POLITIQUE
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(rédacteur en chef), Hugues Le Paige
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Jérémie Detober
Mise en page ZINC
POLITIQUE est édie par l’asbl
POLITIQUE avec l’aide de la
Communauté fraaise de Belgique.
Ce numéro a été ali grâce au
soutien de la Directionrale de la
Coopération au développement.
Aujourd’hui, 20% des
humains s’approprient
86% des ressources
naturelles. Le mode
de production/
consommation des pays
industrialisés, nous le savons,
est de loin, le plus prédateur,
comme en attestent les mesures
de l’empreinte écologique
laissée par les diverses sociétés
humaines. Cependant la situation
évolue très rapidement. Certaines
économies du Sud ayant entamé
leur révolution industrielle
et/ou agricole il y a une ou
deux décennies à peine sont
aujourd’hui en plein essor.
Cependant, au plan global et
mondial, les disparités dans
la répartition des richesses
continuent à s’accroître
de manière, semble-t-il,
inéluctable...
À l’échelle mondiale, les
récentes crises (alimentaire,
financière, climatique) donnent
l’impression que le système
global s’est emballé dans une
spirale infernale de production
et de consommation, menant
à l’épuisement progressif des
ressources naturelles, avec des
conséquences à moyen et à long
terme sur l’avenir de la planète
et de sa population, par ailleurs
toujours croissante.
DÉVELOPPEMENT DURABLE :
UN CONCEPT DÉPASSÉ ?
Depuis le sommet de la
Terre de 1993, le concept de
« développement durable » s’est
progressivement imposé dans
le vocabulaire des organisations
de la société civile et dans celui
des organismes de solidarité
internationale et de coopération
en particulier. À l’époque où
la notion surgit, on définit le
développement durable comme
étant celui qui répond aux besoins
des générations du présent sans
compromettre la capacité des
générations futures à répondre
aux leurs.
Du local au global
QUELS MODÈLES
DE DEVELOPPEMENT
POUR LE MONDE
DE DEMAIN ?
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Si, jusqu’à un certain stade, ce
concept a pu apparaître comme
une réponse de différents acteurs
(États, monde économique,
société civile) pour reconsidérer
la croissance économique à
l’échelle mondiale afin de
prendre en compte les aspects
environnementaux et sociaux du
développement, il semble montrer
aujourd’hui ses limites. Il s’avère
en effet quelque peu obsolète et
inadapté face à l’évolution des
sociétés humaines et pour ceux
qui cherchent des réponses non
plus tournées vers les générations
futures mais bien vers celles
d’aujourd’hui. Il ne s’agit plus
d’anticiper les problèmes sociaux
et environnementaux mais de les
résoudre urgemment.
Que le concept de développement
durable soit dépassé ou non,
ses aspects essentiels, à savoir
les capacités de la planète
et les inégalités d’accès aux
ressources, posent des questions
philosophiques, éthiques,
politiques.
DES ALTERNATIVES AU MODÈLE
CAPITALISTE ?
« À la contre-utopie que représente
le néolibéralisme dominant
répondent néanmoins certaines
alternatives, comme celle de la
décroissance, qui fait son chemin
depuis quelques années. Et les
espoirs d’avancées s’incarnent, en
bas, dans des luttes quotidiennes
et novatrices : pour les droits des
travailleurs à travers le monde,
pour les logiciels libres, pour la
gestion publique de l’eau »1.
La formule « agir local/
penser global » utilisée pour
la première fois au sommet
sur l’environnement de 19722,
reprendrait-elle sens ?
De manière générale, c’est sous
l’impact de l’aggravation des
perturbations économiques,
sociales, écologiques et
climatiques, que de nouvelles
formes de solidarité, telle
l’économie solidaire, et de
nouveaux courants de pensée,
tel celui de la décroissance,
par exemple, se présentent
comme une critique radicale de
la société de consommation,
du développement et donc du
capitalisme.
ET LA COOPÉRATION AU
DÉVELOPPEMENT DANS TOUT ÇA ?
Depuis un demi-siècle et la
dernière vague des indépendances
asiatiques et africaines, la
coopération au développement
caractérise l’un des pans des
relations entre ex-pays colonisés
et anciennes puissances
coloniales. Teintées tour à tour
de paternalisme, de charité et
d’intérêts bien compris, les
politiques de coopération ont
systématiquement promu les
modèles de développement en
vogue dans les pays donateurs.
En Europe occidentale, les
coopérations officielles sont
ainsi passées d’une vision
modernisatrice portée par des
cohortes d’assistants techniques
auprès des jeunes États du
Tiers-monde, à une vision
néolibérale du tout au marché,
et d’intégration à marche forcée
des économies du Sud dans une
économie marchande mondialisée.
À charge d’une frange d’ONG de
porter d’autres conceptions de la
coopération et du développement,
orientées sur la solidarité plutôt
que sur l’aide, sur l’enjeu des
inégalités dans les rapports
sociaux plutôt que sur une
croissance économique dont on
constate qu’elle est confisquée
par quelques-uns.
Actuellement, le discours
dominant sur la Coopération, en
gros celui de l’Organisation de
coopération et de développement
économique (OCDE), s’interroge à
juste titre sur l’efficacité de l’aide
au développement. Seulement,
la remise en question s’arrête
aux méthodes de la coopération
sans toucher aux politiques.
Celles-ci restent soumises
aux recettes de l’idéologie
néolibérale : marchandisation des
services sociaux, privatisation,
démantèlement des services
publics, affaiblissement des
politiques publiques... En
conséquence de quoi, là où on
peut la constater, l’augmentation
dans la création de richesses va
de pair avec celle des inégalités
sociales, de la pauvreté et de
l’exclusion. Il est urgent de
réorienter la Coopération vers des
politiques de développement qui
garantissent une redistribution
équitable des ressources.
En tant qu’acteur de solidarité
internationale, SOLIDARITÉ
SOCIALISTE entend contribuer
au renforcement d’organisations
populaires (mouvement paysan,
mutuelles de santé, mouvements
sociaux urbains...) dont le point
commun est de poursuivre, à la
base, le changement social et
politique susceptible d’améliorer
les conditions d’existence des
populations les plus vulnérables.
L’objectif du présent dossier
est d’interroger divers modèles
de développement à la lumière
d’expériences menées au plan
local par ces acteurs de terrain.
Ces expériences innovantes
en matière de souveraineté
alimentaire et d’économie
solidaire ouvrent en effet des
pistes de réflexion et d’analyse
au plan global, non seulement
pour les mouvements sociaux
mais aussi pour toutes celles et
ceux qui s’interrogent sur les
perspectives d’un autre monde
possible. Nous vous proposons de
les découvrir au fil des pages de
cet ouvrage. !
JACQUES BASTIN
SOLIDARITÉ SOCIALISTE
1 « Espoirs d’en bas », Manière de voir, n°112,
août-septembre 2010, p. 5.
2 Par René Dubos.
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Si l’on entend par « dé-
veloppement » l’amé-
lioration des conditions
matérielles et sociales
de vie des humains sur
la Terre, force est de
constater que les politiques mises en
œuvre depuis soixante ans, par des
États nationaux aussi bien que par
des organisations internationales,
n’ont pas donné des résultats très
convaincants : dans l’ensemble, les
inégalités relatives entre les nations
les plus riches et les plus pauvres ont
grandi considérablement. S’y est-on
mal pris ? Pourquoi a-t-on obtenu
les résultats inverses de ceux que
l’on prétendait atteindre ? Et com-
ment faudrait-il s’y prendre à l’ave-
nir ? Examinons brièvement ces trois
questions.
S’Y EST-ON MAL PRIS ?
Depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, les États nationaux et les
organisations internationales ont
voulu résoudre le problème des iné-
galités de développement en appli-
quant dans les pays du Sud les mo-
dèles qui avaient fait leurs preuves
dans ceux du Nord. Quatre modèles
ont ainsi été mis en œuvre : celui
de la modernisation nationale (qui
avait bien réussi en Europe occiden-
tale et plus tard au Japon), celui de
la révolution communiste (qui sem-
blait alors réussir en Russie et en Eu-
rope centrale), celui de la compéti-
tion néolibérale (qui triomphait en
Europe occidentale et en Amérique
du Nord) et celui du socialisme dé-
mocratique (qui avait fait la pros-
périté des pays de l’Europe scandi-
nave). Chacun de ces modèles sui-
vait une des voies possibles de l’in-
dustrialisation : soit la voie capita-
liste, soit la voie socialiste ; en s’ap-
puyant soit sur l’État, soit sur un ac-
teur de la société civile. Toutes les
tentatives de développement qui ont
été menées dans les pays du Sud de-
puis soixante ans (et même depuis
un siècle) ont pris pour guide l’un
ou l’autre de ces quatre modèles,
ou bien des formes de combinaison
entre eux.
POURQUOI DES RÉSULTATS SI
DÉCEVANTS ?
La question est très complexe car
chaque cas est particulier et beau-
coup de facteurs interviennent. Ce-
pendant, quel que soit le modèle
préféré des dirigeants politiques en
place, les résultats ont rarement été
convaincants, même s’ils ont lais-
des traces durables. Dès les an-
nées 1950-1960, beaucoup de pays
ont ainsi expérimenté, sous la fé-
rule d’États forts, voire autoritaires,
la voie du capitalisme nationaliste
modernisateur (l’Inde, l’Égypte, le
Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Corée
du Sud, Taïwan...) ; d’autres, celle
du socialisme révolutionnaire (Cuba,
Chili, Nicaragua, Algérie, Cambodge,
Vietnam, Burkina Faso, Angola...) ;
mais ces tentatives ont vite mon-
tré leurs limites : endettement ex-
cessif, corruption, incompétence,
instabilité politique, coups d’État...
Plus tard, à partir des années 1980-
1990, la voie du capitalisme néolibé-
ral a été imposée ou choisie presque
partout (aussi bien en Amérique la-
tine qu’en Asie et en Afrique) ; mais
les coûts (sociaux, écologiques, éco-
nomiques, culturels) de ce modèle
l’ont, le plus souvent, rendu ineffi-
cace, voire inapplicable. Le modèle
du socialisme démocratique est alors
revenu à la mode, surtout en Amé-
rique latine (au Venezuela, en Boli-
vie, au Brésil, en Équateur, au Nica-
ragua…) ; ces tentatives sont tou-
jours en cours et il est donc trop tôt
pour les évaluer.
Parmi les nombreuses raisons qui
devraient être invoquées pour ex-
pliquer les difficultés rencontrées
par les dirigeants politiques et éco-
nomiques, j’en retiendrai trois qui
me paraissent assez généralisables.
D’abord, aussi bien dans les pays du
Sud que dans ceux du Nord, les ac-
teurs dirigeants, tant publics que
privés, qui se sont inspirés de ces
modèles, les ont, le plus souvent,
« idéologisés » : ils ont beaucoup
parlé de développement mais en ont
fait fort peu ; ils s’en sont davantage
servis comme discours légitimateurs
que comme véritables guides pour
orienter leur gestion ; ils ont essayé
Entre vraisemblance
et utopie
En réaction aux centes crises qui ont secoué le monde,
les interrogations se font persistantes sur le modèle
économique actuel. Des notions comme la décroissance,
le développement durable ou léconomie sociale solidaire
tentent, à leur manière, de fournir des pistes pour une
alternative au mole de veloppement capitaliste. Mais
rien n’est simple et les questions ne manquent pas.
GUY BAJOIT
sociologue du développement, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain,
membre du Centre Tricontinental (Cetri)
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de faire croire à leurs citoyens qu’ils
cherchaient à promouvoir l’intérêt
général, alors qu’ils s’occupaient sur-
tout de poursuivre leurs intérêts par-
ticuliers ; ils ont ainsi dévoyé les mo-
dèles de leurs finalités proclamées.
Ensuite, ils se sont sabotés récipro-
quement : chaque fois qu’un acteur
voulait vraiment mettre en œuvre
l’un ou l’autre de ces modèles dans
l’un ou l’autre pays, il s’en est trou-
d’autres, au-dedans comme au-de-
hors, qui ont cherché à faire échouer
sa tentative. Enfin, quoi qu’ils en
disent, les pays les plus dévelop-
pés n’ont le plus souvent aucun in-
térêt à voir se développer ceux qui
le sont moins, et donc les en ont
généralement empêchés. En consé-
quence, jusqu’à présent, dans leur
grande majorité à quelques excep-
tions près, mais non des moindres –,
les acteurs du Sud qui ont dit vouloir
faire, ou essayé vraiment de faire du
développement, ont rarement été as-
sez forts ou assez honnêtes (ou les
deux), pour surmonter ces trois obs-
tacles majeurs. Ce sont donc moins
les modèles en eux-mêmes qui doi-
vent être incriminés que les acteurs,
tant au Sud qu’au Nord, qui s’en sont
inspirés et ont prétendu les mettre
en œuvre.
COMMENT S’Y PRENDRE
À L’AVENIR ?
Le diagnostic ci-dessus débouche
sur une impasse désespérante : en ef-
fet, avec les humains tels qu’ils sont,
il n’y a aucune raison que les choses
changent à l’avenir. Il me semble
très irréaliste d’espérer que les col-
lectivités humaines, qui se livrent
à une compétition effrénée depuis
des millénaires, comprennent tout à
coup que celle-ci les a presque tou-
jours entraînées, d’une part, dans
une impitoyable logique de guerre
et, d’autre part, dans une logique
de croissance parfois plus destruc-
trice que créatrice. Mais ne déses-
pérons pas : rien n’est impossible
et d’ailleurs, point n’est besoin, pa-
raît-il, d’espérer pour entreprendre !
Cependant, si les raisons énoncées
plus haut pour expliquer les piètres
résultats sont bien réelles, alors, il
faudra imposer le développement
à tous ceux qui n’en veulent pas
(même s’ils disent le contraire) ! Et
pour y parvenir, il faudra construire
patiemment une force sociale et po-
litique capable de mobiliser assez
d’énergie, et fondée sur une utopie
crédible du développement. Quelles
pourraient être cette utopie et cette
force1 ?
Lutopie pourrait être celle de
l’économie autogestionnaire (ou so-
ciale solidaire), à condition qu’elle
ne se limite pas à être « une éco-
nomie pauvre pour les pauvres » et
qu’elle s’inscrive dans un projet poli-
tique. En effet, cette économie peut
constituer un mode de production
alternatif au capitalisme néolibéral
mondialisé, à condition qu’elle de-
vienne capable, ce qui est loin d’être
le cas aujourd’hui, de rivaliser avec
lui sur son propre terrain, sans ce-
pendant engendrer les mêmes coûts
sociaux, écologiques et culturels. Le
défi est donc énorme. Pour qu’il y ait
quelque chance de réussir, il faut
que les acteurs engagés dans cette
voie obtiennent le soutien politique
des États et des organisations inter-
nationales, sans quoi, soit ils ne se-
ront pas compétitifs, soit ils repro-
duiront les mêmes effets négatifs.
Cette utopie ne pourra donc deve-
nir efficace que si elle s’inscrit dans
un projet plus large, celui d’un dé-
veloppement éthique et durable. Un
tel modèle suppose évidemment un
contrôle de la compétition (écono-
mique et internationale) par la vo-
lonté politique des États, ce qui im-
plique, notamment, une régulation
de la croissance économique, de l’in-
novation technologique et de l’évo-
lution démographique. Et cela, sans
retomber dans les excès de bureau-
cratie des régimes communistes !
La force pourrait être celle du
mouvement altermondialiste, à
condition qu’il parvienne à propo-
ser un projet alternatif clair et mo-
bilisateur et qu’il surmonte ses di-
visions internes. Et, là aussi, le défi
à relever est considérable ! Son uto-
pie pourrait être celle dont je viens
de parler à condition que les nom-
breuses tendances qui composent
aujourd’hui le mouvement altermon-
dialiste parviennent à se mettre d’ac-
cord entre elles pour le soutenir, ce
qui est loin d’être évident. En outre,
il est essentiel que ce mouvement
surmonte ses fortes réticences en-
vers son organisation interne : qu’il
se donne des finalités, des normes
de fonctionnement, des ressources,
des stratégies de lutte et... une au-
torité qui en soit garante.
Il est essentiel, pour construire
cette force, de bénéficier de l’appui
du « vieux syndicalisme » européen
– celui qui a su, par la mobilisation
sociale, donner au capitalisme un vi-
sage plus humain grâce à l’État Pro-
vidence. Mais cette alliance suppose
un gros effort de réforme de part et
d’autre, car la collaboration entre les
forces de l’ancien monde et celles
du nouveau est loin d’être facile au-
jourd’hui. En outre, il importe aussi
de fédérer dans cette force de nom-
breux mouvements sociaux actuel-
lement dispersés et trop faibles : les
consommateurs, les femmes, les éco-
logistes, les exclus, les défenseurs
des droits humains...
Bref, nous avons du pain sur la
planche. Mais rappelons-nous que le
mouvement ouvrier a mis un siècle
et demi pour trouver son chemin et
imposer ses exigences ! !
1 J’ai développé ces idées dans un livre sous presse : G. Bajoit,
Pour une sociologie de combat, Fribourg (Suisse), Academic Press,
2010. Voir surtout le chapitre 6 : « Résistance et alternative au
capitalisme ».
POLITIQUE
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Décroissance ou
développement durable ?
Les centes crises (énertique, alimentaire et financre)
ont soulevé un certain nombre d’interrogations sur le
mole économique actuel et relan le débat sur l’urgence
de repenser notre mode de produire, notre fon de
consommer et notre rapport à l’environnement. Que faire et
comment ?
ENTRETIEN AVEC EDWIN ZACCAÏ
directeur du Centre d’études du développement durable à l’Université libre de Bruxelles
Quand on parle de décroissance
et de développement durable, de
quoi parle-t-on ?
Le développement durable n’est
pas identique à la croissance du-
rable. Le développement a pour am-
bition d’améliorer le bien-être hu-
main. Pour les initiateurs du dé-
veloppement durable au niveau de
l’ONU, une croissance économique
est nécessaire pour les pays du Sud,
mais il y a deux conditions essen-
tielles à respecter : répartir équita-
blement ses fruits, et respecter les
limites écologiques.
Le mouvement de la décroissance
considère que la croissance écono-
mique ne permet plus d’atteindre
un mieux-être dans les sociétés, ni
de respecter les limites écologiques.
Quelle différence faites-vous
entre les deux ?
Il y a d’abord des points communs.
Tous deux visent à faire décroître les
flux de consommation et de pollu-
tion. Le développement durable est
beaucoup plus institué et cherche
des conciliations avec la croissance
économique. Depuis quelques an-
nées, il est revendiqué par une sé-
rie d’acteurs qui ne satisfont pas des
critères de durabilité, ce qui le dé-
crédibilise. On assiste à une mon-
tée en puissance du discours sur la
décroissance comme réaction à ce
manque de crédibilité, mais aussi
porté par les pannes de croissance
que l’on a observées en Occident : il
y a une recherche plus forte de mo-
dèle alternatif.
Est-ce que décroissance et
développement durable font
basculer vers un nouveau modèle
économique alternatif ?
Comme pour le développement du-
rable, il y a différents courants dans
la décroissance1. Une école d’éco-
nomistes, notamment américains,
dits économistes « écologiques »,
prône « l’état stationnaire », c’est-
à-dire une minimisation des flux de
consommation, avec une économie
stable. Ces travaux sont illustrés par
le célèbre rapport « Halte à la crois-
sance ? » (1972). D’autres courants
sont bien représentés en France.
D’abord dans les années 1970 avec
André Gorz, sans oublier Ivan Illich,
auteur international très original,
ayant marqué les actuels tenants de
la décroissance dans ce pays, les-
quels s’expriment à partir du début
des années 2000, et particulièrement
ces dernières années. Y a-t-il pour
autant un « modèle », ou est-ce seu-
lement une pensée critique ? Il y a
en tout cas des propositions de ré-
formes, mais nettement moins éla-
borées que dans le cas du dévelop-
pement durable. Celui-ci s’était re-
vendiqué non pas comme un modèle
économique alternatif, mais comme
la recherche d’une économie au ser-
vice des hommes, et durable sur le
long terme.
Certains considèrent la
décroissance non pas comme un
retour en arrière mais comme un
après développement. Peut-on dès
lors parler de décroissance dans
les pays en développement ?
La critique du développement est
un courant fort intéressant, por-
notamment par des anthropolo-
gues ou sociologues depuis un cer-
tain temps également2. Ils souli-
gnent les désavantages que le déve-
loppement au sens occidental a ap-
portés à nombre de populations do-
tées d’un mode de vie traditionnelle
et en situation précaire. Mais on ne
peut parler de décroissance, dévelop-
pement ou développement durable
indépendamment des contextes,
des régions, des groupes concernés.
Je pense qu’une idée clé des « dé-
croissants », qui préfèrent parfois le
terme d’« objecteurs de croissance »,
est d’interroger les apports et in-
convénients de la croissance écono-
mique, dans ces différents contextes,
en cherchant à lui enlever sa centra-
lité et son évidence. Il y a du travail.
Les récentes crises (alimentaire,
énergétique et financière) ont-
elles donné lieu à une nouvelle
approche de la décroissance ?
Elles accréditent l’idée de rupture
à venir et, implicitement ou explici-
tement, des sympathisants des idées
de la décroissance cherchent entre
autres à s’y préparer. Ceci contraste
avec la vision de réforme graduelle
portée par le développement du-
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