Une lecture musulmane du testament de Christian de Chergé
Une lecture musulmane du testament de Christian de Chergé
Ce qui est frappant d’entrée de jeu avec le testament spirituel de Christian de Chergé, c’est son
titre: «Quand un A-DIEU s’envisage». Je crois percevoir un premier message dans ce titre,
qui me parle d’un Dieu sans visage… Oui, j’entends cela dans la phrase «Quand un A-DIEU
s’envisage», aussi étonnant que cela puisse paraître. Mais que vient faire ce «Dieu sans
visage» dans ce titre du Testament spirituel de Christian de Chergé? Comme nous le verrons
plus loin, il est question pour lui de voir ses frères musulmans avec «le regard du Père» vers
la fin du texte… Mais au commencement de son testament, il envisage son départ hors du
monde des vivants, il est comme dans un entre-deux, il ne voit pas encore avec le regard du
Père, il est dans l’angoisse humaine, naturelle: il est face à un Dieu sans visage.
Christian de Chergé envisage donc «d’être victime du terrorisme» à la charnière des années
93-94 si terribles pour le peuple algérien au sein duquel il a vécu enfant et où il vit depuis plus
de 20 ans. Il sent que cette fin dramatique est possible, probable. Il vit alors la finitude humaine
avec acuité, il est plus proche que jamais du mystère de l’incarnation. Mais avant de partir, s’il
faut partir, il veut transmettre un message au monde, un message important pour l’avenir, un
message de vie, un message de paix.
Sa vie en Algérie a été marquée, fécondée en particulier par un «ribat el salam», un «lien de
paix» vécu avec des soufis de Médéa de la Tariqa alawiyya (sous forme de rencontres
régulières) (1), mais de manière plus générale, par ses nombreuses et régulières rencontres
avec des musulmans algériens. Christian de Chergé était lecteur du Coran, il citait
régulièrement des sourates dans ses homélies, et il alla jusqu’à reconnaître que le message
coranique est parole de Dieu adressée aux hommes (2), ce qui n’est sans doute pas le cas de
beaucoup de chrétiens, pour ne pas dire la majorité, même si beaucoup sont adeptes du
fameux dialogue interreligieux….
Alors il y a quelque chose qu’il ne veut pas par-dessus tout, par-dessus sa propre mort, c’est
que les SIENS, sa communauté, son Eglise, sa famille, accusent l’Islam et les musulmans de
son meurtre. La première phrase de son Testament spirituel est sans ambiguïté, elle a le
tranchant de l’engagement sans hésitation, la fermeté de la décision responsable, réfléchie: «
ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays». Voilà qui est clair! Un don vrai, ça n’hésite pas, ça
ne barguigne pas, ça ne se marchande pas: Christian donne sa vie à Dieu et à l’Algérie!
Faut-il alors rappeler qu’en 1960, un garde champêtre prénommé Mouhammed (tout un
symbole!) a été assassiné par des moudjahidines pour avoir sauvé la vie de son ami Christian,
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