Biopouvoir et biopolitique
Les notions de « biopouvoir » et de « biopolitique » furent élaborées par Michel
Foucault à un moment charnière de son parcours philosophique (1975-1976), dans le but de
construire un modèle théorique permettant d'analyser des phénomènes et des pratiques
politiques qui restaient largement ignorées par les théories existantes, faute de pouvoir être
appréhendées adéquatement au moyen de l'outillage conceptuel dont elles disposaient ; à
savoir des stratégies de pouvoir portant, non pas sur les individus pris isolément, mais sur les
populations saisies comme entités autonomes, et surtout envisagées du point de vue des
processus vitaux et biologiques (en un sens très large de ce terme) qui les affectent – natalité,
mortalité, morbidité, fécondité, nuptialité, etc. En somme, une politique qui, selon une
formule fameuse, ne reposerait plus sur le droit de donner la mort (ou de laisser vivre)
caractéristique de l’ancienne patria potestas, mais sur le pouvoir de faire vivre (ou de laisser
mourir). Une telle inscription de la vie humaine dans les stratégies du pouvoir marquerait, à
cet égard, l’entrée dans un nouvel âge du politique.
Mais surtout, ces deux concepts connexes ont connu un large écho au-delà de l’œuvre
de Foucault, et de nombreux philosophes marquants, de Giorgio Agamben à Toni Negri en
passant par Roberto Esposito ou Etienne Balibar, les ont repris pour se les approprier, les
retravailler ou les critiquer, tout en en faisant des usages très contrastés, sinon même
contradictoires. Et ils sont de surcroît fréquemment mobilisés et discutés en dehors du strict
domaine philosophique, chez les anthropologues, les sociologues et même les économistes
(particulièrement aux Etats-Unis).
Ce cours se propose un triple objectif. Tout d’abord présenter ces deux notions de la
manière la plus détaillée possible, dans la variété et la complexité de leurs significations
plurielles, afin d’en évaluer la pertinence épistémologique et la portée théorique. D’autre part,
tenter de dégager leur généalogie, car si l’on crédite souvent Foucault de les avoir tout
simplement « inventées », il n’en reste pas moins qu’elles ont leurs racines dans des
problématiques antérieures, notamment celles du marxisme et de l’utilitarisme. Enfin, essayer
de brosser un tableau le plus complet possible des débats qu’elles suscitent depuis une
trentaine d’années, et des différentes manières dont elles ont été mobilisées et interprétées.
Bibliographie provisoire
M. FOUCAULT, La Volonté de savoir, Gallimard, 1976 (notamment le chapitre V) ;
« Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France (1976), Gallimard-Seuil, 1997
(notamment la dernière leçon) ; Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France
(1978-1979), Gallimard-Seuil, 2004.
G. AGAMBEN, Homo Sacer tome I, Seuil, 1998
T. NEGRI et M. HARDT, Empire, 10 X 18, 2004 ; Multitudes : Guerre et démocratie
à l’âge de l’Empire, 10 X 18, 2006
R. ESPOSITO, Communauté, immunité, biopolitique, Les Prairies Ordinaires, 2010
Méthodes en Sociologie et anthropologie