Texte lu lors des réunions de Lazare à la MC93
Mario Batista
Le théâtre est le monde de la pensée, et il faut rendre la pensée visible pour
tous. Il faut que chacun découvre ou re-découvre ses potentialités sensibles,
intellectuelles, sa conscience de soi. Il faut mettre en évidence la vie
intérieure, qui chez tout un chacun existe. Il faut se réapproprier son corps,
avec son esprit. Prendre conscience de son souffle, des battements de cœurs,
de la contraction des muscles. Il faut se découvrir, en termes d'individualités.
Il faut s'extraire de la gangue sociale et économique, des slogans trompeurs et
des paroles hypnotiques. Ne plus se fondre dans la masse, mais s'affirmer en
tant qu'individu unique, rendre la multitude des visages de la masse. Il faut
retrouver le goût de l'effort intellectuel et physique. Accepter que reprendre
possession de sa vie et de son esprit c'est agir de manière autonome. Il faut
sortir de l'illusion pour rejoindre la réalité, la réalité sensible et non pas
l'image filtrée par les médiums. Se réapproprier sa vie, apprendre de nouveau
à choisir, à décider, à renoncer si nécessaire. Enlever de sa tête le tapage
incessant des marchands d'illusions, des boîtes à paroles et des images
mitraillées jusqu'au fond de nos consciences.
Prendre du recul, ne plus simplement subir les événements, subir les
décisions, les modèles, les opinions, les autoréalisations. Il faut sortir de ce
trop plein étouffant, qui dissimule pourtant si mal la pénurie. Car la pénurie,
nous y sommes. Nous sommes en pénurie de sens. Nous sommes en pénurie
de rêve, nous sommes en pénurie d'utopie, de grandes trajectoires politiques.
Nous sommes en pénurie de jouissance, de plaisir, de rires, de pleurs, et de
vie. Car nos vies ne nous appartiennent plus depuis longtemps. Elles sont
broyées par une machine dont les concepteurs eux-mêmes subissent le
laminage. Une grande machine ultra-moderne ou ultra-archaïque qui
fonctionne. Une machine qui fonctionne si bien que personne ne la remarque.
Une machine qui prévoit, organise, distribue les rôles, les rations, les objectifs.
Une machine insensée et idéologique qui nous habite profondément. Nous
sommes devenus les machines de cette machine qui insuffle l'air dans nos
poumons, la nourriture dans nos bouches, le sang dans nos veines. Une