Jésus dans les média

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~Nouveau
Testament--------------
Excitations, hésitation.
Les « trouvailles» qu'on claironne à propos des origines chrétiennes,
de fragments d'Evangiles datés du 1er siècle,
exigent une science si pointue pour qu'on les apprécie,
que le pauvre petit théologien demande de l'aide.
Heureusement que Samuel BÉNÉTREAU,
professeur émérite de NT à la FLTE, vient à son secours.
L'Evangile à Qumran ?
aux origines du Nouveau Testament.
Jésus dans les média
parSamuelBÉNÉTREAU
Jésus superstar?
O
n pourrait le croire à en juger par la
floraison d'articles à son sujet parus
ces derniers mois dans les journaux
et revues grand public, sans compter les
livres de tous niveaux et de toutes tendances qui parviennent régulièrement
aux librairies. Comme on s'en doute, il
faut quelque nouveauté piquante pour
exciter la verve des journalistes et leur
faire espérer l'accueil des lecteurs. Ce
n'est évidemment pas la dévotion paisible des fidèles qui retiendra l'attention,
mais quelque événement inattendu, surtout s'il sent le soufre en mettant en
cause des idées chères ou des institutions vénérables. C'est ainsi que de
grandes revues, les américaines Time et
Newsweek, L'Express en France, n'ont
pas manqué de faire écho au Jesus
Seminar, colloque qui, en Californie, rassemble périodiquement depuis plus de
dix ans des théologiens libéraux ressassant de vieilles critiques rationalistes à
l'égard de convictions chrétiennes de
base. Les évangiles, la personne de
Jésus, y sont passés au crible de leur
soupçon par une application sans
nuance de procédures dites « scientifiques » en honneur dans des travaux
modernes sur le Nouveau Testament. La
foi en la résurrection du Christ, entre
autres, est vigoureusement attaquée.
Quelques publications (Time, L'Express), soucieuses d'équilibre et voulant
ménager leurs lecteurs plus traditionalistes, font état, dans les mêmes numéros de l'intervention retentissante de
~20_----------------------Fac-Réflexio"
n° 36
---------------Nouveau TestamentCarsten Peter Thiede qui va dans le
sens exactement opposé, celui de la
confiance au texte sacré, mais qui se
révèle aussi déstabilisatrice.
Reprise de la thèse de
O'Callaghan sur Marc
Thiede, jeune théologien allemand,
responsable d'un centre de recherche
en épistémologie à Paderborn, vient en
effet de relancer à grand bruit la thèse
du paléographe catalan José O'Callaghan, vieille de quatorze ans, selon
laquelle on posséderait en un fragment
de papyrus trouvé dans une grotte de
Qumran et daté de 50 au plus tard un
passage de l'évangile de Marc. Le
caractère révolutionnaire de la proposition réside dans l'époque indiquée
encore plus que dans la localisation.
Selon O'Callaghan, cet évangile aurait
donc été écrit moins de 20 ans après la
mort de Jésus et pourrait avoir le statut
de témoignage direct, oculaire, alors que
le « consensus critique » le situe une
génération plus tard, laissant la place à
une assez longue période de transmission orale et donc à des possibilités de
modification. Il faut toutefois signaler que
ce consensus est relatif et qu'.ij y a toujours eu des contestations sur les dates
de rédaction des évangiles, parfois pour
les repousser, parfois pour les avancer ;
on ne dispose pas d'indices indiscutables. Sans parler des travaux des
auteurs se rattachant ouvertement au
courant « évangélique ", on peut mentionner quelques spécialistes qui, à notre
époque, ont plaidé avec conviction en
faveur de l'ancienneté des textes, l'anglican Robinson(1), les catholiques CI. Tresmontant(2), J. Carmignac(3l, et, tout
récemment, P. Rolland(4). L'originalité de
O'Callaghan et de Thiede et l'intérêt de
leurs contributions résident dans leur
compétence de spécialistes en paléographie: ils travaillent directement sur
les manuscrits.
" y a toujours eu des contestations sur les dates de rédaction des évangiles, parfois pour
les repousser, parfois pour les
avancer; on ne dispose pas
d'indices indiscutables.
Nous avions relevé dans la revue
Ichthus (n° 38), en décembre 1973, la
diversité des réactions à l'identification
proposée par O'Callaghan : 7Q5 (désignation du fragment trouvé dans la
grotte 7 de Qumran) = Mc 6.52-53
(d'autres identifications de passages du
Nouveau Testament étaient considérées
(1)
JAT. Robinson, Redating the New testament,
London, SCM Press, 1976.
(2)
CI. Tresmontant, Le Christ hébreu.' la langue et
l'âge des évangiles, Paris. O.E. I.L. , 1983.
(3)
J. Carmignac, La naissance des évangiles
synoptiques, Paris, 0 .E.I.L., 1984.
(4)
Ph. Rolland, L'origine et la date des évangiles .'
les témoins oculaires de Jésus, Paris, éd. Saint
Paul, 1994. Du même auteur: Présentation du
Nouveau Testament, selon l'ordre chronologique et la structure littéraire des écrits apostoliques, Editions de Paris, 1996.
Fac-Réflexioll n° 3 6 - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2 1 - -
-Nouveau Testament-------------comme probables). Puis l'intérêt était
retombé progressivement et le doute
l'emportait chez beaucoup. C'est alors
que C.P. Thiede, après avoir démontré
l'étendue de sa science et de sa curiosité
dans différentes directions (on lui doit,
entre autres, un livre sur Simon Pierre),
reprend avec éclat les conclusions du
Jésuite catalan et fait parartre en allemand
puis en anglais un livre pour les défendre(5). La même année, se réunit à l'Université catholique d'Eichstatt un colloque
consacré aux rapports entre le christianisme primitif et Qumran qui s'intéresse
à la pensée commune de O'Caliaghan et
de Thiede(6). Thiede défend encore l'identification de O'Caliaghan 7Q5 = Mc 6.5253 contre d'autres propositions, en particulier une identification à Zacharie
7.4-5(7). Le public français est informé de
sa démarche et de ses conclusions dans
un livre, traduit de l'anglais: Qumran et
les évangiles(8). Le nouveau et bouillant
(5)
C.P Thiede, Oie alteste Evange/ien Handschrift ?
oas Markus Fragment von Oumran und die
Anfange der schriftlichen Überlieferung des
Neuen Testament, Wuppertal-Zürich. R. Brockhaus, 1990. Et The Ear/iest Gospel Manuscript ?
The Oumran Fragment 705 and its Significance
for New Testament Studies, London, Paternoster, 1992.
(6)
Les travaux de ce colloque sont rassemblés
dans le livre Christen und Christ/iches in Oumran, Regensburg, éd. B. Mayer, Verlag Friedrich
Pustet, 1992.
(7)
C.P Thiede, Greek Fragment 705 : Possibilities
and Impossibilities, Bib/ica 75/3, 1994, p. 394398.
(8)
C.P. Thiede, Oumran et les évangiles. Les
manuscrits de la grotte 7 et la naissance du
Nouveau Testament. Le fragment 705 est-il le
plus ancien manuscrit de l'évangile de Marc ?,
trad. M. Huguet, F.-X. de Guibert, Paris, 1994.
__ 22
défenseur de la présence de l'évangile de
Marc à Qumran estime fournir d'autres
appuis par une examen encore plus
poussé du fragment et de son contexte. Il
fait état de conclusions favorables d'un
rapport « d'enquête criminelle » de
l'Investigation Oepartment de la police
nationale d'Israël sur 7Q5 (p. 97s. du livre
en français).
Thiede et l'ancienneté de
l'Evangile selon Matthieu
Il restait à Thiede à apporter sa propre
pierre à l'édifice de la démonstration de
l'ancienneté des évangiles. C'est chose
faite en 1995. Dans une revue spécialisée en papyrologie et en épigraphie il
publie un article où il estime pouvoir établir que trois fragments conservés au
Magdalen College d'Oxford portant,
recto et verso, quelques versets de
l'évangile selon Matthieu doivent être
datés du premier siècle et non à la fin du
deuxième siècle selon l'opinion reçue(9).
Cet ensemble de fragments désigné
par P MAGD 17 (p64 dans la nomenclature Gregory-Aland), contenant Mt 26.78, la, 14-15, 22-23, 31, 32-33, pourrait
être situé peu après 70, ce qui suppose
une rédaction ancienne de cet évangile
également. La démonstration repose
surtout sur le type d'écriture, comparé à
d'autres textes du premier siècle. La
thèse a un retentissement théologique
non seulement en raison de la confiance
(9)
CP. Thiede, Papyrus Magdalen Greek 17 - Gregory-Aland 64 -. A Reappraisal, Zeitschrift für
Papyrologie und Epigraphik 105, 1995, p. 13-20.
Fac-Réflexion nO 36
- - - - - - - - - - - - - - Nouveau Testamentqu'inspirent des textes proches des événements, mais aussi du fait de la présence dans P MAGD 17 de nomina
sacra, de désignations de Jésus par ks
= kurios, Seigneur. Ce serait la preuve
que l'attribution à Jésus de titres divins
n'est pas un développement christologique postérieur.
La thèse a un retentissement
théologique non seulement en
raison de la confiance qu'inspirent des textes proches des
événements, mais aussi du
fait de la présence dans P
MAGD 17 de nomina sacra, de
désignations de Jésus par ks
= kurios, Seigneur.
Les réactions. Le problème
des rapports entre le christianisme primitif et Qumran.
Les réactions ont été nombreuses et
vives! Déjà un article de M. D'Anconna
dans The Times (24.12.94) avait mis le
feu aux poudres! L'adhésion enthousiaste de certains se détachait sur une
large front d'opposition ou au moins de
réserve. Etaient en cause non seulement
l'appartenance de ces textes fondateurs
à la « période apostolique » et leur solidité, mais aussi une question historique
considérable, celle des rapports entre le
christianisme primitif et la communauté
de Qumran. Si la présence de fragments
d'évangile à Qumran, à une date reculée,
s'imposait, il faudrait envisager des relations étroites, au moins amicales, entre
les deux groupes. Thiede consacre un
long développement à ce sujet (p. 86-96
du livre en français). Une grotte « chrétienne» à Qumran s'expliquerait par le
voisinage à Jérusalem d'un « quartier
essénien » (FI. Josèphe mentionne l'existence d'une « porte des esséniens» au
Sud-Ouest du Mont Sion(10)) et des lieux
de rencontre de la jeune Eglise. Des liens
auraient été tissés qui feront que, lorsque
les chrétiens fuiront la ville sainte en 66
pour gagner Pella, ils confieront leurs
précieux écrits à leurs « amis » esséniens
pour qu'ils en assurent la sauvegarde
dans leur communauté du désert(11). Le
livre collectif rendant compte des travaux
du colloque d'Eichstatt aborde longuement ce problème. Il y a diversité d'avis,
mais plusieurs intervenants (B. Pixner,
R. Riesner, E. Ruckstuhl) vont, jusqu'à un
certain point, dans le sens des idées de
Thiede à ce propos.
Pour l'identification et la datation proposées des textes des évangiles, la
réaction de nombreux spécialistes du
Nouveau Testament est réservée, parfois franchement hostile. Le débat
n'épargne pas les publications évangéliques. D.B. Wallace publie dans deux
revues, Westminster Theological Joumal
(10)
FI. Josèphe. Guerre, 5.4.2.
(11)
Thiede propose encore deux autres scénarios,
montrant par là le caractère hypothétique de sa
reconstruction.
Fac·Réjlexioll n° 3 6 - - - - - - - - - - -
23 __
-Nouveau Testament--------------(printemps 94) et Bibliotheca Sacra(12)
(été 94) des articles nettement critiques.
Tyndale Bulletin (46/1, 1995) donne la
parole à Thiede à propos de la datation
de P MAGD 17 (p64) = Mt 26, mais le
même numéro accueille une réplique de
Ph.W. Comfort qui maintient l'appartenance de ce fragment à la deuxième
moitié du deuxième siècle(13). Dans le
numéro suivant (46/2, 1995) P.M. Head
objecte également aux conclusions de
Thiede(14). Il est vraisemblable que la discussion se poursuivra.
Conclusion
Que penser, quand on n'est pas un
spécialiste de la paléographie et que
certains éléments du débat restent hors
de portée? La prudence s'impose, et
aussi la sérénité. Les chrétiens évangéliques peuvent être tentés de s'emballer,
car ces « découvertes ", pensent-ils, fortifient leur position. Mais leur respect de
l'Ecriture ne doit pas dépendre d'une
(12)
D.B. Wallace, " 7Q5 : The Earliest NT Papyrus? ", Westminster Thealagical Journal 56,
1994, p. 173-180, et A Review of The Earliest
Gospel Manuscript ? by Carsten Peter Thiede,
Bibliotheca sacra 603, Juillet-Septembre 1994,
p.350-354.
(13)
CP Thiede, " Papyrus Magdalen Greek(1) 17Gregory-Aland p64 ", Tyndale Bulletin 46.1,
1995, p. 29-42. Ph.W. Comfort, " Exploring the
Common Identification of three New Testament
Manuscripts : p4, p64 and p6? ", Tyndale Bulletin 46.1, 1995, p. 43-57 ..
(14)
P.M. Head, " The Date of the Magdalen Papyrus of Matthew (P. MAGD. GR. 17 = p64) : A
Response to C.P. Thiede 7 ", Tyndale Bulletin
46.2,1995, p. 251-277.
_24
datation, de vingt ans de plus ou de
moins. Sans contester la légitimité et
l'intérêt de la recherche historique et textuelle, il faut reconnaître ce fait : la
conviction que les évangiles donnent
une connaissance suffisante et fiable de
la personne du Christ relève avant tout
de la certitude que Dieu veille sur sa
Parole et sur son Eglise. C'est une certitude de foi. Les textes tels qu'ils nous
sont parvenus, avec leurs variantes,
même si les auteurs ne sont pas nécessairement des témoins oculaires et
même si, comme certains théologiens
évangéliques l'admettent, la période de
transmission orale et d'utilisation diversifiée a laissé des traces dans la formulation, sont une base certaine pour la foi
dans le Christ Seigneur et Sauveur.
Les textes tels qu'ils nous sont
parvenus, avec leulS variantes,
sont une base certaine pour la
foi dans le Christ Seigneur et
Sauveur.
Ceci dit, il faut saluer le courage (quand
il s'accompagne de compétence !) de
ceux qui ne se laissent pas paralyser par
les champions d'une orthodoxie critique,
par un soi-disant consensus, et restent
libres d'examiner les documents d'un œil
neuf, quitte à bousculer les idées reçues.
Une étude attentive et courtoise de leurs
thèses, même si elles dérangent, est le
moins qu'on soit en droit d'attendre de
leurs confrères. Reste qu'il est trop tôt
pour tenir comme démontrée une dataFac-Réj/exÎOll nO 36
---------------Nouveau Testamenttion haute de Marc et de Matthieu.
Thiede va trop vite en réclamant dès
maintenant des éditeurs de Nouveau
Testament grec l'inclusion des fragments 705 et P MAGO 17 dans la liste
des témoins anciens des évangiles.
L'appui matériel est vraiment trop limité,
et des questions sérieuses restent
posées. O.B. Wallace (Westminster
Theological Journal, p. 179-180) souligne
la minceur de la base concrète, à propos
de 705 : « un petit morceau de papyrus
plus petit que le pouce d'un homme,
avec un seul mot sans ambiguïté kaï,
« et », et 6 lettres qui ne prêtent pas à
discussion ». P MAGO 17 n'est pas
beaucoup plus important. Même si les
arguments de O'Caliaghan et de Thiede
Fac-Réflexioll nO 36
paraissent dignes d'attention et si le
sérieux de leur démarche n'est pas en
cause, cette étroitesse du champ
d'investigation rend les conclusions fragiles. La remarque de Wallace est trop
sévère quand il déclare que si O'Callaghan n'était pas un papyrologue de
renom et si Thiede n'était pas un savant
allemand « on se demande si cette hypothèse aurait reçu plus qu'un regard
amusé de la part de la communauté
scientifique ». Heureusement, il s'est
trouvé des savants pour prendre le
temps de discuter leur hypothèse loyalement et pour saluer leur effort, même
quand ils ne sont pas convaincus.
•
S.B.
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