Les perspectives de management
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lisme et de la société de consommation d’hier et, du coup, l’immatériel
acquiert une matérialité toute marchande. Sous le regard de l’économie
numérique, la croissance n’a plus de limite, si ce n’est celle des ressources
cognitives d’humains enchevêtrés dans un réseau numérique mondial. Le
savoir devient alors tout à la fois ressource, mode de transformation et
produit dans des usines d’imaginaire les producteurs matérialisent leur
savoir dans des produits immatériels qu’ils s’empressent de consommer au
moyen d’un réseau informationnel. Les transformations économiques ne se
limitent toutefois pas à la dématérialisation numérique des produits. Des
investisseurs atomisés et regroupés sous des bannières financières prennent
le relais des propriétaires d’hier et donnent une toute nouvelle légitimité au
métier de gestionnaires dont le rôle ne cesse de se redéfinir, coincés qu’ils
sont entre la démocratie boursière qui, d’anticipations en spéculations, se
fait tyrannique et s’invente des produits dérivés totalement immatériels, et
la hiérarchie qui s’aplatit socialement pour mieux s’étendre ographique-
ment. Enfin, la globalisation planétaire des marchés annonce des lende-
mains qui chantent. En termes strictement financiers, cela semble, en effet,
être une très bonne nouvelle. En fait, dans l’univers économique rien n’est
jamais acquis, ni simple, ni noir ou blanc. Si la globalisation des marchés et
l’élimination progressive des multiples barrières tarifaires qui freinent tou-
jours l’avancé d’un marché mondial a de quoi réjouir ceux et celles qui n’y
voient qu’une multiplication exponentielle de la demande, ces facteurs
impliquent aussi une croissance tout aussi exponentielle de la concurrence
à laquelle le management n’aura d’autre choix que de s’ajuster.
À l’évidence, la société contemporaine est donc en pleine mutation et il
n’est pas surprenant de voir le management s’engager sur le chemin d’une
refondation de façon à assurer sa légitimité en tant que solution pratique
aux problèmes des Temps présents. Cette refondation ne sera pas simple à
accomplir et, bien qu’elle soit présentement en cours et donc inachevée et
incertaine, il est néanmoins possible, comme en témoigne le tableau 1.5,
d’en esquisser les premières tentatives théoriques.
Les perspectives de management
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Tableau 1.5
Les théories de la période
de refondation du management
LA PÉRIODE
DE REFONDATION
DU MANAGEMENT
1990-
LE MANAGEMENT
TECHNIQUE
LE MANAGEMENT
SOCIAL
La refondation
des pratiques classiques
La critique sociologique
du management
La gestion de projet
Les meilleures pratiques et le
benchmarking
La logistique
La réingénierie des processus
La gestion de la diversité
La gestion juridique
Les tableaux de bord
L’ancrage social des techniques
Les modes en gestion
Critique de l’utilitarisme
Le management
des connaissances
La critique philosophique
du management
La gestion des connaissances
Les systèmes intégrés de gestion
La gestion du capital intellectuel
L’éthique des affaires
L’épistémologie des sciences de
la gestion
L’humanisme
Le management
de la créativité La critique psychologique
du management
La gestion des équipes créatives
La gestion des organisations
créatives
La gestion des villes créatives
La psychopathologie au travail
Les émotions et la décision
La créativité
La responsabilité sociale
d’entreprise
La critique citoyenne
du management
Le développement durable
L’éthique appliquée
La responsabilité sociale
Les environnementalistes
Les altermondialistes
Il ressort de ce tableau qualors même quil tente de refonder ses pratiques
en faisant entrer dans son architecture des réalités jusqu’alors absentes,
telles les connaissances, la créativiet la responsabilité sociale, le mana-
gement technique est l’objet de vives critiques sociologiques, philoso-
Les perspectives de management
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phiques, psychologiques et citoyenne qui, toutes, mettent en cause sa légi-
timité en tant que solution aux problèmes que pose la société actuelle.
Le management technique
Le management technique entreprend son œuvre de refondation par un
retour sur les processus administratifs classiques qui sont au cœur de son
architecture. Il s’agit, en quelque sorte, de refonder les processus de plani-
fication, d’organisation, de direction et de contrôle à la lumière des nou-
velles exigences de la société. Selon les théoriciens du premier courant
théorique de la période, puisque tout est éphémère et que les consomma-
teurs ont des exigences sans cesse fuyantes et changeantes, les organisa-
tions et leur gestion devraient être repensées en termes de projets dans les-
quels les processus administratifs classiques prendraient une diversité de
colorations93. C’est dire que la refondation des pratiques classiques passe-
rait, notamment, par un nouveau regard sur l’unité des processus adminis-
tratifs, unité qui se jouerait maintenant à l’échelle fluide des projets plutôt
qu’à celle rigide d’une structure hiérarchique stable et permanente94.
Une fois que le cadre flexible et fluide dans lequel devraient prendre place
les pratiques de management est défini, les théoriciens s’engagent alors
dans la refondation de chacun des processus administratifs. Premier des
processus classiques, la planification est refondée autant en termes straté-
giques qu’opérationnels. Au niveau stratégique, si elle doit, plus que ja-
mais, se vêtir d’une aura stratégique qui tourne le dos aux prétentions tech-
niques et rigides des premières périodes95, la planification devrait surtout se
fonder sur les meilleures pratiques en vigueur chez les concurrents. Pour y
parvenir, les organisations devraient participer à des regroupements
d’organisations qui mettent en commun et comparent leurs pratiques de
façon à faciliter la diffusion rapide des meilleures pratiques96. Au niveau de
la planification opérationnelle, c’est la logistique qui fait lobjet de la ré-
flexion. En fait, dans un monde en profondes transformations, les questions
de logistique deviendraient aussi cruciales que celles d’ordre stratégique,
car les organisations doivent maintenant composer avec une demande
93 Sur la gestion de projet, voir le guide classique construit par le Project Management Association:
Guide du corpus de connaissances en management de projet (Guide PMBOK), Newton Square,
Pennsylvanie: Project Management Association, 2008.
94 Voir: Goshal S. et C.A Bartlett, The Individualized Corporation. A Fundamentally New Ap-
proach to Management, New York: Harper Business Book, 1997.
95 Pour une critique de ces prétentions, voir: Mintzberg, H., The Rise and Fall of Strategic Plan-
ning, New York: The Free Press, 1994.
96 Ces pratiques de mise au jour des meilleures pratiques ont donnaissance au benchmarking.
Voir: Harrington, H.J. et J.S. Harrington, High Performance Benchmarking. 20 Steps to Success,
New York: McGraw-Hill, 1995; Finnigan, J.P. The Manager’s Guide to Benchmarking: Essential
Skills for the New Competitive-cooperative Economy, San Francisco: Jossey-Bass, 1996.
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mondiale, demande qui est très souvent le fruit d’hyperconsommateurs
devenus totalement infidèles, changeants, capricieux à l’excès et avides de
nouveautés et d’expériences émotionnelles, de qualité, de bas prix et de
produits de masse qui, paradoxalement, doivent être personnalisés et au-
thentiques97.
Le processus classique d’organisation du travail fait, lui aussi, l’objet d’une
refondation. Sous l’étiquette de réingénierie des processus d’affaires, les
organisations sont conviées à opérer une véritable révolution de leurs pra-
tiques administratives98. Essentiellement, les théoriciens de la réingénierie
proposent de remettre en cause les apprentissages du passé, de revoir
l’ensemble des processus organisationnels de façon à les simplifier, à rap-
procher les organisations de leurs clients et ultimement, à débureaucratiser
les organisations par la mise au rancart de nombre de règles et procédures
routinières qui alourdiraient les opérations et freineraient l’initiative.
Les pratiques de direction sont également à revoir. D’un côté, les théori-
ciens reconnaissent que les organisations sont un lieu de métissage et con-
séquemment, que les gestionnaires devraient apprendre à gérer la diversité,
notamment la diversité interculturelle99 et intergénérationnelle100. De
l’autre, ils prennent acte du fait que les organisations deviennent des es-
paces se débattent maintenant nombre d’enjeux de société et anticipent
alors que les gestionnaires devront acquérir des compétences juridiques. En
outre, ils soutiennent que les organisations deviendront de plus en plus des
sociétés de droit fondées sur des logiques contractuelles dans lesquelles, les
rôles d’ombudsman et d’éthicien prendront de plus en plus de place101.
Enfin, le contrôle doit lui aussi être refondé. Cette refondation, les théori-
ciens du management de la période la conçoivent en termes de tableaux de
bord qui comprennent quatre volets, à savoir les volets financier, client,
apprentissage et processus102. Chacun de ces volets devrait alors être cons-
titué d’un nombre limité d’indicateurs tant financiers que non financiers.
97 Voir: Tixer, D., Matte, H. et J. Colin, La logistique d’entreprise, vers un management plus
compétitif, Paris: Dunod, 1998.
98 Voir le livre des fondateurs de ce courant de pensée: Hammer, M. et J. Champy, Reengineering
the Corporation: A Manifest for Business Revolution. New York: Harper Collins Publishers. 1993.
99 Voir: Chevrier, S., Le management interculturel, Paris: PUF (Que sais-je?), 2003; Davel, E.,
Dupuis, J.-P. et J.-F. Chanlat (dirs.), Gestion en contexte interculturel, Québec: Presses de
l’Université Laval, 2008.
100 Voir: Lambert, J., Management intergénérationnel, Paris: Lamarre, 2009.
101 Voir: Sitkin, S.B. et R.J. Bies, The Legalistic Organization, Londres: Sage, 1994.
102 Voir: Kaplan, R. et D.P. Norton, The Balanced Scoreboard, Boston, Mass.: Harvard Business
School Press, 1996; Kaplan, R. et D.P. Norton, The Strategy Focused Organization, Boston,
Mass.: Harvard Business School Press, 2001.
Les perspectives de management
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S’agissant de contrôle de gestion, l’introduction de ces derniers est une
véritable petite révolution.
Si refonder les processus classiques de management s’avère être une néces-
sité pour composer avec les transformations de la société, cette seule refon-
dation, qui est essentiellement de nature défensive, est loin d’être suffi-
sante. Les théoriciens de la période l’ont compris et c’est ainsi qu’ils ont
conçu un management des connaissances, management qui tire clairement
avantage de la logique informationnelle qui est principe de la société ac-
tuelle. D’abord, ils proposent aux gestionnaires le recours à différents mé-
canismes susceptibles de favoriser la traduction du savoir tacite en connais-
sances explicites, ce qui, du coup, permettrait non seulement de tirer profit
de l’intelligence de l’ensemble des membres de l’organisation, mais favori-
serait également une gestion efficace des connaissances organisation-
nelles103. Puis, ils participent à la conception des systèmes intégrés de ges-
tion, systèmes fondés sur les nouvelles technologies de l’information qui
permettent une intégration et une gestion des connaissances et des routines
administratives. Enfin, les théoriciens conçoivent la connaissance en termes
de capital intellectuel dont il serait possible de tirer profit104.
Si les Temps psents sont à la connaissance, ils sont également propices à
la créativité et, ça aussi, les théoriciens de la période l’ont compris comme
en témoignent leurs réflexions sur la gestion de la créativité des équipes de
travail, des organisations et des villes105.
Enfin, le management technique tente de s’adapter aux critiques qui fusent
de toute part par la mise au point d’un cadre théorique dans lequel la res-
ponsabilité sociale d’entreprise se présente sous la forme d’une obligation
de gestion, obligation en termes de responsabilité sociale, de veloppe-
ment durable et d’éthique des affaires106.
103 Voir: Nonaka I. et H. Takeuchi, The Knowledge-Creating Company, New York: Oxford Uni-
versity Press. 1995; Pfeffer, J. et R. Sutton, The Knowing-Doing Gap: How Smart Companies Turn
Knowledge into Action, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 2000; Quinn, J. B., Intelli-
gent Enterprise. A Knowledge and Service Based Paradigm for Industry. New York: The Free
Press, 1992; Senge, P., The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization,
New York: Doubleday, 1990.
104 Voir: Teece, D. J., Managing the Intellectual Capital, New York: Oxford University Press,
2001; Spender, J.-C., Industry Recipes. The Nature of Managerial Judgment. Oxford: Blackwell,
1989.
105 Voir: Amabile, T. M., Conti, R., Coon, H., Lazenby, J. & Herron, M., «Assessing the Work
Environment for Creativity», Academy of Management Journal, 39 (5): 1154-1184, 1996; Florida,
R., The rise of the Creative Class. And How it's Transforming Work, Leisure, Community and
Everyday Life, New York: Basic Books, 2002; Bilton, C. Management and Creativity: From
Creative Industries to Creative Management, Oxford: Blackwell, 2006; Bilton, C. et S. Cummings,
Creative Strategy, New York: Wiley, 2010.
106 Voir: Den Hond, F., de Bakker, F.G.A. et P. Neergaard (eds.), Managing Corporate Social
Responsibility in Action: Talking, Doing and Measuring, Burlington, Ashgate Publishing Compa-
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