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Personne et vérité,
entre le subjectif et l’objectif
par Jeand-Marc Trigeaud1
Sous l’emprise de la subjectivité
Au milieu de tant de tumulte, je n’entends rien, je ne discerne aucune voix !… Et toi
juriste, épris de valeur et de justice, peux-tu aussi soutenir que rien, qu’aucun message
intelligible, ne parvienne à tes oreilles ? Et devons-nous toujours admettre que nous sommes
« empêchés », comme tu l’es toi-même, d’accéder à quelque sens « objectif » d’un devoir-
être qui s’imposerait à nos consciences ? Ce langage d’une vérité universellement
reconnaissable a-t-il en somme pu perdre toute portée, et n’est-il, depuis longtemps, qu’un
leurre ? Chacun prend-t-il au fond pour objectif ce qui le ramène à sa propre subjectivité ? Et
si une objectivité se dessine, n’est-elle pas sans cesse étrangère à une réalité, à la vérité
d’une « chose » située à l’extérieur de notre constitution mentale, indépendamment de nos
divers « points de vue » ou de nos multiples profils herméneutiques ? N’est-ce pas d’ailleurs
ce qui aboutit à exiler au loin, et comme hors d’atteinte, toute exigence de justice, si cette
exigence s’entend de l’appel à être respectée d’une telle chose qui se rebelle à nous ?…
Seule subsisterait alors l’autorité nécessairement dogmatique de la source de référence
de celui qui s’exprime, ce qui permettrait rapidement de clore le débat. La justice nous serait
« imputée » par quelque souveraine volonté que nous serions tenus de révérer par « pacte »
ou « contrat » d’adhésion et qui déciderait à la place même de notre esprit dévalué, car nous
ne posséderions plus le moyen, inhérent à nos propres facultés intellectuelles, de la percevoir.
Celui qui prétendrait s’y élever avant même qu’une autorité ou un « établissement » ne l’ait
habilité à l’invoquer, s’en trouverait culpabilisé, et serait voué à relativiser tout jugement
formulé ; un jugement subjectif n’aurait, en effet, de vérité que s’il ne se généralise pas, par
rejet d’une vérité objective autre qu’imposée (l’« impositio » imputative déjà scottiste avant
de devenir kelsénienne) ; chaque jugement apparaîtrait logiquement tout aussi vrai que son
contraire, puisqu’il serait présumé émaner d’un sujet empirique et variable de manière à
accréditer son interchangeabilité implicite.
Mais, au-delà même des déclarations de langage de ce qui serait ainsi exclusivement
« vrai pour nous » et placé sous l’emprise d’une subjectivité toute-puissante, qu’en est-il
d’une vérité qui ne serait vraie qu’en s’affirmant dans une objectivité en soi ? Qu’en est-il du
rapport de la personne à une vérité non propositionnelle ou ne consistant pas en un acte de
discours langagier : à une vérité non conventionnelle ou imputée, mais indubitablement
« réelle », même si elle possède une structure conçue par l’homme à travers une œuvre
d’élaboration culturelle, comme celle qui caractérise les biens du droit, voire les mécanismes
des liens de causalité qui les unissent (vieux oroi et topoi d’une dialectique judiciaire
millénaire) ?
1 Professeur des universités, membre correspondant de l’Académie.
2
Passons ici sur Frege, Wittgenstein ou Tarski. Les analyses des actes de subjectivité ne
nous renseignent pas sur l’objectivité d’une vérité dont nous n’avons pas nécessairement (et
husserliennement) à supposer qu’il est impossible qu’elle soit « en soi », c’est-à-dire qu’elle
désigne une réalité pré-pensée et non énonciative2. Quand elle s’entend de sens juridiques
préétablis comme l’égalité intrinsèquement commutative d’un contrat (Adolf Reinach ou Erik
Fechner ou encore Helmut Coing y ont même vu très tôt une catégorie phénoménologique a
priori de la rationalité du droit), elle se propose bien en équivalent d’un donné antérieur à la
pensée et reçu par elle sans qu’elle ait même à contribuer à la détermination de sa structure
sémantique : ce sens, elle se l’approprie en faisant sien un sens objectif, ce qui n’a rien à voir
avec l’idée d’un sens de synthèse obtenu par des interprètes multiples associant leurs
subjectivités, une approche argumentative convenant à un analytisme et à une méta-éthique
en vogue mais dont aucun droit ne saurait vraiment s’accommoder.
De même, l’on ne saurait retenir les approches qui se préoccupent de la rectitude du
mouvement subjectif isolé de son contenu, comme on l’entendrait de la vérification
grammaticale de l’expression du discours ou, plus en profondeur, de la recherche de sincérité
et de transparence, puis de fidélité ou de « loyalisme », d’un acte assimilable à celui de la
croyance ou de la foi… Et il n’y a pas davantage, dans cet esprit, à se soucier de la rité de
l’adaequatio, de la correspondance ou du jugement, car c’est affaire d’une logique dont la
science est active et a préoccupé les juristes au croisement de la spéculation métaphysique
sur les valeurs (depuis Hans Georg Gadamer dans Warheit und Methode : Joseph Esser,
Emilio Betti, Alessandro Baratta, Giuseppe Zaccaria…), mais qui pourrait, en l’occurrence,
surtout si l’on se laisse tenter par une forme de minimalisme, oublier la transcendance
objective d’une réalité donnée dont l’objet, il faut en convenir, n’est pas exactement le
même.
Certes, les dévaluations ont été nombreuses. Elles ont semblé condamner à jamais la
démarche instructive d’une telle vérité de l’être réel auquel se soumettrait toute subjectivité,
qui justifierait donc la vérité seulement seconde de nos jugements et de nos représentations,
et qui référerait à un substrat ontologique et méta-logique, et par essence extra-mental. D’où
notre inclination spontanée à ne partir que d’une sorte de réflexion vide et sans objet centrée
sur les schémas d’interprétation qu’elle produit ; d’où notre enlisement rapide dans tous les
subjectivismes rivés de telles réductions successives : la coupure d’avec un monde
conduisant à l’enfermement dans notre monde à nous ; la coupure du concept d’avec tout
affect qui véhiculerait les impressions reçues provoquant un isolement de la pensée pure
repliée dans sa transcendantalité ; la coupure, sans doute à l’origine, d’une raison déclarée
suffisante et se détachant d’un esprit en prise sur l’être donc sur l’Ought, le Sollen ou la
valeur. C’est pourtant ce qui a pu manifester d’Orient en Occident, des Upanishads à
Platon, l’humanité personnalisatrice, présentant la personne comme le dominium sui actus,
comme le sujet libre qui a la maîtrise sur son acte d’exister (acte d’information ontologique
et non de volonté pratique ainsi que l’interprète une néo-phénoménologie contemporaine dite
personnaliste). Le sujet n’y dépend alors que de lui-même, ce qui vise bien en lui une liberté
ordonnée à l’être à travers la perception même de son universalité et de sa singularité
(rejoignant le thème cher à l’unicité divine), et non une liberté comprise à la manière
2 V. sur l’approche logique et épistémologique en ce sens, l’étude critique et pertinente très exhaustive de Franca
D’Agostini, Introduzione alla verità, Torino, Boringhieri, 2011, 359 p. Comp. avec l’examen classique, à la
lumière du thomisme, d’Auguste Etcheverry, L’homme dans le monde. La connaissance humaine et sa valeur,
Paris-Bruges, Desclé de Brouwer, 1963, que l’on complètera sous cet aspect et quant à la formation de la
« noèse » marquée par l’intentionalité de la conscience, avant Brentano et Husserl, par les fameux Degrés du
savoir ou distinguer pour unir de Maritain, publiés en 1932 chez le même éditeur.
3
heideggérienne ou perçue dans son projet (Entwurf) de déterminer n’importe quel destin
d’une existence encore en quête de son identité.
D’un réalisme personnaliste aléthique
La personne humaine se tient à ce degré, dans sa capacité d’idéation (Scheler) qui la
rend susceptible d’une distance à l’égard du monde en fonction d’un « vrai » monde dans la
transcendance objective dont il est le reflet, et donc d’un dépassement de soi-même, et des
nécessités vitales ou des intérêts de l’action (Husserl). C’est ce qui peut la mener à
reconnaître que son identité la plus haute se trouve dans l’aptitude au sacrifice et à un
sacrifice dont le retentissement est majeur à la fois dans la culture religieuse et dans la culture
esthétique3. Mais il n’en est ainsi, à l’échelle de toute civilisation, qu’à la condition de
présumer une vérité acquise non dans la subjectivité mais dans l’objectivité, et dans une
objectivité qui ne se donne pas comme l’auto-représentation idéaliste d’une conscience
rationnelle transcendentale, mais comme la participation qu’engage le sujet humain à
l’intérieur de lui-même à une vérité réelle regardée en sa transcendance, d’une vérité qui
apparaît comme un tertium quid datur entre le sujet et l’objet de sa connaissance, d’une
vérité qui caractérise non un concept de transformation du réel, un quo cognoscimus, mais un
pré-connaissable, un quod cognoscimus.
Il semblerait dès lors que seul un réalisme aléthique et par là axiologique possède la clé
qui restitue à la fois aux arts et aux droits, deux univers voisins, leur justification, du quai
Branly aux sièges de l’Onu, à un moment de l’histoire se révèle une dérive nihilisante de
la pensée qui l’empêche d’assumer une objectivité intrinsèque. Elle s’enfonce ainsi dans les
dédales d’une protocolarisation impuissante des contenus la perception d’un simple droit
de la dignité personnelle n’est plus guère perceptible, confondu avec l’idée d’une
« dignification » (Menschenwürde) de mémoire hégélienne ou sartrienne. L’exigence de la
vérité s’y est déjà perdue, le juriste ne dissertant plus que sur des modalités formelles dans
l’occultation des causes justes ou des critères qui font la chose qui les reçoit « droit » et donc
obligatoire et respectable (vs Carl Schmitt) ; et le religieux lui-même a pu parfois s’y égarer
dans des flexions sur la démarche subjective de foi4, en émettant plus qu’un doute sur la
réalité d’un objet subsistant et par transcendant, en voulant se placer en dehors d’une
vision hellénique (et a fortiori indianique antérieure) sur laquelle il n’a cessé de se méprendre
et d’introduire un soupçon de réduction subjective qui au fond l’arrange, puis en cherchant
maladroitement à pratiquer une « écoute » qui ne fait que rejoindre la quête existentielle et
tendue de la voie d’un nouvel heiddegérianisme qui abîme la vérité dans l’auto-
« dévoilement » (alètheia) d’une liberté sur arrière-plan d’Ab-grund, voire d’Ur-grund.
Mais remarquons-le : toute réflexion métaphysicienne, comme sunagogè socratique, a
consisté en un retour sur des données « réelles » qui impliquaient, dans l’acception
marcellienne, la « morsure de l’être », données sensibles et corporelles accueillies, non dans
leur simple expression, mais dans leur contenu et leur objet et dans la référence à l’être et au
devoir-être de cet être. C’est ce qui a permis d’intégrer un sens de l’altérité du monde, et un
sens de ses contradictions et des conflits parfois douloureux que celles-ci peuvent engendrer.
C’est ce qui a eu principalement le mérite d’accepter, sans l’évacuer comme « matérielle »,
la souffrance, et d’en analyser, d’en comprendre et d’en maîtriser les causes et les
conséquences, ce dont sans doute un certain indianisme a montré le premier le chemin. Les
3 C’est le sens de notre article récent : « La fourchette anthropophage », Revista Internacional d’Humanitats, Sâo Paulo
(Filosofia/Feusp) Barcelona (Filosofia/Univ. Autonoma), Ed. Mandruva (S.P.), Ano XVI, N. 28, mai-ago 2013.
4 V. déjà nos critiques du subjectivisme fidéiste dans notre communication : « ‘Les yeux ouverts’ ; la conviction et les
degrés de la connaissance dans l’enseignement de la philosophie du droit », (colloque Univ. Notre-D.) reprod. en version fr.
in Droits premiers, 2001, p. 103 ; et v., déjà sur l’indivisibilité de la compréhension d’une intelligibilité objective reliée à
l’acte subjectif, M.-J. Scheeben, Les mystères du christianisme, tr. A. Kerkwoorde, Desclée, 1947, p. 755 s.
4
métaphysiques orientales de cette aire n’ont jamais cultivé, en effet, la subjectivité
« fermée », coupée d’un environnement extérieur, ainsi que l’enseignent diverses versions de
complaisance occidentales qui ne sont que trop les héritières de l’idéalisme des postkantiens.
Elles reposent, ainsi qu’elles ont communiqué très tôt au platonisme, sur la nécessité
d’affronter une objectivité ontologique et axiologique avant de la retrouver tout au fond de
soi, et elles s’authentifient par leur apprivoisement commun du sensible et donc de cette
souffrance surmontée qu’elles assument et à laquelle elles confèrent son entière portée : celle
d’un dépassement sacrificiel par le don ; car l’esprit humain est fait pour ce don et aucune
œuvre juridique orientée de soi vers l’échange ne se construit si elle ne procède pas de ce
respect d’une dimension oblative qui la transcende et seule la justifie.
En tout cas, une société prenant appui sur une philosophie qui ne la mène plus qu’à
énoncer des règles ou des normes comportementales et à n’entreprendre que l’éducation à
des « méthodes » et à des attitudes appréciées selon leur conformité à de tels protocoles a
priori, une société qui calque donc sa structure sur les carcans d’une cellule sectataire ou sur
l’appareil de contrôle d’un droit uniquement organisateur de conduites « morales » ou
disciplinaires, et non plus sanctionnateur de principes et de critères de justice, est une
société qui ne saurait que produire la violence. C’est ce qui apparaît suffisamment à travers
les discriminations ou intolérances catégorielles qui visent à exciter jalousies et rivalités, à
susciter envies sociales et faux besoins, et à pourchasser, par exemple, les « nuisibles » ou
parasites comme improductifs, puisqu’ils ne sont pas mûs par un profit quelconque
(fonctionnaires ou religieux par exemple) et ne sont pas ralliés à la valeur installée dans le
système mais démontrent une insupportable exigence de désintéressement et de gratuité, en
forme de délit caractérisé d’autonomie individuelle.
En présentant un texte d’hommage au platonicien bordelais Joseph Moreau, Henry
Duméry5 faisait observer que le platonisme se justifiait justement par cette évolution de la
société grecque vers une violence généralisée, du fait de l’incitation des sophistes à ne
s’occuper que d’éducation et de direction des conduites en privant la personnalité de leurs
élèves d’une formation fondamentale à la vérité : en entravant sans cesse l’accès à
l’intelligence et à la connaissance des causes et des principes « véritables » des activités
humaines ; comme si le dérèglement de ces mêmes activités était imputable à la perte de
référence de leur identité sémantique, et les inclinait à un désordre nihiliste, malgré les
conformisations transitoires de leurs aspects extérieurs. Au fond, le platonisme est intervenu
pour délivrer l’homme de son « empêchement » entretenu par le gne d’un subjectivisme
paidétique et technocratique ; il a réveillé cet homme à l’objectivité de la vérité, à
« l’humanité de l’homme » en somme, c’est-à-dire à la raison comme mesure universelle de
toute chose (pour relire Protagoras réinterprété si justement par Hegel), en lui faisant
comprendre les limites d’un relativisme culturel et la possibilité de sortir de l’insularité de la
conscience reliée enfin à l’étalon commun qui la soumet à l’être ou à son idée.
Vocabulaires, distinctions et situations à l’épreuve
Il est constant que l’on s’interroge plus sur la personne dans sa subjectivité que sur la
vérité dans son objectivité, et les problèmes que l’on examine ne sont guère gagés qu’à
partir des données internes à cette subjectivité qui peuvent fausser le sens de la personne, car
elles ne sont que des moyens à instrumentaliser vers un but qui la dépasse. A cet égard, le
vocabulaire employé, quel que soit le registre où l’on se situe, est significatif d’une limitation
ou d’une réduction virtuelle qui devient très vite effective. Le choix des mots est pour ainsi
dire le produit d’un calcul savant ou concerté qui pourrait être en somme semblable à celui
5 Henry Duméry, « De la difficulté d’être platonicien », Permanence de la philosophie (Mélanges offerts
au prof J. Moreau), Neuchâtel, La Baconnière, 1977, p. 11 et s.
5
qu’opère un ministère public au sujet de la nécessité de poursuivre une infraction en la
qualifiant de façon circonscrite et définitive : les mots « disent » un réel et l’y assimilent,
comme les qualifications du droit et du droit pénal en particulier, avec le risque bien
perceptible, non seulement de pratiquer une contraction des termes puis une véritable
réduction en effet, mais d’induire la réponse dans la question que le mot ou la qualification
suggère.
Au plan le plus général de la formation de l’esprit, il y aurait à tenir compte de la
division entre culture et spécialité, entre ce que Jules romains nommait l’homo plenarius,
ayant le sens d’une « forme informante » universelle du discours, d’une vérité de la chose
intuitionnée plus que rationnellement comprise, et le savoir de « ce qui appartient à » la
chose et se diversifie à l’infini. Les menaces de division qui affectent la notion de vérité y
sont pareillement à l’oeuvre par retentissement de celles qui touchent le sujet incapable de
régler sa vue à distance et ne regardant qu’au plus près.
Au plan esthétique et émotif et même moral (plus que proprement objectif et éthique),
l’on pourrait justement aussi marquer quelque séparation discutable entre logos et pathos, et
caractériser bien des errements d’une prétendue sensibilité que n’anime plus le sens même
d’un savoir élémentaire de son objet et qui repose sur des processus entièrement psycho-
affectifs incontrôlés et n’obéissant qu’à des suggestions pavloviennes, quand il ne s’agit pas
du parasitisme de besoins artificiellement déclenchés ou de désirs effrénés, d’epithumia en
somme ; ce qui en ressort est à la fois l’insensibilité humaine et l’indifférence à la vérité ou à
la valeur. Telle a été, dans un accident de train, l’attitude de passagers se déclarant pourtant
émus, mais se précipitant pour se photographier eux-mêmes au milieu de blessés plutôt que
d’essayer de les secourir : filmant les situations, ou plutôt, aussitôt, se filmant… Oubli de la
vérité ou subjectivisation, réduction de la personne à la pantomime d’un rôle de personnage
de circonstance l’on se regarde même jouer sur la scène tout n’est, il est vrai, que
masques inconsistants d’acteurs éphémères, comme dans le théâtre « déréalisateur » des
personnes de Pirandello...
Prenons quelques exemples plus précis de ces emplois linguistiques qui détournent d’un
sens universaliste et introduisent la division dans la vérité même, soit captée par le sujet, soit
maintenue dans son attache à un objet reposant sur soi ou proprement subsistant. Et tentons
de décliner quelques dédoublements significatifs de la vérité elle-même dont l’oscillation
permanente entre subjectivité et objectivité indique des pôles opposés et s’affronteront
toujours au fond la volonté et l’être, ou, eût dit Starobinski à propos de Rousseau, « la
transparence et l’obstacle ».
Une première distinction semble d’importance entre le fait comme vérité empirique et
vérifiable, sinon exact, et l’être ou la réalité vraie, la vérité intermédiaire se donnant à travers
une « nature » comme représentation de raison. D’un côté, il y a ce qui ressortit à l’action au
moins de la pensée humaine, de l’autre ce qui s’impose dans l’expérience existentielle et
réflexive. Ainsi le fait-vérité pourra-t-il encore se dédoubler : en fait d’opinion6 ou en fait
6 commentaires médiatiques, politiciens ou « mondains » où s’exercent les manipulations : une tromperie
unilatérale à caractère économique, quand il est plus techniquement avéré, dans l’Etat de droit, que c’est une
fraude juridique concertée et une erreur sur la substance de la chose vendue ; un « président », suppoélu,
quand c’est un dictateur porté par une armée dissidente ou par des commandos infiltrés, ou, à l’inverse, un
« dictateur », quand c’est un président légitime en tant qu’élu mais qui n’a plus l’heur de plaire aux bailleurs de
fonds d’une armée nationale annexée par un parrain colonial ; un « terroriste », quand la critique émane d’un
résistant qui fait observer que la dictature viole le respect du contrôle populaire des urnes ou que le pouvoir
constitué est celui d’un trafiquant d’armes et de narcotiques aux solides alibis y compris humanitaires. Voici en
tous points une zone les pouvoirs font le droit, mais non plus le droit les pouvoirs ou les appareils étatiques.
Chaque lieu, d’Amérique centrale ou andine en Afrique de l’Ouest et en Orient (au sens français, celui encore de
Maspero), et chaque époque sa propagande, de même source il est vrai : il devient « grossier » de soutenir que tel
président élu sans fraude, ancien ou nouveau, est l’objet d’un « coup d’Etat », violant le droit, alors que l’on
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