Irina Bokova et Dechra Bouaddal de M`sirda: Toute l

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Souffles…
Irina Bokova et Dechra Bouaddal de M’sirda
Chers amis musiciens : de Ahmed Wahbi jusqu’à Lotfi Double Canon, de Radouane Bensari jusqu’à Réda
Doumaz, de Rénette l’Oranaise jusqu’à Cheikha Remiti, de Cheikh Raimond jusqu’à Hadj El Fargani, de… jusqu’à
Zakia Kara Terki, permettez-moi, tous, aujourd’hui, en vos noms, aux noms des autres, de demander à Mme
Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco (l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la
culture), d’inscrire un petit village algérien appelé Bouaddal sur le répertoire du patrimoine universel. Qu’est-ce
qu’il a de particulier ce village de Bouaddal, campé dans la wilaya de Tlemcen, à une dizaine de kilomètres du
chef-lieu du daïra de Bab El-Assa ? Rares sont ceux qui connaissent ce petit village unique dans son genre,
oublié par et sur toutes les cartes géographiques. Je le sais ! Et pourtant Bouaddal existe. Il est un, sans paire.
Bouaddal est une petite bourgade, reculée dans cette Algérie profonde, un hameau magique, fait en musique,
de musique, situé dans la contrée de M’sirda, f’ouaga (la haute) ou t’hata (la basse) ? Qu’importe ! Au pied
d’une montagne appelée Zendal. Dans cette petite déchra, constituée d’une centaine de hawchs, ne poussent
que les sons, ne naissent que les chants, les rythmes et les danses. Sans exception aucune, tous les habitants
de Bouaddal, de génération en génération, sont des artistes : des musiciens, des chanteurs et des danseurs. Les
femmes comme les hommes. Les vieux, les jeunes et les enfants sont habités par la musique, Baptisés dans la
musique. Les enfants de Bouaddal naissent dans la musique, grandissent par la musique, vivent pour la
musique. Les mamans, comme les pères, ne souhaitent jamais avoir une progéniture d’ingénieurs, de médecins
ou de professeurs. Cette déchera, oubliée dans le néant des néants, représente la patrie des sonorités, des
rythmes et des rimes. Bouaddal est une portion d’une terre vibrante, en permanence, sous les pieds des
danseurs de Laâlaoui. C’est elle qui a donné la célèbre troupe folklorique appelée Al rfa. Une troupe qui a
honoré l’Algérie dans des grandes manifestations internationales. Mouh El-Bekkay, à l’image de tous les fils de
Bouaddal, est un fou-musique. Il s’appelle Bekkay, ce mot signifie “pleureux”, en arabe. Son mon ne reflète
point son cœur. Grand fêtard. Il est fier, d’abord, de ses longues moustaches hautement entretenues. Sourire !
Pour Mouh El-Bekkay, comme pour tous les gens de Bouaddal, la musique est une religion. Une fois Mouh ElBekkay a grimpé dans l’âge, les autorités politiques, généreuses, lui ont offert “un hadj”. Mouh El-Bekkay pense
que c’est Dieu qui doit se déplacer vers les hommes. Ces derniers n’ont ni les moyens ni le temps pour voyager,
un voyage qui perdure des jours. Rattrapé par l’âge, un jour, Mouh el Bekkay est parti pour accomplir le hadj. Il
était heureux ! Il était déçu, en même temps. De son retour de la terre sainte, il s’est vu oublié par les
musiciens de Bouaddal. Les siens. Un hadji ne joue pas de la musique. Un hadji ne danse pas. Un hadji ne
chante pas. Recroquevillé sur lui-même, plié, replié, triste, abattu, Mouh El-Bekkay écoula ses jours en
regardant son instrument musical. Sans oser le faire respirer. Hanté par l’amour de son Zamer (la trompette),
un jour, Mouh El-Bekkay dissimulant son instrument musical sous sa djellaba, sort de Bouaddal, s’éloigne dans
les recoins les plus éloignés. Assis, sur une pierre au sommet de Zendal, le regard vers le ciel, Mouh El-Bekkay
sortit son Zamer. Joue une petite heure. Cette fois-ci, il a joué pour lui, pour le ciel d’en haut, pour la mer d’en
bas. Chère Mme Irina Bokova, directrice de l’Unesco, je vous ai raconté l’histoire de Bouaddal et celle de Mouh
El-Bekkay, mais permettez-moi de vous demander : y a-t-il, encore sur cette terre polluée, un peuple, un village
qui croit en la musique comme religion ? Eh oui, c’est Bouaddal ! “La musique, par sa force divine, est capable
de métamorphoser les lieux, faire oublier des géographies, annoncer la naissance d’autres, plus notoires, plus
lumineuses et plus illuminées.” Bouaddal.
A. Z.
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