Les perspectives de management lisme et de la société de consommation d’hier et, du coup, l’immatériel acquiert une matérialité toute marchande. Sous le regard de l’économie numérique, la croissance n’a plus de limite, si ce n’est celle des ressources cognitives d’humains enchevêtrés dans un réseau numérique mondial. Le savoir devient alors tout à la fois ressource, mode de transformation et produit dans des usines d’imaginaire où les producteurs matérialisent leur savoir dans des produits immatériels qu’ils s’empressent de consommer au moyen d’un réseau informationnel. Les transformations économiques ne se limitent toutefois pas à la dématérialisation numérique des produits. Des investisseurs atomisés et regroupés sous des bannières financières prennent le relais des propriétaires d’hier et donnent une toute nouvelle légitimité au métier de gestionnaires dont le rôle ne cesse de se redéfinir, coincés qu’ils sont entre la démocratie boursière qui, d’anticipations en spéculations, se fait tyrannique et s’invente des produits dérivés totalement immatériels, et la hiérarchie qui s’aplatit socialement pour mieux s’étendre géographiquement. Enfin, la globalisation planétaire des marchés annonce des lendemains qui chantent. En termes strictement financiers, cela semble, en effet, être une très bonne nouvelle. En fait, dans l’univers économique rien n’est jamais acquis, ni simple, ni noir ou blanc. Si la globalisation des marchés et l’élimination progressive des multiples barrières tarifaires qui freinent toujours l’avancé d’un marché mondial a de quoi réjouir ceux et celles qui n’y voient qu’une multiplication exponentielle de la demande, ces facteurs impliquent aussi une croissance tout aussi exponentielle de la concurrence à laquelle le management n’aura d’autre choix que de s’ajuster. À l’évidence, la société contemporaine est donc en pleine mutation et il n’est pas surprenant de voir le management s’engager sur le chemin d’une refondation de façon à assurer sa légitimité en tant que solution pratique aux problèmes des Temps présents. Cette refondation ne sera pas simple à accomplir et, bien qu’elle soit présentement en cours et donc inachevée et incertaine, il est néanmoins possible, comme en témoigne le tableau 1.5, d’en esquisser les premières tentatives théoriques. 41 Les perspectives de management Tableau 1.5 Les théories de la période de refondation du management LA PÉRIODE DE REFONDATION DU MANAGEMENT 1990LE MANAGEMENT TECHNIQUE LE MANAGEMENT SOCIAL La refondation des pratiques classiques La gestion de projet Les meilleures pratiques et le benchmarking La logistique La réingénierie des processus La gestion de la diversité La gestion juridique Les tableaux de bord La critique sociologique du management Le management des connaissances La gestion des connaissances Les systèmes intégrés de gestion La gestion du capital intellectuel Le management de la créativité La gestion des équipes créatives La gestion des organisations créatives La gestion des villes créatives La responsabilité sociale d’entreprise Le développement durable L’éthique appliquée La responsabilité sociale L’ancrage social des techniques Les modes en gestion Critique de l’utilitarisme La critique philosophique du management L’éthique des affaires L’épistémologie des sciences de la gestion L’humanisme La critique psychologique du management La psychopathologie au travail Les émotions et la décision La créativité La critique citoyenne du management Les environnementalistes Les altermondialistes Il ressort de ce tableau qu’alors même qu’il tente de refonder ses pratiques en faisant entrer dans son architecture des réalités jusqu’alors absentes, telles les connaissances, la créativité et la responsabilité sociale, le management technique est l’objet de vives critiques sociologiques, philoso42 Les perspectives de management phiques, psychologiques et citoyenne qui, toutes, mettent en cause sa légitimité en tant que solution aux problèmes que pose la société actuelle. Le management technique Le management technique entreprend son œuvre de refondation par un retour sur les processus administratifs classiques qui sont au cœur de son architecture. Il s’agit, en quelque sorte, de refonder les processus de planification, d’organisation, de direction et de contrôle à la lumière des nouvelles exigences de la société. Selon les théoriciens du premier courant théorique de la période, puisque tout est éphémère et que les consommateurs ont des exigences sans cesse fuyantes et changeantes, les organisations et leur gestion devraient être repensées en termes de projets dans lesquels les processus administratifs classiques prendraient une diversité de colorations93. C’est dire que la refondation des pratiques classiques passerait, notamment, par un nouveau regard sur l’unité des processus administratifs, unité qui se jouerait maintenant à l’échelle fluide des projets plutôt qu’à celle rigide d’une structure hiérarchique stable et permanente94. Une fois que le cadre flexible et fluide dans lequel devraient prendre place les pratiques de management est défini, les théoriciens s’engagent alors dans la refondation de chacun des processus administratifs. Premier des processus classiques, la planification est refondée autant en termes stratégiques qu’opérationnels. Au niveau stratégique, si elle doit, plus que jamais, se vêtir d’une aura stratégique qui tourne le dos aux prétentions techniques et rigides des premières périodes95, la planification devrait surtout se fonder sur les meilleures pratiques en vigueur chez les concurrents. Pour y parvenir, les organisations devraient participer à des regroupements d’organisations qui mettent en commun et comparent leurs pratiques de façon à faciliter la diffusion rapide des meilleures pratiques96. Au niveau de la planification opérationnelle, c’est la logistique qui fait l’objet de la réflexion. En fait, dans un monde en profondes transformations, les questions de logistique deviendraient aussi cruciales que celles d’ordre stratégique, car les organisations doivent maintenant composer avec une demande 93 Sur la gestion de projet, voir le guide classique construit par le Project Management Association: Guide du corpus de connaissances en management de projet (Guide PMBOK), Newton Square, Pennsylvanie: Project Management Association, 2008. 94 Voir: Goshal S. et C.A Bartlett, The Individualized Corporation. A Fundamentally New Approach to Management, New York: Harper Business Book, 1997. 95 Pour une critique de ces prétentions, voir: Mintzberg, H., The Rise and Fall of Strategic Planning, New York: The Free Press, 1994. 96 Ces pratiques de mise au jour des meilleures pratiques ont donné naissance au benchmarking. Voir: Harrington, H.J. et J.S. Harrington, High Performance Benchmarking. 20 Steps to Success, New York: McGraw-Hill, 1995; Finnigan, J.P. The Manager’s Guide to Benchmarking: Essential Skills for the New Competitive-cooperative Economy, San Francisco: Jossey-Bass, 1996. 43 Les perspectives de management mondiale, demande qui est très souvent le fruit d’hyperconsommateurs devenus totalement infidèles, changeants, capricieux à l’excès et avides de nouveautés et d’expériences émotionnelles, de qualité, de bas prix et de produits de masse qui, paradoxalement, doivent être personnalisés et authentiques97. Le processus classique d’organisation du travail fait, lui aussi, l’objet d’une refondation. Sous l’étiquette de réingénierie des processus d’affaires, les organisations sont conviées à opérer une véritable révolution de leurs pratiques administratives98. Essentiellement, les théoriciens de la réingénierie proposent de remettre en cause les apprentissages du passé, de revoir l’ensemble des processus organisationnels de façon à les simplifier, à rapprocher les organisations de leurs clients et ultimement, à débureaucratiser les organisations par la mise au rancart de nombre de règles et procédures routinières qui alourdiraient les opérations et freineraient l’initiative. Les pratiques de direction sont également à revoir. D’un côté, les théoriciens reconnaissent que les organisations sont un lieu de métissage et conséquemment, que les gestionnaires devraient apprendre à gérer la diversité, notamment la diversité interculturelle99 et intergénérationnelle100. De l’autre, ils prennent acte du fait que les organisations deviennent des espaces où se débattent maintenant nombre d’enjeux de société et anticipent alors que les gestionnaires devront acquérir des compétences juridiques. En outre, ils soutiennent que les organisations deviendront de plus en plus des sociétés de droit fondées sur des logiques contractuelles dans lesquelles, les rôles d’ombudsman et d’éthicien prendront de plus en plus de place101. Enfin, le contrôle doit lui aussi être refondé. Cette refondation, les théoriciens du management de la période la conçoivent en termes de tableaux de bord qui comprennent quatre volets, à savoir les volets financier, client, apprentissage et processus102. Chacun de ces volets devrait alors être constitué d’un nombre limité d’indicateurs tant financiers que non financiers. 97 Voir: Tixer, D., Matte, H. et J. Colin, La logistique d’entreprise, vers un management plus compétitif, Paris: Dunod, 1998. 98 Voir le livre des fondateurs de ce courant de pensée: Hammer, M. et J. Champy, Reengineering the Corporation: A Manifest for Business Revolution. New York: Harper Collins Publishers. 1993. 99 Voir: Chevrier, S., Le management interculturel, Paris: PUF (Que sais-je?), 2003; Davel, E., Dupuis, J.-P. et J.-F. Chanlat (dirs.), Gestion en contexte interculturel, Québec: Presses de l’Université Laval, 2008. 100 Voir: Lambert, J., Management intergénérationnel, Paris: Lamarre, 2009. 101 Voir: Sitkin, S.B. et R.J. Bies, The Legalistic Organization, Londres: Sage, 1994. 102 Voir: Kaplan, R. et D.P. Norton, The Balanced Scoreboard, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 1996; Kaplan, R. et D.P. Norton, The Strategy Focused Organization, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 2001. 44 Les perspectives de management S’agissant de contrôle de gestion, l’introduction de ces derniers est une véritable petite révolution. Si refonder les processus classiques de management s’avère être une nécessité pour composer avec les transformations de la société, cette seule refondation, qui est essentiellement de nature défensive, est loin d’être suffisante. Les théoriciens de la période l’ont compris et c’est ainsi qu’ils ont conçu un management des connaissances, management qui tire clairement avantage de la logique informationnelle qui est principe de la société actuelle. D’abord, ils proposent aux gestionnaires le recours à différents mécanismes susceptibles de favoriser la traduction du savoir tacite en connaissances explicites, ce qui, du coup, permettrait non seulement de tirer profit de l’intelligence de l’ensemble des membres de l’organisation, mais favoriserait également une gestion efficace des connaissances organisationnelles103. Puis, ils participent à la conception des systèmes intégrés de gestion, systèmes fondés sur les nouvelles technologies de l’information qui permettent une intégration et une gestion des connaissances et des routines administratives. Enfin, les théoriciens conçoivent la connaissance en termes de capital intellectuel dont il serait possible de tirer profit104. Si les Temps présents sont à la connaissance, ils sont également propices à la créativité et, ça aussi, les théoriciens de la période l’ont compris comme en témoignent leurs réflexions sur la gestion de la créativité des équipes de travail, des organisations et des villes105. Enfin, le management technique tente de s’adapter aux critiques qui fusent de toute part par la mise au point d’un cadre théorique dans lequel la responsabilité sociale d’entreprise se présente sous la forme d’une obligation de gestion, obligation en termes de responsabilité sociale, de développement durable et d’éthique des affaires106. 103 Voir: Nonaka I. et H. Takeuchi, The Knowledge-Creating Company, New York: Oxford University Press. 1995; Pfeffer, J. et R. Sutton, The Knowing-Doing Gap: How Smart Companies Turn Knowledge into Action, Boston, Mass.: Harvard Business School Press, 2000; Quinn, J. B., Intelligent Enterprise. A Knowledge and Service Based Paradigm for Industry. New York: The Free Press, 1992; Senge, P., The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization, New York: Doubleday, 1990. 104 Voir: Teece, D. J., Managing the Intellectual Capital, New York: Oxford University Press, 2001; Spender, J.-C., Industry Recipes. The Nature of Managerial Judgment. Oxford: Blackwell, 1989. 105 Voir: Amabile, T. M., Conti, R., Coon, H., Lazenby, J. & Herron, M., «Assessing the Work Environment for Creativity», Academy of Management Journal, 39 (5): 1154-1184, 1996; Florida, R., The rise of the Creative Class. And How it's Transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life, New York: Basic Books, 2002; Bilton, C. Management and Creativity: From Creative Industries to Creative Management, Oxford: Blackwell, 2006; Bilton, C. et S. Cummings, Creative Strategy, New York: Wiley, 2010. 106 Voir: Den Hond, F., de Bakker, F.G.A. et P. Neergaard (eds.), Managing Corporate Social Responsibility in Action: Talking, Doing and Measuring, Burlington, Ashgate Publishing Compa- 45 Les perspectives de management Le management social Alors même que le management technique est en pleine refondation et cherche toujours à se donner une nouvelle légitimité, il est l’objet de virulentes critiques tant sociologiques que philosophiques, psychologiques et même citoyennes. La critique sociologique lève d’abord le voile sur l’ancrage social des techniques de management qui, sous ce regard, ressortent comme des discours de performance qui ne donneraient pas forcément les fruits escomptés107. Puis, les sociologues prennent pour objet d’étude les principales techniques de management et montrent que leur conception, leur diffusion et leur déclin s’apparenteraient bien davantage au phénomène des modes et à un processus de production et de mise en marché de biens de consommation de masse qu’à une véritable démarche rationnelle de production de connaissances valides108. Enfin, la critique sociologique, tout en dénonçant les effets pervers dont les techniques de management seraient porteuses, met entre autres en cause le productivisme, le pouvoir, le vide de sens et le culte de l’urgence qu’elles impliqueraient109. La critique philosophique emprunte le même sentier que celui des sociologues, mais centre plutôt son attention sur les grands enjeux de nature éthique, épistémologique et pragmatique inhérents à la pratique du management. Au niveau éthique, les théoriciens dénoncent les valeurs strictement utilitaristes et marchandes que véhiculeraient nombre de discours managériaux. Ils critiquent également les efforts actuels de mise au point d’une éthique des affaires qu’ils voient comme une tentative de récupération des valeurs morales ambiantes, tentative qui ne questionnerait pas les ny, 2007; Pauchant, T., Pour un management éthique et spirituel, Montréal: Fides, 2000; Dupuis, J.-C. et C. le Bas (dirs.), Le management responsable, Paris: Économica, 2005. 107 Voir: Boussard, V., Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris: Belin, 2008; Segrestin, D., Les chantiers du manager, Paris: Armand Colin, 2004. 108 Voir: Abrahamson, E. et G. Fairchild, «Management Fashion: Lifecycles Triggers, and Collective Learning Process», Administrative Science Quarterly, Vol. 44: 708-740, 1999; Abrahamson, E., «Management Fashion», Academy of Management Review, Vol. 21: 254-285, 1996; Abrahamson, E., «Managerial Fads and Fashions: the Diffusion and Rejection of Innovations», Academy of Management Review, 16, (3) : 586-612, 1991.Alvesson, M. et H. Willmott, (eds.), Critical Management Studies, Londres: Sage, 1992. Le Goff, J.P., Les illusions du management. Pour le retour du bon sens, Paris: Éditions de La Découverte, 2000; Jackson, B., Management Gurus and Management Fashions, New York: Routledge, 2001. 109 Voir: Aubert, N., le culte de l’urgence. La société malade du temps, Paris: Flammarion, 2003; de Gaulejac, V., La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris: Éditions du seuil, 2005; Le Goff, J.-P., Les illusions du management. Pour le retour du bon sens, Paris: Éditions de La Découverte, 2000; Laplante, L., L’angle mort de la gestion, Montréal: IQRC, 1995; Caillé, A., Critique de la raison utilitaire, Paris, Éditions de La Découverte, 1989. 46 Les perspectives de management fondements mêmes des techniques de management110. Au niveau épistémologique, les chercheurs mettent au jour les logiques de la production des savoirs en management et font dès lors apparaître que les techniques de management seraient le fruit d’un projet épistémologique très particulier, à savoir le projet praxéologique qui vise la construction de règles rationnelles d’action111. Tout au côté de ce projet, il existe d’autres projets qui pourraient être mobilisés pour questionner les fondements des techniques et les enrichir de différentes dimensions humaines et sociales112. Enfin, au niveau pragmatique, le questionnement de nature philosophique conduit à proposer un certain humanisme à la place de l’utilitarisme comme fondement aux pratiques concrètes de management113. Sous ce regard, le management devrait alors reprendre à son compte la maxime sophiste de Protagoras «L’homme est la mesure de toute chose» et faire en sorte que les personnes ne soient jamais réduites à l’ordre des moyens de l’action organisée et que les organisations deviennent des lieux d’émancipation des humains. Pour sa part, la critique psychologique suit la trajectoire amorcée dans les autres périodes en levant le voile sur les dimensions psychologiques de l’action en organisation et sur la nécessité d’en tenir compte pour une gestion harmonieuse et respectueuse de la nature humaine. À cette période, les psychologues centrent leur attention sur le rôle des émotions dans la prise de décision114, sur les déterminants de la créativité115 et sur les conséquences psychopathologiques des techniques de gestion116. 110 Voir: Salmon, A., La tentation éthique du capitalisme, Paris: Éditions de La Découverte, 2007; Etchegoyen, A., La valse des éthiques, Paris: François Boutin, 1991. 111 Voir: Alexandre, V. et Gasparski, W. W. (Ed.), The Roots of Praxiology. New-Brunswick, New Jersey: Transaction Publishers, 2000; Ryan, L. V., Nahser, B. F. et Gasparski, W. W. (Ed.), Praxiology and Pragmatism. New-Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers, 2000. 112 Voir: Noël, M., Savoirs en management: hybrides d’action et de connaissance, Montréal: Éditions JFD, 2009; Déry, R., «Enjeux et controverses épistémologiques dans le champ des sciences de l'administration», dans Bouilloud, J.-P. et Lecuyer, B.-P. (Ed.), L'invention de la gestion. Paris: L'Harmattan, 1994, 163-189; Audet, M. et Déry, R., «La science réfléchie: quelques empreintes de l'épistémologie des sciences de l'administration», Anthropologie et Sociétés, 1996, 20, (1): 103-123; Déry, R., «L'impossible quête d'une science de la gestion», Gestion, 1995, 20, (3): 35-46; Déry, R., «Homo administrativus et son double: du bricolage à l'indiscipline», Gestion, 22, 1997, (2): 27-33; Le Moigne, J.-L., «Sur "l'incongruité épistémologique" des sciences de gestion», Revue française de gestion, spécial,1993, (96): 123-135; Martinet, A. C. (Ed.), Épistémologies et Sciences de Gestion. Paris: Economica, 1990. 113 Voir: Chanlat, A., «Pourquoi réintroduire le métier au coeur de la gestion contemporaine?», L'Agora: Métier et Management, Octobre, (Hors-série), 1995: 2-6; Chanlat, A., «Gestions et humanismes: Une archéologie de la gestion, conférence prononcée lors du 125e anniversaire de l'Université Saint-Joseph, au Liban, en mars 2000; Bédard, R., «Au coeur du métier de dirigeant: l'être et les valeurs», L'Agora: Métier et Management, Octobre, (Hors-série), 1995: 38-41. 114 Voir, notamment: Goleman, D., Emotional Intelligence,New York: Bantam, 1995. 115 Voir: Amabile, T. M., Creativity in Context, Boulder, Col.: Westview, 1996; Sternberg, R.J.(ed.), Handbook of Creativity, Cambridge: Cambridge University Press, 1999; Pink, D.H., A Whole New Mind. Why Right-Brainers Will Rule the Future, New York: Riverhead, 2006. 116 Voir: Dejours, C. Observations cliniques en psychopathologie du travail, Paris: PUF, 2010. 47 Les perspectives de management Finalement, la critique du management technique émerge de la société civile dont, entre autres, les altermondialistes et les environnementalistes se font les porte-paroles. Alors que les premiers dénoncent les abus du libéralisme économique et revendiquent un juste partage des richesses collectives et un commerce équitable, les seconds mettent au jour les ravages écologiques de la croissance économique et réclament un développement durable qui combinerait les logiques économiques, sociales et écologiques117. La dualité du management Tout comme aux précédentes périodes, la dualité entre le management technique et le management social marque la trajectoire théorique du management. En outre, une fois encore le management technique paraît se nourrir des critiques qui lui sont adressées alors que le management social introduit de nouveaux regards et formule de nouvelles critiques. Par ailleurs, cette dernière période semble aussi se caractériser par une nouveauté dans les relations entre les deux formes de management. En effet, alors que jusqu’à cette dernière période, il y avait toujours un décalage entre les critiques formulées par les théoriciens du management social et leur assimilation par les théoriciens du management technique, en cette période de refondation, les deux formes de management semblent dialoguer en temps réel et ainsi aborder en même temps les mêmes problématiques. C’est ainsi que la créativité, la responsabilité sociale et les connaissances sont abordées simultanément par les théoriciens des deux formes de management. Bien sûr, les théoriciens de chacune des formes abordent ces problématiques sous l’angle qui leur est propre, mais il reste que nous avons là l’amorce d’un dialogue qui pourrait concourir à l’accélération du développement des théories du management. CONCLUSION Tout au long de son histoire, le management fut confronté à divers défis. Pour les relever, il s’est abreuvé à nombre de disciplines, notamment la psychosociologie, la psychologie, la sociologie, la science politique, la psychanalyse, l’économique, l’anthropologie et les sciences de la cognition. Ce recours aux disciplines des sciences du social et de l’humain, s’il a permis de mieux comprendre la réalité des organisations et de leur gestion, 117 Voir, entre autres: Waridel, L., Acheter c’est voter, Montréal, Écosociété: 2005; Saint-Onge, J.C., L’imposture néolibérale, Montréal, Écosociété: 2000; Mander,J., Cavanagh, J. et J. B. Gélinas, Alternative à la globalisation économique, Montréal, Écosociété: 2005; Raufflet, E., et A.J. Mills, The Dark Side: Critical Cases on the Downside of Business, Greenleaf Publ., 2009; Young, W. et R. Welford, Ethical Shopping: Where to Shop, What to Buy and What to Do to Make a Difference, Londres: Vision, 2002. 48 Les perspectives de management n’a toutefois pas été suffisant pour relever concrètement les défis que chaque période de développement socio-économique posait au management. En effet, comprendre n’est pas l’équivalent d’agir et, pour relever des défis et trouver des solutions à des problèmes concrets, il faut certes comprendre la complexité du réel, mais il faut aussi savoir oser l’action et prendre des risques. Ce saut de l’univers de la compréhension à celui de l’intervention a caractérisé le management technique. Sans relâche, ce dernier a mis de l’avant la nécessité d’intervenir dans le réel pour y relever les défis qu’il posait aux organisations et à ses membres. Ce projet d’intervention qui a été au principe de la trajectoire historique du management technique ne s’est pas pour autant réalisé au détriment de celui d’une compréhension fine et profonde de cette réalité qui posait problème. Comme nous l’avons vu, si au fil de l’histoire des théories du management, il s’est clairement établi une division du travail intellectuel entre les théoriciens qui cherchaient à comprendre les organisations et leur gestion et ceux qui tentaient plutôt de concevoir des techniques efficaces, il s’est aussi institué, entre ces deux groupes de producteurs de savoirs, une coordination naturelle. Cette coordination a pris la forme d’un processus d’assimilation et d’accommodation opéré par les théoriciens de chacune des deux formes de management. Ainsi, alors que les théoriciens du management social assimilaient le regard du management technique pour mieux en montrer les insuffisances et promouvoir une prise en compte des dimensions humaines et sociales de la vie en organisation, les théoriciens du management technique ne cessaient de se nourrir de leurs critiques pour concevoir de nouvelles techniques. D’un certain point de vue et de façon paradoxale, tant que les deux formes de management seront tout à la fois contradictoires et complémentaires, leur renouvellement sera assuré. D’une part, le management technique assimilera les critiques du management social et s’en accommodera pour conquérir de nouveaux territoires et ainsi, étendre son expertise. D’autre part, le renouvellement du management technique servira de nouveau matériau au management social qui y trouvera là, matière à critiquer. C’est ce va-et-vient perpétuel entre les deux formes de management qui permet de constituer un management qui ne serait jamais réductible à un ensemble de techniques sans âme ou à un ensemble de théories sociales inutilisables. Solidaires, les deux formes de management s’entrelacent et forment donc, en quelque sorte, l’ADN du management. 49 Les perspectives de management MANAGEMENT MANAGEMENT TECHNIQUE SOCIAL La critique citoyenne du management La responsabilité sociale d’entreprise La critique psychologique du management Le management de la créativité La critique philosophique du management REFONDATION Le management des connaissances La critique sociologique du management La refondation des pratiques classiques Les habiletés de management L’économie des organisations Le management des cultures organisationnelles La cognition du travail administratif et des organisations Le management de la qualité totale REFORMULATION L’analyse politique des organisations Le management stratégique La sociologie des organisations et de leur environnement La psychanalyse et les organisations Le développement organisationnel La sociologie du travail et de l’organisation Le design organisationnel La psychologie du comportement organisationnel EXPANSION La planification stratégique La psychosociologie du travail administratif La direction générale des organisations L’administration générale et industrielle La direction humaine des organisations L’organisation scientifique du travail FONDATION Les relations humaines au travail Figure 1.1: L’histoire des théories du management À partir de l’ensemble de ces théories du management, il est alors possible de constituer une indéfinie variété de formes concrètes de management qui seront tout à la fois techniques et sociales. C’est ainsi qu’il est possible de constituer une forme de management qui, autour du management technique, met en action les dimensions humaines et sociales que sont les dimensions politique, symbolique, psychologique et cognitive. 50 Chapitre 2 LES STYLES DE MANAGEMENT L’histoire des théories contemporaines de management permet, comme nous l’avons vu au chapitre 1, de constituer deux grandes formes de management, à savoir le management technique et le management social. Chacune de ces formes offre aux gestionnaires des perspectives différentes d’action et de réflexion. C’est ainsi que, d’un côté, le management technique offre aux gestionnaires une perspective qui met l’accent sur les processus formels de gestion et, de l’autre, le management social offre plusieurs perspectives dans lesquelles les dimensions sociales et humaines de la vie organisée occupent une place centrale. En combinant les deux formes contemporaines de management, les gestionnaires ont alors accès à un éventail de cinq perspectives de réflexion et d’action, perspectives qui, toutes, peuvent favoriser la résolution des problèmes organisationnels, soit: La perspective technique La perspective politique La perspective symbolique La perspective psychologique La perspective cognitiviste Si chacune de ces perspectives permet d’aborder d’une façon particulière les problèmes organisationnels, elles permettent aussi la constitution d’une diversité d’habiletés pratiques et de leviers d’action. Dans le cours de leurs actions, les gestionnaires contemporains mobilisent, d’une certaine façon, l’ensemble des perspectives de management. Toutefois, chaque gestionnaire a aussi tendance à privilégier l’une ou l’autre des perspectives et, ce faisant, à adopter un certain style de management. Bien sûr, aucun style n’est, en soi, supérieur aux autres, car il n’existe pas une telle chose qu’un style infaillible et universel de management, style qui serait adapté à toutes les situations et à tous les gestionnaires. Les perspectives de management Tout en reconnaissant qu’il est particulièrement difficile d’adopter un style de management qui ne nous est pas naturel, chacun de nous peut tout de même enrichir son style naturel en s’ouvrant aux possibilités qu’offrent les autres styles. Pour y parvenir, il faut d’abord prendre conscience de son style naturel de gestion, de celui que l’on préfère. Par la suite, il s’agit d’y incorporer certains aspects des autres styles qui viendront le compléter sans pour autant le dénaturer. C’est ce à quoi nous convie le questionnaire qui suit. ÉVALUATION DES STYLES DE MANAGEMENT Pour chacune des questions suivantes, vous devez ordonner les énoncés A, B, C, D et E par ordre de préférence. Alors que le chiffre 1 témoignera que l’énoncé est celui que vous préférez ou alors celui avec lequel vous êtes le plus en accord, le chiffre 5 indiquera plutôt que l’énoncé est celui qui est le plus éloigné de votre préférence ou celui avec lequel vous êtes le moins en accord. Les chiffres 2, 3 et 4 marqueront, bien sûr, les résultats intermédiaires entre les deux pôles opposés du continuum. Inscrivez l’ordre de vos préférences (de 1 à 5) dans les carrés gris sous les énoncés et au-dessus des lettres A, B, C, D et E. QUESTION #1 Lors de l’analyse des situations de gestion, je préfère centrer mon attention sur: Les objectifs généraux de l’organisation A Les intérêts des Les valeurs des Les besoins des membres de membres de membres de l’organisation l’organisation l’organisation B C D Le savoir des membres de l’organisation E QUESTION #2 La planification doit principalement prendre appui sur: Les données Les données objectives de informelles de l’environnement l’organisation A 52 B La sagesse des membres de l’organisation La volonté subjective du personnel Les interprétations du personnel C D E