« Le Bouddhisme »
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Les origines du bouddhisme - Évolution du bouddhisme
Sandra Smets (Université catholique de Louvain)
Le 27/02/2010
« Au Repos des chasseurs » – Avenue Charles – Albert 11
1170 Bruxelles
1. Contexte socio-culturel indien
1.1. Castes et idéologie brahmanique
Quand le bouddhisme fait son apparition en Inde, la société est organisée en castes.
Même si les croyances, les rites,…que nous regroupons sous l’appellation «
hindouisme » sont loin d’être homogènes, il convient de noter qu’ils semblent se
déployer à partir ou autour d’un « axe », à savoir l’idéologie brahmanique qui domine la
culture religieuse indienne. La caste des brahmanes est la caste des prêtres située au
sommet de la hiérarchie sociale :
- les brahmanes : classe des prêtres et lettrés, détenteurs du brahman (principe neutre) ;
- les katriya : classe des princes-guerriers ;
- les vaiśya : classe des commerçants, producteurs ;
- les śūdra : classe des laboureurs et serviteurs.
Les textes fondateurs de l’hindouisme, en particulier le Veda, dont il sera question dans
la suite de cet exposé, reflètent avant tout l’idéologie de cette caste. Ce sont d’ailleurs les
brahmanes qui en ont méticuleusement et savamment assuré la transmission. Même les
systèmes religieux concurrents de l’ « hindouisme », tels le bouddhisme ou le jaïnisme,
se constitueront par rapport à cet axe, en opposition à ce référent.
1.2. Le Veda
Pour la période la plus ancienne de l’hindouisme (entre 1500 avant notre ère et le Vème
s. av. notre ère), on utilisera de préférence les termes « védisme » ou « religion
védique ». Le védisme désigne l’ensemble des conceptions et pratiques religieuses qui
nous sont connues essentiellement par le Veda, « le Savoir ». Le Veda est un ensemble
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de textes sacrés, tenus pour révélés (çruti désigne littéralement « l’audition ») par des
sages « voyants » (rishi). Dans la perspective hindoue, il existe une parole éternelle et
cosmique, à l’origine des dieux eux-mêmes, Vâc, la Parole védique. C’est une Parole
antérieure, mère des dieux et du cosmos, qui se manifeste dans le Veda. Dès l’époque
védique, la Parole semble ainsi jouer un rôle primordial dans la spiritualité indienne.
Cette parole se manifeste d’abord dans une série de quatre « recueils » poétiques
(samhitâ), textes les plus anciens du Veda (composés entre le XVème et le Xème s. av.
J.-C. environ) que l’on désigne également comme les quatre Veda. Les autres parties du
Veda sont fondées sur l’un ou l’autre de ces quatre Veda.
Le Veda est constitué de quatre parties :
(1) les samhitâ « recueils » (= les quatre Veda) : ils contiennent essentiellement des
hymnes, prières, formules rituelles ;
(2) les brāhmaa : commentaires en prose sur la liturgie composés entre le Xème et le
VIIème s. av. J.-C. env. Ces « [interprétations] brahmaniques » sont des manuels
techniques de prescriptions liturgiques, qui tentent d’expliquer le sens de la liturgie selon
le point de vue des brahmanes ;
(3) les ārayaka : littéralement, les textes « forestiers », textes ésotériques et mystiques,
qui, comme leur titre l’indique, sont transmis à l’écart de la société (notamment parce
qu’ils sont potentiellement dangereux par leur puissance magique) et dont la
connaissance est réservée à certaines personnes.
(4) les upaniad : deux sens sont généralement proposés pour ce mot. Le terme suggère,
d’une part, la relation entre maître et disciple, puisque le verbe dont il est dérivé signifie
« s’asseoir aux pieds de » (sous-entendu, s’asseoir auprès d’un maître pour écouter son
enseignement). C’est la forme traditionnelle de l’enseignement en Inde, où le disciple
s’assied effectivement auprès de son guru pour recevoir son instruction. Mais l’exégèse
indienne rapproche aussi ce mot du sens de « connexions ». En effet, les principales
Upaniad, qui auraient été composées à l’époque de la naissance du bouddhisme (entre
le VIème et le IIIème s. av. notre ère) présentent une ébauche de spéculation
philosophique. Elles établissent des « connexions » ou équivalences mystiques entre le
microcosme, l’homme, conçu comme un univers en miniature, et le macrocosme,
l’univers, considéré comme un homme aux dimensions de l’univers, un macranthrope.
Ces corrélations entre les deux ordres de grandeur aboutit à l’affirmation de l’identité
essentielle entre l’ātman, le « Soi » – principe intérieur, profond et immortel –, incarné
en chaque individu, et le Brahman, l’Absolu, le Réel du réel, principe qui constitue
l’ultime réalité des choses. La réflexion élaborée par les upaniad s’émancipe de la
pensée ritualiste védique et sert de base aux conceptions de l’hindouisme ultérieur. Il
semble s’amorcer un tournant dans la pensée hindoue, qui marque l’entrée dans la
période postvédique.
1.3. La pensée liturgique du Veda
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Pour comprendre ce tournant, essayons la pensée liturgique du Veda telle qu’elle
apparaît dans les textes les plus anciens.
Selon cette pensée, le monde est une sorte de construction, d’architecture,
d’ordonnancement, comportant donc une certaine cohérence. Tout y est agencé. C’est le
terme ta qui exprime cet agencement harmonieux. On le traduit parfois par « ordre
cosmique ». C’est en vertu du ta que l’homme peut observer le retour périodique des
saisons, vital pour ceux qui pratiquent le rituel. Le ta est à la fois ordre cosmique,
liturgique et moral. La création s’est accomplie en conformité avec le ta, les dieux
agissent selon le ta, les hommes doivent se comporter selon le ta, le culte se déroule
selon le ta. Proche de ce terme, le dharma est un autre concept fondamental de cette
pensée liturgique. Dérivé de la racine dh- « porter, supporter, soutenir », le dharma
désigne l’ordre des choses, leur structure et leur cohésion, la disposition normale des
êtres et des choses, leur vraie nature essentiellement stable et par là même, rassurante.
C’est aussi la Loi qui régit les relations, d’une part, à l’intérieur de la société, d’autre
part, entre les hommes et les dieux. Par extension, c’est la Loi qui régit la vie de tout
hindou, c’est-à-dire son devoir déterminé par la caste, le sexe, l’âge, le statut. C’est donc
un ordre sociocosmique. L’hindouisme va lui-même se définir comme le sanātana-
dharma « la Loi éternelle ». L’idéal hindou est d’accomplir « son propre dharma »
(svadharma). Le concept de dharma est associé à l’image d’une roue : si la Loi est
respectée, la roue tourne bien, le cycle est respecté. La Loi doit se réaliser comme une
roue qui tourne.
Dans ce modèle régi par le ta et le dharma, les rituels et sacrifices servent à renforcer
les bonnes relations entre les hommes et les dieux. Il y a réciprocité : en échange des
offrandes, les dieux apportent leur secours aux hommes (lors des récoltes, etc.). Les
hindous, convaincus de la puissance des dieux capables d’accorder des faveurs aux
hommes, ont élaboré une stratégie qui réside dans les actes liturgiques : il s’agit de se
rendre les dieux propices par les hymnes, les louanges, les chants et les sacrifices. Dans
les trois premières classes, c’est le chef de famille qui a la charge d’accomplir les rites
pour lui et les membres de sa famille. L’objectif de ces actes liturgiques est relativement
concret : ce qui est visé, ce sont des avantages divers, la prospérité, la santé, le bonheur
des hommes, en contrepartie de la satisfaction des dieux. Le tournant amorcé par les
Upaniad se traduit par une dévalorisation du sacrifice, ou du moins, une intériorisation
du sacrifice.
1.4. La réflexion upaniadique
La voie proposée dans les parties les plus anciennes du Veda est qualifiée de « voie des
actes » (karma-mārga), de la racine verbale k « faire ». Cette voie des actes impliquait
que chacun accomplisse son devoir afin que l’ordre (ta) règne dans le monde, y
compris les sacrifices. Aux environs du VIIème ou VIème s. avant J.-C., la pensée
indienne accède peu à peu à une réflexion de type philosophique, se dégageant
progressivement du mythe. Cette ébauche de spéculation s’actualise dans les Upaniad.
Celles-ci apparaissent le plus souvent sous la forme d’un dialogue entre un maître et ses
disciples. Les principales ont été composées entre le VIème et le IIIème s. av. J.-C. Avec
elles, on assiste à une intériorisation du rite, on voit naître les prémices de la réflexion
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philosophique. Elles reflètent une activité intense de la spéculation au sein de la société
indienne. Le sens premier du terme upaniad serait « connexion » ou « équivalence »,
connexion entre des êtres ou des choses considérées comme liées. Elles établissent donc
des connexions entre différentes réalités, fondées sur des analogies micro-/macro-
cosmiques.
Elles élaborent une réflexion sur le concept de karman « acte », « action ». Il s’agit de
toute forme d’action humaine (l’activité professionnelle, le travail du guerrier ou du roi,
le travail du serviteur, de la femme, mais aussi, le travail religieux i. e. le rite, etc.), y
compris l’activité psychique (exercice de l’intelligence, les mouvements de notre
imagination, l’émotivité). Dans ce schéma de pensée, le rite est un acte au même titre que
les autres, c’est-à-dire une peine que l’on se donne pour produire quelque chose.
Ce qui pousse l’homme à agir, c’est le désir, le désir qui naît de besoins ou de manques.
Or, l’acte produit un résultat, le fruit de l’acte. Ainsi, on voit se dessiner l’enchaînement
suivant :
désir Î acte Î fruit
C’est à partir de l’époque des Upaniad que l’on accorde une attention de plus en plus
précise et analytique au jeu du désir comme moteur de nos actions, aussi bien extérieures
qu’intérieures. Ces actions laissent des traces en nous : ce que je suis aujourd’hui est en
grande partie le résultat des actions passées, de ce que j’ai fait et de ce que je n’ai pas fait.
Le fruit que je peux attendre d’une action sera toujours imparfait, incomplet. Personne
n’est pleinement satisfait de ce qu’il a fait : il y a toujours comme un goût de « trop peu »
dans le fruit du karman. En plus, tout ce que j’ai pu réaliser disparaîtra assez vite (cfr, par
exemple, le travail agricole, sans cesse à recommencer). Le fruit est donc perçu comme
imparfait et éphémère.
désir Î acte Î fruit Î désir
Mais – idée plus spécifique à l’hindouisme – ce cycle ne s’arrête pas à la mort. Il se
poursuit au-delà de la mort : le mécanisme est lancé. Alors qu’il semble s’interrompre, il
reprend sa course ailleurs et autrement. Il y aura une autre naissance, déterminée par la
qualité de ce que j’ai été dans le passé. Si j’ai bien vécu, j’aurai tendance à renaître dans
une caste supérieure, si j’ai mal vécu, je risque de renaître dans le règne animal. C’est la
loi de rétribution des actes. Dans la nouvelle vie, on entre dans la même mécanique qui
relance une nouvelle naissance.
Dès lors, comment sortir de ce mécanisme ? Presque toutes les écoles de l’hindouisme et
du bouddhisme depuis l’époque des Upaniad tentent de dire comment échapper au flot
des renaissances (sasāra) : c’est ce que l’Inde appelle la « délivrance », la « libération »
(moka).
Cette question s’articule selon plusieurs axes : y a-t-il délivrance ? Quelle délivrance ?
Par quels moyens ? Quelle est la continuité ou la discontinuité d’une naissance à l’autre ?
Peut-on avoir le souvenir des vies antérieures ? Enfin, y a-t-il une réalité ou un principe
qui laisse la perspective d’une libération du flux des renaissances, du bouillonnement
continuel qu’est le sasāra ? Existe-t-il un principe qui échappe à ce courant, qui ne
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donne pas de prise au sasāra, autrement dit qui soit stable, immuable, permanent, qui
ne connaisse ni naissance, ni mort ?
Dans ce contexte, L’ancienne voie des actes paraît insatisfaisante. Celui qui sacrifie ne
fait qu’entretenir le désir, et ses actes, aussi méritoires fussent-ils, ne pourront recueillir
qu’un fruit provisoire : il atteindra sans doute une existence dans le monde des dieux,
mais seulement pour une durée limitée. Quand ses mérites auront été « consommés », il
devra renaître ici-bas et à nouveau mourir. Les actes n’assurent donc pas la délivrance.
De la même manière, les dieux se trouvent relativisés : ils ne peuvent libérer les hommes
du cycle des renaissances.
Le problème, c’est que l’homme prisonnier du sasāra ignore le plus souvent sa
condition : il est aveuglé par l’ignorance (avidyā). L’ignorance est la « racine » de l’arbre
du sasāra. Ce qui permet de sortir de ce cercle, c’est la connaissance (āna), la
connaissance salvifique. C’est pourquoi, la voie proposée par les Upaniad est définie
comme le āna-mārga par opposition au karma-mārga de l’ancien fonds védique. La
gnose est considérée comme la voie capable de saisir la vérité profonde et d’anéantir
l’ignorance qui maintient l’homme dans le cycle du sasāra.
Cette connaissance n’est pas une connaissance théorique, mais une « expérience »
intérieure, une connaissance « directe », non conceptuelle, inexprimable, de l’identité
entre le Soi (ātman), principe immortel de tout individu, et le Brahman, principe
cosmique impersonnel, Être absolu.
Pour parvenir à cette connaissance, à cette expérience, les Upaniad mettent en avant le
renoncement. Le renonçant est invité à éteindre le désir, à se dépouiller de ses
attachements, de sa tendance à l’appropriation, à se recentrer vers l’intérieur, à pratiquer
le « sacrifice mental » (mānasa-yajña), à accomplir l’« oblation dans le feu des souffles »
(prāāgnihotra).
Cet essai de formulation du réel et cette réflexion sur le processus de renaissance et la
délivrance ne sont pas étrangers au dialogue, ou plutôt au débat avec le bouddhisme.
2. La vie du Bouddha
2.1. Légende et histoire
Les sources qui racontent la vie du Bouddha sont relativement éloignées dans le temps
des événements qu’ils narrent. Les plus anciens datent du IIème s. av. J.-C., alors que,
selon les historiens occidentaux, le Bouddha serait né en 566 avant notre ère. Ces récits
biographiques sont emplis d’épisodes légendaires, qui servent notamment à renforcer le
caractère extraordinaire du fondateur du bouddhisme. Pour l’historien, la tâche est
ardue : il doit démêler l’histoire de la légende et tenter de rassembler les données les plus
assurées pour reconstituer la biographie de Siddhārtha Gautama. En revanche, pour les
bouddhistes, ces faits légendaires font partie intégrante de l’enseignement bouddhiste,
dans la mesure où ils révèlent quelque chose de la vérité religieuse expérimentée par le
Bouddha. Ils ont en quelque sorte une valeur illustrative ou édifiante.
2.2. Données biographiques
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