Oui. Les Russes sont le second contingent de touristes en Turquie après les
Allemands. Les revenus générés par le tourisme russe se montaient à 4,5
milliards de dollars en 2014. Le tour-opérateur Natali Tours, l’un des plus
importants de Russie, a d’ores et déjà cessé de vendre des séjours en
Turquie.
Quels sont les autres secteurs économiques turcs susceptibles d’être
impactés par ce coup de froid ?
Le BTP et les grands travaux. De nombreuses entreprises turques réalisent
des travaux d’infrastructure en Russie. En 2014, La Turquie a conclu 47
grands contrats pour une valeur de 3,9 milliards de dollars. Pour les neuf
premiers mois de 2015, 9 projets ont été entamés pour un montant de 2,3
milliards de dollars. Si ces projets sont remis en cause, l’économie turque
en souffrira, c’est certain. D’autant plus que le commerce extérieur turc
est déjà déficitaire.
Qu’en est-il des investissements russes en Turquie ?
La Russie a évoqué la remise en cause du projet de construction de la
centrale nucléaire d’Akkuyu. Ce qui n’est pas sans réjouir les défenseurs
de l’environnement, très hostiles à ce projet. Après la catastrophe de
Fukushima, ils étaient doublement inquiets, d’abord parce que la Turquie
est une région hautement sismique. Ensuite parce que la Russie n’est pas
particulièrement réputée pour la sécurité nucléaire. Enfin, les écologistes
craignent que se lier avec la Russie sur toute la chaîne nucléaire, y
compris le traitement des déchets, ne place Ankara dans une situation de
totale dépendance vis-à-vis de Moscou. Que se passera-t-il si une crise
diplomatique sévère se produit entre le deux pays une fois que la centrale
sera en activité ? La crise actuelle tend à leur donner raison. Mais si
jamais la construction de la centrale d’Akkuyu était suspendue, c’est la
Russie qui en pâtirait le plus, puisque les candidats pour lui succéder ne
manquent pas.
La Russie menace aussi d’enterrer le projet de gazoduc TurkStream...
C’est là aussi assez paradoxal. Ce sont en effet les Russes qui en sont à
l’origine après l’abandon du projet South Stream, en raison des blocages
européens liés à la crise ukrainienne. Le Kremlin s’était alors rabattu sur
ce projet alternatif et avait renforcé ses relations énergétiques avec la
Turquie. Ankara ayant prévenu ne pas avoir les moyens d’investir dans ce
gazoduc, Moscou avait décidé d’en assumer la construction.
La Russie et la Turquie ont donc toutes les deux à perdre dans cette
crise ? L’un plus que l’autre ?
A court terme, la Turquie est la grande perdante. Elle fait d’ailleurs
profil bas, ces dernières heures. Les milieux d’affaires turcs sont
inquiets, alors que l’économie a déjà subi un net ralentissement. Mais j’ai
du mal à comprendre la raison pour laquelle la Russie a déclenché une telle
escalade. Le paradoxe, c’est que les deux pays s’entendaient plutôt bien,
en dépit de leur différend sur la question syrienne, depuis 2011. Les deux
dirigeants sont assez ressemblants, aussi autoritaire l’un que l’autre.
Jusqu’à présent, Poutine n’a jamais critiqué Erdogan sur l’islamisation de
la Turquie. Et Ankara ne s’est pas alignée sur l’Europe quand celle-ci a
imposé des sanctions à la Russie.