Philosophie et phénoménologie du corps,
( P.U.F.) 1ère ed. 1965 Michel Henry
Amorcé en 1946, achevé en 1949, cet essai riche et argumenté prépare le renversement qu’opère L’Essence de la
manifestation, phénoménologie de l’immanence concrète qui répudie la phénoménologie de l’intentionnalité
conçue comme affection par l’extériorité. Les intuitions de Maine de Biran, objet ici d’une interprétation et d’un
dépassement, servent de point de départ à un remodelage de la conception du sujet, désormais pensé comme
homme réel, incarné, aux antipodes de l’être abstrait de l’idéalisme. L’être phénoménologique de l’ego est « le
corps subjectif » qui ne fait pas partie du monde mais qui est situé au cœur de la réalité humaine. Cette condition
immanente met fin à la scission classique de l’esprit – ou âme – et du corps matériel transcendant qui s’y
ajusterait, on ne sait comment. Mais surtout va être rendue possible l’unité des pouvoirs de l’ego, action,
affectivité, intellect fondus en un même mouvement dans la passivité de l’être à soi au sein de son Je peux, ainsi
que l’immédiation, c’est-à-dire la non-représentation, de sa relation au monde sensible. L’ intentionnalité est
redéfinie, désormais maintenue dans la sphère immanente du soi, sans distance phénoménologique.
Ch. I : Les présupposés philosophiques de l’analyse biranienne du corps :
Pratiquant, comme Descartes pour le cogito, une réduction pré-phénoménologique, c’est-à-dire une remontée
jusqu’à l’apparaître de ce qui apparaît, M. de B. reçoit du « sens intime » cette évidence, l’existence du moi est
donnée par une intuition immédiate, « le moi est inné à lui-même » , aperception interne qui n’a rien à voir avec
une introspection.
Le lieu originaire du savoir étant l’existence, non l’entendement, les notions, nommées par M. de B. «
catégories »
- causalité, force, unité, identité, liberté etc. – prennent leur racine dans la subjectivité. Structures de la vie et
non règles de la perception comme chez Kant, elles sont immanentes. Le moi n’est pas constitué, c’est lui qui
constitue, il donne aux choses leur pouvoir. Sans la subjectivité, il n’y aurait ni monde ni expérience. Le monde
est le même parce que je suis le même. C’est dans l’effort, l’action, le mouvement que le moi se reproduit ou
s’aperçoit constamment comme unité.
Identifié à la subjectivité, l’ego est ipséité, l’essence de celle-ci étant l’intériorité de la présence à soi-même dans
l’être de l’effort. « Cette auto connaissance de la connaissance ontologique est donc connaissance individuelle,
précise M.H., l’être de chaque individu est la lumière du monde ». La non-transcendance de l’ego fait que M. de B.
se sépare de Descartes dont il approuvait le réalisme ontologique : après avoir présenté dans le cogito l’être de
l’ego comme expérience interne immanente, celui-ci a déterminé comme âme quelque chose qui n’est pas le moi.
Si l’âme est posée comme fondement transcendant de nos pensées et dissociée d’elles, elle n’est nulle part, c’est
un terme = x. Il lui faudrait un corps auquel Descartes assigne l’étendue, union impossible. Or « M. de B.
dispose d’un corps qui est le nôtre et peut être désigné comme la réalité de l’âme, comme l’être authentique de
l’ego » (M.H.).