1. Nature de la philosophie
L’émergence de nouvelles pratiques pédagogiques dans le domaine de la
philosophie, l’envie de philosopher qui s’exprime depuis quelques années
dans le grand public, les succès d’ouvrages aux prétentions
philosophiques très diverses en librairie, nous portent à nous interroger
sur la nature du philosopher, voire à répondre à ceux qui questionnent la
légitimité de cette récente vulgarisation du désir philosophique. Le
philosopher renvoie-t-il à une érudition, à une réflexion générale sur le
monde et la vie, à un type de comportement, à un « parler pour ne rien
dire », à une analyse critique ? S’effectue-t-il en toute liberté ou à travers
certaines contraintes ? Autant d’acceptions et de possibilités rencontrées
ici ou là, qui nous porteront à trancher d’une manière particulière –
partiale ou partielle - et subjective sur les problèmes posés par le principe
d’une telle pratique. Plus d’un théoricien s’engagera sans scrupule sur
cette voie hasardeuse qui consiste à en déterminer l’essence, le sens et la
valeur de manière univoque et rigide, à condamner et vilipender telle ou
telle autre conception au sein de laquelle il lui semblera se nicher quelque
poison ou virus idéologique signifiant l’absence, voire la mort prochaine ou
lointaine de la philosophie. Certes, s’il n’est guère interdit de prendre parti
dans l’activité philosophique - la radicalité d’une théorisation a priori ne lui
est guère étrangère - demandons-nous tout de même si la fameuse
problématisation que les professeurs de philosophie réclament tant de la
part de leurs élèves ne pourrait pas tout autant être exigée des maîtres et
des théoriciens autorisés.
Qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’un discours, puisqu’il s’agit
principalement de discours, est de nature philosophique ? Est-ce quand la
pensée devient un objet pour elle-même ? Est-ce par le recours à
l’abstraction, qui permet de passer du narratif à l’explicatif, du mythe à la
rationalité ? Opposition qui présuppose au demeurant que la rationalité ne
soit pas elle-même d’ordre mythique, et que le mythe ne soit pas
rationnel. Est-ce par le fait de l’analyse ou de la conceptualisation ? Est-ce
le passage du vécu au réflexif ? Est-ce un discours qui est déjà réfléchi,
dont le contenu est déjà explicité, ou est-ce un discours qui incite à
réfléchir, porteur d’une pensée implicite ? Bien que nous admettrons,
comme dans toutes ces oppositions, que l’un des deux termes n’exclut pas
nécessairement l’autre. Est-ce avoir conscience de sa propre existence,
une conscience qui impliquerait d’être articulée par des mots ? Est-ce
l’émergence d’une métaphysique fondatrice, d’une ontologie, ou celle
d’une pensée critique ? Est-ce la récurrence d’une pensée ou l’élaboration
d’un système ? Est-ce l’objet de la réflexion ou la manière de réfléchir qui
Le problème de la philosophie