qu’opère un ministère public au sujet de la nécessité de poursuivre une infraction en la
qualifiant de façon circonscrite et définitive : les mots « disent » un réel et l’y assimilent,
comme les qualifications du droit et du droit pénal en particulier, avec le risque bien
perceptible, non seulement de pratiquer une contraction des termes puis une véritable
réduction en effet, mais d’induire la réponse dans la question que le mot ou la qualification
suggère.
Au plan le plus général de la formation de l’esprit, il y aurait à tenir compte de la
division entre culture et spécialité, entre ce que Jules romains nommait l’homo plenarius,
ayant le sens d’une « forme informante » universelle du discours, d’une vérité de la chose
intuitionnée plus que rationnellement comprise, et le savoir de « ce qui appartient à » la
chose et se diversifie à l’infini. Les menaces de division qui affectent la notion de vérité y
sont pareillement à l’oeuvre par retentissement de celles qui touchent le sujet incapable de
régler sa vue à distance et ne regardant qu’au plus près.
Au plan esthétique et émotif et même moral (plus que proprement objectif et éthique),
l’on pourrait justement aussi marquer quelque séparation discutable entre logos et pathos, et
caractériser bien des errements d’une prétendue sensibilité que n’anime plus le sens même
d’un savoir élémentaire de son objet et qui repose sur des processus entièrement psycho-
affectifs incontrôlés et n’obéissant qu’à des suggestions pavloviennes, quand il ne s’agit pas
du parasitisme de besoins artificiellement déclenchés ou de désirs effrénés, d’epithumia en
somme ; ce qui en ressort est à la fois l’insensibilité humaine et l’indifférence à la vérité ou à
la valeur. Telle a été, dans un accident de train, l’attitude de passagers se déclarant pourtant
émus, mais se précipitant pour se photographier eux-mêmes au milieu de blessés plutôt que
d’essayer de les secourir : filmant les situations, ou plutôt, aussitôt, se filmant… Oubli de la
vérité ou subjectivisation, réduction de la personne à la pantomime d’un rôle de personnage
de circonstance où l’on se regarde même jouer sur la scène où tout n’est, il est vrai, que
masques inconsistants d’acteurs éphémères, comme dans le théâtre « déréalisateur » des
personnes de Pirandello...
Prenons quelques exemples plus précis de ces emplois linguistiques qui détournent d’un
sens universaliste et introduisent la division dans la vérité même, soit captée par le sujet, soit
maintenue dans son attache à un objet reposant sur soi ou proprement subsistant. Et tentons
de décliner quelques dédoublements significatifs de la vérité elle-même dont l’oscillation
permanente entre subjectivité et objectivité indique des pôles opposés et où s’affronteront
toujours au fond la volonté et l’être, ou, eût dit Starobinski à propos de Rousseau, « la
transparence et l’obstacle ».
Une première distinction semble d’importance entre le fait comme vérité empirique et
vérifiable, sinon exact, et l’être ou la réalité vraie, la vérité intermédiaire se donnant à travers
une « nature » comme représentation de raison. D’un côté, il y a ce qui ressortit à l’action au
moins de la pensée humaine, de l’autre ce qui s’impose dans l’expérience existentielle et
réflexive. Ainsi le fait-vérité pourra-t-il encore se dédoubler : en fait d’opinion6 ou en fait
6 commentaires médiatiques, politiciens ou « mondains » où s’exercent les manipulations : une tromperie
unilatérale à caractère économique, quand il est plus techniquement avéré, dans l’Etat de droit, que c’est une
fraude juridique concertée et une erreur sur la substance de la chose vendue ; un « président », supposé élu,
quand c’est un dictateur porté par une armée dissidente ou par des commandos infiltrés, ou, à l’inverse, un
« dictateur », quand c’est un président légitime en tant qu’élu mais qui n’a plus l’heur de plaire aux bailleurs de
fonds d’une armée nationale annexée par un parrain colonial ; un « terroriste », quand la critique émane d’un
résistant qui fait observer que la dictature viole le respect du contrôle populaire des urnes ou que le pouvoir
constitué est celui d’un trafiquant d’armes et de narcotiques aux solides alibis y compris humanitaires. Voici en
tous points une zone où les pouvoirs font le droit, mais non plus le droit les pouvoirs ou les appareils étatiques.
Chaque lieu, d’Amérique centrale ou andine en Afrique de l’Ouest et en Orient (au sens français, celui encore de
Maspero), et chaque époque sa propagande, de même source il est vrai : il devient « grossier » de soutenir que tel
président élu sans fraude, ancien ou nouveau, est l’objet d’un « coup d’Etat », violant le droit, alors que l’on