ALYA AGLAN, OLIVIER FEIERTAG, YANNICK MAREC
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mesurent en général les choses à des aunes qui sont fausses: convoitant
pour eux-mêmes et admirant chez autrui le pouvoir, le succès et la richesse,
ils sous-estiment en revanche les vraies valeurs de la vie
2 .» D’après un
sondage de 1947, cité par éodore Zeldin
3 et repris dans Histoire de la vie
privée, à la question: «Qu’est-ce qui est le plus précieux dans la vie ?», 1%
des hommes et 5% des femmes répondent: «l’amour» ; 47% des hommes
et 38% des femmes: «L’argent
4 .» Georges Perec dans Les choses. Une
histoire des années soixante, publié en 1965 met en scène le rapport à l’argent
d’un jeune couple, travaillé par l’attente de l’argent, vécu comme seule voie
d’accès à un monde où l’épanouissement personnel serait possible:
«Entre eux se dressait l’argent. C’était un mur, une espèce de butoir
qu’ils venaient heurter à chaque instant. C’était quelque chose de pire que
la misère: la gêne, l’étroitesse, la minceur. Ils vivaient le monde clos de
leur vie close, sans avenir, sans autres ouvertures que des miracles impos-
sibles, des rêves imbéciles, qui ne tenaient pas debout. Ils étou aient. Ils
se sentaient sombrer. Ils pouvaient certes parler d’autre chose, d’un livre
récemment paru, d’un metteur en scène, de la guerre, ou des autres, mais
il leur semblait parfois que leurs seules vraies conversations concernaient
l’argent, le confort, le bonheur 5 .»
Philosophes, économistes, anthropologues et psychanalystes l’appréhen-
dent aujourd’hui comme fait de langage comme le montre la publication
en2004 aux éditions La Découverte, sous la direction de Marcel Drach,
d’un colloque intitulé L’argent. Croyance, mesure, spéculation ou, en 1992,
sous la direction de Roger-Pol Droit, Comment penser l’argent ? 6.
À l’horizon d’une histoire totale, à la croisée de l’histoire sociale, politi-
que, économique, culturelle et religieuse, l’argent est longtemps demeuré
distinct de la nance et mal cerné par les historiens qui, à quelques excep-
tions notables 7 , ne s’y sont guère intéressés. Dans Histoire de la vie privée,
il appartient au domaine du secret, du con dentiel, sauf dans certains pays
comme la Suède où les déclarations scales sont publiques 8 . À la fois fruit
2. Cf. Sigmund F, Le Malaise dans la civilisation, Paris, Éditions Points Seuil, 2010, p. 43.
3. Cf. . Z, Histoire des passions françaises, Paris, LeSeuil, 1980-1981, 5 volumes.
4. Cf. Philippe A et Georges D (dir.), Histoire de la vie privée, t.5, De la Première Guerre
mondiale à nos jours, Paris, LeSeuil, 1987, p. 167.
5. Cf. Georges P, Les choses, Paris, Julliard, 1965, p. 67-68.
6. Cf. Roger-Pol D (dir.), Comment penser l’argent ?, Paris, Le Monde Éditions, 1992.
7. Cf. Pierre Vilar, Or et monnaie dans l’histoire 1420-1920, Paris, Flammarion, 1974 ; Charles P.
K, Histoire mondiale de la spéculation nancière de 1700 à nos jours, éditions PAU,
1994 (traduction française de Manias, Panics and Crashes: A History of Financial Crises, 1989) ; John
Kenneth G, L’argent, Paris, Gallimard, 1976 (traduction de Money, whence it came, where it
went, 1975) ; Jacques M, L’Argent des Français, Paris, Perrin, 2009. Voir aussi Les Français et
l’argent, L’Histoire, n° spécial, novembre 1996 ; en 2006, les Rendez-vous de l’Histoire de Blois avaient
également abordé le sujet sous le titre L’argent en avoir ou pas. En n, il faut mentionner ici le cours
qu’Alain Plessis a dispensé à l’université de Nanterre dans les années 1990 et qui est d’une certaine
manière à l’origine de cet ouvrage.
8. Cf. Philippe A et Georges D (dir.), Histoire de la vie privée, op. cit., p. 582.
[« Les Français et l’argent », Alya Aglan, Olivier Feiertag et Yannick Marec (dir.)]
[ISBN 978-2-7535-1336-5 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]