Pharmazie und Medizin · Pharmacie et médecine 8 Lignes directrices de la CMPS Remise urgente de médicaments sans prescription médicale Maria n n e B e u t l e r, Ku r t H e r s b e rg e r Dans les années 90, le bloc bleu de la CMPS était pour de nombreuses pharmacies le seul moyen de documenter la remise d’un médicament soumis à ordonnance à un patient en l’absence de prescription médicale. La généralisation des dossiers-patients électroniques dans les pharmacies et la nouvelle loi sur les produits thérapeutiques ont fondamentalement changé la situation tant pratique que juridique des pharmacies en ce qui concerne la remise de médicaments Rx sans présentation d’une ordonnance. La «Bonne pratique de remise et de documentation des médicaments» qui résulte de la révision des lignes directrices de 1992 par la CMPS est présentée dans cet article. La compétence des pharmaciens en ma­ d’un touriste étranger ou l’héparine injec­ tière de remise de médicaments soumis à table avant un long voyage en avion en ordonnance a été étendue suite à la ré­ fait partie? vision de la loi sur les produits thérapeu­ L’art. 24 n’entend pas contrevenir à tiques de 2000. Alors que l’ancienne loi l’obligation de remise d’un médicament n’autorisait une telle remise qu’en cas sur ordonnance, mais approvisionner de d’urgence, elle est désormais possible manière optimale les patients dans des dans des cas exceptionnels justifiés. situations thérapeutiques pressantes où ils sont dans l’incapacité de produire une Les bases légales prescription médicale (orale ou écrite). La loi charge le pharmacien de déterminer L’art. 24, al. 1, let. a de la LPTh stipule: s’il s’agit d’un cas exceptionnel justifié. En «Sont habilités à remettre des médica­ tant que membre d’une profession médi­ ments soumis à ordonnance: (…) les cale dûment formé, un pharmacien est pharmaciens, sur ordonnance médicale et, parfaitement capable de décider si un dans des cas exceptionnels justifiés, sans médicament Rx peut être remis sans or­ ordonnance médicale.» donnance pour le bien du patient. Une La loi ne précise pas ce qu’est un cas décision qui, dans chaque cas, doit pou­ exceptionnel justifié. Est-ce que l’antibio­ voir être justifiée médicalement et se tique d’une femme souffrant d’une cystite conformer à la pratique médicale habi­ aiguë non compliquée, l’antihypertenseur tuelle. pharmaJournal 16 | 8.2010 Application de la loi dans la pratique Pour aider les pharmaciens à appliquer la loi dans leur pratique quotidienne, la CMPS a établi les «Lignes directrices pour la remise par le pharmacien de médica­ ments soumis à ordonnance en l’absence de prescription médicale» (LdA). Elles définissent le cadre à l’intérieur duquel les pharmaciens peuvent remettre un médicament sans ordonnance sur la base de leurs connaissances médico-pharma­ ceutiques et dans le respect de leur devoir de diligence. Ces lignes directrices sont recom­ mandées par pharmaSuisse et mention­ nées dans la littérature conseillée par le QMS. De même, l’Association des phar­ maciens cantonaux y fait référence dans ses Règles de bonne pratique de remise de médicaments. En respectant ces lignes directrices, les pharmaciens remplissent donc les exigences de la Bonne pratique de remise de médicaments pour les au­ dits QMS et les inspections cantonales. En cas de problème juridique, le pharma­ cien est protégé. Les LdA ne prennent toutefois en compte que l’aspect politique de santé et pas les conditions de remise pour le rem­ boursement par la caisse-maladie des médicaments délivrés ou la rémunération Pharmazie und Medizin · Pharmacie et médecine de cette prestation particulière du phar­ macien. Lignes directrices pour la remise par le pharmacien de médicaments soumis à ordonnance en l’absence de prescription médicale (LdA) c) l e pharmacien prend toutes les mesures de sécurité requises, citées au point 2, et d) le pharmacien documente la remise conformément au point 4. C o m m entaire Toutes les conditions du point 1.1 doivent être remplies. D’une manière générale, le Ces lignes directrices décrivent les condi­ pharmacien doit toujours essayer de tions dans lesquelles la remise sans or­ joindre le médecin. donnance est autorisée, les mesures de sécurité qui doivent être prises et la forme 1.2 Les situations suivantes sont nommément que doit revêtir la documentation. envisageables pour la remise: Elles sont subdivisées en quatre cha­ a) La remise sert à écarter un danger pitres: direct. b) Le médicament sert au soulagement de 1. Dispositions générales (les condi­ symptômes aigus qui nécessitent une tions et les situations les plus fré­ intervention immédiate. quentes où le pharmacien peut en­ c) Le médicament sert à la poursuite d’un visager la remise d’un médicament) traitement qui a été prescrit par le 2. Mesures de sécurité médecin et qui ne doit pas être 3. Information du médecin interrompu. 4. Documentation d) Le médicament a déjà été prescrit et sert de réserve au cas où des symp­ La CMPS a mis au point un formulaire de tômes connus du patient et ayant déjà documentation pour les situations com­ fait l’objet d’un diagnostic médical, plexes et les décisions en matière de apparaîtraient. triage pharmaceutique. Il peut être rempli et sauvegardé électroniquement ou être C o m m entaire utilisé en version papier. Ce formulaire a La liste n’est pas exhaustive. Exemples de été conçu à titre de suggestion et d’aide situations possibles: pour les pharmaciens. Son utilisation est R Ecarter un danger direct: injection d’adrénaline en cas de choc anaphy­ facultative. Il peut être modifié en cas de lactique besoin et n’est disponible électronique­ R Soulagement de symptômes aigus: ment qu’en format A5. nitroglycérine en cas d’angine de Les lignes directrices, le formulaire, poitrine ainsi que le présent article peuvent être téléchargés depuis le site www.pharma­ R Poursuite d’un traitement prescrit par le médecin et qui ne devrait pas suisse.org R Prestations R Modèles de être interrompu: antibiothérapie, bê­ documents (login pour membres). tabloquants/diurétiques/IECA en cas d’insuffisance cardiaque, anticoagu­ Suit la présentation des différents cha­ lants pitres assortie d’un commentaire. Le for­ mulaire de documentation est présenté R Médicament déjà prescrit en tant que réserve: antibiotique pour traiter en page 11. une cystite chez la femme 1. Dispositions générales 2. Mesures de sécurité 1.1 L a remise par le pharmacien de médica­ ments sous ordonnance sans prescription médicale est autorisée sans ordonnance médicale dans des situations thérapeu­ tiques pressantes, lorsque a) le patient et le pharmacien ne parviennent pas à joindre le médecin ou le trajet jusqu’au cabinet du médecin n’est pas envisageable, et b) la remise est indispensable pour poursuivre un traitement prescrit par le médecin, pour lutter contre des symptômes aigus et intolérables ou pour prévenir un risque pour la santé du patient, et pharmaJournal 16 | 8.2010 2.1 L a remise doit s’effectuer dans le respect du devoir de diligence: des dispositions particulières de l’autorité (loi sur les stupéfiants, dispositions cantonales) demeurent réservées. 2.2 La remise s’effectue exclusivement par le pharmacien et après un entretien personnel avec le patient au cours duquel les points suivants doivent être élucidés: a) Les affirmations du patient semblent crédibles. Ces dernières doivent être vérifiées au besoin. b) L’indication pour l’emploi du médica­ ment est plausible. c) L a survenue d’effets indésirables graves peut être exclue selon toute probabilité. Il faut néanmoins tenir compte des restrictions d’emploi, des interactions et des risques d’abus. La santé du patient n’est raisonnablement pas compromise s’il n’y a pas de consultation médicale ou que celle-ci aura lieu plus tard. d) Le patient doit être incité à consulter un médecin si nécessaire. 2.3 Le patient se voit remettre uniquement la quantité nécessaire du médicament. 2.4 Le patient doit être informé explicitement du fait que le médicament n’a été remis sans ordonnance qu’à titre exceptionnel. Commentaire D’une manière générale, le pharmacien effectue un triage lors d’un entretien per­ sonnel avec le patient dans la pharmacie. Un entretien par téléphone est possible ou un représentant du patient accepté dans des cas spéciaux, comme un patient alité ou incapable de se déplacer et s’il s’agit d’un enfant. On notera toutefois qu’il n’est pas toujours facile d’évaluer un état clinique par téléphone ou sur la base d’une description de la personne réfé­ rente. Le nom des tiers qui ont participé à l’évaluation et au triage pharmaceutique doit être mentionné. Le devoir de diligence comprend également le respect des lignes directrices spécifiques à la maladie. 3. Information du médecin Si nécessaire, le pharmacien informe directe­ ment le médecin traitant d’un commun accord avec le patient. Commentaire L’information du médecin doit être prise en considération dans les traitements de longue durée (diabète, hypertension, épi­ lepsie, BPCO, etc.). Elle est essentielle lors du traitement d’un dérèglement ou d’une exacerbation, comme la reprise d’une antibiothérapie en cas d’infection aiguë chez un patient atteint d’une BPCO. 4. Documentation 4.1 T oute remise doit être documentée de façon appropriée. 4.2 La documentation peut s’effectuer sous forme électronique. 4.3 Chaque dispensation doit porter la mention «Remise en l’absence d’ordon­ nance médicale». Ceci signifie que le patient a été informé du caractère exceptionnel de la remise sans ordon­ nance. 9 Pharmazie und Medizin · Pharmacie et médecine 10 4.4 L a documentation doit contenir les informations suivantes: a) Nom, prénom, sexe, date de naissance, domicile b) Médecin traitant c) Motifs/justification d) Médicament, y compris posologie et éventuelles recommandations supplémentaires e) Signature ou sigle permettant d’identifier clairement le pharmacien qui a remis le médicament f ) Le cas échéant, consultation recom­ mandée chez un médecin g) Le cas échéant, contact du pharmacien avec le médecin 4.5 La documentation destinée au patient comprend au minimum une étiquette de posologie individualisée sur l’emballage avec la mention «Remise urgente de médicaments». Comm e n t a i re Toute remise urgente de médicament sans prescription médicale doit être docu­ mentée et les justificatifs conservés pen­ dant cinq ans. Les éléments de documen­ tation obligatoires peuvent être saisis dans tout logiciel de pharmacie. On peut utiliser des documents imprimés ou sau­ vegardés électroniquement. Le patient doit être informé que le médicament en question lui est remis en urgence sans prescription médicale. Une étiquette de posologie individualisée sur l’emballage portant la mention «Remise urgente de médicaments» est obligatoire. Cette mention doit figurer aussi sur le ticket de caisse. Signature du patient? Avec le bloc bleu, le justificatif était établi en deux exemplaires et visé à la fois par le pharmacien et par le patient. De nos jours, la documentation par le seul pharmacien est considérée comme suffi­ sante. Juridiquement, la signature du pa­ tient n’est donc plus nécessaire. Comme l’anamnèse pour les médecins, une do­ cumentation conforme aux lignes direc­ trices pour la remise par le pharmacien de médicaments soumis à ordonnance en l’absence de prescription médicale suffit pour une enquête juridique ou adminis­ trative. C’est la raison pour laquelle la si­ gnature du patient n’est pas mentionnée dans les lignes directrices ni prévue dans la documentation. Chaque pharmacien est cependant libre d’exiger la signature du patient dans certains cas. pharmaJournal 16 | 8.2010 Conclusion La remise urgente de médicaments sou­ mis à ordonnance en l’absence de pres­ cription médicale constitue une énorme responsabilité pour le pharmacien et sup­ pose des connaissances cliniques et phar­ maco-thérapeutiques approfondies. La décision de remettre un médicament, d’attendre sans remettre le médicament ou d’envoyer le patient chez un médecin représentatif ou aux urgences est souvent prise en se fondant sur les dires du pa­ tient et sur l’évaluation de son état géné­ ral. Des moyens diagnostiques sont plus rarement disponibles, comme la prise de la tension artérielle ou du pouls, l’évalua­ tion de l’état général, l’inspection de la peau ou l’analyse bactérienne des urines. Les LdA devront être complétées par des directives spécifiques thématiques afin de permettre aux pharmaciens de gérer les cas d’urgence de manière opti­ male. Il faut en outre que l’évaluation exacte de la situation des patients soit incluse dans la formation des pharma­ ciens, approfondie dans la formation continue, régulièrement remise à jour dans la formation postgraduée et adaptée aux nouvelles avancées de la médecine et de la pharmacothérapie. Avec la remise urgente et respon­ sable de médicaments soumis à ordon­ nance, les pharmaciens n’apportent pas seulement une contribution majeure à la santé et au bien-être de leurs clients. Cette compétence a également un impact économique positif sur le domaine de la santé en évitant les visites superflues chez le médecin, les consultations d’urgence et les dysfonctionnements thérapeutiques ainsi que leurs conséquences financières. z Le présent article a été rédigé sur mandat de la CMPS par le Dr pharm. Marianne Beutler, directrice de la CMPS, Egg, et le Prof. Kurt E. Hersberger, président de la CMPS, département des sciences pharmaceutiques de l’Université de Bâle. Adresse de correspondance Prof. Kurt E. Hersberger Pharmaceutical Care Research Group Klingelbergstrasse 50 CH-4056 Bâle