« donneur » par une longue chaîne aliphatique (chaîne
hydrocarbonée de ngroupes CH2, soit (CH2)n). Cette chaîne
est nécessaire pour rendre la molécule amphiphile (molé-
cule comportant une partie hydrophile, qui aime bien l’eau
– c’est la partie π– conjuguée – et une partie hydrophobe,
qui n’aime pas l’eau – c’est la chaîne aliphatique (CH2)n).
Cette molécule amphiphile est alors apte à la formation
d’une monocouche par la technique de Langmuir-Blodgett.
Ces deux différences ont des impacts importants sur les pro-
priétés de transport électronique comme nous allons le voir.
Théorie du transport dans les jonctions
moléculaires
Afin de mieux comprendre ces effets, nous avons entre-
pris un calcul du courant dans ces diodes moléculaires.
Compte-tenu de la complexité de ces systèmes, notre
approche consiste à combiner des calculs ab initio (voir
Images de la Physique 2003) et des calculs semi-empiriques
par la méthode des liaisons fortes. Les calculs ab initio sont
utilisés pour optimiser la géométrie des molécules isolées.
L’approche semi-empirique est appliquée à la description
des jonctions et au calcul du courant. Les paramètres de liai-
sons fortes sont obtenus en ajustant la structure électronique
de molécules élémentaires sur celle obtenue par les
méthodes ab initio. Ces paramètres sont ensuite transférés
aux molécules plus complexes comme C16H33-Q-3CNQ.
Nous avons utilisé une méthode auto-cohérente de liaisons
fortes, c’est-à-dire que les équations de Schrödinger et de
Poisson sont couplées et sont résolues simultanément jus-
qu’à convergence pour prendre en compte l’influence de la
tension appliquée sur la molécule. Ceci nous permet de
prendre en compte la répartition complexe du champ élec-
trique dans la jonction moléculaire en fonction de la tension
appliquée. Le courant électrique (la conductance G) est
obtenu en calculant le coefficient de transmission T de la
diode (probabilité de transmettre les électrons d’une élec-
trode à l’autre), et en considérant la diffusion élastique des
électrons à travers la jonction moléculaire. La conductance
et le coefficient de transmission sont reliés par la formule de
Landauer
G=2e2
hT
où eest la charge de l’électron et hla constante de Planck.
Avec un pont à liaisons saturées, le modèle de Aviram et
Ratner suppose que les orbitales moléculaires des groupe-
ments donneur et accepteur restent localisées sur leurs grou-
pements respectifs. En réalité, avec le pont π-conjugué, il
n’en est rien comme le montre notre calcul théorique. Les
orbitales HOMO (dernière orbitale moléculaire remplie
d’électrons, sachant que l’on peuple les orbitales molécu-
laires en commençant par les orbitales moléculaires les plus
basses en énergie) et LUMO (première orbitale moléculaire
vide d’électron) sont délocalisées sur l’ensemble des deux
groupes (figure 2). La conséquence directe de ce résultat est
que la caractéristique courant-tension (calculée par la
méthode des liaisons fortes auto-cohérente) d’une mono-
couche de la molécule Q-3CNQ (le système D-A sans la
chaîne aliphatique) sera symétrique (figure 3-a) donc sans
effet de redressement du courant. Le même calcul avec la
chaîne aliphatique donne quant à lui une caractéristique
asymétrique (figure 3-b) en accord qualitatif avec l’expé-
rience (figure 1). Dans ce cas, c’est l’introduction d’une
asymétrie géométrique dans la structure métal/ molécule/
métal qui est responsable de cet effet de redressement du
courant. Le groupe D-A est en effet mieux couplé électri-
quement avec une électrode qu’avec l’autre, dont il est
séparé par une chaîne aliphatique au caractère d’isolant
électrique. Le potentiel électrique n’est pas réparti de
manière homogène sur toute la molécule, le groupe D-A
n’est soumis qu’à une fraction ηdu potentiel appliqué. En
première approximation, cette fraction s’exprime par
η=1
21+επdσ
εσdπ
où εσ, επ, dσet dπsont respectivement les constantes
diélectriques et les épaisseurs de la partie π-conjugué et de
la chaîne aliphatique de la monocouche de C16H33-Q-
3CNQ.
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Figure 2 - Représentation de la répartition (en rouge) calculée des densités
d'états des orbitales HOMO et LUMO. Les boules grises représentent les
atomes C, les blanches les H et les bleues les N. Le groupe accepteur est à
gauche, le groupe donneur à droite. Ce calcul montre que les orbitales
HOMO et LUMO sont complètement délocalisées sur toute la molécule.