LA GASTROENTEROLOGIE LIBERALE EN ALLEMAGNE

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LA GASTROENTEROLOGIE LIBERALE EN ALLEMAGNE.
1. La protection sociale et la médecine libérale
Pour comprendre le système allemand il faut connaître son fonctionnement :
80 % des patients en Allemagne sont assurés dans une des multiples caisses d’assurance maladie
publique, seulement 20 % sont assurés dans des caisses d’assurance maladie privée.
Les patients qui sont affiliés à une caisse du système public sont tenus de consulter d’abord leur
médecin traitant qui les adresse à un confrère spécialiste.
Les patients affiliés à une caisse privée ont le libre choix du praticien et peuvent s’adresser
directement à un médecin spécialiste.
Dans chaque système il existe un catalogue précis de la nomenclature des actes médicaux
(Gebührenordnung). Le catalogue est très complexe et détaillé et concerne tous les actes de
consultation, les actes techniques et les actes de biologie. Chaque acte a un code spécifique et
chaque acte a une valeur en points qui correspond à ce que nous avons en France sous la forme
d’une lettre clé au niveau de la nomenclature des actes techniques.
En Allemagne il n’y a pas de secteur à honoraires libres, le médecin ne peut pas pratiquer des
dépassements d’honoraires. Le seul espace où les honoraires peuvent être majorés concerne les
patients affiliés aux assurances de santé privée où le médecin peut appliquer dans certaines
situations un coefficient de multiplication allant jusqu’à 3 pour des situations et des actes difficiles.
Mais il devra justifier l’application d’un coefficient multiplicateur et la facturation d’un tel coefficient
multiplicateur est limitée en pourcentage (par exemple un gastro-entérologue qui fait une coloscopie
particulièrement difficile et longue pourra appliquer un coefficient multiplicateur de 3 par rapport au
tarif de base mais il devra le justifier et ce dépassement d’honoraires ne pourra être appliqué qu’à une
petite fraction de la totalité des patients). Tous les médecins sont donc logés à la même enseigne, il
n’y a pas d’équivalent de secteur 1 ou de secteur 2 comme en France.
Le médecin effectue sa consultation ou son acte médical mais il n’est pas rémunéré directement par le
patient. En fait entre le médecin qui est le prestateur de services et l’ensemble des caisses
d’assurance
maladie
(Krankenkassen),
il
existe
un
organisme
intermédiaire
(Kassenärtzlichevereinigung) qui est une sorte d’union régionale des médecins. Dans cet organisme
siègent des représentants du corps médical, des médecins libéraux. Cet organisme négocie avec les
caisses d’assurance maladie le budget. Les caisses d’assurance maladie versent trimestriellement le
budget négocié à cette administration intermédiaire. C’est elle qui paye tous les 3 mois les médecins
pour les prestations qu’ils ont fournies. Chaque Land en Allemagne a sa propre administration et dans
chaque Land la clé de répartition du budget en fonction des spécialités et des actes pour les différents
types d’actes est différente. Ceci explique par exemple que d’un Land à un autre une endoscopie peut
être rémunérée de façon très différente avec des variations allant du simple au double. En raison du
codage précis, l’activité de chaque cabinet est connue de façon très précise. Le budget alloué à
chaque praticien dépend surtout du nombre de patients : si un praticien a dépassé pendant le
trimestre écoulé la moyenne des dépenses par rapport à son niveau d’activité c’est-à-dire son niveau
de patients il ne sera pas rémunéré pour des prestations qu’il a fourni. De plus l’activité est analysée
sur le plan économique : si compte tenu du nombre de patients le praticien a réalisé par rapport à la
moyenne de ses confrères un nombre plus élevé d’actes il devra les justifier devant la commission
économique de l’Union Régionale où siègent des confrères médecins. Si le praticien ne parvenait pas
à justifier sur dossier l’indication des examens qu’il a réalisés ou prescrits, ces examens seront à sa
charge. L’ensemble de ce système complexe explique pourquoi l’informatique fait partie intégrante
des cabinets médicaux en Allemagne et nécessite du personnel dédié uniquement à cette tâche
importante. Pour le médecin, il existe un challenge permanent : pour l’ensemble des actes de la
nomenclature complexe il faut être en permanence dans la moyenne pour ne pas réaliser du travail
non rémunéré ou pour ne pas perdre du temps dans les commissions économiques devant lesquelles
il faut justifier ses actes et ses prescriptions qui ont dépassé la moyenne de la profession.
2. L’endoscopie digestive libérale en Allemagne :
2.1 Qui fait quoi oû ?`
L’immense majorité des endoscopies est faite par les médecins libéraux au cabinet (90%), 10% en
clinique. En général la gastroscopie et la coloscopie sont faites au cabinet, les endoscopies
interventionnelles (ERCP etc.) en clinique.
Les polypectomies sont faites au cabinet en dehors des résections de volumineux polypes sessiles ou
des polypes du caecum.
En Allemagne, il y a le principe de priorité du médecin libéral sur l’hospitalier dans le domaine
ambulatoire des établissements de soins :
Si un collègue libéral est installé dans la ville, le gastroentérologue hospitalier ne peut pas faire
d’endoscopies ambulatoires ! Elles ne seront pas remboursées par l’assurance maladie .
2. 2 L’hygiène :
Des protocoles de désinfection sont définis et publiés :
Tous les modes de désinfection sont autorisés ( désinfection manuelle, en machine automatique ou
semi-automatique)
Le produit le plus utilisé est le glutaraldehyde à 2%.
Des contrôles microbiologiques sont effectués par l’institut d’hygiène universitaire 2 fois par an dans
les cabinets.
Les accessoires d’endoscopie (par ex. les pinces) peuvent être stérilisés à l’autoclave et réutilisés.
Pas d’obligation de l’usage unique !
2.3 La sédation et/ou analgésie :
La sédation iv est autorisée
au cabinet, pas la narcose ou l’anesthésie générale : Des
recommandations sont publiées par l’Ordre National des Médecins à ce sujet, corédigées par le Prof.
JUNG de Mayence .
L’utilisation d’HYPNOVEL nécessite la présence d’une personne qui surveille le patient pendant l’acte
et “garde le contact” avec lui.
Le DIPRIVAN est également autorisé : Initialement, la présence d’un deuxième médecin était
obligatoire, mais dans les congrès récents, cette disposition est de plus en plus contestée et la règle
est en train d’être assouplie avec seulement une présence de deux assistantes.
2.4 La cotation des actes :
La valeur du point est fluctuante en fonction des Länder, des caisses et de l’activité des médecins : Il
est actuellement de 3-4cts dans le land de Sarre ce qui donne la rémunération suivante:
-gastroscopie : 42-56€
-vidéogastroscopie : 46-60€
-coloscopie : 123-164€
-coloscopie avec polypectomie : 147-196€
-coloscopie avec iléoscopie: 134-178€
-oxymètre de pouls :3-4€
-consultation à la suite du geste endoscopique : 9-12€
-consultation avant la coloscopie : 1,5-2€
En cumulant les différentes prestations, une coloscopie avec polypectomie donne environs 6300
points, càd 190-250€.
3. La réforme récente concernant l’endoscopie digestive en Allemagne :
Le paysage de l’endoscopie digestive a été modifié récemment par 2 décisions :
-
la réforme de la nomenclature : elle réserve la réalisation de l’endoscopie digestive aux
internistes à orientation gastroentérologique et aux gastroentérologues.
-
l’introduction d’un nouvel acte : la « coloscopie de dépistage «
En septembre 2002, tous les acteurs ont conclu un accord qui vise à garantir la qualité en
coloscopie : Un nouvel acte a été introduit dans la nomenclature des actes médicaux : la
« coloscopie de dépistage » : Chaque Allemand peut bénéficier tous les 10 ans à partir de l’âge de 55
ans d’une coloscopie de dépistage, entièrement prise en charge par les caisses d’assurance maladie.
Le médecin qui réalise ces coloscopies au cabinet doit être accrédité par les caisses et l’Union
Régionale des Médecins et cette accréditation est liée à des conditions et des contraintes . En
contrepartie, l’acte est valorisé sur le plan financier : Sa valeur en points est presque doublé par
rapport à la coloscopie normale (dite « curative », c.à.d diagnostique ou thérapeutique, et elle
échappe au budget global).
Voici l’essentiel de cet accord :
1. L’accréditation est liée à des critères de formation et de qualification professionnelle, mais
aussi à des critères d’expérience : Le gastroentérologue doit avoir réalisé au minimum 200
coloscopies et 50 polypectomies dans les 2 ans avant sa demande d’accréditation. Chaque
année, il doit réaliser au minimum 200 coloscopies et 10 polypectomies pour garder
l’accréditation.
2. Le cabinet doit être équipé avec du matériel de réanimation de base (O2, ambu, oxymètre de
pouls etc), matériel d’éléctrochirurgie pour réaliser les polypectomies,dispositifs de
désinfection.
3. Le cabinet doit satisfaire aux conditions d’hygiène définies : L’hygiène est contrôlée à la
demande et sous la responsabilité des Unions Régionales des Médecins 2 fois par an : Un
institut d’hygiène indépendant réalise de façon inopinée (seul le mois du contrôle est connu du
médecin) des prélèvements microbiologiques selon une procédure standardisée au niveau de
2 coloscopes (canal à biopsies, canal d’insufflation et de rinçage, bout distal, flacon de
rinçage). Les prélèvements doivent être négatifs pour les E.Coli, entérobacteries,
pseudomonas et autres germes pathogènes et le liquide de rinçage doit contenir moins de 10
CFU. En cas de contrôle positif, un 2e contrôle est réalisé au bout de 3 mois. Si celui-ci est
toujours positif, le cabinet a 6 semaines de délai pour se mettre en conformité, mais pendant
ces 6 semaines, le cabinet n’a plus le droit de réaliser de coloscopies, d’où un préjudice
financier lourd.
4. Le médecin doit remplir pour chaque coloscopie de dépistage un dossier standardisé complet
qui est centralisé et évalué par l’Union Régionale des Médecins qui est aussi l’organisme qui
rémunère le médecin pour cette coloscopie de dépistage.
Aujourd’hui, seulement 3 ans après l’introduction de cette réforme, il y a des réflexions en cours pour
alléger les contrôles in situ, vu la qualité générale de l’hygiène dans les cabinets.
4. Commentaires concernant le système allemand
1.
Cette réforme allemande était très astucieuse : Elle a permis d’éliminer les cabinets à
faible activité endoscopique et de canaliser l'activité vers des cabinets qui s'orientent
particulièrement vers la gastroentérologie et l'endoscopie digestive et elle a surtout permis
d’améliorer la qualité de l’équipement et de l’hygiène du plateau technique du cabinet
dans son ensemble, donc de tous les actes endoscopiques qui y sont réalisés !
2.
Le fait qu'en Allemagne
l’ensemble des acteurs
(autorités de tutelle, caisses
d’assurance-maladie, corps médical, assureurs) aient introduit et validé cette coloscopie
de dépistage, qui est réalisée dans 90% des cas au cabinet, implique et signifie qu’ils ont
considéré que cette pratique ( coloscopie avec ou sans sédation iv , avec polypectomie
éventuelle au cabinet ) ne déroge pas aux principes sécuritaires, qu’elle a un profil
bénéfice-risque acceptable pour le patient et un aspect économique avantageux pour la
collectivité !
3.
Cette pratique de l’endoscopie digestive en Allemagne – qui ressemble à ce qui est fait
dans de nombreux autres pays comparables - est tout à fait différente de la pratique
française, alors même que les problèmes (prévention des cancers, responsabilité médicolégale, aspects sécuritaires, d’hygiène etc…) sont identiques.
COMPARAISON AVEC LE SYSTEME FRANCAIS
Les gastroentérologues allemands ont réussi à préserver l’indépendance de leurs plateaux techniques
des cabinets par rapport aux établissements de soins, ceci à un coût économique favorable pour la
collectivité.
En France, l’endoscopie digestive libérale a été
« délocalisée » progressivement dans les
établissements de soins privés et la part de l’activité au cabinet s’est réduite à fur et à mesure que le
coût de la pratique et les contraintes sécuritaires ont augmenté.
L’autorité de tutelle ne semble « pas favorable au développement de cette pratique » (au cabinet)
comme JF REY l’écrit dans le mail n°12 du SYNMAD du 9/12/2004. Il faut analyser de façon précise
les obstacles et les freins pour les faire tomber. La profession doit s’investir, réfléchir aux solutions,
les argumenter et les défendre et surtout imaginer des alternatives qui devraient répondre à un
quadruple objectif :
-garantir la qualité de l’endoscopie digestive
-garantir l’indépendance du gastroentérologue libéral par rapport aux structures de soins
privées ou publiques
-garantir l’accès facile du patient à l’endoscopie digestive quelque soit l’endroit où il
habite
-inclure l’ aspect économique de l’endoscopie digestive
Des solutions qui répondent à ce quadruple objectif paraissent réalisables et pourraient répondre à
toutes les situations particulières , locales et régionales :
Deux alternatives sont imaginables et s’inspirent de modèles qui existent déjà. Mais les deux
nécessitent l’engagement de toute la profession (sociétés savantes et syndicats), une volonté
politique et l’accord des autorités de tutelle :
La première est le CENTRE AUTONOME (CA) qui repose sur une expérience française, la deuxième
est le CENTRE D’ENDOSCOPIE LIBERAL (CEL)
qui s’inspire
plutôt des expériences
européennes :
LE CENTRE AUTONOME (CA) : structure libérale assimilée à un établissement de santé qui
fonctionne avec ou sans anesthésie et perçoit les forfaits de la T2A. Seuls 6 centres fonctionnent
actuellement en France et sont le résultat de la combativité, de l’engagement et de la tenacité de
leurs promoteurs : Leur gestation était extrêmement longue et difficile et a duré plusieurs années.
Aujourd’hui, la simplification des procédures et des démarches est indispensable, ainsi qu’une vraie
volonté des autorités de tutelle pour faciliter la création de tels centres.
LE CENTRE D’ENDOSCOPIE LIBERAL (CEL) : Il pourrait s ‘agir de centres (dans les cabinets) de
gastroentérologie, qui seraient accrédités, évalués, régulièrement contrôlés, avec un cahier des
charges précis (par ex. : un nombre minimum d’examen par an, équipements en vidéoendoscopie,
équipements d’hygiène par exemple laveurs-désinfecteurs automatiques avec traçabilité etc.) Ces
centres pourraient alors percevoir un forfait T2A de type « endoscopie sans anesthésie ». Cette
enveloppe budgétaire permettrait de faire fonctionner un plateau technique moderne, sûr et de très
grande qualité . Il s’agit là de la solution la plus simple et la plus rapide à mettre en œuvre , avec un
aspect économique très avantageux pour la collectivité. Elle pourrait même se faire sous forme d’un «
contrat local » impliquant les gastroentérologues, leur ARH régionale et les caisses d’assurance
maladie régionales. Elle entraînerait une amélioration immédiate de la qualité des plateaux
techniques des cabinets concernés.
Le problème juridique, légal et économique devrait être posé : Un organisme financeur
(l’assurance maladie) verse une rémunération ( le forfait technique qui doit rémunérer le coût de la
pratique de l’acte ) pour une prestation (une endoscopie digestive) à un prestataire de service (un
établissement de soins qu’il soit à but lucratif ou non) . Les plateaux techniques dans les cabinets ( qui
sont aussi prestataires de service) sont exclus de toute rémunération alors qu’ils sont soumis aux
mêmes contraintes réglementaires . Cette situation n’est certainement pas en règle avec les lois
françaises et européennes concernant la libre concurrence car elle est injuste et inéquitable pour les
plateaux techniques des cabinets. Elle est de plus antiéconomique, car la sécurité sociale rémunère
de façon très différente l’acte endoscopique en fonction de l’endroit où il est réalisé.
Sarreguemines, le 30/08/05
Docteur Martin Neumeier
7, rue des Vosges
57200 SARREGUEMINES
tél.:0387955222
fax:0387280334
mail : [email protected]
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