conséquences indirectes sur les vents,
la pluie, l’écoulement des rivières… Si la réserve
d’eau d’un barrage électrique baisse, elle se
reconstitue selon un cycle annuel. Ces sources
d’énergie apparaissent comme inépuisables à
l’échelle du temps humain : elles sont qualifiées
de renouvelables.
Évaluer la part à donner aux unes ou aux autres
pour préserver l’avenir du fonctionnement de l’humanité, qui dépend aujourd’hui étroitement des
apports énergétiques, implique donc une analyse
à la fois des quantités d’énergie disponible et, pour
les énergies non renouvelables, de la durée pendant laquelle elles seront disponibles.
Plusieurs éléments interviennent : les réserves
(R), c’est-à-dire les quantités extractibles avec les
moyens technologiques, et non pas les quantités
absolues présentes (c’est-à-dire les ressources
potentielles) ; les quantités (Q) utilisées, le rapport
R/Q pouvant donner une première estimation du
nombre d’années devant mener à l’épuisement de
la réserve ; l’augmentation de la réserve liée à la
découverte de nouveaux gisements.
Le peak oil (pic pétrolier), une valeur souvent
utilisée pour communiquer sur cette disponibilité,
correspond au moment auquel, après être passée
par un sommet, l’exploitation de la ressource est
amenée inexorablement à diminuer. L’estimation
du peak oil est entachée de nombreuses incertitudes : difficulté d’anticiper sur les résultats à
venir de la prospection, estimation douteuse de la
réserve en relation en particulier avec l’imprévisibilité de l’évolution des techniques d’extraction,
erreur volontaire sur les informations fournies
par les pays producteurs pour des raisons politiques, etc. Pour certains, le peak oil est déjà passé,
pour d’autres, le pétrole a encore de beaux jours
devant lui.
Énergies non renouvelables mais en stock et
disponibles de façon continue d’un côté, énergies
renouvelables mais intermittentes de l’autre, avec
entre les deux l’électricité, vecteur que l’on sait
encore mal stocker : le problème est complexe. Et
pourtant, il faut bien décider dès aujourd’hui des
sources d’énergie que l’on choisira d’utiliser dans
l’avenir.
●
SAVOIR
● BAUDIN François,
TRIBOVILLARD
Nicolas, TRICHET
Jean. Géologie de la
matière organique.
Paris : Société
géologique de
France/Vuibert, 2007.
19
TDC N O 1076 tL’AVENIR DES ÉNERGIES
Flash d’appareil photo :
en dizaines de joules
Énergie cinétique d’une
voiture de1,5 tonne
roulant à 125 km/h :
en millions de joules
(106 J)
Utilisations domestiques
kWh : kilowattheure
Production
d’électricité : 1 MWh
(mégawattheure)
= 1 000 kW / 1 GWh
(gigawattheure)
= 1 million de kWh
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